Le Point : Les Etats-Unis ont quitté l'Irak, ils vont se retirer d'Afghanistan, s'impliquent moins au Proche-Orient ; est-ce un repli lié à la présidence Obama ou une tendance plus lourde ?
Jean-Pierre Chevènement : Barack Obama me semble avoir une bonne capacité de distanciation. Si George Bush n'avait pas fait la bêtise d'intervenir en Irak, Obama n'aurait pas eu à s'en retirer. Cette aventure a pollué une autre intervention, légitime celle-là, contre le régime des talibans, en Afghanistan. Et dans l'affaire syrienne, je crois qu'il lui a fallu beaucoup de courage pour résister aux médias et à l'establishment militaire qui le pressaient d'intervenir dans ce qui se révèle être, de plus en plus, une guerre de religion. L'erreur commise en Irak est irréparable. On peut penser beaucoup de mal de la dictature laïque de Saddam Hussein, mais nous avions sur lui une magistrature d'influence. Il eût été moins coûteux d'exercer une forte pression que de dissoudre l'armée irakienne et de livrer le pays au chaos, au prix de centaines de milliers de morts avec, au final, un régime qui se situe clairement aujourd'hui dans l'orbite de l'Iran.
Comment sortir de cette logique ?
Que l'Irak ait une majorité chiite, c'est incontestable. Mais les Américains auraient pu essayer de créer un système plus équilibré, dans lequel les sunnites auraient eu leur mot à dire, bénéficier d'une autonomie substantielle, comme les Kurdes, sans pour autant détruire l'Etat irakien. Sur ces questions, la vogue est aux nations ethniques. La conception française de la nation politique, fondée sur la citoyenneté, était cependant très supérieure. Les accords Sykes-Picot ont créé des Etats autour de vieilles capitales arabes, Damas, Bagdad, tout en tenant compte d'une certaine diversité ethnique et religieuse. Mais il y a parfois une incapacité de l'Occident à manier des concepts qu'il a pourtant lui-même forgés, et les Américains donnent plus volontiers dans le communautarisme.
Jean-Pierre Chevènement : Barack Obama me semble avoir une bonne capacité de distanciation. Si George Bush n'avait pas fait la bêtise d'intervenir en Irak, Obama n'aurait pas eu à s'en retirer. Cette aventure a pollué une autre intervention, légitime celle-là, contre le régime des talibans, en Afghanistan. Et dans l'affaire syrienne, je crois qu'il lui a fallu beaucoup de courage pour résister aux médias et à l'establishment militaire qui le pressaient d'intervenir dans ce qui se révèle être, de plus en plus, une guerre de religion. L'erreur commise en Irak est irréparable. On peut penser beaucoup de mal de la dictature laïque de Saddam Hussein, mais nous avions sur lui une magistrature d'influence. Il eût été moins coûteux d'exercer une forte pression que de dissoudre l'armée irakienne et de livrer le pays au chaos, au prix de centaines de milliers de morts avec, au final, un régime qui se situe clairement aujourd'hui dans l'orbite de l'Iran.
Comment sortir de cette logique ?
Que l'Irak ait une majorité chiite, c'est incontestable. Mais les Américains auraient pu essayer de créer un système plus équilibré, dans lequel les sunnites auraient eu leur mot à dire, bénéficier d'une autonomie substantielle, comme les Kurdes, sans pour autant détruire l'Etat irakien. Sur ces questions, la vogue est aux nations ethniques. La conception française de la nation politique, fondée sur la citoyenneté, était cependant très supérieure. Les accords Sykes-Picot ont créé des Etats autour de vieilles capitales arabes, Damas, Bagdad, tout en tenant compte d'une certaine diversité ethnique et religieuse. Mais il y a parfois une incapacité de l'Occident à manier des concepts qu'il a pourtant lui-même forgés, et les Américains donnent plus volontiers dans le communautarisme.
Ils donnent aussi l'impression d'accorder désormais la priorité à l'Extrême-Orient.
C'est autour de la Chine que s'organise désormais la politique étrangère américaine. Le déclin américain est incontestable, mais il est limité et sera très lent. Et comme les Etats-Unis ne peuvent pas faire la police dans le monde entier, ils mènent une politique de domination très intelligente, basée sur des alliances, la pénétration économique, leur attractivité culturelle plutôt que sur les conquêtes territoriales. Et puis ils jouissent encore d'une puissance militaire qui est sans commune mesure avec les moyens de la Chine, sept fois inférieurs, même si celle-ci accentue son effort de défense. Les Etats-Unis resteront la première puissance militaire pendant des décennies.
L'Europe pourrait-elle se faire une place dans un monde que vous annoncez bipolaire ?
Pour l'Europe en tant qu'Union européenne, la réponse est clairement non. Parce qu'il n'y a pas un sentiment d'appartenance suffisant pour que des pays dont la position est minoritaire acceptent de se rallier à la majorité et parce que la défense et la politique étrangère relèvent des Etats. Structurellement, l'Europe est un magma d'impuissances conjuguées. Par contre, si la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni avaient des politiques convergentes sur quelques grands sujets, par exemple les relations avec la Russie, la manière de concevoir la montée en puissance de la Chine, la sécurité et par conséquent le développement en Afrique, alors cette Europe-là pourrait continuer à jouer un rôle dans le monde de demain.
Source : Le Point.
C'est autour de la Chine que s'organise désormais la politique étrangère américaine. Le déclin américain est incontestable, mais il est limité et sera très lent. Et comme les Etats-Unis ne peuvent pas faire la police dans le monde entier, ils mènent une politique de domination très intelligente, basée sur des alliances, la pénétration économique, leur attractivité culturelle plutôt que sur les conquêtes territoriales. Et puis ils jouissent encore d'une puissance militaire qui est sans commune mesure avec les moyens de la Chine, sept fois inférieurs, même si celle-ci accentue son effort de défense. Les Etats-Unis resteront la première puissance militaire pendant des décennies.
L'Europe pourrait-elle se faire une place dans un monde que vous annoncez bipolaire ?
Pour l'Europe en tant qu'Union européenne, la réponse est clairement non. Parce qu'il n'y a pas un sentiment d'appartenance suffisant pour que des pays dont la position est minoritaire acceptent de se rallier à la majorité et parce que la défense et la politique étrangère relèvent des Etats. Structurellement, l'Europe est un magma d'impuissances conjuguées. Par contre, si la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni avaient des politiques convergentes sur quelques grands sujets, par exemple les relations avec la Russie, la manière de concevoir la montée en puissance de la Chine, la sécurité et par conséquent le développement en Afrique, alors cette Europe-là pourrait continuer à jouer un rôle dans le monde de demain.
Source : Le Point.