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"Pour être fier d'être français, il faudrait déjà avoir de la mémoire"


Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé à Marianne, vendredi 17 avril 2015. Propos reccueillis par Alexis Lacroix.


"Pour être fier d'être français, il faudrait déjà avoir de la mémoire"
Marianne : La France ne mérite t-elle pas d'être aimée, car elle est le lieu par excellence où se déploie l'idée républicaine ?
Jean-Pierre Chevènement :
Aujourd'hui, il est banal de se dire républicain, mais la cohérence même du concept échappe à la plupart. « La République est un grand acte de confiance », disait Jaurès. Or, aujourd'hui, les citoyens n'ont plus confiance dans l'intégrité des responsables politiques, et les responsables politiques ont perdu leur confiance dans le civisme des citoyens. J'ai été beaucoup attaqué pour avoir souligné qu'en matière de politique économique européenne la droite et la gauche conduisaient des politiques également désastreuses. Bien entendu, des différences existent entre ces deux familles politiques, mais les dirigeants qui sont issus de l'une comme de l'autre acceptent identiquement le corset européen qui limite leur marge d'action, y compris en dehors de l'économie. Un exemple lourd de sens : en Ukraine, les Européens, sous l'influence d'une partie des responsables américains, de Joe Biden à la CIA, se laissent entraîner à un affrontement qui eût été et serait encore parfaitement évitable avec la Russie. Ils conditionnent la levée des sanctions à l'application stricte des accords de Minsk dont la partie ukrainienne refuse de mettre en œuvre le volet politique (élections locales, révision constitutionnelle en vue de décentraliser le pays). On nous a dit : « L'Europe, c'est la paix ! » Ne serait-ce pas la guerre froide, et même parfois la guerre chaude, avec cette volonté purement idéologique d'exporter ses normes pour, ultérieurement, frayer la voie à l'Otan ? Pour remonter le courant, la France et l'Allemagne ont inventé le « format Normandie », mais celui-ci ne nous affranchit pas des décisions prises à 28. Or, l'européisme conduit à l'inféodation, c'est-à-dire à l'effacement de la France.

Est-ce vraiment l'Europe qui a découragé les Français d'aimer la France ? N'est-ce pas plutôt le fait que l'identité française soit devenue une « identité malheureuse » ?
Je rejoins cette analyse, car, pour être fier d'être français, il faudrait déjà avoir de la mémoire. Et connaître notre histoire. Savoir nous mouvoir dans la longue durée est une aptitude que nous avons perdue. Il faut dire que les technologies, notamment numériques, concourent à l'hyperindividualisme libéral, au court-termisme et à la dictature de l'émotion, bref à un « évidement » de la démocratie, comme l'a bien montré Marcel Gauchet. En fait, deux phénomènes se conjuguent : l'européisme, dans sa fonction anesthésiante, est la conséquence de l'effondrement de la France – un effondrement qui, avant d'être civilisationnel, est politique. Après la Première Guerre mondiale, la France n'a plus trouvé dans la Russie un allié de revers ; les États-Unis, retournant à l'isolationnisme, ont refusé d'honorer la garantie donnée par Wilson à Clemenceau ; et l'Allemagne, restée en vertu du principe d'autodétermination contenu dans les 14 points de Wilson, la puissance principale en Europe, a choisi, avec Hitler, de surenchérir sur sa défaite de 1918. La manifestation du 11 janvier a montré que l'idée républicaine s'est diffusée très largement dans le corps social. Deux cent vingt-six ans après la Révolution de 1789, tout ce qui a contribué à l'isolement et à l'effacement progressifs de notre pays sur la scène européenne n'a pas porté atteinte aux « ressorts » essentiels de notre nation.

Justement, sortons-nous d'une longue séquence d'autodépréciation ?
Cela me paraît vraisemblable, mais la bataille n'est pas gagnée : les tenants du french bashing ne désarment pas. Le 11 janvier, avec les 47 chefs d'Etat et de gouvernement étrangers venus témoigner leur solidarité au peuple français, a constitué un sursaut magnifique, empreint de dignité, confirmant l'attachement des Français à la liberté ainsi que la permanence du rayonnement de notre pays. Le défi que nous jette le terrorisme djihadiste est une menace de longue durée. Il faut armer la République pour en triompher. Les valeurs qu'elle représente doivent être traduites en actes. Rien ne sera possible tant qu'on ne rebattra pas les cartes de la construction européenne. Le cadenassage européen par des textes néolibéraux à valeur quasi constitutionnelle (Acte unique, Maastricht, Lisbonne) nous prive de notre liberté d'action. L'européisme, en renvoyant la France a un passé dépassé, sape l'estime de nous-mêmes sans laquelle notre peuple, pas plus que tout autre, ne pourrait continuer son histoire. Contre cette tendance à l'amnésie généralisée, contre toutes les doctrines de la désappartenance et de la table rase, nous devons renouer avec la longue durée de notre histoire et travailler à sa transmission active. La redécouverte du politique, si elle a lieu, sera la résultante des chocs inévitables qui nous attendent. Avant 1940, Aragon « conchi[ait] l'armée française », mais après le traumatisme de l'occupation nazie, il célébrait « [s]a France »'. Tout n'est donc peut-être pas perdu si nous savons bâtir une alternative républicaine pour en finir avec le néolibéralisme.

Source : Marianne.


le Lundi 20 Avril 2015 à 15:13 | Lu 5019 fois



1.Posté par Cincinnatus le 20/04/2015 15:36
Il est grand temps, en effet, cher Jean-Pierre Chevènement, de renouer avec la tradition républicaine de la France. Les beaux mots de nation, État, République, laïcité, historiquement de gauche, ont été abandonnés au FN qui les a vidés de leur sens. Républicains, nous devons nous les réapproprier. Et reconstruire un récit national exigent et généreux (cf. https://cincivox.wordpress.com/2015/03/23/la-nation-balkanisee/ ).

Cincinnatus
https://cincivox.wordpress.com/

2.Posté par Jp JP le 20/04/2015 18:03
D’accord, mais quel est la position de la France à l’égard du TTIP-European (Transatlantic Trade and Investissment Partnership) dont la phase finale de négociation est en cours ?
http://fr.sputniknews.com/international/20150417/1015718826.html
La mondialisation tue la planète et les gens qui vivent dessus : il faut stopper le déplacement fou des marchandises et des hommes. Cette marche forcée uniquement commandée par la folie ravageuse de la financiarisation de toute activité humaine détruit la vie et son environnement. Le "développement durable" n'existe pas !... cette expression est trompeuse : ça permet seulement aux financiers et aux politiciens...de durer !!! Sur tous ces sujets les dieux élyséens ne donnent pas beaucoup la voix….si bien que le peuple ne sait plus s’il est français ou simple « client/fournisseur » mondialisé …qui n’a qu’à bien se tenir pour produire…. des dividendes !!! (il ne lui est rien demandé de plus !).

3.Posté par André Desvallées le 20/04/2015 18:53
Tout cela est vrai ! Jean-Pierre Chevènement le répète à l'envi depuis depuis plus de trois décennies - sauf que ses cris d'alarme sont étouffés et que personne ne fait écho à ses sages conseils.

4.Posté par Olivier D'AREXY le 21/04/2015 12:04
L'Union européenne se révèle incapable d'éviter le naufrage de milliers de migrants, de laisser croitre le chômage ( 25 millions dans l'UE) la pauvreté..les inégalités à l'intérieur de l'UE comme à l'extérieur. Bien sûr , il ne serait pas juste de l'accabler de tous les maux.Mais qui peut comprendre que l'UE décide d'engager la France dans la voie du TTIP ( cf commentaire JpJP ci-dessus) et dans la voie d'un front occidental qui a montré ses dangereuses limites lors de la crise ukrainienne.
La France peut être l'inspiratrice d'une politique européenne juste. Ce fut encore le cas lors de l'accord de Normandie( juin 2014) que JP Chevènement rappelait tout récemment ( Le rôle des instruments militaires et politiques dans la sauvegarde de la sécurité régionale et globale 16 avril 2015). Encore faut-il ne pas se renier comme nation dans une Europe aux contours étriqués, mais bien au contraire vouloir être ce que l'on est pour construire une Europe de paix.,

5.Posté par France RÉPUBLIQUE le 14/05/2015 20:39
IL convient désormais de cesser d'être péteux avec nos valeurs et de les affirmer sans faiblesse : qui n'aime pas la France et le proclame a le droit, et surtout le devoir (moral) de la quitter...si la France est fascistoide comme aiment à le suggérer les élites mondialisées, les sportifs millionnaires défiscalisés reconvertis dans la chansonnette, les amuseurs institutionnels, les Médiocrates méprisants à longueur de Petit Journal le populo, la masse des "Mutins de Panurge" (comme disait le regretté Philippe Muray), ainsi que les extrêmes qui ont toujours trahi la France (le bien nommé PDG du Mitterrandolâtre Merluchon, le Front Anti-National de la dynastie Le Pen,etc...), eh bien, qu'ils la quittent !

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