Verbatim
- Ruth Elkrief : Le débat sur l'immigration est-il légitime ? Est-il un cadeau fait à Marine Le Pen ? Une manière d'attiser des braises, comme l'a dit Mélenchon ?
Jean-Pierre Chevènement : Ce débat est légitime s'il est utile et si l'on s'écoute. Or, on ne s'écoute pas. Ce que dit Madame Le Pen des tensions sociales, des tensions entre "communautés", est malheureusement une réalité, mais on n'en parle pas. Pour autant, je ne pense pas qu'on réglera le problème par un référendum. On n'entend pas non plus Monsieur Mélenchon lorsqu'il dit une chose très juste : sans ses travailleurs immigrés, la France ne tournerait pas. Il faut avoir une vue globale de l'immigration. Si l'immigration pose problème, c'est que l'intégration ne marche plus. Depuis le 19ème siècle, la France est une terre d'immigration et tout s'est bien passé jusqu'à environ 1970. Depuis, ça ne va plus. L'intégration est en panne, les "communautés" se juxtaposent sans accepter de vivre selon la loi républicaine, le principe de laïcité est bafoué, on ne connaît pas l'égalité homme-femme.
- Vous liez cela à l'immigration ?
Par la force des choses. Des pays dont les moeurs, les coutumes, les règles, la religion ne sont pas les mêmes que les nôtres envoient des immigrés. Autrefois ils s'adaptaient à nos US et coutumes, aujourd'hui ils veulent garder les leurs.
- Qui sont ces "ils" ?
Certaines vagues récentes de l'immigration. Je ne mets pas en cause l'immigration ancienne et je ne mets pas en cause tous les immigrés d'aujourd'hui. Il y en a beaucoup qui s'intègrent, mais il y en a malheureusement beaucoup trop qui ne s'intègrent pas.
- Ce débat est-il républicain ?
Il est républicain, car tous les républicains ont d'abord un devoir de lucidité. L'immigration n'est pas seulement un flux, c'est une série de problématiques qu'il faut avoir le courage d'aborder : le co-développement avec les pays d'origine, l'intégration dans la communauté nationale – qui est une communauté de citoyens – des immigrés qui veulent résider sur notre sol et à plus forte raison acquérir notre nationalité. La moindre des choses est qu'ils acceptent les lois de la République.
- Marine Le Pen parle de "submersion"...
Je constate ce que Jérôme Fourquet a décrit : une "archipelisation" de la France. La société française se fragmente, certaines communes sont devenues de véritables enclaves et la loi républicaine ne s'y applique plus. On peut mettre le voile à des petites filles de 6 ou 7 ans et c'est accepté...
- Mais cela peut être le fait de Français, il y a des conversions à l'islam... ce n'est pas seulement l'immigration.
Le nombre de convertis est d'environ 50 000, pas beaucoup plus... Ce qu'on constate, c'est que la panne de l'intégration donne lieu à l'insurrection de communautés qui se retranchent de la communauté nationale.
- Edouard Philippe a parlé de demandes d'asile extrêmement nombreuses et parfois injustifiées ; il a dit qu'il n'avait pas peur de la politique des quotas, que la politique de l'aide au développement devait maintenant être indexée à la politique de coopération des pays pour recevoir les clandestins qui seraient partis de chez eux, que l'aide médicale d'Etat était normale mais que la France devait soigner de façon ni plus ni moins attractive que ses voisins. Y a-t-il une inflexion du gouvernement sur ces questions ?
Certainement. Il y a des mesures à prendre mais pour l'instant le débat est sans vote. Une loi a été votée il y a 1 an, on n'en voit guère les effets. Les demandes d'asile ont doublé en l'espace de 5 ans, les demandes de visa doublé en l'espace de 10 ans. Or par ces deux canaux, l'immigration clandestine est alimentée. Je ne crois pas beaucoup aux quotas, pour être franc. Quant à l'aide au développement avec les pays qui aujourd'hui refusent d'accueillir les clandestins qu'on veut renvoyer chez eux, on pourrait déjà les aider à se constituer un état civil digne de ce nom, avec des papiers infalsifiables, et conditionner l'aide à leur coopération : chacun est responsable de ses nationaux, c'est un principe qui n'est pas attentatoire à la dignité humaine.
- Il manque un Chevènement au gouvernement, aurait dit Macron ?
Il se souvient de la loi RESEDA, que j'avais fait adopter à grand peine par le Parlement : la droite était contre par réflexe pavlovien, et une partie de la gauche la combattait également parce que j'avais le souci de l'ordre public et de l'application de la règle républicaine. Le seul moyen de combattre l'extrême droite est de poser le problème dans sa globalité, à la lumière de ce que sont nos idéaux républicains, et de faire en sorte que l'intégration reprenne. Pour cela, il faut que les étrangers qui veulent devenir français en aient vraiment envie et ne soient pas mus par un obscur ressentiment qui fait qu'ils ne sont que des Français de papier. Il faut aussi que la France soit accueillante, qu'elle combatte les discriminations, qu'elle soit un pays de justice, d'égalité. Si ces deux attitudes se manifestent - l'envie d'être Français et l'envie d'accueillir de nouveaux citoyens - alors l'intégration reprendra. Ce qui est en jeu, c'est la continuité de notre Nation.
Il y a aussi toute une panoplie de mesures qu'il faut prendre : en France, les prestations sociales sont à 53% au-dessus de ce qu'elles sont en Allemagne pour les étrangers. Il faudrait ne serait-ce qu'aligner notre droit sur ceux d'un certain nombre de pays qui nous renvoient leurs demandeurs d'asile. Le nombre de demandeurs d'asile a été multiplié par 2 en 5 ans. Je suis d'accord pour qu'on donne l'aide médicale d'Etat, mais quand les étrangers sont déboutés, il n'y a plus de raison de la leur accorder.
- Que penser de l'attaque de la Préfecture de Paris ? Y avait-il des failles ? Le ministre de l'Intérieur doit-il démissionner ?
Non. Il y a eu un propos inadmissible de Harpon qui n'a pas été rapporté à la hiérarchie, le propos n'a pas été pris au sérieux. Mais la vraie question est de savoir s'il était une taupe. Il y a un ressentiment obscur, une haine de la France qui se manifestent chez un certain nombre d'individus. Monsieur Mélenchon ne peut pas l'ignorer. Certains sont bien insérés sans être pour autant intégrés, mais d'autres cultivent des sentiments proches de la haine face à leur pays d'adoption. Les gens qui ont commis les attentats du Bataclan ou de Nice par exemple, et ce Harpon qui tue ses collègues : il y a bien un ressentiment. Il y a des formes de racismes, des réunions de "racisés" dont on exclut les blancs, des formes de religiosité extrémiste qu'on ne connaissait plus et qui donnent la perspective de guerres de religion possibles. C'est pour prévenir ces guerres de religion à l'horizon qu'il faut avoir une politique de contrôle des flux migratoires et d'intégration.
- Certains diront que vous avez les mêmes propos que Marine Le Pen.
Je ne pense pas l'avoir entendue parler de politique d'intégration. Je ne pense pas non plus qu'on puisse régler ça en deux coups de cuiller à pot, par référendum. Il faut de la lucidité, sinon il n'y a pas de cohésion dans l'action et pas de cohésion nationale.
- Comment fait-on pour éviter la radicalisation ? Eviter ces drames ? Etes-vous d'accord avec Valérie Pécresse qui dit qu'il faut pouvoir licencier les individus radicalisés rapidement ?
Il faut que l'on puisse observer des comportements contraires aux lois républicaines pour caractériser un délit. Et si c'est le cas il faut les sanctionner.
- N'y a-t-il pas de risque d'être taxé de racisme ou même d'islamophobe ?
Je ne suis pas sur ce terrain. J'ai présidé la Fondation de l'Islam de France et j'ai toujours cherché à éviter les surenchères, à faire en sorte qu'il y ait une meilleure connaissance de nos concitoyens de ce que sont les valeurs de la République, la laïcité, et même de leur religion – non pas comme une religion qui exclurait par exemple les "mécréants". C'est un travail de longue haleine qu'il faut faire et rien n'est soluble à court terme. Le Président de la République a raison d'ouvrir le débat à condition que demain il y ait des mesures. C'est au pied du mur qu'on voit le maçon !
- Qu'attendez-vous du ministre de l'Intérieur ?
Il y a des inspections de sûreté, des services qui sont particulièrement vulnérables. Il a manqué une veille ; il faut renforcer cet aspect des choses. Il faut mesurer la gravité du fait. Harpon avait donné des signes qui auraient dû alerter. Pour autant, je ne demande pas la tête du ministre de l'Intérieur ! Il ne faut pas mettre le bazar dans l'Etat, qui doit prendre des mesures proportionnées. Je suis partisan de raison garder. On ne peut pas vivre sur un volcan, l'Etat doit être responsable et prendre des mesures efficaces dans la durée.
Source : 19h Ruth Elkrief - BFM