La démocratie en France est en crise. Mais nos institutions le sont aussi. L’Etat ne peut retrouver crédit et autorité que s’il est légitime. Cela exige, au rebours de toutes les dérives actuelles, de revenir au fondement même de la démocratie, c’est-à-dire de refaire de la souveraineté populaire le fondement exclusif de toute légitimité, conformément d’ailleurs à nos principes constitutionnels fondamentaux.
I – Sur fond de dérives déjà anciennes, une crise devenue patente des institutions.
Depuis une vingtaine d’années les principes fondamentaux de nos institutions sont battus en brèche :
1. C’est ouvertement que le principe de la souveraineté des citoyens comme fondement de la démocratie est remis en cause.
La mode s’est répandue d’une « souveraineté plurielle », « complexe », « multiculturelle », qui devrait faire une place à la société civile, au juge, etc. Nul ne peut la définir clairement, mais elle a, à l’évidence, pour fonction de dissoudre la souveraineté populaire, communauté de citoyens égaux, dans un conglomérat sans aucune légitimité démocratique.
Il en va de même de cette vaine recherche d’une citoyenneté européenne fondée sur un « patriotisme constitutionnel » désincarné, évoqué par Habermas. La citoyenneté ne s’improvise pas, en l’absence d’une langue commune et d’un espace public commun aux vingt-cinq ou trente nations qui constituent ou constitueront demain l’Union européenne. Cette citoyenneté européenne ne peut, à notre horizon, qu’être virtuelle. Plutôt que de « porter la politique à la hauteur des marchés », selon l’effort pathétique proposé par Habermas, elle est l’alibi d’un nouveau dessaisissement du citoyen au profit de la toute-puissance de ces marchés. C’est ce que les Français, dans un vote massif, acquis à 55 % des voix, ont voulu signifier en rejetant le projet de Constitution européenne le 29 mai 2005. De ce coup d’arrêt, ceux qui nous dirigent refusent de tirer les conséquences.
2. De même la loi démocratiquement élaborée devient de moins en moins le fondement de notre ordre juridique.
- Les tenants du « Droit sans l’Etat », c’est-à-dire les libéraux, qui expriment bien le point de vue du MEDEF, tiennent la loi en suspicion et préfèrent le contrat, les codes de conduite élaborés par les entreprises elles-mêmes, la jurisprudence, le droit secrété par la « société civile » et les lawyers, puisque, décidément, cette mode aussi nous vient des Etats-Unis. Mais qui ne voit qu’il s’agit, là encore, de congédier le citoyen et de laisser le champ libre à tous les corporatismes et à la loi du marché ? « Entre le fort et le faible, entre le pauvre et le riche, c’est la loi qui libère et la liberté qui opprime », nous rappelait Lamennais.
- De même l’absence de tout contrôle démocratique sur le « droit européen dérivé » et la prolifération d’instances administratives indépendantes marginalisent-elles le Parlement, éloignant le citoyen de la décision politique. Elles contribuent à mettre en crise l’idée de la démocratie fondée sur la souveraineté populaire, telle qu’elle s’était développée depuis deux siècles.
3. La crise des institutions de la Ve République est enfin devenue patente avec le quinquennat présidentiel et surtout l’incapacité de la majorité sortie des urnes en mai-juin 2002 de remettre en cause les orientations fondamentales de la politique maastrichtienne, alors que le retournement de cycle économique en rendait les effets encore plus insupportables. Jacques Chirac, élu à 82 % le 5 mai 2002, a fait la politique que souhaitait son électorat du premier tour (moins de 20 %).
Depuis le référendum du 29 mai 2005 et le rejet de la Constitution européenne, le Pouvoir délégitimé par la volonté du Président de passer outre au désaveu populaire, paraît comme tétanisé : aucun projet de réforme du gouvernement économique de la zone euro n’a ainsi vu le jour, malgré l’intention affichée par Dominique de Villepin dans les colonnes du Monde au lendemain du vote. La majorité présidentielle a perdu le contact avec le pays. Elle s’empêtre dans des rivalités et des manipulations qui discréditent la démocratie, au-delà d’elle-même.
Comment a-t-on pu en arriver là ?
La réforme des institutions de la Ve République, voire l’avènement d’une VIe République, constituent-ils le « sésame ouvre-toi » de l’actuelle crise de la démocratie ? Chacun pressent que cette crise, au-delà d’une pratique opportuniste des institutions, est beaucoup plus profonde : les élites aristocratiques ou bourgeoises n’ont jamais aimé la démocratie. Les nouvelles « élites mondialisées » (1) manifestent une véritable réaction de rejet vis-à-vis du peuple et de la démocratie, confondues dans la même stigmatisation du « populisme ».
Le « bougisme » constitutionnel qui s’est accéléré depuis 1992 (nous en sommes à la dix-septième révision depuis 1958) n’a été qu’un alibi. Il a affaibli gravement l’autorité de notre loi suprême pour des résultats incertains voire contestables : ainsi l’introduction d’un « principe de précaution » indéfini, ou plus gravement encore la subordination en 2005 de la Constitution française à une « Constitution européenne » que le peuple allait rejeter quelques semaines plus tard, subordination qui demeure inscrite dans les textes. La surdité de ceux qui nous dirigent vis-à-vis des aspirations populaires est à la racine de la crise actuelle. Est-ce à dire qu’il ne faut plus toucher aux institutions, faire avec celles qui existent et se borner à en réformer la pratique dans un sens plus démocratique ? Tel n’est pas mon propos. En effet, le passage en 2000 au « quinquennat sec », c’est-à-dire sans l’accompagnement des réformes qui eussent permis la revalorisation du rôle du Parlement, a fait franchir un seuil qualitatif dans le dérèglement des institutions de la Ve République.
II – Historiquement, des institutions à géométrie variable.
Les institutions de la Ve République auront bientôt cinquante ans.
1. Leur conception, au départ, visait à un parlementarisme rationalisé sous l’égide d’un Président-arbitre. Le gouvernement de Michel Debré (1959-1962) correspond dans une première phase (1959-1962) à cette philosophie, même si la guerre d’Algérie et le lien d’exceptionnelle fidélité du Premier ministre à l’égard du général de Gaulle déséquilibraient déjà leur relation au profit du chef de l’Etat.
2. La nomination de Georges Pompidou alors directeur de cabinet du Général comme Premier ministre, en mai 1962, et surtout l’élection au suffrage universel du Président de la République (septembre 1962) ont donné un tour franchement présidentialiste aux institutions de la Ve République. : c’est à l’Elysée que se prennent les grandes décisions. De Gaulle se sépare de Pompidou au lendemain des élections - triomphales pour celui-ci et pour l’UNR – de juin 1968 et choisit Couve de Murville comme Premier ministre. L’écart se creuse alors entre un Président qui se retranche dans les institutions et un pays où la contestation de droite relaie la contestation de gauche après le mouvement de mai 1968, pour en finir avec le général de Gaulle. Le référendum du 29 avril 1969 entraîne la démission de celui-ci. Cette démission illustre une conception critiquable mais exigeante des institutions, subordonnant la légitimité d’un Président concentrant en lui les principaux pouvoirs au maintien de la confiance du Peuple. Cette conception exigeante s’effacera peu à peu et irrémédiablement quand s’ouvrira, avec les cohabitations, l’ère des Présidents diminués. Mais il faudra attendre pour cela que la droite et la gauche fassent jeu égal dans le pays. La droite accusera la gauche de trahir l’esprit initial des institutions de la Ve République : il est vrai que François Mitterrand avait de celles-ci une conception essentiellement pragmatique. Mais la droite à son tour s’accommodera de la cohabitation et entérinera le raccourcissement à cinq ans du mandat présidentiel. Jacques Chirac après François Mitterrand, aura dénoué le lien entre légitimité et souveraineté populaire.
Après la mort politique du général de Gaulle, l’élection de Georges Pompidou en 1969 perpétue encore la « logique présidentialiste » : bien que bénéficiant d’un vote de confiance très confortable à l’Assemblée Nationale en 1972, le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, est remplacé dans la foulée par Pierre Messmer. La donne change quand, en 1976, le Premier ministre Jacques Chirac démissionne et crée le RPR. La droite se divise mais, grâce aux ressources du « parlementarisme rationalisé », (article 49-3 notamment), Raymond Barre qui a succédé à Jacques Chirac parvient quand même à gouverner. La logique « présidentielle » est encore la plus forte.
L’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée conforte dans un premier temps la lecture présidentialiste des institutions : Pierre Mauroy est adoubé comme Premier ministre en mai 1981. Il donne sa démission après « l’affaire scolaire » et le retrait du projet de loi Savary en juillet 1984. C’est alors que François Mitterrand donne à la France le plus jeune Premier ministre qu’elle ait jamais eu, depuis Villèle : Laurent Fabius. La prépotence présidentielle paraît définitivement établie. C’est l’ensemble des décisions et pas seulement les grandes orientations – on le voit par exemple en matière de politique industrielle – qui remonte à l’Elysée. Pourtant une nouvelle lecture de la Constitution va s’imposer. L’élection d’une majorité de droite à l’Assemblée Nationale en mars 1986 ouvre la voie, pour la première fois, à la cohabitation d’un Président et d’un gouvernement procédant l’un de la gauche, l’autre de la droite. Cette configuration inédite, celle d’une cohabitation évidemment contraire à la conception qu’avait affirmée le général de Gaulle, avait déjà été envisagée par Valéry Giscard d’Estaing dans son discours de Verdun-sur-le-Doubs, avant les élections de mars 1978 pour le cas où celles-ci eussent donné la majorité à la gauche. Cette hypothèse – on le sait – ne se produisit pas. De 1986 à 1988 la cohabitation conduit donc au retour d’une lecture parlementaire de la Constitution. Déjà François Mitterrand en changeant le mode de scrutin en 1985 et en substituant la proportionnelle au scrutin majoritaire avait anticipé cette lecture, au moins à titre provisoire. Les institutions deviennent « à géométrie variable », démontrant leur plasticité mais perdant en rigueur démocratique ce qu’elles gagnent en souplesse. Encore le Président de la République fait-il prévaloir une conception de « domaine réservé » qui n’existe pas expressément dans la Constitution et n’hésite-t-il pas à déstabiliser « son gouvernement », celui de Jacques Chirac (recours aux ordonnances notamment). Son but est clairement de récupérer pour lui-même la légitimité populaire : Réélu en 1988, François Mitterrand est cependant tenté de dissocier majorité présidentielle et majorité parlementaire. Mais le scrutin majoritaire rétabli en 1987 remet le parti socialiste au cœur de la nouvelle majorité. L’ouverture à quelques personnalités du centre et la nomination de Michel Rocard comme Premier ministre ne permettent cependant pas une autonomisation du gouvernement par rapport à un parti socialiste quasi majoritaire. Celui-ci, bien au contraire, en écartant Laurent Fabius du poste de Premier Secrétaire, affirme d’emblée son autonomie par rapport au Président de la République. Le Congrès de Rennes (mars 1990) confirmera ce divorce.
De cette situation équivoque résulte un certain immobilisme à moins que ce fût l’inverse. On peut très pertinemment soutenir que la politique du « ni-ni » affirmée dans « la lettre aux Français » par François Mitterrand avant l’élection présidentielle de 1988 et concrétisée par le choix de Michel Rocard comme Premier ministre à son lendemain, a entraîné la fêlure entre le Président et le parti socialiste. Il peut y avoir ainsi plusieurs formes de cohabitation, y compris à travers une majorité présidentielle en fin de mandat : après François Mitterrand, Jacques Chirac le vérifiera à son tour. Dans les difficultés liées au retournement de la conjoncture économique, à la maladie de François Mitterrand et aux affres de la fin de mandat, c’est à nouveau la conception présidentialiste qui prévaut mais dans une ambiance crépusculaire.
L’élection de Jacques Chirac, en mai 1995, semble rétablir dans les faits la primauté présidentielle mais l’échec, deux ans plus tard, de la dissolution anticipée conduit à l’instauration d’un régime parlementaire de fait, de 1997 à 2002. Les institutions de la Ve République montrent à nouveau une très grande plasticité mais la cohabitation favorise l’immobilisme. Constat partagé, semble-t-il, par les deux principaux intéressés : Jacques Chirac et Lionel Jospin. L’instauration du quinquennat et surtout, à mon sens, la fixation des élections législatives au lendemain des élections présidentielles vont introduire un changement qualitatif majeur dans ces institutions. Je suis de ceux qui pensent que ce changement n’est pas allé à son terme logique : en faisant coïncider les deux échéances, il a exaspéré les rivalités personnelles, à droite comme à gauche, en l’absence de tout débat de fond, ce dont les institutions, il faut en convenir, ne peuvent pas être tenues pour seules responsables. Le système médiatique qui présélectionne les candidats sur la base de sondages aléatoires et un bipartisme largement artificiel contribuent aussi largement à vider de son contenu le débat démocratique.
III – Le nécessaire rééquilibrage de nos institutions.
La réforme du quinquennat couplée avec l’inversion des élections présidentielles et législatives s’est arrêtée à mi-chemin. Elle a renforcé la prépotence présidentielle, abaissé encore plus le Parlement et exacerbé les rivalités de fin de mandat au sein de la majorité.
1. Il faut aller franchement selon moi vers l’instauration d’un régime présidentiel à la française, essentiellement par la suppression de fait de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, condition de la revalorisation du rôle du Parlement. La responsabilité théorique qu’est actuellement celle du gouvernement devant l’Assemblée Nationale entraîne, en fait, la subordination et la caporalisation de la majorité parlementaire et l’abaissement du Parlement dans son ensemble. Les députés sont contraints de faire une confiance aveugle au gouvernement désigné par le Président.
Dans un régime présidentiel à la française, le Président de la République deviendrait clairement le chef de l’exécutif, même si la fonction du Premier ministre était maintenue dans les textes. Il serait ainsi mis clairement fin à la dualité de l’exécutif et bien sûr à toute possibilité de cohabitation, dont les rivalités au sein de la majorité présidentielle actuelle ont fait oublier la foncière perversité. La réforme que je propose est celle d’un retour à l’équilibre des pouvoirs grâce à un véritable régime présidentiel, que j’appelle « à la française », parce que deux « soupapes de sécurité » permettraient d’éviter les risques de blocage dont l’Administration américaine s’accommode, mais dont je ne suis pas sûr que, dans un pays aussi « politique » que le nôtre , ils ne viendraient pas à se produire, si un désaccord de fond se manifestait entre le Président de la République et une majorité du Parlement. Ces deux « soupapes de sécurité » résulteraient du maintien dans les textes du droit de dissolution dans la main du Président et du droit de censure du gouvernement au bénéfice du Parlement, maintien assorti de la règle explicitement formulée du retour simultané devant le Peuple du Président et des députés, soit en cas de dissolution, soit en cas de renversement du Gouvernement. On peut imaginer que cette « dissuasion mutuelle assurée » exercerait un effet pacifiant sur les conflits, sauf en cas de crise nationale très grave, et favoriserait les compromis entre les deux Pouvoirs. En cas de crise grave, c’est le Peuple, c’est-à-dire le Souverain qui trancherait : quoi de plus démocratique ?
Le Parlement pourrait pleinement et librement exercer ses fonctions de législateur et de contrôle par voie de commissions d’enquêtes notamment. L’arsenal du parlementarisme rationalisé pourrait être supprimé (article 49-3 – fixation de l’ordre du jour par le gouvernement, etc.). Une dose de proportionnelle pourrait être introduite dans le mode de scrutin législatif avec des listes nationales inspirées du modèle allemand préservant cependant l’élection des députés dans des circonscriptions, condition de leur indépendance vis-à-vis des appareils partisans. Ainsi l’essentiel du texte de la Constitution de 1958 pourrait-il être maintenu avec quelques modifications, certes fondamentales, mais peu nombreuses. La simultanéité des élections présidentielle et législatives ne résulterait pas des textes mais le cas échéant de la pratique des institutions.
Tout en réaffirmant la prééminence du Président de la République dans l’exécutif, qu’il nommerait (ministres et Premier ministre) comme c’est aujourd’hui le cas dans la pratique, cette évolution permettrait de revaloriser le Parlement en le libérant des contraintes du parlementarisme rationalisé, devenues inutiles, mais, plus encore de la discipline majoritaire qui est la véritable cause de son abaissement. Et, bien entendu, le Président de la République conserverait ses prérogatives en matière de consultation du peuple français par référendum. Enfin, la stabilité de l’exécutif ne dépendant plus de l’existence à l’Assemblée nationale d’une majorité cohérente et durable, une dose de proportionnelle pourrait être instaurée sans dommage, alors que dans le régime actuel cela conduirait inéluctablement à l’instabilité et à l’affaiblissement du gouvernement. Ainsi serait-il mis fin à cette étrange alternance entre un régime essentiellement parlementaire miné par une cohabitation débilitante, lorsque majorité parlementaire et majorité présidentielle s’opposent, et un régime présidentialiste aux pouvoirs présidentiels hypertrophiés, lorsque ces deux majorités coïncident.
Certains, curieusement de plus en plus nombreux à gauche aujourd’hui, cherchent la fin de cette schizophrénie dans une « reparlementarisation » de la Ve République alors qu’ils savent très bien leur incapacité à supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel. Cette orientation tendant à rapprocher la Ve République de la IVe est dangereuse et illusoire : dangereuse car elle ne peut qu’entraîner l’instabilité du gouvernement et illusoire car elle ne peut que conduire, en retour, à une présidentialisation accrue du régime au détriment du Parlement et, en définitive, de la démocratie. Le retour au régime parlementaire est en effet fondamentalement incompatible avec l’élection du Président de la République au suffrage universel. Or, les Français tiennent à ce pouvoir de choisir directement, comme dans la plupart des grandes démocraties, le chef de l’exécutif.
Depuis que le général de Gaulle, en 1962, a fait décider par le peuple français l’élection du Président de la République au suffrage universel, cette élection est, en effet, devenue directrice. On ne reviendra pas là-dessus, car les Français y voient un élargissement de la citoyenneté, en ce qu’elle institue la responsabilité du chef de l’exécutif devant le peuple. La logique du quinquennat adopté en septembre 2002 est bien dans l’instauration d’un véritable régime présidentiel et d’une séparation des Pouvoirs incités à collaborer et non pas dans un retour au régime parlementaire qui, bien loin de remettre le Parlement au cœur de la démocratie, accélèrerait le déclin de celle-ci.
Est-il besoin d’ajouter que la réforme des institutions ne suffira pas à mettre un terme à la crise actuelle de la démocratie ?
IV – Le véritable objectif est de restaurer non pas seulement le rôle du Parlement mais l’autorité de la loi elle-même.
- « La loi doit être la même pour tous » et ne saurait être dénaturée « en expérimentations » diverses, sous prétexte de la prise en compte d’une introuvable « citoyenneté plurielle », « complexe », « multiculturelle », ni se dégrader en multiples dérogations, exceptions, droits et statuts particuliers. Elle ne peut être transformée en un « self-service » législatif, pourvoyeur de droits et non plus de devoirs, où chaque catégorie, minorité, corporation, exige désormais la reconnaissance de ses particularismes économiques, locaux, identitaires ou religieux.
- La loi doit être simple, lisible, intelligible, pérenne puisque « nul n’est censé l’ignorer ». Il faut notamment en revenir au texte et à l’esprit de l’article 34 de notre Constitution, qui réserve au domaine de la loi les règles essentielles et les principes fondamentaux des domaines qu’il énumère, le reste relevant du pouvoir réglementaire. A cette dignité et autorité de la loi, le Conseil constitutionnel aurait dû être plus attentif !
- Pour simplifier radicalement le corpus législatif, j’ai proposé en 2002 une profonde modification du système actuel de codification – lourd et lent – par la mise en place de commissions de réforme législative, essentiellement composées de parlementaires mais associant des experts reconnus, et coordonnées par l’Office parlementaire d’évaluation de la loi, aujourd’hui sous-utilisé. Ces commissions s’attelleraient à reconstruire des textes simples et clairs ; c’est une tâche immense, ne nous en cachons pas. Mais c’est aussi une mission essentielle. Ma proposition est plus actuelle que jamais.
- Cette prééminence de la loi est bien entendu incompatible avec cette idée qui, au-delà de la possibilité actuelle de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs avant promulgation d’une loi, voudrait ouvrir à toute personne, à tout moment, un recours en exception d’inconstitutionnalité contre toute disposition législative en vigueur. A l’évidence cela dessaisirait un peu plus encore le peuple souverain au profit d’une instance non élue et aggraverait l’instabilité et l’incertitude législatives.
- En revanche tout justifie après le rejet de la Constitution européenne, que, comme l’ont proposé d’éminents juristes, les directives européennes relevant du domaine de la loi au sens de l’article 34 de notre Constitution soient, comme les lois avant application, susceptibles d’être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Il est en effet paradoxal que les lois votées par le Parlement élu soient susceptibles d’être censurées, mais que des normes européennes élaborées dans l’opacité des services européens puissent impunément contredire nos principes constitutionnels.
- La restauration de l’autorité de la loi est le meilleur fondement du renforcement du rôle du parlement – et donc de la souveraineté du citoyen – puisque la fonction législative est la mission essentielle dudit Parlement.
*
* *
Conclusion.
L’instauration d’un « régime présidentiel à la française » est inséparable d’un combat visant à redonner un sens à la politique. Aucune leçon n’a été tirée par ceux qui nous dirigent du rejet de la Constitution européenne le 29 mai 2005. Il est clair que notre peuple, pas plus que les autres peuples européens, ne demande une Constitution. Ce sont les élites « mondialisées » qui portent le projet d’imposer à la souveraineté populaire un tel carcan foncièrement antidémocratique puisqu’il n’y a pas de « peuple européen ». Redonner un sens à la politique aujourd’hui c’est relier de manière indissociable le redressement de la construction européenne et la volonté de continuer la France républicaine.
L’Etat républicain doit être aujourd’hui relégitimé. Il ne peut l’être qu’à travers une profonde réforme (incluant le cas échéant des délégations de compétences, par exemple à « l’Eurogroupe » à la condition qu’elles soient précises, contrôlées démocratiquement et révocables). Mais c’est toujours le suffrage universel qui doit trancher en dernier ressort. C’est dans la souveraineté populaire (indissociable de la souveraineté nationale) que réside aujourd’hui comme hier la clé du renouveau de notre République.
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I – Sur fond de dérives déjà anciennes, une crise devenue patente des institutions.
Depuis une vingtaine d’années les principes fondamentaux de nos institutions sont battus en brèche :
1. C’est ouvertement que le principe de la souveraineté des citoyens comme fondement de la démocratie est remis en cause.
La mode s’est répandue d’une « souveraineté plurielle », « complexe », « multiculturelle », qui devrait faire une place à la société civile, au juge, etc. Nul ne peut la définir clairement, mais elle a, à l’évidence, pour fonction de dissoudre la souveraineté populaire, communauté de citoyens égaux, dans un conglomérat sans aucune légitimité démocratique.
Il en va de même de cette vaine recherche d’une citoyenneté européenne fondée sur un « patriotisme constitutionnel » désincarné, évoqué par Habermas. La citoyenneté ne s’improvise pas, en l’absence d’une langue commune et d’un espace public commun aux vingt-cinq ou trente nations qui constituent ou constitueront demain l’Union européenne. Cette citoyenneté européenne ne peut, à notre horizon, qu’être virtuelle. Plutôt que de « porter la politique à la hauteur des marchés », selon l’effort pathétique proposé par Habermas, elle est l’alibi d’un nouveau dessaisissement du citoyen au profit de la toute-puissance de ces marchés. C’est ce que les Français, dans un vote massif, acquis à 55 % des voix, ont voulu signifier en rejetant le projet de Constitution européenne le 29 mai 2005. De ce coup d’arrêt, ceux qui nous dirigent refusent de tirer les conséquences.
2. De même la loi démocratiquement élaborée devient de moins en moins le fondement de notre ordre juridique.
- Les tenants du « Droit sans l’Etat », c’est-à-dire les libéraux, qui expriment bien le point de vue du MEDEF, tiennent la loi en suspicion et préfèrent le contrat, les codes de conduite élaborés par les entreprises elles-mêmes, la jurisprudence, le droit secrété par la « société civile » et les lawyers, puisque, décidément, cette mode aussi nous vient des Etats-Unis. Mais qui ne voit qu’il s’agit, là encore, de congédier le citoyen et de laisser le champ libre à tous les corporatismes et à la loi du marché ? « Entre le fort et le faible, entre le pauvre et le riche, c’est la loi qui libère et la liberté qui opprime », nous rappelait Lamennais.
- De même l’absence de tout contrôle démocratique sur le « droit européen dérivé » et la prolifération d’instances administratives indépendantes marginalisent-elles le Parlement, éloignant le citoyen de la décision politique. Elles contribuent à mettre en crise l’idée de la démocratie fondée sur la souveraineté populaire, telle qu’elle s’était développée depuis deux siècles.
3. La crise des institutions de la Ve République est enfin devenue patente avec le quinquennat présidentiel et surtout l’incapacité de la majorité sortie des urnes en mai-juin 2002 de remettre en cause les orientations fondamentales de la politique maastrichtienne, alors que le retournement de cycle économique en rendait les effets encore plus insupportables. Jacques Chirac, élu à 82 % le 5 mai 2002, a fait la politique que souhaitait son électorat du premier tour (moins de 20 %).
Depuis le référendum du 29 mai 2005 et le rejet de la Constitution européenne, le Pouvoir délégitimé par la volonté du Président de passer outre au désaveu populaire, paraît comme tétanisé : aucun projet de réforme du gouvernement économique de la zone euro n’a ainsi vu le jour, malgré l’intention affichée par Dominique de Villepin dans les colonnes du Monde au lendemain du vote. La majorité présidentielle a perdu le contact avec le pays. Elle s’empêtre dans des rivalités et des manipulations qui discréditent la démocratie, au-delà d’elle-même.
Comment a-t-on pu en arriver là ?
La réforme des institutions de la Ve République, voire l’avènement d’une VIe République, constituent-ils le « sésame ouvre-toi » de l’actuelle crise de la démocratie ? Chacun pressent que cette crise, au-delà d’une pratique opportuniste des institutions, est beaucoup plus profonde : les élites aristocratiques ou bourgeoises n’ont jamais aimé la démocratie. Les nouvelles « élites mondialisées » (1) manifestent une véritable réaction de rejet vis-à-vis du peuple et de la démocratie, confondues dans la même stigmatisation du « populisme ».
Le « bougisme » constitutionnel qui s’est accéléré depuis 1992 (nous en sommes à la dix-septième révision depuis 1958) n’a été qu’un alibi. Il a affaibli gravement l’autorité de notre loi suprême pour des résultats incertains voire contestables : ainsi l’introduction d’un « principe de précaution » indéfini, ou plus gravement encore la subordination en 2005 de la Constitution française à une « Constitution européenne » que le peuple allait rejeter quelques semaines plus tard, subordination qui demeure inscrite dans les textes. La surdité de ceux qui nous dirigent vis-à-vis des aspirations populaires est à la racine de la crise actuelle. Est-ce à dire qu’il ne faut plus toucher aux institutions, faire avec celles qui existent et se borner à en réformer la pratique dans un sens plus démocratique ? Tel n’est pas mon propos. En effet, le passage en 2000 au « quinquennat sec », c’est-à-dire sans l’accompagnement des réformes qui eussent permis la revalorisation du rôle du Parlement, a fait franchir un seuil qualitatif dans le dérèglement des institutions de la Ve République.
II – Historiquement, des institutions à géométrie variable.
Les institutions de la Ve République auront bientôt cinquante ans.
1. Leur conception, au départ, visait à un parlementarisme rationalisé sous l’égide d’un Président-arbitre. Le gouvernement de Michel Debré (1959-1962) correspond dans une première phase (1959-1962) à cette philosophie, même si la guerre d’Algérie et le lien d’exceptionnelle fidélité du Premier ministre à l’égard du général de Gaulle déséquilibraient déjà leur relation au profit du chef de l’Etat.
2. La nomination de Georges Pompidou alors directeur de cabinet du Général comme Premier ministre, en mai 1962, et surtout l’élection au suffrage universel du Président de la République (septembre 1962) ont donné un tour franchement présidentialiste aux institutions de la Ve République. : c’est à l’Elysée que se prennent les grandes décisions. De Gaulle se sépare de Pompidou au lendemain des élections - triomphales pour celui-ci et pour l’UNR – de juin 1968 et choisit Couve de Murville comme Premier ministre. L’écart se creuse alors entre un Président qui se retranche dans les institutions et un pays où la contestation de droite relaie la contestation de gauche après le mouvement de mai 1968, pour en finir avec le général de Gaulle. Le référendum du 29 avril 1969 entraîne la démission de celui-ci. Cette démission illustre une conception critiquable mais exigeante des institutions, subordonnant la légitimité d’un Président concentrant en lui les principaux pouvoirs au maintien de la confiance du Peuple. Cette conception exigeante s’effacera peu à peu et irrémédiablement quand s’ouvrira, avec les cohabitations, l’ère des Présidents diminués. Mais il faudra attendre pour cela que la droite et la gauche fassent jeu égal dans le pays. La droite accusera la gauche de trahir l’esprit initial des institutions de la Ve République : il est vrai que François Mitterrand avait de celles-ci une conception essentiellement pragmatique. Mais la droite à son tour s’accommodera de la cohabitation et entérinera le raccourcissement à cinq ans du mandat présidentiel. Jacques Chirac après François Mitterrand, aura dénoué le lien entre légitimité et souveraineté populaire.
Après la mort politique du général de Gaulle, l’élection de Georges Pompidou en 1969 perpétue encore la « logique présidentialiste » : bien que bénéficiant d’un vote de confiance très confortable à l’Assemblée Nationale en 1972, le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, est remplacé dans la foulée par Pierre Messmer. La donne change quand, en 1976, le Premier ministre Jacques Chirac démissionne et crée le RPR. La droite se divise mais, grâce aux ressources du « parlementarisme rationalisé », (article 49-3 notamment), Raymond Barre qui a succédé à Jacques Chirac parvient quand même à gouverner. La logique « présidentielle » est encore la plus forte.
L’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée conforte dans un premier temps la lecture présidentialiste des institutions : Pierre Mauroy est adoubé comme Premier ministre en mai 1981. Il donne sa démission après « l’affaire scolaire » et le retrait du projet de loi Savary en juillet 1984. C’est alors que François Mitterrand donne à la France le plus jeune Premier ministre qu’elle ait jamais eu, depuis Villèle : Laurent Fabius. La prépotence présidentielle paraît définitivement établie. C’est l’ensemble des décisions et pas seulement les grandes orientations – on le voit par exemple en matière de politique industrielle – qui remonte à l’Elysée. Pourtant une nouvelle lecture de la Constitution va s’imposer. L’élection d’une majorité de droite à l’Assemblée Nationale en mars 1986 ouvre la voie, pour la première fois, à la cohabitation d’un Président et d’un gouvernement procédant l’un de la gauche, l’autre de la droite. Cette configuration inédite, celle d’une cohabitation évidemment contraire à la conception qu’avait affirmée le général de Gaulle, avait déjà été envisagée par Valéry Giscard d’Estaing dans son discours de Verdun-sur-le-Doubs, avant les élections de mars 1978 pour le cas où celles-ci eussent donné la majorité à la gauche. Cette hypothèse – on le sait – ne se produisit pas. De 1986 à 1988 la cohabitation conduit donc au retour d’une lecture parlementaire de la Constitution. Déjà François Mitterrand en changeant le mode de scrutin en 1985 et en substituant la proportionnelle au scrutin majoritaire avait anticipé cette lecture, au moins à titre provisoire. Les institutions deviennent « à géométrie variable », démontrant leur plasticité mais perdant en rigueur démocratique ce qu’elles gagnent en souplesse. Encore le Président de la République fait-il prévaloir une conception de « domaine réservé » qui n’existe pas expressément dans la Constitution et n’hésite-t-il pas à déstabiliser « son gouvernement », celui de Jacques Chirac (recours aux ordonnances notamment). Son but est clairement de récupérer pour lui-même la légitimité populaire : Réélu en 1988, François Mitterrand est cependant tenté de dissocier majorité présidentielle et majorité parlementaire. Mais le scrutin majoritaire rétabli en 1987 remet le parti socialiste au cœur de la nouvelle majorité. L’ouverture à quelques personnalités du centre et la nomination de Michel Rocard comme Premier ministre ne permettent cependant pas une autonomisation du gouvernement par rapport à un parti socialiste quasi majoritaire. Celui-ci, bien au contraire, en écartant Laurent Fabius du poste de Premier Secrétaire, affirme d’emblée son autonomie par rapport au Président de la République. Le Congrès de Rennes (mars 1990) confirmera ce divorce.
De cette situation équivoque résulte un certain immobilisme à moins que ce fût l’inverse. On peut très pertinemment soutenir que la politique du « ni-ni » affirmée dans « la lettre aux Français » par François Mitterrand avant l’élection présidentielle de 1988 et concrétisée par le choix de Michel Rocard comme Premier ministre à son lendemain, a entraîné la fêlure entre le Président et le parti socialiste. Il peut y avoir ainsi plusieurs formes de cohabitation, y compris à travers une majorité présidentielle en fin de mandat : après François Mitterrand, Jacques Chirac le vérifiera à son tour. Dans les difficultés liées au retournement de la conjoncture économique, à la maladie de François Mitterrand et aux affres de la fin de mandat, c’est à nouveau la conception présidentialiste qui prévaut mais dans une ambiance crépusculaire.
L’élection de Jacques Chirac, en mai 1995, semble rétablir dans les faits la primauté présidentielle mais l’échec, deux ans plus tard, de la dissolution anticipée conduit à l’instauration d’un régime parlementaire de fait, de 1997 à 2002. Les institutions de la Ve République montrent à nouveau une très grande plasticité mais la cohabitation favorise l’immobilisme. Constat partagé, semble-t-il, par les deux principaux intéressés : Jacques Chirac et Lionel Jospin. L’instauration du quinquennat et surtout, à mon sens, la fixation des élections législatives au lendemain des élections présidentielles vont introduire un changement qualitatif majeur dans ces institutions. Je suis de ceux qui pensent que ce changement n’est pas allé à son terme logique : en faisant coïncider les deux échéances, il a exaspéré les rivalités personnelles, à droite comme à gauche, en l’absence de tout débat de fond, ce dont les institutions, il faut en convenir, ne peuvent pas être tenues pour seules responsables. Le système médiatique qui présélectionne les candidats sur la base de sondages aléatoires et un bipartisme largement artificiel contribuent aussi largement à vider de son contenu le débat démocratique.
III – Le nécessaire rééquilibrage de nos institutions.
La réforme du quinquennat couplée avec l’inversion des élections présidentielles et législatives s’est arrêtée à mi-chemin. Elle a renforcé la prépotence présidentielle, abaissé encore plus le Parlement et exacerbé les rivalités de fin de mandat au sein de la majorité.
1. Il faut aller franchement selon moi vers l’instauration d’un régime présidentiel à la française, essentiellement par la suppression de fait de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, condition de la revalorisation du rôle du Parlement. La responsabilité théorique qu’est actuellement celle du gouvernement devant l’Assemblée Nationale entraîne, en fait, la subordination et la caporalisation de la majorité parlementaire et l’abaissement du Parlement dans son ensemble. Les députés sont contraints de faire une confiance aveugle au gouvernement désigné par le Président.
Dans un régime présidentiel à la française, le Président de la République deviendrait clairement le chef de l’exécutif, même si la fonction du Premier ministre était maintenue dans les textes. Il serait ainsi mis clairement fin à la dualité de l’exécutif et bien sûr à toute possibilité de cohabitation, dont les rivalités au sein de la majorité présidentielle actuelle ont fait oublier la foncière perversité. La réforme que je propose est celle d’un retour à l’équilibre des pouvoirs grâce à un véritable régime présidentiel, que j’appelle « à la française », parce que deux « soupapes de sécurité » permettraient d’éviter les risques de blocage dont l’Administration américaine s’accommode, mais dont je ne suis pas sûr que, dans un pays aussi « politique » que le nôtre , ils ne viendraient pas à se produire, si un désaccord de fond se manifestait entre le Président de la République et une majorité du Parlement. Ces deux « soupapes de sécurité » résulteraient du maintien dans les textes du droit de dissolution dans la main du Président et du droit de censure du gouvernement au bénéfice du Parlement, maintien assorti de la règle explicitement formulée du retour simultané devant le Peuple du Président et des députés, soit en cas de dissolution, soit en cas de renversement du Gouvernement. On peut imaginer que cette « dissuasion mutuelle assurée » exercerait un effet pacifiant sur les conflits, sauf en cas de crise nationale très grave, et favoriserait les compromis entre les deux Pouvoirs. En cas de crise grave, c’est le Peuple, c’est-à-dire le Souverain qui trancherait : quoi de plus démocratique ?
Le Parlement pourrait pleinement et librement exercer ses fonctions de législateur et de contrôle par voie de commissions d’enquêtes notamment. L’arsenal du parlementarisme rationalisé pourrait être supprimé (article 49-3 – fixation de l’ordre du jour par le gouvernement, etc.). Une dose de proportionnelle pourrait être introduite dans le mode de scrutin législatif avec des listes nationales inspirées du modèle allemand préservant cependant l’élection des députés dans des circonscriptions, condition de leur indépendance vis-à-vis des appareils partisans. Ainsi l’essentiel du texte de la Constitution de 1958 pourrait-il être maintenu avec quelques modifications, certes fondamentales, mais peu nombreuses. La simultanéité des élections présidentielle et législatives ne résulterait pas des textes mais le cas échéant de la pratique des institutions.
Tout en réaffirmant la prééminence du Président de la République dans l’exécutif, qu’il nommerait (ministres et Premier ministre) comme c’est aujourd’hui le cas dans la pratique, cette évolution permettrait de revaloriser le Parlement en le libérant des contraintes du parlementarisme rationalisé, devenues inutiles, mais, plus encore de la discipline majoritaire qui est la véritable cause de son abaissement. Et, bien entendu, le Président de la République conserverait ses prérogatives en matière de consultation du peuple français par référendum. Enfin, la stabilité de l’exécutif ne dépendant plus de l’existence à l’Assemblée nationale d’une majorité cohérente et durable, une dose de proportionnelle pourrait être instaurée sans dommage, alors que dans le régime actuel cela conduirait inéluctablement à l’instabilité et à l’affaiblissement du gouvernement. Ainsi serait-il mis fin à cette étrange alternance entre un régime essentiellement parlementaire miné par une cohabitation débilitante, lorsque majorité parlementaire et majorité présidentielle s’opposent, et un régime présidentialiste aux pouvoirs présidentiels hypertrophiés, lorsque ces deux majorités coïncident.
Certains, curieusement de plus en plus nombreux à gauche aujourd’hui, cherchent la fin de cette schizophrénie dans une « reparlementarisation » de la Ve République alors qu’ils savent très bien leur incapacité à supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel. Cette orientation tendant à rapprocher la Ve République de la IVe est dangereuse et illusoire : dangereuse car elle ne peut qu’entraîner l’instabilité du gouvernement et illusoire car elle ne peut que conduire, en retour, à une présidentialisation accrue du régime au détriment du Parlement et, en définitive, de la démocratie. Le retour au régime parlementaire est en effet fondamentalement incompatible avec l’élection du Président de la République au suffrage universel. Or, les Français tiennent à ce pouvoir de choisir directement, comme dans la plupart des grandes démocraties, le chef de l’exécutif.
Depuis que le général de Gaulle, en 1962, a fait décider par le peuple français l’élection du Président de la République au suffrage universel, cette élection est, en effet, devenue directrice. On ne reviendra pas là-dessus, car les Français y voient un élargissement de la citoyenneté, en ce qu’elle institue la responsabilité du chef de l’exécutif devant le peuple. La logique du quinquennat adopté en septembre 2002 est bien dans l’instauration d’un véritable régime présidentiel et d’une séparation des Pouvoirs incités à collaborer et non pas dans un retour au régime parlementaire qui, bien loin de remettre le Parlement au cœur de la démocratie, accélèrerait le déclin de celle-ci.
Est-il besoin d’ajouter que la réforme des institutions ne suffira pas à mettre un terme à la crise actuelle de la démocratie ?
IV – Le véritable objectif est de restaurer non pas seulement le rôle du Parlement mais l’autorité de la loi elle-même.
- « La loi doit être la même pour tous » et ne saurait être dénaturée « en expérimentations » diverses, sous prétexte de la prise en compte d’une introuvable « citoyenneté plurielle », « complexe », « multiculturelle », ni se dégrader en multiples dérogations, exceptions, droits et statuts particuliers. Elle ne peut être transformée en un « self-service » législatif, pourvoyeur de droits et non plus de devoirs, où chaque catégorie, minorité, corporation, exige désormais la reconnaissance de ses particularismes économiques, locaux, identitaires ou religieux.
- La loi doit être simple, lisible, intelligible, pérenne puisque « nul n’est censé l’ignorer ». Il faut notamment en revenir au texte et à l’esprit de l’article 34 de notre Constitution, qui réserve au domaine de la loi les règles essentielles et les principes fondamentaux des domaines qu’il énumère, le reste relevant du pouvoir réglementaire. A cette dignité et autorité de la loi, le Conseil constitutionnel aurait dû être plus attentif !
- Pour simplifier radicalement le corpus législatif, j’ai proposé en 2002 une profonde modification du système actuel de codification – lourd et lent – par la mise en place de commissions de réforme législative, essentiellement composées de parlementaires mais associant des experts reconnus, et coordonnées par l’Office parlementaire d’évaluation de la loi, aujourd’hui sous-utilisé. Ces commissions s’attelleraient à reconstruire des textes simples et clairs ; c’est une tâche immense, ne nous en cachons pas. Mais c’est aussi une mission essentielle. Ma proposition est plus actuelle que jamais.
- Cette prééminence de la loi est bien entendu incompatible avec cette idée qui, au-delà de la possibilité actuelle de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs avant promulgation d’une loi, voudrait ouvrir à toute personne, à tout moment, un recours en exception d’inconstitutionnalité contre toute disposition législative en vigueur. A l’évidence cela dessaisirait un peu plus encore le peuple souverain au profit d’une instance non élue et aggraverait l’instabilité et l’incertitude législatives.
- En revanche tout justifie après le rejet de la Constitution européenne, que, comme l’ont proposé d’éminents juristes, les directives européennes relevant du domaine de la loi au sens de l’article 34 de notre Constitution soient, comme les lois avant application, susceptibles d’être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Il est en effet paradoxal que les lois votées par le Parlement élu soient susceptibles d’être censurées, mais que des normes européennes élaborées dans l’opacité des services européens puissent impunément contredire nos principes constitutionnels.
- La restauration de l’autorité de la loi est le meilleur fondement du renforcement du rôle du parlement – et donc de la souveraineté du citoyen – puisque la fonction législative est la mission essentielle dudit Parlement.
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Conclusion.
L’instauration d’un « régime présidentiel à la française » est inséparable d’un combat visant à redonner un sens à la politique. Aucune leçon n’a été tirée par ceux qui nous dirigent du rejet de la Constitution européenne le 29 mai 2005. Il est clair que notre peuple, pas plus que les autres peuples européens, ne demande une Constitution. Ce sont les élites « mondialisées » qui portent le projet d’imposer à la souveraineté populaire un tel carcan foncièrement antidémocratique puisqu’il n’y a pas de « peuple européen ». Redonner un sens à la politique aujourd’hui c’est relier de manière indissociable le redressement de la construction européenne et la volonté de continuer la France républicaine.
L’Etat républicain doit être aujourd’hui relégitimé. Il ne peut l’être qu’à travers une profonde réforme (incluant le cas échéant des délégations de compétences, par exemple à « l’Eurogroupe » à la condition qu’elles soient précises, contrôlées démocratiquement et révocables). Mais c’est toujours le suffrage universel qui doit trancher en dernier ressort. C’est dans la souveraineté populaire (indissociable de la souveraineté nationale) que réside aujourd’hui comme hier la clé du renouveau de notre République.
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