Verbatim express :
- J'ai ressenti une certaine admiration pour Alexis Tsipras, un homme d'Etat, qui a une pensée claire, qui s'appuie sur son peuple, qui par conséquent met en jeu son existence politique. C'est assez rare, et je pense que le peuple grec est un peuple fier, qui l'a montré dans toute son histoire, a répondu présent en espérant que l'Europe serait sensible au fait que c'est le plan européen qui a échoué, le plan imposé au départ par Mme Merkel, et puis le TSCG, la règle d'or.
- Ce n'est pas seulement le problème grec qui est posé, c'est le problème de la monnaie unique, dont j'ai sans cesse posé le vice originel : la juxtaposition dans la même zone monétaire de pays extrêmement différents du point de vue économique, politique, culturel. Par conséquent elle a favorisé des divergences au lieu de produire des convergences. C'est cela qui est en cause, ce n'est pas seulement l'affaire de la Grèce.
- Officiellement, personne ne souhaite la sortie de la Grèce de la zone euro. Mais dans la réalité, une politique économique doit être calibrée pour réussir. Il faut trouver un sentier de croissance. Personnellement, je ne crois pas que cela soit possible dans le cadre de la zone euro, avec la Grèce telle qu'elle est.
- Ce qui serait raisonnable ce serait une réflexion commune pour transformer l'euro de monnaie unique en monnaie commune, mais comme les esprits ne sont pas prêts, je suis pour ma part partisan d'une démarche en trois temps. Premièrement : un rafistolage, pour que la Grèce reste quelques mois dans la zone euro. Deuxièmement : un grexit amical, avec une assistance financière pour aider la Grèce à faire face aux renchérissements de ses importations. Troisièmement : au bout de deux ou trois années, la Grèce prend son envol et se débrouille par elle-même. C'est le principe de la responsabilité de chaque Etat.
- Ce qui arriverait à la Grèce devrait arriver à chaque Etat. On aurait un euro monnaie commune pour les transactions internationales et puis des subdivisions monétaires nationales : un euro-drachme, un euro-mark, un euro-lire, un euro-franc, etc, mais comme monnaies internes.
- C'est un combat de longue haleine mené contre des élites extrêmement dogmatiques, qui ont pensé qu'on pouvait faire une monnaie unique associant quand même 19 pays. Je pense que la réalité de l'Europe est faite de nations différentes : il n'y a pas 13 colonies britanniques comme à la fin du XVIIIe, il y a trente peuples qui viennent de très loin, qui ont des millénaires d'histoire, ou des siècles en tout cas, derrière eux. Il faut faire avec cela, s'appuyer sur la démocratie qui vit dans chaque nation, et construire une Europe plus pragmatique, plus souple. Une monnaie, cela va avec une économie. C'était la base même de mon hostilité au traité de Maastricht en 1992. Et aujourd'hui, on voit que cela été prémonitoire.
- L'Allemagne a des principes économiques totalement inconciliables avec ceux de la France, qui a une démographie beaucoup plus jeune, ou avec des pays comme la Grèce, qui partent de beaucoup plus bas, et qui n'ont pas les spécialisations industrielles de l'Allemagne. Or les mécanismes de la monnaie unique accroissent les divergences : les zones riches s'enrichissent, les zones pauvres s'appauvrissent. Une division du travail s'opère au détriment des pays de l'Europe du sud.
- La perspective c'est de rester fidèle à un cap européen, de rapprocher les différents peuples.
- On ne peut pas jeter la Grèce dehors, je pense qu'il faut respecter le peuple grec, son éminente dignité, la contribution qu'il a apporté à la démocratie. Les expressions que certains emploient vis-à-vis de la Grèce me paraissent intolérables.
- Si j'étais à la place de Hollande ce soir pour voir Mme Merkel, je lui dirais : Mme la Chancelière, l'Allemagne a fait dans son histoire deux expériences qui ont été très malheureuse pour elle-même, pour l'Europe et pour le reste du monde. Évidemment l'Allemagne est un pays central en Europe, le pays le plus peuplé, le plus industriel, et les Allemands ont des qualités qui sont incontestables. Mais l'Allemagne est peut-être trop grande pour ne pas aspirer à dominer l'Europe, mais trop petite pour y parvenir. Donc tirez des leçons du passé, et essayez de concevoir d'autres règles pour l'Europe, essayez de trouver un juste équilibre entre la responsabilité des Etats – moi je suis d'accord avec l'Allemagne, il doit y avoir un principe de responsabilité quelque part – et le principe de solidarité entre européens – nous ne devons pas nous insulter entre nous, nous devons avoir des égards pour le peuple grec, qui le mérite.
- Si la médecine qu'on lui a imposé été mauvaise, Mme Merkel porte peut-être une certaine responsabilité, parce que la règle d'or ça marche peut-être pour l'Allemagne, mais cela ne marche pas pour les autres.
- C'est une question de volonté : il faut savoir s'appuyer sur son peuple. Tsipras l'a fait avec le peuple grec. Je suis persuadé que si François Hollande se tourne vers le peuple Français, pour lui dire « voilà ce qui me paraît juste, cet équilibre entre la responsabilité et la solidarité » je pense que les Français l'écouteront.
- Je suis partisan d'une Europe confédérale, qui s'appuie sur la démocratie qui vit dans les nations.
- Quand je parle d'effraction, c'est la méthode Jean Monnet. C'est à dire qu'on place l'Europe devant une série de petits faits accomplis, qui deviennent autant d'effets de cliquet – on avance mais on ne peut plus reculer – et à la fin, les peuples se trouvent avec une Europe qu'ils n'ont pas voulu.
- Il faudrait revenir à une Commission européenne se contentant de préparer les décisions et d'exécuter celles du Conseil, et un Parlement européen composé de délégations des parlements nationaux, parce que c'est là que vit la démocratie.