La brutalité de Claude Allègre fait partie de son style et de son charme si particuliers. Jamais gratuite, elle peut cependant le conduire à commettre quelques erreurs. Cela s’est vu dans un passé récent. Dans l’hommage bien venu qu’il rend à Max Gallo, j’ai été surpris de la grossièreté de la charge finale, en forme de contrepoint, où il reproche à celui-ci de s’être fait mon porte-parole pendant la campagne présidentielle, au prétexte que j’aurais "fait perdre la gauche", feignant de croire que j’aurais renvoyé dos à dos et pour l’éternité la droite et la gauche et non pas ce qu’elles étaient devenue.
Ma surprise vient de ce que j’avais entendu Claude Allègre, il y a moins d’un an, professer devant moi une opinion toute contraire. Pourquoi ce brutal revirement ? Est-ce la lecture d’Alain Duhamel ? J’ai peine à le croire ! François Bazin rapporte, dans Le Nouvel Observateur du 16 octobre, "l’activisme" de Claude Allègre - que je n’ai pu vérifier moi-même - expliquant à la ronde que, "en 2007, seul Lionel sera en mesure de gagner". C’est un point de vue. Est-il nécessaire de recourir à l’injure à mon endroit pour le faire prévaloir ? Pour ma part, je le dis tout net : je ne verrais que des avantages à ce que Lionel Jospin revienne dans la vie politique active. Cela soulèverait la lourde chape de plomb que, depuis son congrès de Dijon, le Parti socialiste a fait retomber sur cinq années de gauche dite "plurielle". Celui-ci pourrait enfin sortir du non-dit et exercer ce fameux "droit d’inventaire" si souvent invoqué mais jamais pratiqué.
Lire, sous la plume de l’ancien Premier ministre, que "les difficultés de la gauche sont moins venues de l’exercice du pouvoir qu’elles ne sont nées de la défaite" ("Le temps des mystificateurs", Libération du 13 octobre 2003) laisse songeur. Ainsi donc, il n’y aurait aucun lien entre la façon dont la France a été gouvernée pendant cinq ans et la défaite de la gauche plurielle ? Cette défaite serait seulement le produit d’une "division néfaste" et presque tombée du ciel ? Cette thèse n’est évidemment pas sérieuse. Elle est mystificatrice. Pourquoi les ouvriers, qui étaient 41 % à voter socialiste au premier tour de 1988 et encore 24 % en 1995, n’étaient-ils plus que 13 % en 2002 ? Pourquoi les salariés du secteur public, qui avaient voté à 32 % pour Lionel Jospin en 1995, n’étaient-ils plus que 18 % en 2002, selon Jérôme Jaffré et Pascal Perrineau (Documents sur les élections du printemps 2002, janvier 2003). On ne peut pas inventer l’avenir si on ne fait pas la lumière sur ce qui s’est réellement passé.
"Notre peuple a besoin de valeurs et de repères clairs".
La vérité est qu’il existait de profondes divergences au sein de la gauche dite "plurielle" par rapport à la ligne gouvernementale, et cela sur deux familles de sujets : d’abord, sur la politique économique, y compris industrielle, l’Europe telle qu’elle se faisait à Bruxelles et la mondialisation libérale ; ensuite, sur la République, c’est-à-dire à la fois la sécurité, au sens large, l’école, la laïcité, l’acceptation ou le refus des communautarismes, la Corse, etc. Pourtant, il faut le dire : à aucun moment il n’y a eu un effort collectif de dépassement et de projection dans l’avenir. Il n’était question que d’ "équilibre", pour parler clair, de rapports de forces.
Notre peuple, et particulièrement ses couches populaires, a besoin de valeurs et de repères clairs. Or il a été laissé en déshérence du fait d’une pratique gestionnaire et de l’absence d’un projet réellement mobilisateur. Le Parti socialiste a perdu, faute de projet : ce n’est pas moi, mais François Hollande qui l’a publiquement reconnu, et cela à plusieurs reprises. Le Parti socialiste, dans la mesure où il déclare vouloir rassembler la gauche, devrait examiner sérieusement les raisons de la désaffection de l’électorat populaire. Il ne peut le faire avec succès que s’il respecte le devoir de vérité.
La gauche plurielle n’a pas fait - loin de là - que de mauvaises choses. Mais elle est passée complètement à côté de ce que l’on appelle la mondialisation. Elle ne l’a tout simplement pas analysée. Si l’on excepte son opposition à l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement), elle n’a pas cherché à en modifier les règles, ni en ce qui concerne l’architecture financière et monétaire mondiale ni à l’OMC. Elle n’a pas essayé de redresser les critères de Maastricht, qui révèlent aujourd’hui toute leur nocivité pour la croissance et pour l’emploi. Elle s’est désintéressée de la politique industrielle, au niveau national comme au niveau européen. En matière de privatisations et de libéralisation des services publics, elle n’a pas donné le sentiment d’avoir une autre politique que la droite. Bref, elle a accompagné le mouvement de la mondialisation libérale sans prendre l’opinion à témoin des efforts qu’elle aurait dû accomplir pour offrir un autre modèle de développement à l’échelle mondiale, européenne et française.
De même, la gauche dite "plurielle" a cru pouvoir abandonner, dans sa majorité, le riche héritage de la nation républicaine. Or c’est ce chemin que le PS doit retrouver s’il veut regagner la confiance d’un immense électorat populaire : il doit rompre avec l’angélisme en matière de sécurité, avec le "différencialisme" et la tentation des communautarismes en matière sociétale, avec la conception de l’"expérimentation législative" qu’il a cautionnée avant sa mise en oeuvre par Jean-Pierre Raffarin, avec les dérives corses qu’il a couvertes jusqu’au dernier référendum, etc.
Sur aucun de ces sujets, il ne lui est impossible de faire mieux qu’il n’a fait. Simplement, pour rendre confiance au pays, il lui faut le courage d’une remise en cause, certes difficile, parce qu’elle plonge ses racines dans une histoire déjà ancienne : par exemple, remettre en question la subordination de toutes les politiques au "principe d’une économie ouverte où la concurrence est libre", principe déjà inscrit à l’article 3 du traité de Maastricht, et au nom duquel Mario Monti entend aujourd’hui proscrire les aides de l’Etat à Alstom.
"J’ai été candidat contre le vide et l’absence de projet ".
Il est évidemment plus facile de chercher un bouc émissaire que de procéder à une autocritique honnête et approfondie. J’ai dédaigné, peut-être à tort, la campagne d’opinion, lancée dès le 22 avril 2002 par un éditorial de Jean-Marie Colombani dans le journal Le Monde, me faisant porter le chapeau d’un échec où il avait plus que sa part. La campagne des élections législatives n’était guère propice à ce qui aurait pu apparaître comme un déballage. Et puis, surtout, après le retrait de Lionel Jospin de la vie politique, cela eût manqué d’élégance. J’ai fait et je fais toujours confiance à l’Histoire pour établir les vraies raisons de l’échec de la gauche dite "plurielle". Après Lionel Jospin, sa femme, ses proches, son porte-plume, que Claude Allègre croie maintenant pouvoir ressasser la même rengaine m’amène, puisque toute vérité est bonne à dire, à lui dire la sienne.
Cette campagne misérable ne repose sur aucune réalité (nous vivons, il est vrai, à l’ère du "virtuel" : ah ! si le 21 avril n’avait pas été ce qu’il a été !...). Elle obéit en fait à une logique purement politicienne : il faut que le 21 avril soit ramené à un accident aussi aléatoire que la chute d’une météorite (en l’occurrence moi-même) sur la tour Eiffel (Lionel Jospin) pour que le Parti socialiste, fier de son bilan et certain d’avoir rempli ses engagements de 1997, puisse recommencer comme avant, sûr de lui et dominateur, n’ayant pas une virgule à changer à son programme évidemment néolibéral (s’il ne l’avait pas été, le candidat eût-il demandé à Alain Duhamel de s’en faire le chantre ?).
Ceux pour qui je ne comptais plus pour rien au sein de la gauche plurielle, comme l’a démontré avec une pureté de cristal, de novembre 1999 à juillet 2000, parmi beaucoup d’autres sujets qui n’étaient pas de ma compétence, l’affaire corse, qui l’était, sont ceux-là mêmes qui, depuis le 21 avril, mettent en avant ma responsabilité supposée pour dissimuler la leur. En réalité, la surprise du 21 avril, ce n’est pas que Le Pen soit passé devant Jospin, mais que celui-ci soit passé derrière Le Pen. Même présent au second tour - et c’est là le point essentiel - Lionel Jospin n’aurait eu aucune chance de battre Jacques Chirac. Les sondages "sortie des urnes" effectués le 21 avril lui donnaient un score de 46 % contre 54 % à Jacques Chirac. En réalité, le faible score de Lionel Jospin (4 610 000 voix) doit être mis en regard du chiffre des abstentions (11 698 000), des votes nuls (997 000) et des votes aux extrêmes (8 400 000 voix). Ces chiffres constituent l’exacte photographie de l’état d’esprit du pays le 21 avril. Etait-il sans rapport avec la manière dont le pouvoir avait été exercé pendant cinq ans ? Quant aux 1,520 million de voix qui se sont portées sur mon nom, les sondages "sortie des urnes" indiquent que 13 % auraient voté Jacques Chirac si je n’avais pas été candidat et seulement 11 % Lionel Jospin. Tout cela n’a d’ailleurs d’autre signification que virtuelle.
Soyons clairs : si j’ai été candidat, ce n’est pas contre Lionel Jospin, mais contre le vide, contre l’absence de projet, et, si c’était à refaire, je le referais : j’ai défendu les idées que je croyais et que je crois toujours justes. Cela a un nom : cela s’appelle la démocratie. Notre pays a besoin de s’appuyer sur des valeurs solides pour inventer un chemin qui le fasse sortir de l’ornière maastrichtienne où l’ont enfoncé tous nos gouvernements successifs. On peut ne pas être d’accord avec cette vision. Mais, alors, qu’on en débatte !
La direction du Parti socialiste ne se sauvera pas en agitant compulsivement le spectre d’un "nouveau 21 avril". C’est là une vue essentiellement tacticienne des choses. Il est temps, dans l’intérêt même du PS, que je me souviens avoir porté sur les fonts baptismaux d’Epinay, qu’il procède à un examen de conscience sincère, qu’il fasse une analyse critique des choix effectués depuis 1983, qu’il essaie enfin de comprendre le monde où nous sommes à présent, pour inventer les chemins du redressement et rendre confiance à notre peuple déboussolé. Je souhaite l’y aider, dans la mesure de mes moyens. Il ne suffit pas de jouer les enfants de choeur, vêtus de probité candide et de lin blanc, tout en cherchant des coupables, pour se disculper et pouvoir recommencer. En réalité, ce dont le Parti socialiste aurait besoin, c’est d’un nouvel Epinay. Il n’est sans doute pas pour demain. Sachons donc donner du temps au temps, comme disait François Mitterrand.Œuvrons aux rassemblements possibles, mais dans le respect de l’identité de chacun.
Faut-il donc maintenant que je réponde aux attaques de Claude Allègre ? Elles sont tellement absurdes que je me bornerai à en avoir démonté le ressort. Que les lecteurs de L’Express sachent seulement que j’assume mes choix, y compris pendant la première guerre du Golfe, qui était aussi annoncée et décidée à l’avance que la seconde, dont on voit où elle a conduit. "Toute vérité, selon Claude Allègre, est bonne à dire" : j’aimerais qu’il fasse maintenant son examen de conscience et se demande si, par son action de ministre de l’Education nationale, il est sûr de ne pas avoir enlevé plus de voix à Lionel Jospin qu’il ne lui en a apporté.
Ma surprise vient de ce que j’avais entendu Claude Allègre, il y a moins d’un an, professer devant moi une opinion toute contraire. Pourquoi ce brutal revirement ? Est-ce la lecture d’Alain Duhamel ? J’ai peine à le croire ! François Bazin rapporte, dans Le Nouvel Observateur du 16 octobre, "l’activisme" de Claude Allègre - que je n’ai pu vérifier moi-même - expliquant à la ronde que, "en 2007, seul Lionel sera en mesure de gagner". C’est un point de vue. Est-il nécessaire de recourir à l’injure à mon endroit pour le faire prévaloir ? Pour ma part, je le dis tout net : je ne verrais que des avantages à ce que Lionel Jospin revienne dans la vie politique active. Cela soulèverait la lourde chape de plomb que, depuis son congrès de Dijon, le Parti socialiste a fait retomber sur cinq années de gauche dite "plurielle". Celui-ci pourrait enfin sortir du non-dit et exercer ce fameux "droit d’inventaire" si souvent invoqué mais jamais pratiqué.
Lire, sous la plume de l’ancien Premier ministre, que "les difficultés de la gauche sont moins venues de l’exercice du pouvoir qu’elles ne sont nées de la défaite" ("Le temps des mystificateurs", Libération du 13 octobre 2003) laisse songeur. Ainsi donc, il n’y aurait aucun lien entre la façon dont la France a été gouvernée pendant cinq ans et la défaite de la gauche plurielle ? Cette défaite serait seulement le produit d’une "division néfaste" et presque tombée du ciel ? Cette thèse n’est évidemment pas sérieuse. Elle est mystificatrice. Pourquoi les ouvriers, qui étaient 41 % à voter socialiste au premier tour de 1988 et encore 24 % en 1995, n’étaient-ils plus que 13 % en 2002 ? Pourquoi les salariés du secteur public, qui avaient voté à 32 % pour Lionel Jospin en 1995, n’étaient-ils plus que 18 % en 2002, selon Jérôme Jaffré et Pascal Perrineau (Documents sur les élections du printemps 2002, janvier 2003). On ne peut pas inventer l’avenir si on ne fait pas la lumière sur ce qui s’est réellement passé.
"Notre peuple a besoin de valeurs et de repères clairs".
La vérité est qu’il existait de profondes divergences au sein de la gauche dite "plurielle" par rapport à la ligne gouvernementale, et cela sur deux familles de sujets : d’abord, sur la politique économique, y compris industrielle, l’Europe telle qu’elle se faisait à Bruxelles et la mondialisation libérale ; ensuite, sur la République, c’est-à-dire à la fois la sécurité, au sens large, l’école, la laïcité, l’acceptation ou le refus des communautarismes, la Corse, etc. Pourtant, il faut le dire : à aucun moment il n’y a eu un effort collectif de dépassement et de projection dans l’avenir. Il n’était question que d’ "équilibre", pour parler clair, de rapports de forces.
Notre peuple, et particulièrement ses couches populaires, a besoin de valeurs et de repères clairs. Or il a été laissé en déshérence du fait d’une pratique gestionnaire et de l’absence d’un projet réellement mobilisateur. Le Parti socialiste a perdu, faute de projet : ce n’est pas moi, mais François Hollande qui l’a publiquement reconnu, et cela à plusieurs reprises. Le Parti socialiste, dans la mesure où il déclare vouloir rassembler la gauche, devrait examiner sérieusement les raisons de la désaffection de l’électorat populaire. Il ne peut le faire avec succès que s’il respecte le devoir de vérité.
La gauche plurielle n’a pas fait - loin de là - que de mauvaises choses. Mais elle est passée complètement à côté de ce que l’on appelle la mondialisation. Elle ne l’a tout simplement pas analysée. Si l’on excepte son opposition à l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement), elle n’a pas cherché à en modifier les règles, ni en ce qui concerne l’architecture financière et monétaire mondiale ni à l’OMC. Elle n’a pas essayé de redresser les critères de Maastricht, qui révèlent aujourd’hui toute leur nocivité pour la croissance et pour l’emploi. Elle s’est désintéressée de la politique industrielle, au niveau national comme au niveau européen. En matière de privatisations et de libéralisation des services publics, elle n’a pas donné le sentiment d’avoir une autre politique que la droite. Bref, elle a accompagné le mouvement de la mondialisation libérale sans prendre l’opinion à témoin des efforts qu’elle aurait dû accomplir pour offrir un autre modèle de développement à l’échelle mondiale, européenne et française.
De même, la gauche dite "plurielle" a cru pouvoir abandonner, dans sa majorité, le riche héritage de la nation républicaine. Or c’est ce chemin que le PS doit retrouver s’il veut regagner la confiance d’un immense électorat populaire : il doit rompre avec l’angélisme en matière de sécurité, avec le "différencialisme" et la tentation des communautarismes en matière sociétale, avec la conception de l’"expérimentation législative" qu’il a cautionnée avant sa mise en oeuvre par Jean-Pierre Raffarin, avec les dérives corses qu’il a couvertes jusqu’au dernier référendum, etc.
Sur aucun de ces sujets, il ne lui est impossible de faire mieux qu’il n’a fait. Simplement, pour rendre confiance au pays, il lui faut le courage d’une remise en cause, certes difficile, parce qu’elle plonge ses racines dans une histoire déjà ancienne : par exemple, remettre en question la subordination de toutes les politiques au "principe d’une économie ouverte où la concurrence est libre", principe déjà inscrit à l’article 3 du traité de Maastricht, et au nom duquel Mario Monti entend aujourd’hui proscrire les aides de l’Etat à Alstom.
"J’ai été candidat contre le vide et l’absence de projet ".
Il est évidemment plus facile de chercher un bouc émissaire que de procéder à une autocritique honnête et approfondie. J’ai dédaigné, peut-être à tort, la campagne d’opinion, lancée dès le 22 avril 2002 par un éditorial de Jean-Marie Colombani dans le journal Le Monde, me faisant porter le chapeau d’un échec où il avait plus que sa part. La campagne des élections législatives n’était guère propice à ce qui aurait pu apparaître comme un déballage. Et puis, surtout, après le retrait de Lionel Jospin de la vie politique, cela eût manqué d’élégance. J’ai fait et je fais toujours confiance à l’Histoire pour établir les vraies raisons de l’échec de la gauche dite "plurielle". Après Lionel Jospin, sa femme, ses proches, son porte-plume, que Claude Allègre croie maintenant pouvoir ressasser la même rengaine m’amène, puisque toute vérité est bonne à dire, à lui dire la sienne.
Cette campagne misérable ne repose sur aucune réalité (nous vivons, il est vrai, à l’ère du "virtuel" : ah ! si le 21 avril n’avait pas été ce qu’il a été !...). Elle obéit en fait à une logique purement politicienne : il faut que le 21 avril soit ramené à un accident aussi aléatoire que la chute d’une météorite (en l’occurrence moi-même) sur la tour Eiffel (Lionel Jospin) pour que le Parti socialiste, fier de son bilan et certain d’avoir rempli ses engagements de 1997, puisse recommencer comme avant, sûr de lui et dominateur, n’ayant pas une virgule à changer à son programme évidemment néolibéral (s’il ne l’avait pas été, le candidat eût-il demandé à Alain Duhamel de s’en faire le chantre ?).
Ceux pour qui je ne comptais plus pour rien au sein de la gauche plurielle, comme l’a démontré avec une pureté de cristal, de novembre 1999 à juillet 2000, parmi beaucoup d’autres sujets qui n’étaient pas de ma compétence, l’affaire corse, qui l’était, sont ceux-là mêmes qui, depuis le 21 avril, mettent en avant ma responsabilité supposée pour dissimuler la leur. En réalité, la surprise du 21 avril, ce n’est pas que Le Pen soit passé devant Jospin, mais que celui-ci soit passé derrière Le Pen. Même présent au second tour - et c’est là le point essentiel - Lionel Jospin n’aurait eu aucune chance de battre Jacques Chirac. Les sondages "sortie des urnes" effectués le 21 avril lui donnaient un score de 46 % contre 54 % à Jacques Chirac. En réalité, le faible score de Lionel Jospin (4 610 000 voix) doit être mis en regard du chiffre des abstentions (11 698 000), des votes nuls (997 000) et des votes aux extrêmes (8 400 000 voix). Ces chiffres constituent l’exacte photographie de l’état d’esprit du pays le 21 avril. Etait-il sans rapport avec la manière dont le pouvoir avait été exercé pendant cinq ans ? Quant aux 1,520 million de voix qui se sont portées sur mon nom, les sondages "sortie des urnes" indiquent que 13 % auraient voté Jacques Chirac si je n’avais pas été candidat et seulement 11 % Lionel Jospin. Tout cela n’a d’ailleurs d’autre signification que virtuelle.
Soyons clairs : si j’ai été candidat, ce n’est pas contre Lionel Jospin, mais contre le vide, contre l’absence de projet, et, si c’était à refaire, je le referais : j’ai défendu les idées que je croyais et que je crois toujours justes. Cela a un nom : cela s’appelle la démocratie. Notre pays a besoin de s’appuyer sur des valeurs solides pour inventer un chemin qui le fasse sortir de l’ornière maastrichtienne où l’ont enfoncé tous nos gouvernements successifs. On peut ne pas être d’accord avec cette vision. Mais, alors, qu’on en débatte !
La direction du Parti socialiste ne se sauvera pas en agitant compulsivement le spectre d’un "nouveau 21 avril". C’est là une vue essentiellement tacticienne des choses. Il est temps, dans l’intérêt même du PS, que je me souviens avoir porté sur les fonts baptismaux d’Epinay, qu’il procède à un examen de conscience sincère, qu’il fasse une analyse critique des choix effectués depuis 1983, qu’il essaie enfin de comprendre le monde où nous sommes à présent, pour inventer les chemins du redressement et rendre confiance à notre peuple déboussolé. Je souhaite l’y aider, dans la mesure de mes moyens. Il ne suffit pas de jouer les enfants de choeur, vêtus de probité candide et de lin blanc, tout en cherchant des coupables, pour se disculper et pouvoir recommencer. En réalité, ce dont le Parti socialiste aurait besoin, c’est d’un nouvel Epinay. Il n’est sans doute pas pour demain. Sachons donc donner du temps au temps, comme disait François Mitterrand.Œuvrons aux rassemblements possibles, mais dans le respect de l’identité de chacun.
Faut-il donc maintenant que je réponde aux attaques de Claude Allègre ? Elles sont tellement absurdes que je me bornerai à en avoir démonté le ressort. Que les lecteurs de L’Express sachent seulement que j’assume mes choix, y compris pendant la première guerre du Golfe, qui était aussi annoncée et décidée à l’avance que la seconde, dont on voit où elle a conduit. "Toute vérité, selon Claude Allègre, est bonne à dire" : j’aimerais qu’il fasse maintenant son examen de conscience et se demande si, par son action de ministre de l’Education nationale, il est sûr de ne pas avoir enlevé plus de voix à Lionel Jospin qu’il ne lui en a apporté.