En juillet 2010, vous signiez avec Hubert Védrine, une tribune dans Le Monde, dénonçant l’amoindrissement des moyens du Quai d’Orsay…Hélas, le budget que vous présentez s’inscrit dans la continuité.
La RGPP est passée par là, soulevant les clameurs, souvent justifiées que l’on sait. Je ne suis pourtant pas de ceux qui jugent indispensable l’accroissement sans fin des dépenses ou des effectifs et j’ai longtemps observé qu’en diplomatie, notamment multilatérale, peu d’hommes et de femmes déterminés travaillaient souvent plus efficacement et parfois avec plus de bonheur que de gros bataillons. Mais une préoccupation reste primordiale si l’on veut encore que notre action extérieure soit qualifiée de française : c’est celle des moyens de notre présence culturelle. Que vive l’Institut français certes, mais que nous le dotions de capacités suffisantes, fût-ce au prix d’arbitrage. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Je le regrette. Enfin, et c’est vital, tout simplement pour le maintien de notre pays sur la carte du monde, faisons venir en France des étudiants étrangers. Ranimons cette politique de bourses généreuse qui expliqua l’épanouissement de la francophonie, temps aujourd’hui hélas en voie de disparition.. J’imagine, Monsieur le Ministre, que si votre séjour au Canada vous a familiarisé avec les beautés de la langue anglaise, il vous a convaincu aussi, que les défenseurs de notre langue méritaient un vrai soutien, venu de notre cœur, venu de notre bourse aussi.
Quant au fond de votre action, cette année, j’en conviens, a été dense : Côte d’Ivoire, printemps arabe, Lybie, etc. Ces crises ont le mérite de nous ramener à deux questions fondamentales et d’actualité de la vie internationale : le rôle du Conseil de sécurité des Nations unies ; le rôle de ces instances plus récentes, parfois dressées en concurrence de l’ONU : G7, G8, G20.
La RGPP est passée par là, soulevant les clameurs, souvent justifiées que l’on sait. Je ne suis pourtant pas de ceux qui jugent indispensable l’accroissement sans fin des dépenses ou des effectifs et j’ai longtemps observé qu’en diplomatie, notamment multilatérale, peu d’hommes et de femmes déterminés travaillaient souvent plus efficacement et parfois avec plus de bonheur que de gros bataillons. Mais une préoccupation reste primordiale si l’on veut encore que notre action extérieure soit qualifiée de française : c’est celle des moyens de notre présence culturelle. Que vive l’Institut français certes, mais que nous le dotions de capacités suffisantes, fût-ce au prix d’arbitrage. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Je le regrette. Enfin, et c’est vital, tout simplement pour le maintien de notre pays sur la carte du monde, faisons venir en France des étudiants étrangers. Ranimons cette politique de bourses généreuse qui expliqua l’épanouissement de la francophonie, temps aujourd’hui hélas en voie de disparition.. J’imagine, Monsieur le Ministre, que si votre séjour au Canada vous a familiarisé avec les beautés de la langue anglaise, il vous a convaincu aussi, que les défenseurs de notre langue méritaient un vrai soutien, venu de notre cœur, venu de notre bourse aussi.
Quant au fond de votre action, cette année, j’en conviens, a été dense : Côte d’Ivoire, printemps arabe, Lybie, etc. Ces crises ont le mérite de nous ramener à deux questions fondamentales et d’actualité de la vie internationale : le rôle du Conseil de sécurité des Nations unies ; le rôle de ces instances plus récentes, parfois dressées en concurrence de l’ONU : G7, G8, G20.
Pour traiter de ces crises, vous avez finalement adopté la manière forte, loin de cette diplomatie dite d’influence, dont on se gargarisait dans votre propre ministère, il y a à peine un an.
Mais pour recourir aux sanctions et en fin de compte aux armes, vous avez choisi la voie du Conseil de sécurité, comme vous l’aviez d’ailleurs fait voici dix-sept ans pour déclencher l’opération turquoise au Rwanda. Choix juste, qui se distingue heureusement de l’action strictement unilatérale, pratiquée par un groupe de pays, OTAN ou coalition ad hoc, contre la Serbie en 1999 ou l’Irak en 2003. Dans ces deux derniers cas, c’est l’exercice de l’ingérence qui fut en jeu ce qui est tout sauf un droit, et qui reste condamné tant par les Nations unies que par des textes bilatéraux, tel par exemple ce communiqué franco-chinois d’avril 2009 réaffirmant avec éclat l’adhésion de notre pays au principe de non-ingérence.
Mais l’intervention extérieure est admise, si, loin d’être unilatérale elle est décidée collectivement par le Conseil de sécurité. C’est la mise en œuvre du principe de la responsabilité de protéger, codifié par un sommet des Nations unies en 2005, mais en réalité pratiqué depuis longtemps par les Nations unies.
Il suffit de se rappeler les très nombreuses résolutions du Conseil qui ont imposé la décolonisation, l’abolition de l’apartheid. Rien donc de très nouveau sinon que ce sommet de 2005, en précisant les conditions de mise en jeu de la responsabilité de protéger, en détaillant notamment les motifs acceptables d’intervention a accru, en vérité, l’obligation d’une réflexion responsable de tous les membres du Conseil.
Je ne discuterai donc pas les décisions prises, mais je m’interroge, Monsieur le Ministre, sur les modalités d’exécution et de strict respect des résolutions. La résolution 1973 sur la Lybie excluait formellement le détachement de troupes au sol par les coalitions. Soyons francs. La fanfaronnade de certains aidant, on voit bien que des éléments étrangers ont aidé sur le terrain à la victoire des rebelles. La résolution rappelait que toutes les parties devaient veiller à protéger les populations civiles quelle qu’elles soient. Fut-ce bien le cas lors des attaques par ceux qu’on appelait encore les rebelles contre la ville de Syrte ? Certains témoignages de journalistes ou d’ONG sont accablants. Chacun, enfin, a compris que l’objectif des coalisés, absents de la résolution, était bien celui d’un changement de régime, par la force, et non par la négociation ou la pression politique ou diplomatique, comme ce fut le cas en Tunisie ou en Egypte. Et on sait désormais, à la lumière de l’expérience, que plusieurs pays qui laissèrent passer en mars 2011 la résolution 1973 du Conseil, ne récidiveront plus. Est-ce un progrès ?
La logique de votre action, Monsieur le Ministre, doit donc vous conduire aujourd’hui, à rester plus que vigilant, face au comportement, de ceux que nous avons soutenus, à agir, pacifiquement certes, mais à intervenir autrement que par de simples discours, si des exactions ou des dérives s’accentuent. Vous devez rester exemplaire si vous voulez convaincre vos partenaires du Conseil car ceux-ci, vous le savez, ne sont pas des interlocuteurs faciles. Ces grands pays dont la France souhaitait l’accès au statut de membre permanent du Conseil, y sont aujourd’hui présents, par la vertu de l’élection. Ils se révèlent tels qu’ils sont, Brésil, Inde, Afrique du Sud, bientôt Pakistan, grands, ambitieux, méfiants parfois de nos supposées bonnes intentions. Ils vous rendront la vie compliquée. Mais c’est ainsi. Le monde n’est pas celui des emportements, des passades et bravades. Il est aussi celui de l’action continue, patiente, et par-dessus tout sans équivoque. Au nom des droits de l’homme, nous nous réjouissons tous des révolutions pacifiques dans le monde arabe. Mais ayons le courage de rappeler nos principes, ceux-là même de la déclaration universelle des droits de l’homme, dès que des dérapages surgissent, touchant le sort des minorités, ainsi les Coptes en Egypte.
Quand la menace du tribalisme se dessine, vous n’avez pas à encourager la guerre civile.
Vous avez mesuré, Monsieur le Ministre, que votre action face à ces nouveaux partenaires du Conseil serait rude. Que cette conviction ne vous entraîne pas à essayer d‘autres voies d’actions, à revenir à d’autres formules, celles du G8 ou du G20. Ces instances sont outillées pour traiter des problèmes financiers, monétaires, économiques, pour lesquels elles ont été créées. Il reste bon de rappeler que 174 pays sur 194 n’en sont pas membres, qu’un seul pays africain, l’Afrique du Sud, participe au G20. Vous savez la fâcheuse tendance qui emporte les happy few, les beati possidentes, etc. à se trouver bien entre eux, en club, à vouloir déborder le cadre de leurs compétences et à tout faire, bref à prendre en mains, comme ils disent, la gouvernance du monde. L’échec sera certain. On ne détruira pas la démocratie internationale, si exigeante et difficile soit-elle.
Tenez-vous en, Monsieur le Ministre, aux principes établis : la légitimité internationale repose, qu’on le veuille ou non, sur l’Onu. Acceptons-en les règles, si difficiles soient-elles.
Je n’ai pas parlé de l’Europe. La crise de la monnaie unique est une crise politique, la crise d’une Europe qu’on a voulu faire en dehors des nations, en imposant à dix-sept pays très différents le carcan d’un mark-bis.
Au lieu de chercher à réconcilier l’Europe avec la croissance, vous évoquez une « Europe fédérale », comme si la régulation budgétaire mise en œuvre de Bruxelles pouvait donner autre chose qu’un système coercitif. Nous avons aujourd’hui une zone euro sans moteur, du fait du refus allemand de s’appuyer sur la Banque centrale européenne. La dictature d’une orthodoxie à courte vue installe partout ses hommes en balayant les gouvernements élus par des élections anticipées ou en remplaçant par des technocrates européens non élus, M Monti, en Italie, et M. Papademos en Grèce. Pour remodeler l’architecture financière de l’euro, nous n’avons guère d’alliés en Europe.
Devant la régression et le désordre prévisible, il est temps d’explorer les voies d’une transition aussi harmonieuse que possible. Je pense à la mutation de l’euro de la monnaie unique en monnaie commune.
Il est temps de refonder sur des bases réalistes, conforme à l’histoire et aux aspirations des peuples, l’esprit et les mécanismes d’une entreprise de solidarité européenne évidemment nécessaire. C’est un autre débat.
Mais pour recourir aux sanctions et en fin de compte aux armes, vous avez choisi la voie du Conseil de sécurité, comme vous l’aviez d’ailleurs fait voici dix-sept ans pour déclencher l’opération turquoise au Rwanda. Choix juste, qui se distingue heureusement de l’action strictement unilatérale, pratiquée par un groupe de pays, OTAN ou coalition ad hoc, contre la Serbie en 1999 ou l’Irak en 2003. Dans ces deux derniers cas, c’est l’exercice de l’ingérence qui fut en jeu ce qui est tout sauf un droit, et qui reste condamné tant par les Nations unies que par des textes bilatéraux, tel par exemple ce communiqué franco-chinois d’avril 2009 réaffirmant avec éclat l’adhésion de notre pays au principe de non-ingérence.
Mais l’intervention extérieure est admise, si, loin d’être unilatérale elle est décidée collectivement par le Conseil de sécurité. C’est la mise en œuvre du principe de la responsabilité de protéger, codifié par un sommet des Nations unies en 2005, mais en réalité pratiqué depuis longtemps par les Nations unies.
Il suffit de se rappeler les très nombreuses résolutions du Conseil qui ont imposé la décolonisation, l’abolition de l’apartheid. Rien donc de très nouveau sinon que ce sommet de 2005, en précisant les conditions de mise en jeu de la responsabilité de protéger, en détaillant notamment les motifs acceptables d’intervention a accru, en vérité, l’obligation d’une réflexion responsable de tous les membres du Conseil.
Je ne discuterai donc pas les décisions prises, mais je m’interroge, Monsieur le Ministre, sur les modalités d’exécution et de strict respect des résolutions. La résolution 1973 sur la Lybie excluait formellement le détachement de troupes au sol par les coalitions. Soyons francs. La fanfaronnade de certains aidant, on voit bien que des éléments étrangers ont aidé sur le terrain à la victoire des rebelles. La résolution rappelait que toutes les parties devaient veiller à protéger les populations civiles quelle qu’elles soient. Fut-ce bien le cas lors des attaques par ceux qu’on appelait encore les rebelles contre la ville de Syrte ? Certains témoignages de journalistes ou d’ONG sont accablants. Chacun, enfin, a compris que l’objectif des coalisés, absents de la résolution, était bien celui d’un changement de régime, par la force, et non par la négociation ou la pression politique ou diplomatique, comme ce fut le cas en Tunisie ou en Egypte. Et on sait désormais, à la lumière de l’expérience, que plusieurs pays qui laissèrent passer en mars 2011 la résolution 1973 du Conseil, ne récidiveront plus. Est-ce un progrès ?
La logique de votre action, Monsieur le Ministre, doit donc vous conduire aujourd’hui, à rester plus que vigilant, face au comportement, de ceux que nous avons soutenus, à agir, pacifiquement certes, mais à intervenir autrement que par de simples discours, si des exactions ou des dérives s’accentuent. Vous devez rester exemplaire si vous voulez convaincre vos partenaires du Conseil car ceux-ci, vous le savez, ne sont pas des interlocuteurs faciles. Ces grands pays dont la France souhaitait l’accès au statut de membre permanent du Conseil, y sont aujourd’hui présents, par la vertu de l’élection. Ils se révèlent tels qu’ils sont, Brésil, Inde, Afrique du Sud, bientôt Pakistan, grands, ambitieux, méfiants parfois de nos supposées bonnes intentions. Ils vous rendront la vie compliquée. Mais c’est ainsi. Le monde n’est pas celui des emportements, des passades et bravades. Il est aussi celui de l’action continue, patiente, et par-dessus tout sans équivoque. Au nom des droits de l’homme, nous nous réjouissons tous des révolutions pacifiques dans le monde arabe. Mais ayons le courage de rappeler nos principes, ceux-là même de la déclaration universelle des droits de l’homme, dès que des dérapages surgissent, touchant le sort des minorités, ainsi les Coptes en Egypte.
Quand la menace du tribalisme se dessine, vous n’avez pas à encourager la guerre civile.
Vous avez mesuré, Monsieur le Ministre, que votre action face à ces nouveaux partenaires du Conseil serait rude. Que cette conviction ne vous entraîne pas à essayer d‘autres voies d’actions, à revenir à d’autres formules, celles du G8 ou du G20. Ces instances sont outillées pour traiter des problèmes financiers, monétaires, économiques, pour lesquels elles ont été créées. Il reste bon de rappeler que 174 pays sur 194 n’en sont pas membres, qu’un seul pays africain, l’Afrique du Sud, participe au G20. Vous savez la fâcheuse tendance qui emporte les happy few, les beati possidentes, etc. à se trouver bien entre eux, en club, à vouloir déborder le cadre de leurs compétences et à tout faire, bref à prendre en mains, comme ils disent, la gouvernance du monde. L’échec sera certain. On ne détruira pas la démocratie internationale, si exigeante et difficile soit-elle.
Tenez-vous en, Monsieur le Ministre, aux principes établis : la légitimité internationale repose, qu’on le veuille ou non, sur l’Onu. Acceptons-en les règles, si difficiles soient-elles.
Je n’ai pas parlé de l’Europe. La crise de la monnaie unique est une crise politique, la crise d’une Europe qu’on a voulu faire en dehors des nations, en imposant à dix-sept pays très différents le carcan d’un mark-bis.
Au lieu de chercher à réconcilier l’Europe avec la croissance, vous évoquez une « Europe fédérale », comme si la régulation budgétaire mise en œuvre de Bruxelles pouvait donner autre chose qu’un système coercitif. Nous avons aujourd’hui une zone euro sans moteur, du fait du refus allemand de s’appuyer sur la Banque centrale européenne. La dictature d’une orthodoxie à courte vue installe partout ses hommes en balayant les gouvernements élus par des élections anticipées ou en remplaçant par des technocrates européens non élus, M Monti, en Italie, et M. Papademos en Grèce. Pour remodeler l’architecture financière de l’euro, nous n’avons guère d’alliés en Europe.
Devant la régression et le désordre prévisible, il est temps d’explorer les voies d’une transition aussi harmonieuse que possible. Je pense à la mutation de l’euro de la monnaie unique en monnaie commune.
Il est temps de refonder sur des bases réalistes, conforme à l’histoire et aux aspirations des peuples, l’esprit et les mécanismes d’une entreprise de solidarité européenne évidemment nécessaire. C’est un autre débat.