On ne présente plus JP Chevènement dont la présence dans la vie politique française se mesure non seulement à la durée mais à l’originalité. Pour preuve de cette présence, on pourrait citer non sans quelque malice les hommages qui lui sont rendus ici et là par tel ou tel homme politique parfois des plus inattendus. On pourrait aussi remarquer que le Président de la République le consulte, comme d’ailleurs le faisaient ses prédécesseurs, sur des questions sensibles : ainsi le veto français à la seconde guerre d’Irak l’avait-il rapproché de Jacques Chirac, l’affaire Alsthom avait-elle conduit Nicolas Sarkozy à l’écouter, et même François Hollande l’avait-il partiellement entendu sur la nécessité de reconstruire une relation avec la Russie. L’actuel Président semble se référer à sa vision plutôt en termes de principes que d’actions concrètes mais le discours du premier responsable de l’Etat fondé sur les valeurs républicaines n’est pas chose mineure. Comme la référence au Général de Gaulle, et toutes proportions gardées, la référence à la pensée et à l’action de JPC s’est ainsi installée dans notre paysage politique pour une raison analogue : l’attachement au dépassement des clivages en vue de l’unité de la nation républicaine. Or cette référence, même si elle n’est pas dominante, crée une petite musique dont le son croît au fur et à mesure que s’installe dans le pays le sentiment d’une coupure des élites avec la nation, l’idée que la classe politique n’a plus grand-chose à proposer faute de convictions fortes, et que le déclassement de la France tient largement à l’abandon d’une politique industrielle qui était précisément l’un des tout premiers combats menés par « JPC ».
La publication au printemps 2020 de ses Mémoires a entretenu et avivé cette petite musique. Avec pour titre inattendu une parole de Saint Matthieu, cet ouvrage qui fait suite à de nombreux autres portant sur ses combats ne retrace pas un bilan mais donne plutôt à lire ce qui fut le projet continu du jeune Jean-Pierre, fils d’instituteurs de Franche-Comté, devenu énarque, passé par la guerre d’Algérie - un moment essentiel dans sa vie - porteur avec une poignée d’amis d’un projet de rénovation de la gauche qui à ses yeux n’était pas en contradiction avec les apports essentiels du gaullisme, ministre de la Recherche, de l’industrie, de l’Education nationale, de la Défense, de l’Intérieur, puis sénateur du territoire de Belfort après avoir été de longues années maire de cette ville. Trois fois démissionnaire par désaccord avec des choix politiques de l’exécutif - le tournant de la rigueur en 1983, la première guerre d’Irak fin 1992 et la question corse en 1999 -, il pourrait aujourd’hui trouver une sorte d'amère satisfaction dans le fait d’avoir eu raison trop tôt si l’on en croit le concert actuel : non la mondialisation ne fut pas heureuse, oui la France avait besoin de garder son industrie, non l’accrochage au mark du « franc fort » n’était pas la solution, oui la guerre d’Irak était la porte ouverte à l’engrenage d’une déstabilisation du Moyen-Orient dont nous payons aujourd’hui le prix fort, et enfin non, la vision de la République ne peut s’accommoder de l’exaltation des différences.
Il serait pourtant faux de croire que les multiples reniements de notre héritage qui ont marqué l’histoire politique de la France après le redressement des Trente Glorieuses et le relèvement du pays par l’effort du général de Gaulle, laissent l’acteur Chevènement dans l’amertume ou le ressentiment. C’est qu’il ne croit pas à la fin de l’histoire ni à l’absorption de la politique dans l’économie. Ayant montré dans la trilogie citée en note [1] que la mondialisation n’a pu s’installer sans « hegemon politique », celui de l’Empire britannique pour la première et de l’« hyperpuissance » américaine pour la seconde, JPC n’a jamais renoncé à inventorier les atouts qui demeurent ceux de la France. Ni à exhorter ceux qui sont aux manettes à réinventer notre avenir. Eurosceptique depuis Maastricht, il est aussi un de nos observateurs les plus attentifs du redressement de l’Allemagne dont il souligne que la puissance économique la met au faîte de l’Europe mais la laisse dépourvue de tout projet politique pour une Union cahotée entre deux impérialismes mondiaux. De là l’idée directrice chez lui que la France ne doit pas renoncer à être elle-même. Notre pays, ce petit cap au bout d’un continent reste l’improbable appendice d’une aire de civilisation au déploiement de laquelle il a tant contribué qu’il ne peut laisser son rôle s’effacer. Improbable au sens où, de sa singularité, il a su faire une force. Comme l’écrivait Ernst Robert Curtius la spécificité de la France est de porter un message universel. En aurait-on fini avec celui-ci à l’heure où jamais la puissance n’a été plus visiblement le fait des nations et surtout où l’héritage républicain avec ses fondements que sont l’éducation et la citoyenneté - thèmes particulièrement chers au cœur de JPC - a pour devoir de se dresser contre la barbarie ?
C’est fort de cette conviction que Chevènement n’a jamais cessé de travailler, lire, écouter, creusant parfois à fond les sujets les plus pointus. Pour le plus grand désarroi parfois, de son entourage, il est incollable sur les données économiques, commerciales et budgétaires, aussi bien que sur l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, les mécanismes par lesquels les décideurs européens ont installé l’euro, les politiques successives de la BCE tout comme l’évolution de l’islam dans l’histoire ou les textes allemands relatifs à la question écologique. Cette culture de première main faite d’une lecture approfondie des sources et nourrie par les nombreuses rencontres de ceux qui ont fait ou observé le monde, secrétaires d’Etat américains, hommes politiques allemands, intellectuels de tous continents et tant d’autres, crée un croisement singulier entre l’intellectuel que par certains aspects- bien éclairés par sa biographie- Chevènement aurait pu devenir et l’homme politique solide et original qu’il a choisi d’être. A la lucidité de l’intellectuel, très marquée chez lui jusqu’à l’ironie et complétée d’ailleurs, trait un peu méconnu, par le goût de la compétence technocratique, JP Chevènement ajoute le besoin de l’action. Ce dernier entre-t-il au moins partiellement en contradiction avec l’analyse conceptuelle ? C’est possible mais c’est le prix à payer pour être « conséquent » au sens où le disait Malraux.
On aurait tort de voir dans cet ouvrage une méditation, celle d’un politique déçu par le cours de l’Histoire. En dépit de son titre, il s’agit pour l’enfant de Franche-Comté marqué par l’occupation allemande mais toujours prêt à relever le défi de l’avenir, de croire en l’histoire des hommes, celle d’abord de son pays et contre vents et marées.
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[1] Par exemple : La République contre les bien-pensants, Plon, 1999 ; Défis Républicains, Fayard, 2004 ; et la trilogie La France est-elle finie ? 2011 ; l’Europe sortie de l’histoire ?, 2013 ; et Un défi de civilisation, 2016 chez Fayard.
Il serait pourtant faux de croire que les multiples reniements de notre héritage qui ont marqué l’histoire politique de la France après le redressement des Trente Glorieuses et le relèvement du pays par l’effort du général de Gaulle, laissent l’acteur Chevènement dans l’amertume ou le ressentiment. C’est qu’il ne croit pas à la fin de l’histoire ni à l’absorption de la politique dans l’économie. Ayant montré dans la trilogie citée en note [1] que la mondialisation n’a pu s’installer sans « hegemon politique », celui de l’Empire britannique pour la première et de l’« hyperpuissance » américaine pour la seconde, JPC n’a jamais renoncé à inventorier les atouts qui demeurent ceux de la France. Ni à exhorter ceux qui sont aux manettes à réinventer notre avenir. Eurosceptique depuis Maastricht, il est aussi un de nos observateurs les plus attentifs du redressement de l’Allemagne dont il souligne que la puissance économique la met au faîte de l’Europe mais la laisse dépourvue de tout projet politique pour une Union cahotée entre deux impérialismes mondiaux. De là l’idée directrice chez lui que la France ne doit pas renoncer à être elle-même. Notre pays, ce petit cap au bout d’un continent reste l’improbable appendice d’une aire de civilisation au déploiement de laquelle il a tant contribué qu’il ne peut laisser son rôle s’effacer. Improbable au sens où, de sa singularité, il a su faire une force. Comme l’écrivait Ernst Robert Curtius la spécificité de la France est de porter un message universel. En aurait-on fini avec celui-ci à l’heure où jamais la puissance n’a été plus visiblement le fait des nations et surtout où l’héritage républicain avec ses fondements que sont l’éducation et la citoyenneté - thèmes particulièrement chers au cœur de JPC - a pour devoir de se dresser contre la barbarie ?
C’est fort de cette conviction que Chevènement n’a jamais cessé de travailler, lire, écouter, creusant parfois à fond les sujets les plus pointus. Pour le plus grand désarroi parfois, de son entourage, il est incollable sur les données économiques, commerciales et budgétaires, aussi bien que sur l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, les mécanismes par lesquels les décideurs européens ont installé l’euro, les politiques successives de la BCE tout comme l’évolution de l’islam dans l’histoire ou les textes allemands relatifs à la question écologique. Cette culture de première main faite d’une lecture approfondie des sources et nourrie par les nombreuses rencontres de ceux qui ont fait ou observé le monde, secrétaires d’Etat américains, hommes politiques allemands, intellectuels de tous continents et tant d’autres, crée un croisement singulier entre l’intellectuel que par certains aspects- bien éclairés par sa biographie- Chevènement aurait pu devenir et l’homme politique solide et original qu’il a choisi d’être. A la lucidité de l’intellectuel, très marquée chez lui jusqu’à l’ironie et complétée d’ailleurs, trait un peu méconnu, par le goût de la compétence technocratique, JP Chevènement ajoute le besoin de l’action. Ce dernier entre-t-il au moins partiellement en contradiction avec l’analyse conceptuelle ? C’est possible mais c’est le prix à payer pour être « conséquent » au sens où le disait Malraux.
On aurait tort de voir dans cet ouvrage une méditation, celle d’un politique déçu par le cours de l’Histoire. En dépit de son titre, il s’agit pour l’enfant de Franche-Comté marqué par l’occupation allemande mais toujours prêt à relever le défi de l’avenir, de croire en l’histoire des hommes, celle d’abord de son pays et contre vents et marées.
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[1] Par exemple : La République contre les bien-pensants, Plon, 1999 ; Défis Républicains, Fayard, 2004 ; et la trilogie La France est-elle finie ? 2011 ; l’Europe sortie de l’histoire ?, 2013 ; et Un défi de civilisation, 2016 chez Fayard.