I – Je passerai rapidement sur trois sujets :
1) L’exécution de la loi de programmation votée sous le gouvernement de Jacques Chirac et le ministère d’André Giraud et révisée de manière minimaliste par mes soins en 1988-89.
Cette loi de programmation laisse les crédits du titre V à un niveau inégalé depuis lors. En 1991, le titre V atteint 103 Milliards de Francs (contre moins de 85 aujourd’hui, abstraction faite de l’inflation).
Cette loi fait l’objet d’âpres discussions en interne entre le Premier ministre et le Ministre de l’Economie et des Finances d’une part, le Ministre de la Défense de l’autre, arbitrées par le Chef de l’Etat. Il faudra attendre 1990 pour que le Président de l’Assemblée Nationale de l’époque, Laurent Fabius, réclame publiquement « les dividendes de la paix ». Mais cette offensive est bloquée par l’éclatement de la crise du Golfe en août 1990. Les réductions de crédits d’équipement viendront après, en 1991-92, et surtout ensuite du fait de la suspension du service militaire qui fera glisser les crédits du titre V au titre III.
1) L’exécution de la loi de programmation votée sous le gouvernement de Jacques Chirac et le ministère d’André Giraud et révisée de manière minimaliste par mes soins en 1988-89.
Cette loi de programmation laisse les crédits du titre V à un niveau inégalé depuis lors. En 1991, le titre V atteint 103 Milliards de Francs (contre moins de 85 aujourd’hui, abstraction faite de l’inflation).
Cette loi fait l’objet d’âpres discussions en interne entre le Premier ministre et le Ministre de l’Economie et des Finances d’une part, le Ministre de la Défense de l’autre, arbitrées par le Chef de l’Etat. Il faudra attendre 1990 pour que le Président de l’Assemblée Nationale de l’époque, Laurent Fabius, réclame publiquement « les dividendes de la paix ». Mais cette offensive est bloquée par l’éclatement de la crise du Golfe en août 1990. Les réductions de crédits d’équipement viendront après, en 1991-92, et surtout ensuite du fait de la suspension du service militaire qui fera glisser les crédits du titre V au titre III.
Le grand débat sur le service national en 1996 n’aura pas vraiment lieu du fait de l’acceptation globale de la réforme voulue par Jacques Chirac par la majorité du PS (Paul Quilès). Seuls opposants : le PCF, Jean-Michel Boucheron et moi-même.
2) Je passerai tout aussi rapidement sur le redimensionnement de nos armées et la réduction de près de moitié du nombre d’Etats-majors, plan dit « Armées 2000 », que je mets en route en 1989-2000 et qui sera appliqué par décret en 1991. L’affaire se passe entre moi-même et un petit groupe de travail constitué de quelques officiers généraux, le Chef d’Etat-major des Armées et le Président de la République. Le plan « Armées 2000 » fait l’objet d’une communication en partie A du Conseil des Ministres. Ce plan a simplement été évoqué devant le Parlement à l’occasion des budgétaires.
3) De même les interventions de basse intensité au Tchad ou aux Comores, de même que les dernières péripéties de la guerre Iran-Irak ne feront l’objet que de questions d’actualité et de réponses laconiques.
Le Parlement accepte sa marginalisation en matière de Défense. La récente réélection de François Mitterrand (mai 1988) lui assure une légitimité écrasante et je n’ai pas le souvenir que l’abandon du missile terrestre mobile S4 ait fait au Parlement l’objet d’un débat argumenté après ma prise de fonction.
Les missiles fixes du Plateau d’Albion ne seront supprimés qu’en 1995 sous le septennat de Jacques Chirac. Le seul débat sur l’adaptation à la nouvelle période de l’après guerre froide a lieu en 1994 à l’occasion de l’élaboration d’un nouveau « livre blanc ».
II – L’affaire sur laquelle je me concentrerai, c’est la crise et la guerre du Golfe dont le Parlement aura à connaître à trois reprises.
1) Après l’invasion du Koweït le 2 août 1990, le Parlement est convoqué en session extraordinaire le 27 août. Il entend un message du Président de la République qui est un appel à la mobilisation au service du droit. En fait le Président a déjà eu l’occasion de s’exprimer le 9 août 1990 et il a envoyé des émissaires dans tout le monde arabo-musulman, en y associant l’opposition : M. Lecanuet est envoyé en Inde et en Turquie, M. François-Poncet en Jordanie, et M. de Lipkovski en Indonésie, Malaisie et Thaïlande.
Dès le 2 août, la France a voté et fait appliquer la résolution 665 du Conseil de Sécurité de l’ONU instituant l’embargo à l’encontre de l’Irak. Le débat du 27 août n’est suivi d’aucun vote. C’est Edouard Balladur qui intervient au nom du RPR pour approuver la position prise par la France. Jacques Chirac, par une déclaration du 23 août, a fait savoir qu’en l’absence d’une information complète sur la crise, il s’en remettait aux Pouvoirs Publics des décisions prises.
Pour ma part, craignant d’emblée que les Etats-Unis ne veuillent laisser aucune chance pour une issue pacifique, j’ai tenté d’influer sur la politique de la France pour qu’elle favorise au contraire une telle issue. Lors d’un entretien en tête à tête avec le Président de la République, le 21 ou le 22 août 1990, je l’ai entendu me déclarer : « On ne peut pas être à la fois contre la droite et contre les Etats-Unis ». J’ai tout lieu de penser que la plupart des dirigeants de la droite n’ont pas fait, en sens inverse, un raisonnement très différent.
La position française s’est jouée entre un très petit nombre d’acteurs autour du Président de la République et bien sûr entre celui-ci et le Président Bush. Le Président de la République a fait alterner déclarations de grande fermeté et ouvertures (discours à l’ONU devant l’Assemblée Générale le 24 septembre 1990 et même projet de déclaration proposée par la France au Conseil de Sécurité de l’ONU le 14 janvier 1991, projet rapidement retiré devant l’opposition américaine).
2) Le Parlement a été réuni une seconde fois le 16 janvier 1991 à la veille du déclenchement de la guerre. Il a entendu un message du Président de la République déclarant légitime le recours à la force un mois et demi après l’adoption par le Conseil de Sécurité, le 29 novembre 1990, d’une décision n° 678 autorisant « l’usage des moyens nécessaires » pour amener le retrait des troupes irakiennes du Koweït.
Jean-François Deniau aura eu l’occasion, le 12 décembre 1990, de s’étonner du passage d’une stratégie d’embargo à une stratégie de force sans vote du Parlement sur la base de l’article 35 de la Constitution autorisant la déclaration de guerre.
Le Premier ministre répondra qu’il ne s’agit pas d’une guerre mais d’une « opération de sécurité collective » sur la base du chapitre VII de la Charte de l’ONU. C’est sur cette interprétation et sur la base de l’article 49 de la Constitution que le 16 janvier 1991 le Premier ministre engage la responsabilité du gouvernement devant les deux Chambres.
Ce n’est donc pas une déclaration de guerre en bonne et due forme, mais un vote sur « la déclaration du gouvernement de Michel Rocard sur le Moyen-Orient ». Il y a à l’Assemblée 523 votes « pour » et 43 « contre ». Au Sénat, 290 votes « pour » et 25 « contre ».
Le Parlement a été réduit à un rôle de simple Chambre d’enregistrement. Les moteurs d’avions américains qui allaient bombarder Bagdad étaient déjà chauds sur l’aéroport de Dahran quand le vote est intervenu.
L’essentiel des décisions a été pris entre M. Bush, Mme Thatcher, M. Gorbatchev et François Mitterrand. La gestion de la crise et la gradation de l’émotion a été rythmée par les déclarations du Président le 19 décembre 1990, le 9 et le 16 janvier 1991.
3) Le Parlement sera réuni une nouvelle fois en session extraordinaire le 19 mars 1991 pour entendre une déclaration du Premier ministre saluant « la victoire du droit, la résolution du Président de la République … et la responsabilité des dirigeants politiques qui, majorité et opposition confondues, ont su mettre entre parenthèses les querelles intérieures pour n’avoir en tête que l’intérêt du droit et celui de la France ».
Il ajoutait « la défense du droit a fait se lever un esprit, celui peut-être de l’aube d’une ère nouvelle dans l’Histoire de l’Humanité, celui d’un monde vraiment régi par le droit … ».
On sait ce qu’il en est advenu. La proclamation du règne du droit limité géographiquement au Koweït n’a été historiquement qu’une parenthèse ressentie comme tellement hypocrite, avec la prolongation de l’embargo sur l’Irak jusqu’en 2003, que les Etats-Unis eux-mêmes ont pris sur eux de la refermer, douze ans après la première guerre du Golfe, en en déclenchant une seconde, et en envahissant l’Irak, sans en avoir reçu le mandat des Nations Unies.
Quel aurait pu être le rôle de la France ? François Mitterrand a décidé seul. L’écrasante majorité du Parlement et l’opinion publique à partir du déclenchement de la guerre ont entériné ses choix. Ceux qui lui ont résisté n’étaient pas nombreux. Il faut se rappeler l’atmosphère de curée médiatique orchestrée à l’échelle mondiale et répercutée en France par tous les moyens de la communication, pour mesurer combien ce choix était difficile.
2) Je passerai tout aussi rapidement sur le redimensionnement de nos armées et la réduction de près de moitié du nombre d’Etats-majors, plan dit « Armées 2000 », que je mets en route en 1989-2000 et qui sera appliqué par décret en 1991. L’affaire se passe entre moi-même et un petit groupe de travail constitué de quelques officiers généraux, le Chef d’Etat-major des Armées et le Président de la République. Le plan « Armées 2000 » fait l’objet d’une communication en partie A du Conseil des Ministres. Ce plan a simplement été évoqué devant le Parlement à l’occasion des budgétaires.
3) De même les interventions de basse intensité au Tchad ou aux Comores, de même que les dernières péripéties de la guerre Iran-Irak ne feront l’objet que de questions d’actualité et de réponses laconiques.
Le Parlement accepte sa marginalisation en matière de Défense. La récente réélection de François Mitterrand (mai 1988) lui assure une légitimité écrasante et je n’ai pas le souvenir que l’abandon du missile terrestre mobile S4 ait fait au Parlement l’objet d’un débat argumenté après ma prise de fonction.
Les missiles fixes du Plateau d’Albion ne seront supprimés qu’en 1995 sous le septennat de Jacques Chirac. Le seul débat sur l’adaptation à la nouvelle période de l’après guerre froide a lieu en 1994 à l’occasion de l’élaboration d’un nouveau « livre blanc ».
II – L’affaire sur laquelle je me concentrerai, c’est la crise et la guerre du Golfe dont le Parlement aura à connaître à trois reprises.
1) Après l’invasion du Koweït le 2 août 1990, le Parlement est convoqué en session extraordinaire le 27 août. Il entend un message du Président de la République qui est un appel à la mobilisation au service du droit. En fait le Président a déjà eu l’occasion de s’exprimer le 9 août 1990 et il a envoyé des émissaires dans tout le monde arabo-musulman, en y associant l’opposition : M. Lecanuet est envoyé en Inde et en Turquie, M. François-Poncet en Jordanie, et M. de Lipkovski en Indonésie, Malaisie et Thaïlande.
Dès le 2 août, la France a voté et fait appliquer la résolution 665 du Conseil de Sécurité de l’ONU instituant l’embargo à l’encontre de l’Irak. Le débat du 27 août n’est suivi d’aucun vote. C’est Edouard Balladur qui intervient au nom du RPR pour approuver la position prise par la France. Jacques Chirac, par une déclaration du 23 août, a fait savoir qu’en l’absence d’une information complète sur la crise, il s’en remettait aux Pouvoirs Publics des décisions prises.
Pour ma part, craignant d’emblée que les Etats-Unis ne veuillent laisser aucune chance pour une issue pacifique, j’ai tenté d’influer sur la politique de la France pour qu’elle favorise au contraire une telle issue. Lors d’un entretien en tête à tête avec le Président de la République, le 21 ou le 22 août 1990, je l’ai entendu me déclarer : « On ne peut pas être à la fois contre la droite et contre les Etats-Unis ». J’ai tout lieu de penser que la plupart des dirigeants de la droite n’ont pas fait, en sens inverse, un raisonnement très différent.
La position française s’est jouée entre un très petit nombre d’acteurs autour du Président de la République et bien sûr entre celui-ci et le Président Bush. Le Président de la République a fait alterner déclarations de grande fermeté et ouvertures (discours à l’ONU devant l’Assemblée Générale le 24 septembre 1990 et même projet de déclaration proposée par la France au Conseil de Sécurité de l’ONU le 14 janvier 1991, projet rapidement retiré devant l’opposition américaine).
2) Le Parlement a été réuni une seconde fois le 16 janvier 1991 à la veille du déclenchement de la guerre. Il a entendu un message du Président de la République déclarant légitime le recours à la force un mois et demi après l’adoption par le Conseil de Sécurité, le 29 novembre 1990, d’une décision n° 678 autorisant « l’usage des moyens nécessaires » pour amener le retrait des troupes irakiennes du Koweït.
Jean-François Deniau aura eu l’occasion, le 12 décembre 1990, de s’étonner du passage d’une stratégie d’embargo à une stratégie de force sans vote du Parlement sur la base de l’article 35 de la Constitution autorisant la déclaration de guerre.
Le Premier ministre répondra qu’il ne s’agit pas d’une guerre mais d’une « opération de sécurité collective » sur la base du chapitre VII de la Charte de l’ONU. C’est sur cette interprétation et sur la base de l’article 49 de la Constitution que le 16 janvier 1991 le Premier ministre engage la responsabilité du gouvernement devant les deux Chambres.
Ce n’est donc pas une déclaration de guerre en bonne et due forme, mais un vote sur « la déclaration du gouvernement de Michel Rocard sur le Moyen-Orient ». Il y a à l’Assemblée 523 votes « pour » et 43 « contre ». Au Sénat, 290 votes « pour » et 25 « contre ».
Le Parlement a été réduit à un rôle de simple Chambre d’enregistrement. Les moteurs d’avions américains qui allaient bombarder Bagdad étaient déjà chauds sur l’aéroport de Dahran quand le vote est intervenu.
L’essentiel des décisions a été pris entre M. Bush, Mme Thatcher, M. Gorbatchev et François Mitterrand. La gestion de la crise et la gradation de l’émotion a été rythmée par les déclarations du Président le 19 décembre 1990, le 9 et le 16 janvier 1991.
3) Le Parlement sera réuni une nouvelle fois en session extraordinaire le 19 mars 1991 pour entendre une déclaration du Premier ministre saluant « la victoire du droit, la résolution du Président de la République … et la responsabilité des dirigeants politiques qui, majorité et opposition confondues, ont su mettre entre parenthèses les querelles intérieures pour n’avoir en tête que l’intérêt du droit et celui de la France ».
Il ajoutait « la défense du droit a fait se lever un esprit, celui peut-être de l’aube d’une ère nouvelle dans l’Histoire de l’Humanité, celui d’un monde vraiment régi par le droit … ».
On sait ce qu’il en est advenu. La proclamation du règne du droit limité géographiquement au Koweït n’a été historiquement qu’une parenthèse ressentie comme tellement hypocrite, avec la prolongation de l’embargo sur l’Irak jusqu’en 2003, que les Etats-Unis eux-mêmes ont pris sur eux de la refermer, douze ans après la première guerre du Golfe, en en déclenchant une seconde, et en envahissant l’Irak, sans en avoir reçu le mandat des Nations Unies.
Quel aurait pu être le rôle de la France ? François Mitterrand a décidé seul. L’écrasante majorité du Parlement et l’opinion publique à partir du déclenchement de la guerre ont entériné ses choix. Ceux qui lui ont résisté n’étaient pas nombreux. Il faut se rappeler l’atmosphère de curée médiatique orchestrée à l’échelle mondiale et répercutée en France par tous les moyens de la communication, pour mesurer combien ce choix était difficile.