Carnet de Jean-Pierre Chevènement

Ségolène structurante



La reconquête par la gauche de l’électorat populaire, voilà l’objectif excellemment fixé par Ségolène Royal samedi. Sa personnalité, déjà, contribue, selon les sondages, à les séduire plus que le prêchi-prêcha traditionnel des militants, peut-être juste dans le fond, mais usé dans la forme. Il faut recréer un espoir, comme dans les années soixante-dix, mais cet espoir ne peut plus venir d’une « alliance de sommet ». Il ne peut venir, pour le moment, que de la base ou plus exactement d’une dialectique entre la base et la candidate. C’est ainsi que la confiance peur revenir. On m’objectera que ce rapport entre la candidate et le peuple n’est pas dénué d’une certaine religiosité, dans une société pourtant « sortie de la religion », selon l’excellente expression de Marcel Gauchet.

Eh bien, c’est cela qui à mes yeux est précieux : religion veut dire lien et les valeurs de base de Ségolène Royal sont des valeurs parfaitement laïques, même si on sait que beaucoup de ces valeurs – et d’abord les valeurs d’égalité – sont des valeurs chrétiennes laïcisées. Ségolène Royal est « structurante ». Et les classes populaires ont un intense besoin d’être rassurées et, pour ainsi dire, « fixées ».

L’électorat populaire est aujourd’hui très dispersé. Une partie importante vote Le Pen. Tous ces électeurs ne partagent évidemment pas l’idéologie de Le Pen et au fond aspirent secrètement à pouvoir s’en détacher. Comment faire pour ancrer durablement ces couches populaires à un projet de gauche ? Eh bien justement en redonnant du sens à la politique ! Comment oublier que Le Pen est apparu dans le paysage quand justement « le sens » a disparu, au lendemain de l’ouverture de la fameuse « parenthèse libérale », en mars 1983 ?

Peut-on refermer cette parenthèse par un dépassement du « oui » et du « non » au référendum du 29 mai 2005, comme a indiqué le vouloir Ségolène Royal devant notre Convention Nationale le 10 décembre ? En conservant de l’intuition européenne ce qu’elle a de fondamentalement juste (à l’orée du XXIe siècle il nous faut bâtir un « acteur européen stratégique »), mais en faisant vivre à nouveau l’idée républicaine, le meilleur carburant d’une France moderne, réconciliée avec son destin et avec son peuple, par la grâce d’une éthique exigeante.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Lundi 18 Décembre 2006 à 13:50 | Lu 8031 fois



1.Posté par Jacques le 18/12/2006 15:00
je partage tout à fait l'analyse au demeurant excellence et lucide comme d'habitude de JPC. Une précision sur l'acception religion, en effet, son sens premier est de relier (religare) mais aussi relecture. Or nous avons besoin, me semble-t-il de relire notre passé, notre grille de lecture du monde d'un nouveau millénaire, pour l'interêt général de pays et de l'Europe. Jean-Pierre, agissez au côté de Ségolène en vulgarisant la pensée de la gauche républicaine.

2.Posté par Rigaudiere Patrick le 18/12/2006 16:21
La crise dont souffre la société française est avant tout morale même s’il ne faut en rien faire abstraction des problèmes économiques et sociaux. Le libertarisme a balayé nombre de valeurs essentielles, celles-ci comme le reconnaît Jean-Pierre Chevènement, sont le fruit d’un Christianisme façonné par les Lumières. Ces repères font aujourd'hui cruellement défaut non seulement aux classes populaires mais à la société toute entière et doivent être restaurés.
C'est pourquoi le slogan "l'ordre juste" issu de la Somme théologique de Saint Thomas d'Aquin, repris par Benoît XVI dans l'encyclique Deus Caritas Est, trouvera toute sa raison d'être lors de cette campagne.

3.Posté par vanbastien le 18/12/2006 17:33
Il est trop facile de tomber dans cet argumentation simpliste pour convaincre les citoyens à se rattacher à un candidat. Dans cette logique, il faudrait supprimer le premier tour et mettre de force au second tour les deux candidats en haut de l'affiche c'est à dire, une opposition S.Royal/N.Sarkozy. Et je ne crois justement pas que c'est donner du sens à la politique en se rattachant pour une candidate de gauche qui prône un socialisme plus à droite que la politique sociale de M.Chirac ! De plus, les citoyens n'ont que faire de voter à gauche ou à droite, tout ceci est de la publicité politique pour les médias. Les citoyens votent justement Le Pen parce qu'ils en ont marre que leur situation sociale et économique, quelque soit les alternances politiques, se soit dégradée depuis plus de vingt ans. La seule issue est de créer un mouvement (et non parti !) qui unit la nation dépassant ce clivage publicitaire gauche/droite.

4.Posté par xavier le 18/12/2006 18:30
Bonjour

La reconquète de l'électorat populaire par la gauche est déja faite.Les sondages sont significatifs.

Ouvriers et employés représentent 1 tiers de l'électorat et la moitié des votants actifs.En 2002 ,ils avaient massivement boudés Chirac et Jospin.

Aujourd'hui les candidats du PS et de l'UMPsavent aujourd'hui se faire entendre du salariat d'éxécution.

En 2002,LE PEN a écrasé ses concurents avec 32 % des suffrages dans l'électorat ouvrier.

Aujourd'hui Royal obtient 35% et Sarkosy 27%,(sondage IFOP).

Ce sera la force de leurs convictions qui les amènera au deuxième tour.Ils doivent persuader cet électorat sensible et surtout savoir leur dire la vérité,chacun à leur manière.

Merci

5.Posté par PARENT YVES le 18/12/2006 19:51
Bonjour,

Je ne pense pas que le clivage gauche / droite soit sans intérêt; il demanderait sûrement à être redéfini.

Mais quel est le programme de la candidature de gauche à laquelle JPC s'est rallié? Quelle est sa spécificité, notamment sur le plan économique? Je ne parviens pas à identifier ce qu'il y a de nouveau par rapport à ce qui a déjà été fait.

Nul doute qu'il serait nécessaire d'en faire la pédagogie, si ce programme existe. Celà m'apparait plus important que de se demander si l'adhésion réelle ou supposée de l'électorat a un caractère religieux ou pas.

J'admets l'opinion contraire, mais je me permets encore de demander le programme !

Salutations républicaines

6.Posté par Christine Tasin le 18/12/2006 20:21
Je suis affligée par tant d'arrogance : qu'est-ce que c'est que ces énarques qui veulen t "restructurer" la classe populaire ? Non seulement depuis des décennies les hommes politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, se moquent du peuple en voulan t faire son bonheur malgré lui, mais S. Royal n'a rien de populaire et ses préoccupations "blairistes" en font une ennemie de classe du peuple. Gageons que celui-ci ne s'y trompera pas. Tous ceux qui, autour de moi, il y a encore dix jours, s'apprêtaient à voter Chevènement, sont écoeurés et refusent catégoriquement de voter Royal, criant à la trahison. Nulle restructuration là-dedans !

7.Posté par Xavier DUMOULIN le 18/12/2006 22:32
Cette capacité à parler avec les personnes exclues de notre société, les travailleurs à bas salaires, les personnes sans emploi, les précaires, les non qualifiés, les mal logés, pouvons-nous la retrouver par notre seule volonté?
Aller vers les gens les plus modestes c'est presque une posture nouvelle pour la gauche qui avait fait son deuil d'un divorce durable avec les couches populaires.
Henri Rey (dans "La gauche et les classes populaires-histoire d'une mésentente" ) fait part de sa recherche auprès des électeurs des quartiers populaires. Il explique comment l'enfermement dans la gestion, la déception et les frustrations vis à vis des réformes qui ne se traduisent pas dans le quotidien, l'abandon du militantisme de terrain, l'autosatisfaction et l'arrogance creusent la distance avec la politique de la gauche. Aujoud'hui Ségolène Royal a le grand mérite de crever cet abcès.
Elle gagne en crédibilité en tenant des propos sincères sur la crise morale que nous traversons. Elle ne succombe pas au complexe de la séduction dans un monde égaré par les idées post-soixante huitardes. Ce courant a scellé l'alliance des libéraux et des libertariens et accouché l'ultra individualisme, lequel a généré en réaction le communautarisme.
Ségolène Royal se réfère à des valeurs fortes qu'elle peut prétendre incarner dans sa trajectoire et dans son action. C'est important pour la reconquête de l'électorat populaire de vouloir donner du sens à un projet. Et ce projet, il s'agit de le porter à la hauteur de notre ambition; celle d'un ordre juste qui fonde la France républicaine, cette communauté de citoyens libres et égaux. Alors faisons France comme nous y invitent Jean Pierre et Ségolène en chassant nos vieilles habitudes et en repartant d'un nouveau pied.

8.Posté par Elie Arié le 19/12/2006 00:25
Je suis, au contraire, extrêmement inquiet par cette adhésion de type "religieux" que suscite effectivement Ségolène Royal , avec ce qu'elle implique de perte de tout esprit critique et d'intolérance agressive envers tout coupable de blasphème de la madone; la lecture de certains des messages de soutien de son blog est terrifiante.
Il s'agit d'une régression dangereuse de la démocratie et de la raison.

9.Posté par feuillet le 19/12/2006 08:29
La reconquête de l'électorat populaire par la gauche -Ségolèhe ROYAL en l'occurence- supposerait un ensemble de prises de position très claires de sa part, notamment sur les minima sociaux, la politique du logement, les augmentations insuportables des produits de consommation de base (carburant...) :
Les gens de gauche attendent avec force une ligne de conduite, un cap...

10.Posté par justin le 19/12/2006 11:22
A une question de journaliste sur ce que Royal pouvait faire de mieux que Sarkozy dans les banlieues, J Dray répond "C'est une mère famille !"

Voila effectivement un discours très structurant et d'un haut niveau politique. De la part d'un ancien Trotskyste c'est surréaliste.
En voila un qui prend vraiment les classes populaires pour « laborieuses ».

Vous aviez dit changement d’approche ? Moi je vois que la nomenklatura socialiste nous refait le coup du oui au TCE. Votez Ségo parce que sinon c’est pas gentil !

11.Posté par vitte le 19/12/2006 19:05
Il y a quelques mois, j'ai entendu Max Gallo dire, lors d'un débat sur France Culture, que la Nation serait au centre de la campagne pour l'élection présidentielle. Je constate,hélas, en lisant les communications des uns et des autres que ce coq (en niçois:gallo) est meilleur pour voir le passé que l'avenir!

12.Posté par Arl. Ramon le 20/12/2006 02:43
Ségolène Royal nous fait lecture de son bréviaire tandis qu'en embuscade, toujours un ou deux micros plus loin, ses chevaliers du PS décodent et corrigent ses diverses opinions ou recadrent le débat. Pour ceux qui ont du mal a s'y retrouver F. Hollande explique que S. Royal s'adresse aux français alors que le PS s'adresse aux militants ? Et voilà que celui qui devait représenter les idées du MRC a rejoint les apôtres du PS pour répandre l'idée que le salut des classes populaires passe par le ralliement à ce miracle faite femme qui serait comme descendue du ciel, oubliant ses vingt-cinq ans en politique et ses options en 2002 et 2005.

Les hommes et femmes de ce pays aspirent certes, dans leur majorité, à plus de solidarité et de spiritualité au sein de cette société mercantile qui ne profite que très moyennement aux classes populaires. Mais en voyant déjà les sommes faramineuses dépensées en marketing, relooking, voyages, etc. par les candidat(e)s déclarés, il faudra plus que quelques voeux pieux pour endormir les braves gens.


13.Posté par Emile MICHEL le 20/12/2006 13:20
En accord avec Jean-Pierre Chevenement sur ce texte.
Ségolène que je soutiens depuis que son site désirs d'avenir existe est très lucide et donne envie de réconcilier le peuple avec la politique.
L'accord PS-MRC est un bonne chose dans l'esprit de l'unité des forces populaires et des différentes gauches. Toutes doivent être écoutées y compris celle de Rocard.
Celà est dit dans le discours de FRANGY en Bresse.
Faire honneur à JAURES est un signe d'intélligence dans notre histoire.
Il n'en demeure pas moins que rien n'est gagné face à ce sinnistre intérieur qui organise la chasse à l'enfant en Haute-Saône et ailleurs.
Pour l'unité, je demande que une grande ouverture et une méthodlogie avec la société civile dont les O.S
Je reste dans le doute en ce qui concerne la méthodologie de négo ouverte mais si celà n'est pas fait,la gauche ira à nouveau dans le mur comme JOSPIN,RAFFARIN etc....LISTER LES POINTS D'ACCORD ET DE DESACCORD pour arriver à un accord? UNE METHODE INCONTOURNABLE pour éviter le juge et parti dont est victime notre société.
Vive Ségolène et l'unité à la base avec un sommet crédible et à l'écoute POUR DES OBJECTIFS CLAIRS;
CORDIALEMENT
Emile MICHEL

14.Posté par Claire Strime le 21/12/2006 10:58
De mon expérience vécue sur plusieurs continents, dans des pays des 3 mondes, je retiens entre autres qu'il ne faut pas confondre à l'excès religiosité populaire des masses et religion organisée (avec sa hiérarchie, ses "permanents", ceux/celles qui vivent plus de la religion que pour la religion).

Et puis dans des pays à tradition catholique, certaines formes de religiosité laïque ont inquiété (à juste titre de leur point de vue) les puissants et la hiérarchie bien pensante. Il y eut bien sur la théologie de la Libération au Brésil, mais aussi le culte d'Eva Peron en Argentine (disparue trop jeune hélas, le péronisme des années 70 étant plus marquée par Isabel Peron, et en arrière-plan, par le "bujo"-sorcier- Lopez Rega).

Il reste donc à savoir quelles voix inspireront la Gauche, voire la stuctureront.

Dépassés, les clivages de Maastricht, de la guerre du Golfe, du TCE?
Pensez-donc! Pas plus que ceux de la CED! Mais depuis 120 ans la gauche en France a appris à vivre (et gouverner parfois) avec des clivages forts. Et le résultat est largeemnt fonction de rapports de forces.

Ce serait être éxagérément optimiste que de croire que les partisans de la pensée unique et du TCE renoncent (cf entre autres la position de la présidence allemende de l'UE).
Ce serait être éxagérément pessimiste que de penser qu'ils ont les coudées franches après les NON français et hollandais.

Ce ne seront pas seuleemnt (et pas principalement) les résultats électoraux qui feront pencher la balance, mais ils y contribueront.

15.Posté par Basilio Sap le 02/01/2007 02:48
>>"Les citoyens votent justement Le Pen parce qu'ils ..."

Stop, citoyens, ne nous laissez pas tomber, le Che n'est pas un pourri, Ségo n'est pas une idiote, c'est la fille de Mitterrand et de Chevènement, elle est notre dernière lueur d'espoir pour la République française (puis européenne).

Je vous en prie (n'ayez pas peur, je suis laïc ;-), ruez-vous sur le site de Ségo et faites-lui des propositions constructives : Avanti o popolo ...

Merci, je vous serre dans mes bras

Felice Anno 2007


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