Monsieur le Ministre des Affaires étrangères nous déclarait, le 22 mars dernier : « Nous ne voulons pas nous engager dans une action de longue durée. L’opération aérienne sera limitée dans le temps ». L’opinion publique a d’abord approuvé cette action destinée à protéger des populations agressées par les armes de leurs propres dirigeants. Il ne s’agissait pas d’ingérence humanitaire. Non ! L’ingérence, c’est-à-dire l’action unilatérale déclenchée par un groupe de pays, à sa ou à leur discrétion, en fonction de valeurs qu’il affiche, qui lui sont propres ou prétendues universelles, est bannie expressément, rejetée par les Nations Unies dans une succession de textes que la France a régulièrement votés. Je précise que le talentueux ministre français qui s’est en son temps proclamé le champion de ce qu’il appelait le « droit » ou le « devoir d’ingérence » a, par deux fois, dans un bref communiqué commun signé avec la Chine au printemps 2009, réaffirmé le respect par notre pays du principe de « non-ingérence ».
Ce qui s’est passé en mars 2011, c’est la mise en œuvre d’un principe consacré par les Nations unies, par le droit international, celui de la « Responsabilité de protéger ». L’idée n’est heureusement ni révolutionnaire ni absolument nouvelle. Rappelons-nous le rôle de la FORPRONU, Force de protection des Nations Unies en Yougoslavie dans les années 1990.
Mais le principe de la « responsabilité de protéger », tel que consacré par l’assemblée générale des Nations unies en septembre 2005, lors de son sommet du 65ème anniversaire, est plus précis, codifié. Lorsque des menaces particulièrement graves existent, venant d’un gouvernement : crime de guerre, crime contre l’humanité, épuration ethnique, génocide, tout doit être fait par des moyens pacifiques pour convaincre les autorités coupables, de renoncer, mais en cas d’échec, le recours à la force est permis, non pas à la suite d’un choix unilatéral d’un pays quelconque, mais par une décision collective, unanime ou à la majorité du Conseil de sécurité. Il faut donc l’accord de celui-ci, contrairement à ce qui s’est passé lors de l’action de l’OTAN contre le Kosovo en 1999.
Ce qui s’est passé en mars 2011, c’est la mise en œuvre d’un principe consacré par les Nations unies, par le droit international, celui de la « Responsabilité de protéger ». L’idée n’est heureusement ni révolutionnaire ni absolument nouvelle. Rappelons-nous le rôle de la FORPRONU, Force de protection des Nations Unies en Yougoslavie dans les années 1990.
Mais le principe de la « responsabilité de protéger », tel que consacré par l’assemblée générale des Nations unies en septembre 2005, lors de son sommet du 65ème anniversaire, est plus précis, codifié. Lorsque des menaces particulièrement graves existent, venant d’un gouvernement : crime de guerre, crime contre l’humanité, épuration ethnique, génocide, tout doit être fait par des moyens pacifiques pour convaincre les autorités coupables, de renoncer, mais en cas d’échec, le recours à la force est permis, non pas à la suite d’un choix unilatéral d’un pays quelconque, mais par une décision collective, unanime ou à la majorité du Conseil de sécurité. Il faut donc l’accord de celui-ci, contrairement à ce qui s’est passé lors de l’action de l’OTAN contre le Kosovo en 1999.
C’est cette voie, difficile à engager mais légale, celle du recours au Conseil de Sécurité – qui a été officiellement suivie par la diplomatie française au printemps de cette année et qui a abouti à la résolution 1973, votée par dix pays avec cinq abstentions : Russie, Chine, Brésil, Inde, Allemagne.
Le but, on l’a dit, c’est la protection de la population. Ce n’est pas le changement de régime. L’expérience a prouvé qu’il était possible de faire reculer des gouvernements, ainsi en 1995 Milosevic, sans provoquer, dans l’immédiat, leur élimination.
Quatre mois bientôt se sont écoulés et se vérifie l’adage que je vous rappelais le 22 mars : « On sait comment on commence une guerre. On sait rarement comment on la termine ».
Le courage et le professionnalisme de nos soldats méritent pleinement d’être salués. Mais être solidaire de nos soldats n’implique pas la solidarité du Parlement avec le gouvernement auquel les militaires obéissent par nécessité. Les parlementaires, pour ce qui les concerne, n’ont de comptes à rendre qu’au peuple français. Or, vous avez fait évoluer les buts de guerre : Monsieur le Premier ministre avait déclaré, le 22 mars 2011 : « Nous appliquons toute la résolution 1973, rien que la résolution 1973 ». Mais en fait, on est passé de la responsabilité de protéger à l’objectif d’un changement de régime. M. Alain Juppé déclarait le même jour : « Il est possible à tout moment au régime de Kadhafi d’arrêter l’intervention militaire organisée sous mandat des Nations Unies : il lui suffit d’accepter la résolution 1973, c’est-à-dire de respecter un cessez-le-feu, de retirer ses troupes des positions qu’elles occupent et de laisser les Libyens s’exprimer librement. Dans la minute où le régime de Kadhafi respectera les obligations résultant de la résolution 1973, les opérations militaires cesseront. »
Plusieurs semaines après le déclenchement des opérations, quelle est la situation ?
Des populations ont été effectivement protégées, et chacun s’en réjouit. Mais les combats se poursuivent. Malgré toutes les précautions prises, les opérations de bombardement menées par l’OTAN, en dépit de nos réserves initiales, entraînent inéluctablement des pertes civiles. Ce résultat est évidemment contraire au principe rappelé dans son préambule (paragraphe 3) par la résolution 1973 selon laquelle « il incombe au premier chef aux parties à tout conflit armé de prendre toutes les mesures nécessaires, voulues pour assurer la protection des civils. » « Aux parties à tout conflit armé » : cette expression désigne tous les intervenants, qu’ils soient Libyens ou forces de l’OTAN.
En exigeant le départ de Kadhafi que vous receviez à Paris, il y a trois ans, en le faisant inculper par le CPI, en parachutant des armes aux rebelles, vous avez changé la nature de l’intervention. Nous sommes passés de la « responsabilité de protéger » les civils à l’ingérence, si tant est que les mots aient un sens.
Le but d’un changement de régime n’est pas dans la résolution 1973. Mais il s’inscrit, depuis le début du printemps arabe, dans l’air du temps, tel que le comprennent beaucoup de dirigeants occidentaux. Force est, cependant, de rappeler que l’évolution vers la démocratie ne peut se faire de la même manière dans tous les pays : la révolution démocratique – le renversement des gouvernements par le peuple (ou du moins une fraction militante de celui-ci) peut survenir dans de vieux pays suffisamment homogènes, proches de nos États-nations européens, tels la Tunisie ou l’Egypte.
La révolution démocratique s’opère – on le voit malheureusement – beaucoup plus difficilement là où les divisions d’opinion se superposent à des fractures tribales ou confessionnelles : Yémen, Bahreïn, Syrie, Liban, Libye. En chacun de ces pays, la guerre civile menace. Et l’action militaire extérieure ne peut qu’exacerber certaines tensions ou aller par les victimes qu’elle occasionne à l’encontre du but poursuivi qui est de protéger tous les civils sans exception.
La France est membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Elle y dispose d’une influence importante. Le droit est le droit.
On peut bien sûr interpréter à loisir la résolution 1973 dont les termes sont sans doute trop généraux. Mais est-ce l’intérêt de la France ? La souveraineté nationale a été une conquête de la Révolution de 1789. Elle reste la base de l’ordre international. Ce n’est pas par hasard que l’ONU s’appelle « Organisation des Nations Unies ». La Libye est un Etat fragile qui réunit trois régions très différentes : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan, aux prégnances tribales encore fortes. Toute guerre est déstabilisatrice, à plus forte raison si elle se prolonge. La dissémination des armes notamment dans le Sahel ne peut que favoriser les activités terroristes. On a découvert des missiles Sam 7, au Niger. L’afflux des réfugiés, le retour des migrants installés en Libye fragilisent les Etats voisins. 470 000 réfugiés s’entassent à la frontière tuniso-libyenne. A proportion des populations, c’est comme si la France devait accueillir 3 millions de réfugiés sur son sol. Qu’a fait la France face à ce drame humain ? Elle a proposé de revoir les accords de Schengen. Plus de 1000 réfugiés au moins ont péri noyés au large de l’île de Lampedusa dans l’indifférence générale. On attend de la France une attitude moins myope et surtout plus généreuse. Partout le désordre et l’anomie menacent. Ils ne sont dans l’intérêt de personne et particulièrement pas du nôtre.
Nous devons donc faire respecter partout la souveraineté des nations, sous réserve de cette notion de « responsabilité de protéger » qu’une interprétation extensive de la résolution 1973 ne peut qu’affaiblir. Quand donc le Conseil de Sécurité désormais acceptera-t-il d’y recourir, sans qu’un de ses membres permanents y fasse obstacle par l’usage de son droit de veto ? La France doit rester le soldat du droit !
Il était nécessaire de donner un coup d’arrêt devant Benghazi et d’aider à dégager Misrata, mais ne faudrait-il pas alors favoriser les négociations entre les deux parties plutôt que de nourrir une guerre civile par des parachutages d’armes par exemple ? En réalité, vous vous êtes donné un objectif – le changement de régime dont la résolution 1973 qui proscrit l’utilisation des forces au sol, ne vous donnait pas les moyens militaires, car l’arme aérienne ne peut pas tout.
On peut le regretter, mais tout montre que vous avez surestimé la capacité d’influence du CNT de Benghazi et sous-estimé la capacité de résistance du régime du colonel Kadhafi. Certes, celui-ci n’est pas sympathique, mais le régime syrien l’est-il tellement davantage ? D’ores et déjà vous faites apparaître un droit international à plusieurs vitesses : n’y aurait-il pas intérêt à protéger aussi d’autres populations ? Et voilà que s’ouvrirait un engrenage sans fin … Bien entendu, vous n’interviendrez pas ailleurs. Non seulement parce que nous sommes, comme l’a dit M. le Ministre de la Défense, « au taquet de nos engagements », mais parce que le CSNU ne l’autorisera pas et parce que l’opinion publique française réprouve à juste titre la notion d’ingérence qu’au demeurant la France n’a jamais acceptée aux Nations Unies. Enfin, les Etats-Unis n’ont nulle envie d’ouvrir de nouveaux fronts. Le Président Obama n’a jamais envisagé qu’un soutien limité et la Chambre des représentants, où les Républicains sont majoritaires, vient de demander la fin de tout engagement américain en Libye même.
J’avais relevé, le 22 mars, un « léger parfum d’aventurisme » dans votre politique après l’intervention d’un pseudo philosophe, théoricien de longue date du droit d’ingérence, intervention qui a semble-t-il pesé dans les choix du Président de la République. Mais peut-être la décision d’intervenir en Libye servait-elle aussi de rattrapage pour faire oublier un certain « retard à l’allumage » en Tunisie …
Il est temps maintenant de trouver une solution politique, éventuellement fédérale, sous réserve que soient préservées autant que possible l’intégrité et l’unité du pays. C’est aux Libyens d’en décider. Chaque peuple doit trouver son propre chemin vers la démocratie. Les responsables du CNT seront reçus demain par le Conseil de l’OTAN. Il faudrait les convaincre que l’OTAN ne peut se substituer au peuple libyen.
Bien évidemment, le départ du colonel Kadhafi serait bienvenu, pourvu, bien sûr, que ne succède pas aussitôt un régime de vengeance, d’exactions, ou d’instabilité, comme la situation au Kosovo n’est pas loin d’en offrir le triste exemple. Mais le « groupe de contact » devrait œuvrer en vue d’un redoublement des efforts diplomatiques, en vue d’une voie négociée.
L’affaire du Kosovo ne s’est pas conclue – je le rappelle – par la victoire écrasante des forces de l’OTAN et par la reddition des Serbes. La Russie qui n’était pas partie au conflit, qui avait condamné l’intervention militaire, s’est entremise et a facilité un accord qui, de part et d’autre, préservait l’avenir.
Dans le cas de la Libye, les membres de la Ligue arabe, malgré l’appui donné au départ au principe de la création d’une zone d’exclusion aérienne, manifestent aujourd’hui un soutien plus hésitant à l’action militaire. La Tunisie, l’Egypte sont frappées de plein fouet par l’exode des réfugiés. Des médiations sont entreprises du côté de la Ligue arabe. Le Premier ministre tunisien a reçu des émissaires des deux camps. L’Union africaine, depuis le départ, s’est montrée encore plus ouvertement favorable à la négociation. Un envoyé spécial a d’ailleurs été nommé par le secrétaire général, M. Abdel-Elah Mohamed Al-Khatib pour, je cite, « apporter une solution durable et pacifique à la crise en Libye ». Il semble même que des contacts aient été pris entre le CNT de Benghazi et le régime de Tripoli que l’Union européenne et le gouvernement français ne devraient pas chercher à dissuader.
Quels sont les développements et les possibles conclusions des contacts qui ont été pris ? Pouvons-nous en tout cas ignorer ces efforts et nous en tenir à la seule option militaire ? Pouvons-nous au contraire, les encourager ?
Soyons logiques avec nous-mêmes. Nous ne cessons de prôner l’accès au statut de membre permanent du Conseil de sécurité de plusieurs pays dont nous soulignons la maturité, la puissance, l’esprit de responsabilité, etc. : le Brésil, l’Inde, l’Allemagne. Or, que s’est-il passé lors du vote de la résolution 1973 : la Chine, la Russie mais aussi l’Inde, l’Allemagne et le Brésil se sont abstenus. Ne devons-nous pas, pour une fois mettre nos actes en accord avec nos déclarations et nous interroger sur les raisons de la décision de ces pays ? Mieux, montrer que nous attachons vraiment du prix à leur attitude en ouvrant sur ce sujet une discussion avec eux. Que proposent-ils pour la Libye ? Font-ils quelque chose pour convaincre le gouvernement libyen de changer, ou de s’effacer pacifiquement ? Pouvons-nous les assister ? Ou devons-nous tirer la conclusion qu’ils ne se soucient pas vraiment de ce principe, pourtant universellement acclamé, de la « responsabilité de protéger ».
Il est temps, Messieurs les ministres, de conclure cette opération. Pour ce qui me concerne, je ne puis l’approuver car nous avons franchi les bornes de « la responsabilité de protéger ». Nous sommes dans l’ingérence, même si on peut ratiociner à l’infini sur l’interprétation de la résolution 1973.
Mais je ne veux pas émettre un vote qui pourrait être interprété comme un désaveu de ceux qui luttent pour la démocratie dans le monde arabe et pour la liberté de leurs peuples. J’exprimerai mes très fortes réserves par un vote d’abstention qui se veut aussi un appel au gouvernement pour qu’il trouve désormais rapidement à ce conflit une solution politique, conforme à l’intérêt de la France.
Le but, on l’a dit, c’est la protection de la population. Ce n’est pas le changement de régime. L’expérience a prouvé qu’il était possible de faire reculer des gouvernements, ainsi en 1995 Milosevic, sans provoquer, dans l’immédiat, leur élimination.
Quatre mois bientôt se sont écoulés et se vérifie l’adage que je vous rappelais le 22 mars : « On sait comment on commence une guerre. On sait rarement comment on la termine ».
Le courage et le professionnalisme de nos soldats méritent pleinement d’être salués. Mais être solidaire de nos soldats n’implique pas la solidarité du Parlement avec le gouvernement auquel les militaires obéissent par nécessité. Les parlementaires, pour ce qui les concerne, n’ont de comptes à rendre qu’au peuple français. Or, vous avez fait évoluer les buts de guerre : Monsieur le Premier ministre avait déclaré, le 22 mars 2011 : « Nous appliquons toute la résolution 1973, rien que la résolution 1973 ». Mais en fait, on est passé de la responsabilité de protéger à l’objectif d’un changement de régime. M. Alain Juppé déclarait le même jour : « Il est possible à tout moment au régime de Kadhafi d’arrêter l’intervention militaire organisée sous mandat des Nations Unies : il lui suffit d’accepter la résolution 1973, c’est-à-dire de respecter un cessez-le-feu, de retirer ses troupes des positions qu’elles occupent et de laisser les Libyens s’exprimer librement. Dans la minute où le régime de Kadhafi respectera les obligations résultant de la résolution 1973, les opérations militaires cesseront. »
Plusieurs semaines après le déclenchement des opérations, quelle est la situation ?
Des populations ont été effectivement protégées, et chacun s’en réjouit. Mais les combats se poursuivent. Malgré toutes les précautions prises, les opérations de bombardement menées par l’OTAN, en dépit de nos réserves initiales, entraînent inéluctablement des pertes civiles. Ce résultat est évidemment contraire au principe rappelé dans son préambule (paragraphe 3) par la résolution 1973 selon laquelle « il incombe au premier chef aux parties à tout conflit armé de prendre toutes les mesures nécessaires, voulues pour assurer la protection des civils. » « Aux parties à tout conflit armé » : cette expression désigne tous les intervenants, qu’ils soient Libyens ou forces de l’OTAN.
En exigeant le départ de Kadhafi que vous receviez à Paris, il y a trois ans, en le faisant inculper par le CPI, en parachutant des armes aux rebelles, vous avez changé la nature de l’intervention. Nous sommes passés de la « responsabilité de protéger » les civils à l’ingérence, si tant est que les mots aient un sens.
Le but d’un changement de régime n’est pas dans la résolution 1973. Mais il s’inscrit, depuis le début du printemps arabe, dans l’air du temps, tel que le comprennent beaucoup de dirigeants occidentaux. Force est, cependant, de rappeler que l’évolution vers la démocratie ne peut se faire de la même manière dans tous les pays : la révolution démocratique – le renversement des gouvernements par le peuple (ou du moins une fraction militante de celui-ci) peut survenir dans de vieux pays suffisamment homogènes, proches de nos États-nations européens, tels la Tunisie ou l’Egypte.
La révolution démocratique s’opère – on le voit malheureusement – beaucoup plus difficilement là où les divisions d’opinion se superposent à des fractures tribales ou confessionnelles : Yémen, Bahreïn, Syrie, Liban, Libye. En chacun de ces pays, la guerre civile menace. Et l’action militaire extérieure ne peut qu’exacerber certaines tensions ou aller par les victimes qu’elle occasionne à l’encontre du but poursuivi qui est de protéger tous les civils sans exception.
La France est membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Elle y dispose d’une influence importante. Le droit est le droit.
On peut bien sûr interpréter à loisir la résolution 1973 dont les termes sont sans doute trop généraux. Mais est-ce l’intérêt de la France ? La souveraineté nationale a été une conquête de la Révolution de 1789. Elle reste la base de l’ordre international. Ce n’est pas par hasard que l’ONU s’appelle « Organisation des Nations Unies ». La Libye est un Etat fragile qui réunit trois régions très différentes : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan, aux prégnances tribales encore fortes. Toute guerre est déstabilisatrice, à plus forte raison si elle se prolonge. La dissémination des armes notamment dans le Sahel ne peut que favoriser les activités terroristes. On a découvert des missiles Sam 7, au Niger. L’afflux des réfugiés, le retour des migrants installés en Libye fragilisent les Etats voisins. 470 000 réfugiés s’entassent à la frontière tuniso-libyenne. A proportion des populations, c’est comme si la France devait accueillir 3 millions de réfugiés sur son sol. Qu’a fait la France face à ce drame humain ? Elle a proposé de revoir les accords de Schengen. Plus de 1000 réfugiés au moins ont péri noyés au large de l’île de Lampedusa dans l’indifférence générale. On attend de la France une attitude moins myope et surtout plus généreuse. Partout le désordre et l’anomie menacent. Ils ne sont dans l’intérêt de personne et particulièrement pas du nôtre.
Nous devons donc faire respecter partout la souveraineté des nations, sous réserve de cette notion de « responsabilité de protéger » qu’une interprétation extensive de la résolution 1973 ne peut qu’affaiblir. Quand donc le Conseil de Sécurité désormais acceptera-t-il d’y recourir, sans qu’un de ses membres permanents y fasse obstacle par l’usage de son droit de veto ? La France doit rester le soldat du droit !
Il était nécessaire de donner un coup d’arrêt devant Benghazi et d’aider à dégager Misrata, mais ne faudrait-il pas alors favoriser les négociations entre les deux parties plutôt que de nourrir une guerre civile par des parachutages d’armes par exemple ? En réalité, vous vous êtes donné un objectif – le changement de régime dont la résolution 1973 qui proscrit l’utilisation des forces au sol, ne vous donnait pas les moyens militaires, car l’arme aérienne ne peut pas tout.
On peut le regretter, mais tout montre que vous avez surestimé la capacité d’influence du CNT de Benghazi et sous-estimé la capacité de résistance du régime du colonel Kadhafi. Certes, celui-ci n’est pas sympathique, mais le régime syrien l’est-il tellement davantage ? D’ores et déjà vous faites apparaître un droit international à plusieurs vitesses : n’y aurait-il pas intérêt à protéger aussi d’autres populations ? Et voilà que s’ouvrirait un engrenage sans fin … Bien entendu, vous n’interviendrez pas ailleurs. Non seulement parce que nous sommes, comme l’a dit M. le Ministre de la Défense, « au taquet de nos engagements », mais parce que le CSNU ne l’autorisera pas et parce que l’opinion publique française réprouve à juste titre la notion d’ingérence qu’au demeurant la France n’a jamais acceptée aux Nations Unies. Enfin, les Etats-Unis n’ont nulle envie d’ouvrir de nouveaux fronts. Le Président Obama n’a jamais envisagé qu’un soutien limité et la Chambre des représentants, où les Républicains sont majoritaires, vient de demander la fin de tout engagement américain en Libye même.
J’avais relevé, le 22 mars, un « léger parfum d’aventurisme » dans votre politique après l’intervention d’un pseudo philosophe, théoricien de longue date du droit d’ingérence, intervention qui a semble-t-il pesé dans les choix du Président de la République. Mais peut-être la décision d’intervenir en Libye servait-elle aussi de rattrapage pour faire oublier un certain « retard à l’allumage » en Tunisie …
Il est temps maintenant de trouver une solution politique, éventuellement fédérale, sous réserve que soient préservées autant que possible l’intégrité et l’unité du pays. C’est aux Libyens d’en décider. Chaque peuple doit trouver son propre chemin vers la démocratie. Les responsables du CNT seront reçus demain par le Conseil de l’OTAN. Il faudrait les convaincre que l’OTAN ne peut se substituer au peuple libyen.
Bien évidemment, le départ du colonel Kadhafi serait bienvenu, pourvu, bien sûr, que ne succède pas aussitôt un régime de vengeance, d’exactions, ou d’instabilité, comme la situation au Kosovo n’est pas loin d’en offrir le triste exemple. Mais le « groupe de contact » devrait œuvrer en vue d’un redoublement des efforts diplomatiques, en vue d’une voie négociée.
L’affaire du Kosovo ne s’est pas conclue – je le rappelle – par la victoire écrasante des forces de l’OTAN et par la reddition des Serbes. La Russie qui n’était pas partie au conflit, qui avait condamné l’intervention militaire, s’est entremise et a facilité un accord qui, de part et d’autre, préservait l’avenir.
Dans le cas de la Libye, les membres de la Ligue arabe, malgré l’appui donné au départ au principe de la création d’une zone d’exclusion aérienne, manifestent aujourd’hui un soutien plus hésitant à l’action militaire. La Tunisie, l’Egypte sont frappées de plein fouet par l’exode des réfugiés. Des médiations sont entreprises du côté de la Ligue arabe. Le Premier ministre tunisien a reçu des émissaires des deux camps. L’Union africaine, depuis le départ, s’est montrée encore plus ouvertement favorable à la négociation. Un envoyé spécial a d’ailleurs été nommé par le secrétaire général, M. Abdel-Elah Mohamed Al-Khatib pour, je cite, « apporter une solution durable et pacifique à la crise en Libye ». Il semble même que des contacts aient été pris entre le CNT de Benghazi et le régime de Tripoli que l’Union européenne et le gouvernement français ne devraient pas chercher à dissuader.
Quels sont les développements et les possibles conclusions des contacts qui ont été pris ? Pouvons-nous en tout cas ignorer ces efforts et nous en tenir à la seule option militaire ? Pouvons-nous au contraire, les encourager ?
Soyons logiques avec nous-mêmes. Nous ne cessons de prôner l’accès au statut de membre permanent du Conseil de sécurité de plusieurs pays dont nous soulignons la maturité, la puissance, l’esprit de responsabilité, etc. : le Brésil, l’Inde, l’Allemagne. Or, que s’est-il passé lors du vote de la résolution 1973 : la Chine, la Russie mais aussi l’Inde, l’Allemagne et le Brésil se sont abstenus. Ne devons-nous pas, pour une fois mettre nos actes en accord avec nos déclarations et nous interroger sur les raisons de la décision de ces pays ? Mieux, montrer que nous attachons vraiment du prix à leur attitude en ouvrant sur ce sujet une discussion avec eux. Que proposent-ils pour la Libye ? Font-ils quelque chose pour convaincre le gouvernement libyen de changer, ou de s’effacer pacifiquement ? Pouvons-nous les assister ? Ou devons-nous tirer la conclusion qu’ils ne se soucient pas vraiment de ce principe, pourtant universellement acclamé, de la « responsabilité de protéger ».
Il est temps, Messieurs les ministres, de conclure cette opération. Pour ce qui me concerne, je ne puis l’approuver car nous avons franchi les bornes de « la responsabilité de protéger ». Nous sommes dans l’ingérence, même si on peut ratiociner à l’infini sur l’interprétation de la résolution 1973.
Mais je ne veux pas émettre un vote qui pourrait être interprété comme un désaveu de ceux qui luttent pour la démocratie dans le monde arabe et pour la liberté de leurs peuples. J’exprimerai mes très fortes réserves par un vote d’abstention qui se veut aussi un appel au gouvernement pour qu’il trouve désormais rapidement à ce conflit une solution politique, conforme à l’intérêt de la France.