Il serait injuste de prétendre que vous n’avez pas cherché à préserver l’enveloppe de crédits de la défense, en principe garantie par la loi de programmation militaire. Le budget que vous nous présentez se situe cependant sensiblement en dessous de ces enveloppes. D’abord du fait des plans d’économies d’août et de novembre 2011. Vous chiffrez vous-même à 311 M d’euros les abattements qu’a dû consentir le Ministère, dont 280 M au titre de la mission Défense.
A cela s’ajouteront le surcoût des OPEX, 878M d’euros sans compter l’opération Harmattan chiffrée à 430 M d’euros, soit au total, 1308 M d’euros, le financement de la taxation inter-ministérielle suite à la condamnation de Thalès pour l’opération « frégates de Taïwan », soit la modique somme de 230 M d’euros, les surcoûts de la transition liée à la transformation des armées et l’installation des bases de défense, l’épuisement des reports de crédit, le retard des recettes exceptionnelles…
Je suis d’abord conduit à vous poser la question de savoir si la clause de sauvegarde prévue par la LPM pour les OPEX va être activée et à quelle hauteur ? Sinon, il est temps, Monsieur le Ministre, de mieux contrôler la dérive expéditionnaire, 12 000 hommes sur plus d’une dizaine de théâtres : la capacité de dire « non » fait visiblement défaut à nos autorités politiques.
En second lieu, je m’inquiète des réductions de crédits qui affectent le maintien en condition opérationnelle des hommes dont je tiens à saluer la valeur. Mais celle-ci ne saurait compenser le niveau d’entraînement. Comme l’a déclaré l’Amiral Guillaud devant notre Commission, dans une expression toute en litotes : « la nouvelle trajectoire financière, en retrait par rapport à celle prévue par la loi de programmation militaire, nous a conduits à accentuer la préparation opérationnelle différenciée, en nous "efforçant d’éviter l’écueil d’une armée à deux vitesses" ».
A cela s’ajouteront le surcoût des OPEX, 878M d’euros sans compter l’opération Harmattan chiffrée à 430 M d’euros, soit au total, 1308 M d’euros, le financement de la taxation inter-ministérielle suite à la condamnation de Thalès pour l’opération « frégates de Taïwan », soit la modique somme de 230 M d’euros, les surcoûts de la transition liée à la transformation des armées et l’installation des bases de défense, l’épuisement des reports de crédit, le retard des recettes exceptionnelles…
Je suis d’abord conduit à vous poser la question de savoir si la clause de sauvegarde prévue par la LPM pour les OPEX va être activée et à quelle hauteur ? Sinon, il est temps, Monsieur le Ministre, de mieux contrôler la dérive expéditionnaire, 12 000 hommes sur plus d’une dizaine de théâtres : la capacité de dire « non » fait visiblement défaut à nos autorités politiques.
En second lieu, je m’inquiète des réductions de crédits qui affectent le maintien en condition opérationnelle des hommes dont je tiens à saluer la valeur. Mais celle-ci ne saurait compenser le niveau d’entraînement. Comme l’a déclaré l’Amiral Guillaud devant notre Commission, dans une expression toute en litotes : « la nouvelle trajectoire financière, en retrait par rapport à celle prévue par la loi de programmation militaire, nous a conduits à accentuer la préparation opérationnelle différenciée, en nous "efforçant d’éviter l’écueil d’une armée à deux vitesses" ».
Ce serait un comble, en effet, pour des armées dont le format n’a jamais été aussi réduit, depuis que la République existe !
C’est la cohérence de l’outil qui est en jeu. Ainsi dans l’armée de terre, le nombre de jours de préparation et d’activité opérationnelles passe de 120 jours en 2010, 116 en 2011, 111 en 2012 et probablement 105 en 2013 selon les déclarations du CEMAT, s’éloignant ainsi de la cible des 120 jours.
S’agissant de l’équipement des forces, si nous voyons avec satisfaction l’entrée en service de matériels majeurs, nous constatons les lacunes que l’opération Harmattan a fait apparaitre en matière de drônes et de ravitaillement en vol. L’entretien programmé des matériels est une priorité, mais il est préoccupant de voir retardée la rénovation à mi-vie du mirage 2000-D et excessivement étalée la livraison des avions multiravitailleurs MRTT. Pour l’armée de terre outre la mise en service du VBCI et des équipements Felin, un bon point pour la commande du LRU !
S’agissant de la DGA, je tiens à saluer la manière dont elle s’acquitte de sa mission de préparation de l’avenir.
De l’avenir, parlons-en, à la veille de la réactualisation de la loi de programmation militaire et d’échéances politiques décisives pour l’avenir du pays. Les Etats-Unis, sous l’impulsion du Président Obama, ont achevé ou largement entamé leur politique de retrait militaire d’Irak et d’Afghanistan. Ils devront diminuer de 500 milliards de dollars leur budget de la défense dans les dix prochaines années. Les Etats-Unis s’engagent de plus en plus en Asie de l’Est et dans le Sud-est asiatique. Ils désinvestissent de plus en plus l’Europe. Certains commentateurs américains évoquent une stratégie de « lead from behind », ou si l’on préfère de « tireurs de ficelles ». Je ne suis pas sûr de la pertinence de ce concept. Ce que j’observe, en revanche, c’est l’extension rapide des incertitudes et même des « trous noirs » en Asie de l’Ouest et en Afrique : Afghanistan-Pakistan-Iran-Syrie-Yemen.
Les révolutions démocratiques dans les pays arabes démontrent la puissance des courants islamistes dans les sociétés. Ce qui se passe en Egypte, en Tunisie, au Maroc même nous concerne directement. L’évolution de contexte géostratégique doit nous conduire à redéfinir nos priorités. Plus que jamais la fonction connaissance et anticipation est décisive. Il faut donc donner une claire priorité aux moyens de renseignemen. A cet égard l’éloignement dans le temps du lancement du satellite Ceres est fâcheux.
S’agissant de la dissuasion, il serait irresponsable de ne pas continuer un effort dont la valeur tient à son inscription dans la durée. Enfin, il faut le dire, il est temps de mettre un terme aux réductions de format des armées. L’effort de défense de la France est très sensiblement inférieur à l’engagement de le maintenir au moins à 2% du PIB pris, en 2007, par Nicolas Sarkozy, candidat à l’élection présidentielle.
Ce maintien nécessaire de notre effort de défense se télescope avec la crise qui secoue la monnaie unique, qu’on décrit de manière réductrice comme une crise de la dette, alors que c’est d’abord une crise politique, celle d’une Europe qu’on a prétendu construire en dehors des nations, voire contre elles. Mal pensée, la monnaie unique, loin d’unir les nations, les divise. Or en Europe la position relative de la France s’est détériorée. Le Président du groupe CDU-CSU a déclaré récemment : « L’Europe s’est mise à parler allemand ». Vue myope des choses ! L’Europe n’est pas une nation. Elle n’est pas même une Fédération. Elle est une Confédération d’Etats-nations dont la solidarité doit s’affirmer toujours plus.
Un Ministre de la défense, soucieux de l’avenir de son budget, ne peut ignorer ce que préparent, par ailleurs, Mme Merkel et M Sarkozy. Chacun sait que celui-ci est engagé dans une négociation, où l’Allemagne entend imposer aux autres Etats de la zone euro un strict contrôle de leur budget par des institutions européennes qu’elle influence fortement. On entend parler de noyau dur des pays notés triple A qui nous mettrait à la merci d’une monnaie encore plus surévaluée qu’aujourd’hui. Notre compétitivité en serait encore plus écrasée. C’en serait fini de ce qui reste de notre base industrielle. Nos recettes budgétaires seraient réduites à proportion. Déjà M Sarkozy a proposé, suivant l’exemple allemand, d’inscrire dans la Constitution, une « règle d’or », en fait d’airain, pour supprimer les déficits. Des dispositions coercitives seraient mises en œuvre par la Commission européenne : dépôt de garantie préalables, avertissements et amendes pour les Etats s’écartant des normes prescrites.
Qui ne voit que la garantie des enveloppes fixées par la loi de programmation militaire serait aussitôt fragilisée, voire ruinée par ces évolutions et par les intrusions de la Commission européenne dans la procédure budgétaire ? Le Président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, a mis sur la table, le 23 novembre 2011, du projet de surveillance budgétaire pour tous les Etats de la zone euro. Il propose que tous les pays de l’Union monétaire soumettent leurs projets annuels de budget à la Commission et à l’Eurogroupe avant le 15 octobre de l’année précédant l’exécution du budget. Si un projet de budget ne respecte pas les exigences du Pacte de stabilité et de croissance, qui interdit les déficits supérieurs à 3 % du PIB, ce qui est aujourd’hui le cas de la France, « la Commission aura le droit de donner son avis et de demander des changements », a expliqué M. Barroso.
Quant aux Etats déjà soumis à une procédure de déficit excessif, ils feront l’objet d’un contrôle encore accru. Les Etats membres de la zone euro seraient également tenus de mettre en place des conseils budgétaires indépendants et de fonder leurs budgets sur des prévisions indépendantes.
Le degré maximal de contrôle, proche de la tutelle, est prévu pour les Etats les plus fragiles de la zone euro, ceux placés sous un programme d’assistance financière ou « gravement menacés d’instabilité financière ». C’est le cas aujourd’hui, chacun le sait, de grands pays comme l’Espagne et l’Italie, contraints d’emprunter à des taux supérieurs à 7 %. En cas de défaut, la France serait, à son tour, exposée. Que resterait-il alors des droits du Parlement ?
C’est le début de ce que Hubert Védrine a appelé « l’Europe postdémocratique ». Le système de la monnaie unique, faute d’être adossé à une Banque Centrale disposant de prérogatives ailleurs considérées comme normales, débouche sur un projet de mise en tutelle des Etats. C’était le piège dressé par Jean Monnet pour placer les peuples devant le « fait accompli » d’un pseudo fédéralisme. Des dirigeants politiques élus sont écartés au profit de véritables gouverneurs, technocrates européens, non élus, mais formatés dans le moule des dogmes maastrichtiens : indépendance absolue de la Banque Centrale, concurrence libre et non faussée, mépris de la démocratie et des Parlements. Après MM. Papademos et Monti, à quand M. Trichet à Matignon ?
Revenons au budget de la Défense : tout cela est très inquiétant, Monsieur le Ministre, pour l’avenir de la programmation militaire. Comment le budget militaire ne serait-il pas impacté non seulement par la récession qui s’annonce et par les resserrements budgétaires que la pression des marchés financiers ne manquera pas de susciter, mais aussi par la contestation de l’arme nucléaire par l’Allemagne et par plusieurs autres pays européens, ralliés au pacifisme en même temps à l’OTAN et à la garantie ultime des armes nucléaires américaines ?
L’Allemagne à laquelle les traités refusent l’accès aux armes nucléaires voit dans la dissuasion française au mieux un anachronisme, alors qu’elle est la garantie à la fois de la paix et d’une défense européenne indépendante dans le monde de demain qu’on nous décrit comme « multipolaire » et où les Etats-Unis, s’éloigneront de plus en plus des affaires européennes.
Les affaires de défense sont des choses trop sérieuses pour être laissées aux institutions européennes dont la logique, malgré les apparences, n’est pas technocratique mais politique : c’est une logique d’Empire et d’un Empire où la France serait réduite à un rôle d’accompagnement. Je vous renvoie à la lecture d’un intéressant article du ministre allemand des Affaires étrangères paru dans Le Figaro du 20 novembre 2011 où celui-ci écrit : « C’est la machine à forger des compromis de Bruxelles qui assure à la grande Allemagne, au cœur du continent, la confiance et l’amitié de ses nombreux voisins et de ses partenaires européens ». M. Westervelle écrit : « Que nous le voulions ou non, les Allemands ont une responsabilité particulière héritée du passé ». Et de conclure sur « la nécessité d’une nouvelle Constitution européenne qui créerait les bases institutionnelles d’une intégration plus avancée, y compris en matière de politique économique et financière sous le contrôle du Parlement européen ». Fin de citation.
Quelles seraient les conséquences de cette évolution pour notre défense ? Celle-ci cesserait vite d’être nationale. Peut-être même cesserait-elle d’être une défense. A moins que le vide ayant été fait, on en construise une autre, mais pour des fins qui ne seraient pas forcément les nôtres.
Quelle serait dans cette perspective l’avenir de notre dissuasion ? On ne l’imagine que trop bien. Trois milliards et demi d’euros sont consacrés annuellement à la dissuasion, mais les armes nucléaires ont une longévité limitée à une vingtaine d’années. L’effort en matière de simulation ne doit pas être relâché. Une veille constante est nécessaire pour assurer l’invulnérabilité de nos sous-marins et préparer la nouvelle génération du SNLE à l’horizon 2030. Il faudra aussi renouveler les infrastructures, lancer des études pour accroître la précision des missiles à longue portée, préparer une nouvelle génération de missiles ASMP-A capables de déjouer les défenses antiaériennes et anti-missiles de l’adversaire.
Dans cette perspective, la coopération franco-britannique peut se révéler utile dans des domaines comme la simulation, le groupe aéronaval, le ravitaillement en vol et peut-être la construction des sous-marins nucléaires du futur. Il faudrait une volonté politique forte, plus forte encore que la contrainte financière. Quoi qu’il en soit, la coopération franco-britannique ne dispensera jamais d’un effort propre très conséquent, sanctuarisant les crédits de la dissuasion au sein d’un budget de la Défense, lui-même protégé par une nouvelle loi de programmation. Si l’Europe de la défense devait avoir un sens, il faudrait qu’il soit entendu que les dépenses militaires, et en tout cas celles de la dissuasion, seront soustraites du calcul du déficit selon les règles du pacte de stabilité. De lourdes menaces non seulement économiques mais aussi politiques se dessinent ainsi à l’horizon.
Je ne voterai pas contre votre budget, Monsieur le Ministre, mais mon abstention traduira l’inquiétude que j’éprouve pour l’avenir de notre outil militaire dans le contexte des négociations européennes que M. Sarkozy a engagées avec Mme Merkel. Je ne suis pas rassuré !
C’est la cohérence de l’outil qui est en jeu. Ainsi dans l’armée de terre, le nombre de jours de préparation et d’activité opérationnelles passe de 120 jours en 2010, 116 en 2011, 111 en 2012 et probablement 105 en 2013 selon les déclarations du CEMAT, s’éloignant ainsi de la cible des 120 jours.
S’agissant de l’équipement des forces, si nous voyons avec satisfaction l’entrée en service de matériels majeurs, nous constatons les lacunes que l’opération Harmattan a fait apparaitre en matière de drônes et de ravitaillement en vol. L’entretien programmé des matériels est une priorité, mais il est préoccupant de voir retardée la rénovation à mi-vie du mirage 2000-D et excessivement étalée la livraison des avions multiravitailleurs MRTT. Pour l’armée de terre outre la mise en service du VBCI et des équipements Felin, un bon point pour la commande du LRU !
S’agissant de la DGA, je tiens à saluer la manière dont elle s’acquitte de sa mission de préparation de l’avenir.
De l’avenir, parlons-en, à la veille de la réactualisation de la loi de programmation militaire et d’échéances politiques décisives pour l’avenir du pays. Les Etats-Unis, sous l’impulsion du Président Obama, ont achevé ou largement entamé leur politique de retrait militaire d’Irak et d’Afghanistan. Ils devront diminuer de 500 milliards de dollars leur budget de la défense dans les dix prochaines années. Les Etats-Unis s’engagent de plus en plus en Asie de l’Est et dans le Sud-est asiatique. Ils désinvestissent de plus en plus l’Europe. Certains commentateurs américains évoquent une stratégie de « lead from behind », ou si l’on préfère de « tireurs de ficelles ». Je ne suis pas sûr de la pertinence de ce concept. Ce que j’observe, en revanche, c’est l’extension rapide des incertitudes et même des « trous noirs » en Asie de l’Ouest et en Afrique : Afghanistan-Pakistan-Iran-Syrie-Yemen.
Les révolutions démocratiques dans les pays arabes démontrent la puissance des courants islamistes dans les sociétés. Ce qui se passe en Egypte, en Tunisie, au Maroc même nous concerne directement. L’évolution de contexte géostratégique doit nous conduire à redéfinir nos priorités. Plus que jamais la fonction connaissance et anticipation est décisive. Il faut donc donner une claire priorité aux moyens de renseignemen. A cet égard l’éloignement dans le temps du lancement du satellite Ceres est fâcheux.
S’agissant de la dissuasion, il serait irresponsable de ne pas continuer un effort dont la valeur tient à son inscription dans la durée. Enfin, il faut le dire, il est temps de mettre un terme aux réductions de format des armées. L’effort de défense de la France est très sensiblement inférieur à l’engagement de le maintenir au moins à 2% du PIB pris, en 2007, par Nicolas Sarkozy, candidat à l’élection présidentielle.
Ce maintien nécessaire de notre effort de défense se télescope avec la crise qui secoue la monnaie unique, qu’on décrit de manière réductrice comme une crise de la dette, alors que c’est d’abord une crise politique, celle d’une Europe qu’on a prétendu construire en dehors des nations, voire contre elles. Mal pensée, la monnaie unique, loin d’unir les nations, les divise. Or en Europe la position relative de la France s’est détériorée. Le Président du groupe CDU-CSU a déclaré récemment : « L’Europe s’est mise à parler allemand ». Vue myope des choses ! L’Europe n’est pas une nation. Elle n’est pas même une Fédération. Elle est une Confédération d’Etats-nations dont la solidarité doit s’affirmer toujours plus.
Un Ministre de la défense, soucieux de l’avenir de son budget, ne peut ignorer ce que préparent, par ailleurs, Mme Merkel et M Sarkozy. Chacun sait que celui-ci est engagé dans une négociation, où l’Allemagne entend imposer aux autres Etats de la zone euro un strict contrôle de leur budget par des institutions européennes qu’elle influence fortement. On entend parler de noyau dur des pays notés triple A qui nous mettrait à la merci d’une monnaie encore plus surévaluée qu’aujourd’hui. Notre compétitivité en serait encore plus écrasée. C’en serait fini de ce qui reste de notre base industrielle. Nos recettes budgétaires seraient réduites à proportion. Déjà M Sarkozy a proposé, suivant l’exemple allemand, d’inscrire dans la Constitution, une « règle d’or », en fait d’airain, pour supprimer les déficits. Des dispositions coercitives seraient mises en œuvre par la Commission européenne : dépôt de garantie préalables, avertissements et amendes pour les Etats s’écartant des normes prescrites.
Qui ne voit que la garantie des enveloppes fixées par la loi de programmation militaire serait aussitôt fragilisée, voire ruinée par ces évolutions et par les intrusions de la Commission européenne dans la procédure budgétaire ? Le Président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, a mis sur la table, le 23 novembre 2011, du projet de surveillance budgétaire pour tous les Etats de la zone euro. Il propose que tous les pays de l’Union monétaire soumettent leurs projets annuels de budget à la Commission et à l’Eurogroupe avant le 15 octobre de l’année précédant l’exécution du budget. Si un projet de budget ne respecte pas les exigences du Pacte de stabilité et de croissance, qui interdit les déficits supérieurs à 3 % du PIB, ce qui est aujourd’hui le cas de la France, « la Commission aura le droit de donner son avis et de demander des changements », a expliqué M. Barroso.
Quant aux Etats déjà soumis à une procédure de déficit excessif, ils feront l’objet d’un contrôle encore accru. Les Etats membres de la zone euro seraient également tenus de mettre en place des conseils budgétaires indépendants et de fonder leurs budgets sur des prévisions indépendantes.
Le degré maximal de contrôle, proche de la tutelle, est prévu pour les Etats les plus fragiles de la zone euro, ceux placés sous un programme d’assistance financière ou « gravement menacés d’instabilité financière ». C’est le cas aujourd’hui, chacun le sait, de grands pays comme l’Espagne et l’Italie, contraints d’emprunter à des taux supérieurs à 7 %. En cas de défaut, la France serait, à son tour, exposée. Que resterait-il alors des droits du Parlement ?
C’est le début de ce que Hubert Védrine a appelé « l’Europe postdémocratique ». Le système de la monnaie unique, faute d’être adossé à une Banque Centrale disposant de prérogatives ailleurs considérées comme normales, débouche sur un projet de mise en tutelle des Etats. C’était le piège dressé par Jean Monnet pour placer les peuples devant le « fait accompli » d’un pseudo fédéralisme. Des dirigeants politiques élus sont écartés au profit de véritables gouverneurs, technocrates européens, non élus, mais formatés dans le moule des dogmes maastrichtiens : indépendance absolue de la Banque Centrale, concurrence libre et non faussée, mépris de la démocratie et des Parlements. Après MM. Papademos et Monti, à quand M. Trichet à Matignon ?
Revenons au budget de la Défense : tout cela est très inquiétant, Monsieur le Ministre, pour l’avenir de la programmation militaire. Comment le budget militaire ne serait-il pas impacté non seulement par la récession qui s’annonce et par les resserrements budgétaires que la pression des marchés financiers ne manquera pas de susciter, mais aussi par la contestation de l’arme nucléaire par l’Allemagne et par plusieurs autres pays européens, ralliés au pacifisme en même temps à l’OTAN et à la garantie ultime des armes nucléaires américaines ?
L’Allemagne à laquelle les traités refusent l’accès aux armes nucléaires voit dans la dissuasion française au mieux un anachronisme, alors qu’elle est la garantie à la fois de la paix et d’une défense européenne indépendante dans le monde de demain qu’on nous décrit comme « multipolaire » et où les Etats-Unis, s’éloigneront de plus en plus des affaires européennes.
Les affaires de défense sont des choses trop sérieuses pour être laissées aux institutions européennes dont la logique, malgré les apparences, n’est pas technocratique mais politique : c’est une logique d’Empire et d’un Empire où la France serait réduite à un rôle d’accompagnement. Je vous renvoie à la lecture d’un intéressant article du ministre allemand des Affaires étrangères paru dans Le Figaro du 20 novembre 2011 où celui-ci écrit : « C’est la machine à forger des compromis de Bruxelles qui assure à la grande Allemagne, au cœur du continent, la confiance et l’amitié de ses nombreux voisins et de ses partenaires européens ». M. Westervelle écrit : « Que nous le voulions ou non, les Allemands ont une responsabilité particulière héritée du passé ». Et de conclure sur « la nécessité d’une nouvelle Constitution européenne qui créerait les bases institutionnelles d’une intégration plus avancée, y compris en matière de politique économique et financière sous le contrôle du Parlement européen ». Fin de citation.
Quelles seraient les conséquences de cette évolution pour notre défense ? Celle-ci cesserait vite d’être nationale. Peut-être même cesserait-elle d’être une défense. A moins que le vide ayant été fait, on en construise une autre, mais pour des fins qui ne seraient pas forcément les nôtres.
Quelle serait dans cette perspective l’avenir de notre dissuasion ? On ne l’imagine que trop bien. Trois milliards et demi d’euros sont consacrés annuellement à la dissuasion, mais les armes nucléaires ont une longévité limitée à une vingtaine d’années. L’effort en matière de simulation ne doit pas être relâché. Une veille constante est nécessaire pour assurer l’invulnérabilité de nos sous-marins et préparer la nouvelle génération du SNLE à l’horizon 2030. Il faudra aussi renouveler les infrastructures, lancer des études pour accroître la précision des missiles à longue portée, préparer une nouvelle génération de missiles ASMP-A capables de déjouer les défenses antiaériennes et anti-missiles de l’adversaire.
Dans cette perspective, la coopération franco-britannique peut se révéler utile dans des domaines comme la simulation, le groupe aéronaval, le ravitaillement en vol et peut-être la construction des sous-marins nucléaires du futur. Il faudrait une volonté politique forte, plus forte encore que la contrainte financière. Quoi qu’il en soit, la coopération franco-britannique ne dispensera jamais d’un effort propre très conséquent, sanctuarisant les crédits de la dissuasion au sein d’un budget de la Défense, lui-même protégé par une nouvelle loi de programmation. Si l’Europe de la défense devait avoir un sens, il faudrait qu’il soit entendu que les dépenses militaires, et en tout cas celles de la dissuasion, seront soustraites du calcul du déficit selon les règles du pacte de stabilité. De lourdes menaces non seulement économiques mais aussi politiques se dessinent ainsi à l’horizon.
Je ne voterai pas contre votre budget, Monsieur le Ministre, mais mon abstention traduira l’inquiétude que j’éprouve pour l’avenir de notre outil militaire dans le contexte des négociations européennes que M. Sarkozy a engagées avec Mme Merkel. Je ne suis pas rassuré !