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Programmation énergétique : savoir aller contre le vent


Une tribune de Jean-Pierre Chevènement, parue dans L'Opinion le 22 octobre 2018.


La France avait acquis à la fin du siècle dernier une remarquable maîtrise du cycle complet de l’énergie nucléaire. L’outil industriel constitué au fil des générations était un atout majeur de notre pays dans la compétition internationale.

Sous l’effet d’orientations prises au début du quinquennat précédent, cet atout est en train d’être complètement gâché. EDF, sous la tutelle de M. de Rugy, prépare un plan dit PPE1 prévoyant la fermeture d’au moins une demi-douzaine de centrales nucléaires. A-t-on vu quelque part dans le monde un pays qui manifeste une telle défiance à l’égard de ses propres capacités et au point de porter un tel coup à la crédibilité de son industrie ?

Les raisons avancées – la sûreté et la lutte contre le réchauffement du climat – ne sont que des trompe-l’œil. La vraie raison est idéologique : la lutte contre le nucléaire est le noyau d’une idéologie millénariste post-Seconde Guerre mondiale qui a substitué la catastrophe au progrès à l’horizon de l’Humanité. Cette idéologie va bien au-delà des Verts. Elle imprègne « l’air du temps ». Ce n’est pas par hasard qu’elle est née en Allemagne après 1945 avec Hans Jonas, l’inventeur du « principe de précaution ». C’est dans ce contexte hautement idéologique qu’il faut replacer le naufrage quasiment programmé de notre industrie nucléaire. L’Allemagne de Mme Merkel a décidé unilatéralement, en 2011, de « sortir du nucléaire », ruinant ainsi la perspective d’une politique énergétique européenne cohérente.

En Allemagne, les subventions aux « renouvelables » ont explosé, la facture d’électricité aux ménages aussi, et plus encore les émissions de gaz à effet de serre engendrées par le recours au charbon rendu nécessaire par le caractère intermittent du solaire et de l’éolien.

En France, par l’effet d’une procrastination très politique, il s’est écoulé trois décennies entre le lancement, en 1981, des derniers réacteurs de deuxième génération (Civaux notamment) et celui de troisième génération, l’EPR de Flamanville qui accumule des retards. Quoi d’étonnant à ce que les savoir-faire industriels français se soient perdus ? Rien de tel en Chine où l’EPR de Taishan est entré en service dans les délais prévus ! Et voilà maintenant qu’au prétexte de la solidarité européenne, la France est en train de programmer la réduction de 80% à 50% de notre production d’électricité nucléaire.

En réalité, nous nous conformons aux objectifs du programme que le Parti socialiste avait adopté à la fin de 2011, lui-même consécutif à la décision de Mme Merkel de « sortir du nucléaire ». François Hollande a coulé dans le bronze de la loi en 2015 le rabougrissement à 50% de la part de l’électricité d’origine nucléaire dans la consommation de la France, au mépris de l’intérêt national. Les erreurs de la politique énergétique allemande sont aujourd’hui patentes – elles ont amené la Commission de Bruxelles à revoir à la baisse ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre (de 40% à 35% en 2030), mais nous nous obstinons par idéologie à vouloir reproduire ces erreurs et à nous y adapter par suivisme. Il suffit de prendre connaissance des investissements évoqués pour la conversion de Fessenheim – ils sont liés au démantèlement de la filière nucléaire ou à la programmation d’une centrale photovoltaïque non rentable – pour se convaincre que la fermeture d’une centrale amortie et produisant de l’électricité bon marché est une ânerie.

Pour montrer le caractère déraisonnable de la programmation énergétique telle qu’on nous l’annonce, je ne prendrai que l’exemple de l’énergie éolienne. On a pris l’habitude d’opposer les « énergies renouvelables » au nucléaire. C’est une fausse opposition. D’abord parce que le nucléaire, grâce à la faculté d’utiliser bientôt le thorium, et aux surgénérateurs qu’élaborent actuellement divers pays, restera très compétitif à l’horizon des prochains siècles, sans émettre de gaz à effet de serre. On peut réduire considérablement le coût des réacteurs de génération III sans préjudice pour la sûreté et en réduire la taille (jusqu’à 200MW) selon la préconisation du MIT pour mieux s’adapter à la demande. Le terme « énergies renouvelables » rassemble des produits d’une extrême hétérogénéité.

L’hydroélectricité est assurément une forme d’énergie sans carbone, et pilotable (c’est-à-dire qu’on peut l’appeler à tout instant). Mais en France, la quasi-totalité des sites propices sont équipés. Plus prometteur est le solaire thermique, utilisé notamment pour les chauffe-eau ; il n’est productif qu’une partie du temps (12% seulement dans notre pays, en moyenne), mais la chaleur emmagasinée se conserve durant plusieurs jours. Aussi ce solaire thermique doit-il aujourd’hui être préféré au photovoltaïque, car à l’heure actuelle le stockage de l’électricité reste extrêmement coûteux.

Le concept d’énergies renouvelables est le manteau sous lequel se dissimule l’éolien, promue sans cesse par un groupe de pression surpuissant malgré les inconvénients qui en résultent. Non seulement parce que l’éolien est en train de détruire l’identité paysagère de notre pays, qui était faite d’harmonie et de mesure. Le préfet des Ardennes a ainsi autorisé 63 engins de 200 mètres de haut.

Plus graves encore les conséquences induites par le développement de l’éolien pour les finances publiques et pour l’environnement. Ces conséquences vont à rebours du but recherché. Cette production d’électricité d’origine éolienne permettrait de réduire celle des sources fossiles – charbon, fioul et gaz. Mais la part des fossiles, en France, est déjà tombée très bas : moins de 6% de notre électricité, en année normale. Elle ne peut baisser davantage, en raison de l’irrégularité des énergies intermittentes. Les éoliennes, dans notre pays, ne sont utilisées qu’à raison de 24% de l’année, en moyenne). Pour que les consommateurs soient convenablement desservis, il faut donc faire appel aux sources pilotables mais polluantes (charbon, lignite, gaz).

Dès lors, le supplément d’électricité produit par les nouvelles éoliennes ne pourrait avoir que deux destinations :
- une exportation à perte (en année normale, la France exporte déjà le dixième de sa production, avec une perte de l’ordre de la moitié du prix de revient d’EDF, financée par le consommateur français) ;
- le remplacement d’une fraction de la production nucléaire ; celle-ci étant exempte de carbone, un tel remplacement n’aurait aucune utilité pour le climat, bien au contraire.

Ce remplacement nous placerait d’ailleurs devant un second dilemme :
- ou bien le complément d’électricité rendu nécessaire par l’intermittence de l’éolien et photovoltaïque serait fourni par les centrales nucléaires ; cela signifierait que celles-ci devraient réduire leur production actuelle, alors que leurs installations sont amorties, et ne nécessitent, pour continuer à servir, que des investissements de sécurité supplémentaires (« grand carénage »). Le simple maintien de la production totale actuelle avec des éoliennes serait obtenu à grand frais (le développement des réseaux d’interconnexion coûte extrêmement cher) alors que nous pouvons y parvenir pour un prix relativement modique, en nous dispensant d’éoliennes supplémentaires ;
- ou bien, deuxième hypothèse, le complément d’électricité nécessaire serait fourni par des sources fossiles ; d’un point de vue technique, c’est la solution la plus aisée ; les Allemands l’ont mise en œuvre (charbon, lignite) ; mais du point de vue de l’environnement, c’est la pire formule.

Instruisons-nous de leurs erreurs. Il y dans le modèle allemand des formules dont nous devrions nous inspirer (la cogestion par exemple), mais tout n’est pas à transposer mécaniquement. Ai-je besoin d’ajouter que la programmation énergétique française n’a pas à adapter notre modèle aux erreurs commises outre-Rhin et que nos amis allemands commencent eux-mêmes à mesurer ?

Du fait de son mariage forcé avec des énergies fossiles, l’éolien est une fausse énergie renouvelable, une fausse énergie propre.

Retenons notre souffle à l’annonce de la publication, dans les prochaines semaines, de la nouvelle « programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE). J’ai pensé et je continue à espérer que l’élection d’un nouveau Président de la République permettra de retrouver le chemin de la raison. Il n’est jamais trop tard pour revenir sur une erreur, même quand elle est portée par le vent. La mode est ce qui se démode : un vent l’apporte, un autre la remporte.


Source : L'Opinion


Rédigé par Chevenement.fr le Lundi 22 Octobre 2018 à 17:07 | Lu 3586 fois



1.Posté par Hubert VIALLET le 23/10/2018 19:17
Que du bon sens, ne rejoignons pas les ayatollah de l'antinucléaire!
Commençons par re-nationaliser le nucléaire afin de le rendre encore plus sûr.
Recherchons les moyens de détruire les produits de fission à longue vie, c'est possible.
Ménageons notre industrie malade du libre échange, protégeons notre balance commerciale gage de souveraineté..

2.Posté par Vincent CHANETZ le 25/10/2018 11:03
Que du bon sens.
Mr le Ministre, je suis chargé de vous faire parvenir des documents concernant un colloque prévu sur "la santé des hommes face aux infrasons produits par les éoliennes".
Je me tiens à votre disposition pour vous les envoyer par mail.

Cordialement
Vincent CHANETZ

3.Posté par Eric MARGOLLÉ le 09/11/2018 07:43
Bonjour

Je partage votre opinion sur les limites de l'éolien mais le coût du démantèlement des centrales et de la gestion des déchets sont ils vraiment pris en compte dans votre analyse?

Une émission récente nous parlait de plusieurs centaines de milliards à ajouter.

Eric

4.Posté par Pierre Henri DREVON le 22/11/2018 13:51
phdrevon@hotmail.fr
Je ne suis pas toujours d'accord avec M. Chevènement, mais sur ce papier j'applaudis des deux mains !

Hélas, une décision intelligente n'est pas la plus probable...

5.Posté par Joseph MAZÉ le 29/11/2018 21:40
D'accord aussi avec vous concernant l'éolien.
Je "rebondis" sur le démantèlement des centrales évoqué par Eric Margollé.
Il en est encore au stade expérimental. Celui de la centrale de Brennilis a débuté il y a plusieurs années et ne s'est jamais achevé.
En fait - et, curieusement, à ma connaissance, personne n'en parle - il semble que ce démantèlement soit à la fois une mission impossible et la plus mauvaise des solutions:
- son coût serait effectivement très élevé, inchiffrable, pour un travail de titan
- sa dangerosité serait très grande pour les "démanteleurs"du fait de l'ambiance permanente de poussières radioactives
- la contamination de l'environnement inévitable pour les mêmes raisons
- et la disparition de la centrale et de sa tour de refroidissement serait un mauvais service rendu aux générations futures: c'est-à-dire oubli du site et oubli du site de stockage des déchets (scénario maintes fois évoqué)
A l'inverse, le maintien de la centrale (vidée de son combustible) en l'état, entourée d'un périmètre de sécurité, évite la dissémination des déchets, la contamination d'ouvriers, économise des sommes pharamineuses, et entretient durablement une visibilité que certains, dans nos descendants, qualifieront volontiers de patrimoniale.

Pourquoi, comme trop souvent, s'échiner à vouloir faire compliqué quand on peut faire simple?

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