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"Pour revenir dans l'Histoire, l'Europe doit transformer l'euro de monnaie unique en monnaie commune"


Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Xerfi Canal lundi 18 novembre 2013. Il répondait aux questions de Jean-Michel Quatrepoint.


Verbatim express :

  • On ne peut pas dire que la cause de la Première Guerre mondiale, c'est seulement la première mondialisation. C'est une analyse trop rapide.
  • Les deux mondialisations libérales, celle de la seconde moitié du XIXe siècle, et celle de la seconde moitié du XXe siècle, requièrent l'une et l'autre un patron. Dans le premier cas, ce fut l'Empire britannique, dans le second, ce sont les États-Unis.
  • Avec chaque mondialisation libérale, on observe une modification de la hiérarchie des puissances. La montée en puissance de l'Allemagne impériale avant 1914 inquiète l'Empire britannique, ce qui provoque le rapprochement avec la France. De la même manière, il faut noter aujourd'hui la réémergence de la Chine.
  • Avant 1914, il y avait déjà eu un décrochage industriel de la France par rapport à l'Allemagne.
  • Dans le pangermanisme, il y a deux rêves qui coexistent : un empire colonial en Afrique ; une Allemagne agrandie à l'est au détriment des Slaves, permettant l'érection d'un grand empire colonial allemand en Europe même.
  • La Première Guerre mondiale n'est pas un accident qu'un coup de volant aurait permis d'éviter. Les élites allemandes (à distinguer du peuple allemand, qui ne voulait pas la guerre) décident de déclencher une guerre préventive en Europe, pour desserrer ce qui était perçu comme un étau franco-russe à l'ouest et à l'est de l'Allemagne. En envahissant la Belgique, pour essayer de mettre hors-jeu rapidement la France, l'Allemagne entraîne l'intervention de la Grande-Bretagne, qui garantissait la neutralité du pays.
  • L'Allemagne aurait pu gagner la paix sans faire la guerre, par la seule puissance montante de son économie et son industrie d'alors.

  • Aujourd'hui l'Allemagne est le numéro 1 économique en Europe, mais elle est loin d'être le numéro 1 politique. Elle a fait l'impasse sur le risque russe – à mon avis tout à fait à juste titre. Elle n'a pas de politique de domination militaire, ni vraiment politique.
  • L'Allemagne est prise dans une contradiction : elle essaye de sauvegarder sa compétitivité à l'échelle mondiale, elle exporte aux ¾ sur les pays hors UE, tout en imposant des disciplines à la zone euro qui lui permettrait de ne pas avoir à venir au secours des États en difficulté. Or l'Allemagne est en Europe : ce pays peut-il devenir en quelque sorte un pays offshore ?
  • On va se servir des commémorations de la Première Guerre mondiale pour diaboliser les nations. Or c'est un calcul d'état-major qui en est à l'origine, et puis plus profondément, la modification de l'équilibre des puissances que j'évoquais tout à l'heure, dans le cadre de la première mondialisation.
  • Les deux guerres mondiales ne suffisent pas à expliquer le déclin de l'Europe. Ce qui l'explique c'est l'organisation dont elle s'est dotée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c'est à dire une Europe-marché, une Europe économiciste, dominée par la tutelle politique et militaire des États-Unis.
  • Dans les faits l'Europe est sortie de l'histoire. Dans mon livre je montre comment elle pourrait s'y réintroduire, en modifiant complètement son organisation monétaire, en transformant l'euro de monnaie unique en monnaie commune, en s'adaptant à un XXIe siècle marquait par la bipolarité naissance entre les États-Unis et la Chine.
  • Une grande Europe, de la Méditerranée à la Russie, pourrait exister par elle-même, bâtie sur le schéma d'une Europe des nations, à géométrie variable.
  • Désormais l'Allemagne joue mondial. L'Europe est devenue un poids pour elle. Voudrait-elle aider les pays du Sud qu'elle ne le pourrait pas : il faudrait qu'elle verse chaque année 10 à 12% de son PIB ! Elle aura donc un jour intérêt à négocier sur l'euro.
  • Les grands hommes d'Etats, qui sont capables de devancer l'histoire, sont quand même extrêmement rares. C'est souvent sous la pression des nécessités qu'on voit les hommes politiques évoluer.
  • On peut reculer les échéances encore d'un an ou deux. Mais le vice initial de la monnaie unique, le fait de juxtaposer des économies nationales très différentes, très hétérogènes, ne sera pas résorbé. Alors les dirigeants allemands seront peut-être appelés à penser une concertation avec la France sur la manière dont on pourra sortir d'un système monétaire mal pensé.
  • Passons à une monnaie commune, c'est-à-dire : un toit européen, la monnaie commune utilisable dans les relations internationales, qui sera peut-être utilisée dans les réserves des banques centrales, qui donnerait lieu à des émissions d'emprunts, des prêts, des plans de relance. On pourrait même avoir une circulation en parallèle des monnaies nationales, qui fluctueraient dans d'étroites bandes à l'intérieur d'un SME bis. Tout cela permettrait des ajustements en fonction de ce qu'a été la perte de compétitivité des différents pays. Nous aurions une Europe qui retrouverait la croissance avec une monnaie commune en moyenne 20% moins chère que l'euro actuel.
  • Une nation ne résulte pas de mécanismes monétaires. L'euro ne peut pas accoucher d'une nation européenne qui n'existe pas.
  • Le grand défaut de l'Europe, c'est d'avoir voulu la construire en substitution des nations, au lieu de le faire dans leur prolongement.


    Source : Xerfi Canal

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le Mardi 19 Novembre 2013 à 08:50 | Lu 2272 fois


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