La République avait fondé son organisation territoriale sur les départements et sur les communes. Le rapport au Président de la République du Comité Balladur privilégie clairement, je le cite, « la bipolarisation des institutions locales au profit de la région et de l’intercommunalité ». Cette rupture avec le modèle républicain correspond au projet d’une « Europe des régions », plus ou moins inspiré du modèle des Länder allemands.
I – Commençons par les communes
Dans la forme, la compétence générale de nos 36.600 communes sera certes préservée mais, pour les investissements les plus significatifs, elles ne pourront guère l’exercer : en effet, les régions et les départements cantonnés dans des compétences spéciales, définies par la loi, pourront plus difficilement les aider.
1. Le système des financements croisés a été désigné par le Président de la République et par le Comité Balladur comme « le pelé, le galeux d’où vient tout le mal ». Je voudrais dénoncer cette idée reçue. D’abord les financements croisés ont été voulus par l’Etat à travers les contrats de plan. On ne peut vouloir une chose et son contraire. L’Etat continue d’ailleurs à solliciter les différents niveaux des collectivités pour le financement des lignes TGV nouvelles. Sans financements croisés, il n’y aurait pas eu de plan « Universités 2000 » et de modernisation de nos locaux universitaires. Et je connais beaucoup de projets de gymnases et de salles polyvalentes dans nos communes qui n’auraient pu aboutir sans les « financements croisés ». L’abolition de la compétence générale des régions et des départements bridera inévitablement l’élan de la décentralisation. Tel est d’ailleurs bien l’objectif affirmé par le Président de la République, le 5 mars dernier, je le cite : « faire des économies sur les dépenses ». Mais est-il bien raisonnable, au moment où on parle de « relance », de vouloir casser l’investissement des collectivités locales qui représente les trois-quarts de l’investissement public ? Cette réforme de notre organisation territoriale dont l’esprit contrarie celui de la décentralisation est inopportune en période de crise.
(l'intégralité de l'intervention de Jean-Pierre Chevènement en vidéo)
I – Commençons par les communes
Dans la forme, la compétence générale de nos 36.600 communes sera certes préservée mais, pour les investissements les plus significatifs, elles ne pourront guère l’exercer : en effet, les régions et les départements cantonnés dans des compétences spéciales, définies par la loi, pourront plus difficilement les aider.
1. Le système des financements croisés a été désigné par le Président de la République et par le Comité Balladur comme « le pelé, le galeux d’où vient tout le mal ». Je voudrais dénoncer cette idée reçue. D’abord les financements croisés ont été voulus par l’Etat à travers les contrats de plan. On ne peut vouloir une chose et son contraire. L’Etat continue d’ailleurs à solliciter les différents niveaux des collectivités pour le financement des lignes TGV nouvelles. Sans financements croisés, il n’y aurait pas eu de plan « Universités 2000 » et de modernisation de nos locaux universitaires. Et je connais beaucoup de projets de gymnases et de salles polyvalentes dans nos communes qui n’auraient pu aboutir sans les « financements croisés ». L’abolition de la compétence générale des régions et des départements bridera inévitablement l’élan de la décentralisation. Tel est d’ailleurs bien l’objectif affirmé par le Président de la République, le 5 mars dernier, je le cite : « faire des économies sur les dépenses ». Mais est-il bien raisonnable, au moment où on parle de « relance », de vouloir casser l’investissement des collectivités locales qui représente les trois-quarts de l’investissement public ? Cette réforme de notre organisation territoriale dont l’esprit contrarie celui de la décentralisation est inopportune en période de crise.
(l'intégralité de l'intervention de Jean-Pierre Chevènement en vidéo)
2. A cet égard la suppression de la taxe professionnelle est un mauvais coup supplémentaire à l’intercommunalité et au développement local. Certes le Président de la République s’est-il engagé à compenser intégralement les pertes de recettes qui en résulteront pour les collectivités. Mais cet engagement figera une situation qui est, par elle-même, évolutive : la taxe professionnelle est un impôt très dynamique dont les bases, même amputées de la part salariale, progressent chaque année. Or les compensations envisagées par le Président de la République dans son discours du 5 mars dernier : cotisation minimale sur la valeur ajoutée ou taxe sur les conventions d’assurance, ne sont pas à la hauteur. Les moyens dont disposent les intercommunalités en seront inévitablement affectés à la baisse, ce qui pénalisera la lutte contre la ségrégation urbaine, le développement économique local et la solidarité intercommunale.
3. L’intercommunalité est un acquis majeur pour la décentralisation car elle met en commun des compétences stratégiques que les communes isolées pouvaient difficilement exercer. A mes yeux, beaucoup des critiques faites à l’intercommunalité ne sont pas pertinentes : les périmètres seraient quelquefois arbitraires ? Mais ils peuvent être corrigés selon des règles de majorité qualifiée qui donnent aux Préfets un réel pouvoir. Les mutualisations de services, dont la Cour des Comptes déplorait le retard en 2005, ne pouvaient se réaliser du jour au lendemain. Elles ont d’ailleurs beaucoup progressé. Le coût pour les finances publiques est resté modeste, compte tenu de l’ampleur des résultats enregistrés : plus de 90 % du territoire et de la population concernés. Enfin, les recrutements supplémentaires dans les EPCI, quelquefois déplorés, ont légitimement correspondu à l’exercice de compétences souvent jusqu’alors délaissées par les communes.
L’intercommunalité ne doit pas pour autant faire disparaître la commune, échelon de base et, si je puis dire, école élémentaire de notre démocratie. Les établissements publics de coopération intercommunale ne sont pas un quatrième niveau de collectivités. Ce sont des coopératives de communes et les communes sont irremplaçables comme échelons de proximité. Si je partage la plupart des préconisations faites pour l’achèvement et la rationalisation de la carte de l’intercommunalité, je suis plutôt réticent quant à l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI. L’élection directe du Président délégitimerait les maires. Même le système de l’élection des conseillers communautaires par fléchage en même temps que celle des conseillers municipaux, dit système PLM, pose problème à mes yeux, même si cette proposition a été reprise par la mission du Sénat sur la réorganisation territoriale.
Je voudrais faire observer que ce système de fléchage ne sera pas applicable aux communes de moins de 3500 habitants qui pratiquent le panachage. Faut-il, comme le suggère la mission du Sénat, supprimer cette pratique pourtant très démocratique pour ce qui est des petites communes ? Pour les autres, il introduira par l’application de la proportionnelle des listes un esprit inévitablement plus partisan, là où l’entente se faisait de maire à maire, chacun étant assuré de représenter la légitimité de sa commune. Je suis sensible à cet égard à la réserve exprimée dans son discours du 5 mars par le Président de la République, je le cite : « Je souhaite que se poursuive la concertation sur l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre qui pose à mon sens beaucoup de questions ». C’est l’esprit et la vocation de l’intercommunalité qui sont en cause. Je souhaite pour ma part que les intercommunalités restent des coopératives de communes et pas des « communes nouvelles » comme l’article 11 du projet de loi de réforme des collectivités locales annexé au rapport Balladur en ouvre la possibilité, dès lors qu’une majorité des deux tiers des conseils municipaux représentant la moitié de la population le demanderait. Ce projet d’article 11 traduit selon moi une méconnaissance de l’esprit de l’intercommunalité et un retour à l’esprit de la loi Marcellin de 1971. Mais il est cohérent avec le dessein de dévalorisation de nos communes qui me paraît sous-jacent au projet de réforme. L’intercommunalité est le remède à l’émiettement de nos communes, réelle spécificité française, mais il serait absurde de vouloir y substituer 2.500 « communes nouvelles ». Bref, l’intercommunalité est un moyen de revaloriser les communes, pas de les dévaloriser.
II – Quelques mots maintenant sur les départements, eux aussi victimes désignées de la réforme.
1. Un mot d’abord sur le démantèlement partiel des départements au profit des métropoles. Celui-ci aboutira à des départements croupions réduits à leurs zones rurales. En réalité, les compétences des départements sont des compétences de proximité et il n’y a rien à gagner à vouloir tout chambouler. Mais qu’un tel projet ait pu germer est un révélateur de la volonté réelle qui sous-tend la réforme : à défaut de pouvoir le casser, il faut réduire le département !
2. D’où le projet de faire élire ensemble conseillers régionaux et conseillers départementaux. Certes, avec le mode de scrutin actuel, les conseils régionaux apparaissaient-ils quelque peu « hors sol ». Tel est du moins mon jugement personnel. Le remède proposé est de créer un système PLM dans le cadre de circonscriptions infra-départementales. Si l’on veut absolument faire élire ensemble les conseillers régionaux et les conseillers départementaux, pourquoi faut-il que ce soit dans le cadre de circonscriptions particulières découpées au sein de chaque département, et pas dans le cadre du département, si ce n’est pour dévaloriser celui-ci en fonction du principe « diviser pour régner » ? Il me semble qu’en procédant à cette élection dans le cadre du département, on éviterait le charcutage électoral, toujours nuisible à une réforme territoriale qui devrait privilégier le consensus.
3. La région, selon moi, ne peut pas tout faire. Elle n’est pas faite pour la proximité. Même en matière de développement économique, elle ne peut pas répondre aussi efficacement que les départements et les intercommunalités à la demande de développement endogène des entreprises. Il est bon que, pour la création de zones d’activités par exemple, la compétence économique soit partagée entre tous les niveaux de collectivités, y compris les départements.
4. Enfin, la région, à mes yeux, ne doit pas être laissée seule à disposer des fonds européens comme le propose la mission Belot. L’Etat, gardien de la cohésion nationale et de l’intérêt général, doit conserver à côté de la région un droit de regard éminent sur cette affectation.
Je ne dirai rien quant aux regroupements de régions ou de départements envisagés. Il y a là une boite de Pandore propice à toutes les dérives plus ou moins ethnicistes, que vous pourriez bien regretter d’avoir ouverte. Nos concitoyens de Corse l’avaient bien compris en refusant par référendum en 2003 la fusion des deux départements de Haute Corse et de Corse du Sud.
Tout dans les propositions de la Commission Balladur n’est pas à rejeter, loin de là : l’achèvement de la carte de l’intercommunalité, la fin des « pays », la rationalisation des syndicats de communes, approuvés d’ailleurs par la mission Belot, sont des propositions de bon sens. Selon moi, le sont également le plafonnement des effectifs des exécutifs locaux ou le projet d’un « Grand Paris » qui répond à l’atout qu’est l’existence d’une ville monde pour la France. Mais la réforme gagnerait à montrer plus de pragmatisme et à s’insérer dans le modèle républicain français, sans vouloir à toute force lui en substituer un autre. La réforme y gagnerait en particulier la possibilité d’un consensus qui est la condition même de son succès.
3. L’intercommunalité est un acquis majeur pour la décentralisation car elle met en commun des compétences stratégiques que les communes isolées pouvaient difficilement exercer. A mes yeux, beaucoup des critiques faites à l’intercommunalité ne sont pas pertinentes : les périmètres seraient quelquefois arbitraires ? Mais ils peuvent être corrigés selon des règles de majorité qualifiée qui donnent aux Préfets un réel pouvoir. Les mutualisations de services, dont la Cour des Comptes déplorait le retard en 2005, ne pouvaient se réaliser du jour au lendemain. Elles ont d’ailleurs beaucoup progressé. Le coût pour les finances publiques est resté modeste, compte tenu de l’ampleur des résultats enregistrés : plus de 90 % du territoire et de la population concernés. Enfin, les recrutements supplémentaires dans les EPCI, quelquefois déplorés, ont légitimement correspondu à l’exercice de compétences souvent jusqu’alors délaissées par les communes.
L’intercommunalité ne doit pas pour autant faire disparaître la commune, échelon de base et, si je puis dire, école élémentaire de notre démocratie. Les établissements publics de coopération intercommunale ne sont pas un quatrième niveau de collectivités. Ce sont des coopératives de communes et les communes sont irremplaçables comme échelons de proximité. Si je partage la plupart des préconisations faites pour l’achèvement et la rationalisation de la carte de l’intercommunalité, je suis plutôt réticent quant à l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI. L’élection directe du Président délégitimerait les maires. Même le système de l’élection des conseillers communautaires par fléchage en même temps que celle des conseillers municipaux, dit système PLM, pose problème à mes yeux, même si cette proposition a été reprise par la mission du Sénat sur la réorganisation territoriale.
Je voudrais faire observer que ce système de fléchage ne sera pas applicable aux communes de moins de 3500 habitants qui pratiquent le panachage. Faut-il, comme le suggère la mission du Sénat, supprimer cette pratique pourtant très démocratique pour ce qui est des petites communes ? Pour les autres, il introduira par l’application de la proportionnelle des listes un esprit inévitablement plus partisan, là où l’entente se faisait de maire à maire, chacun étant assuré de représenter la légitimité de sa commune. Je suis sensible à cet égard à la réserve exprimée dans son discours du 5 mars par le Président de la République, je le cite : « Je souhaite que se poursuive la concertation sur l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre qui pose à mon sens beaucoup de questions ». C’est l’esprit et la vocation de l’intercommunalité qui sont en cause. Je souhaite pour ma part que les intercommunalités restent des coopératives de communes et pas des « communes nouvelles » comme l’article 11 du projet de loi de réforme des collectivités locales annexé au rapport Balladur en ouvre la possibilité, dès lors qu’une majorité des deux tiers des conseils municipaux représentant la moitié de la population le demanderait. Ce projet d’article 11 traduit selon moi une méconnaissance de l’esprit de l’intercommunalité et un retour à l’esprit de la loi Marcellin de 1971. Mais il est cohérent avec le dessein de dévalorisation de nos communes qui me paraît sous-jacent au projet de réforme. L’intercommunalité est le remède à l’émiettement de nos communes, réelle spécificité française, mais il serait absurde de vouloir y substituer 2.500 « communes nouvelles ». Bref, l’intercommunalité est un moyen de revaloriser les communes, pas de les dévaloriser.
II – Quelques mots maintenant sur les départements, eux aussi victimes désignées de la réforme.
1. Un mot d’abord sur le démantèlement partiel des départements au profit des métropoles. Celui-ci aboutira à des départements croupions réduits à leurs zones rurales. En réalité, les compétences des départements sont des compétences de proximité et il n’y a rien à gagner à vouloir tout chambouler. Mais qu’un tel projet ait pu germer est un révélateur de la volonté réelle qui sous-tend la réforme : à défaut de pouvoir le casser, il faut réduire le département !
2. D’où le projet de faire élire ensemble conseillers régionaux et conseillers départementaux. Certes, avec le mode de scrutin actuel, les conseils régionaux apparaissaient-ils quelque peu « hors sol ». Tel est du moins mon jugement personnel. Le remède proposé est de créer un système PLM dans le cadre de circonscriptions infra-départementales. Si l’on veut absolument faire élire ensemble les conseillers régionaux et les conseillers départementaux, pourquoi faut-il que ce soit dans le cadre de circonscriptions particulières découpées au sein de chaque département, et pas dans le cadre du département, si ce n’est pour dévaloriser celui-ci en fonction du principe « diviser pour régner » ? Il me semble qu’en procédant à cette élection dans le cadre du département, on éviterait le charcutage électoral, toujours nuisible à une réforme territoriale qui devrait privilégier le consensus.
3. La région, selon moi, ne peut pas tout faire. Elle n’est pas faite pour la proximité. Même en matière de développement économique, elle ne peut pas répondre aussi efficacement que les départements et les intercommunalités à la demande de développement endogène des entreprises. Il est bon que, pour la création de zones d’activités par exemple, la compétence économique soit partagée entre tous les niveaux de collectivités, y compris les départements.
4. Enfin, la région, à mes yeux, ne doit pas être laissée seule à disposer des fonds européens comme le propose la mission Belot. L’Etat, gardien de la cohésion nationale et de l’intérêt général, doit conserver à côté de la région un droit de regard éminent sur cette affectation.
Je ne dirai rien quant aux regroupements de régions ou de départements envisagés. Il y a là une boite de Pandore propice à toutes les dérives plus ou moins ethnicistes, que vous pourriez bien regretter d’avoir ouverte. Nos concitoyens de Corse l’avaient bien compris en refusant par référendum en 2003 la fusion des deux départements de Haute Corse et de Corse du Sud.
Tout dans les propositions de la Commission Balladur n’est pas à rejeter, loin de là : l’achèvement de la carte de l’intercommunalité, la fin des « pays », la rationalisation des syndicats de communes, approuvés d’ailleurs par la mission Belot, sont des propositions de bon sens. Selon moi, le sont également le plafonnement des effectifs des exécutifs locaux ou le projet d’un « Grand Paris » qui répond à l’atout qu’est l’existence d’une ville monde pour la France. Mais la réforme gagnerait à montrer plus de pragmatisme et à s’insérer dans le modèle républicain français, sans vouloir à toute force lui en substituer un autre. La réforme y gagnerait en particulier la possibilité d’un consensus qui est la condition même de son succès.