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La voix de la France dans le monde


Tribune de Jean-Pierre Chevènement parue dans Le Monde, édition du 23 octobre 2008. Le séisme financier actuel a rétabli des évidences : l'Europe est une union d'Etats et le France peut et doit y jouer tout son rôle.


La voix de la France dans le monde
Le président de la République, dans son discours de Toulon, n'a pas sous-estimé la gravité de la crise. Mais il l'a réduite à la logique du capitalisme financier. Certes, il a eu raison de flétrir les excès de la titrisation qui a déresponsabilisé les banques, mais il n'a pas dit qui a encouragé cette "titrisation". Il a surtout fait l'impasse sur la dimension géopolitique de la crise.

Qui en effet a encouragé la fuite en avant dans l'endettement des ménages et des banques, et la dilution des risques dans une "titrisation" opaque ? Qui, sinon l'administration Bush et ce demi-dieu, Alan Greenspan, hier encensé, et jeté aujourd'hui à bas de son piédestal ? Il fallait bien sortir de la crise née de l'éclatement de la bulle technologique et financer la guerre d'Irak !

C'est cette fuite en avant qui a contaminé l'ensemble de l'économie mondiale. Mais le mal vient de plus loin encore : ce sont les Etats-Unis qui, depuis plus de trente ans, ont impulsé la globalisation financière et les dérégulations, flottement des monnaies, libéralisation absolue des mouvements de capitaux, cycle des privatisations, fin de toutes les protections à travers le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) devenu Organisation mondiale du commerce (OMC), mise en concurrence des territoires et des mains-d'oeuvre avec son cortège de délocalisations. Il faut rappeler qu'ils furent suivis par l'Europe, qui fit du dogme libéral son credo, à travers l'acte unique, le traité de Maastricht et le projet de Constitution européenne repris par le traité de Lisbonne.

Les Etats-Unis, grâce à la globalisation et au privilège du dollar, ont pris l'habitude de vivre très au-dessus de leurs moyens : leur endettement total - tous agents confondus - atteint 316 % de leur PIB ! L'économie la plus riche du monde capte 80 % de l'épargne mondiale, signe sûr que le monde marche sur la tête ! Enfin, le déficit de leur balance commerciale dépasse 700 milliards de dollars (530,7 milliards d'euros), soit plus de 5 % de leur PIB.

Mais ce système est fragile car le sort du dollar est entre les mains du Japon, de la Chine et des pays du Golfe. La bonne tenue du dollar depuis l'accélération de la crise ne tient qu'à la puissance politique et militaire des Etats-Unis. Mais leur enlisement au Moyen-Orient montre que ceux-ci ont atteint ce que l'historien Paul Kennedy décrivait déjà en 1987 comme le point de "surextension impériale", celui au-delà duquel un empire ne peut plus soutenir sa domination et se trouve donc obligé de réviser à la baisse ses ambitions.

Certes, les Etats-Unis sont et resteront au XXIe siècle une très grande nation, mais ils devront composer avec "le reste du monde", avec les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Iran), mais aussi avec le retour de la Russie et même avec leurs alliés traditionnels : Europe et Japon, qui, dans un monde multipolaire, voudront compter parmi les "pôles".

Et voilà pourquoi la crise sera longue, à la mesure des profonds déséquilibres économiques et géopolitiques qui se sont creusés depuis que Francis Fukuyama, en 1992, au lendemain de la chute de l'URSS, avait imprudemment proclamé la fin de l'Histoire et le triomphe définitif du libéralisme. Il faudra du temps en effet pour que les ménages américains se remettent à épargner et revoient leur mode de vie et pour que les Etats-Unis rétablissent leurs comptes extérieurs et délaissent le rêve d'un empire universel dont ils n'ont plus les moyens.

Bien sûr, ils peuvent être tentés de maintenir leurs avantages en recourant à la guerre, avec l'Iran par exemple ou bien avec la Russie dans le Caucase, par Européens interposés, de préférence, ou bien encore - pourquoi pas ? - avec la Chine dans le détroit de Formose ou en Corée. Tel n'est pas, heureusement, l'état d'esprit d'un Barack Obama, même si certains de ses objectifs de politique extérieure (Iran, Afghanistan, extension de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie) ne diffèrent pas fondamentalement de ceux de John McCain. Aucun des deux candidats ne semble avoir pris conscience de la situation économique réelle de l'Amérique.

Une récession économique assez longue se profile donc, faute d'une coordination des politiques économiques entre les principaux pôles de l'économie mondiale. Il faudrait en effet stimuler la demande dans les pays excédentaires (Allemagne, Japon, Chine) pour aider les Etats-Unis à rétablir leur équilibre commercial et à retrouver un taux d'épargne normal, autrement qu'à travers la récession. Nicolas Sarkozy a évoqué un nouveau Bretton Woods. L'expression est forte, mais nous sommes loin de pouvoir retrouver rapidement un système de parités ordonnées : il faut d'abord remédier aux déséquilibres fondamentaux de l'économie mondiale.

Pour que les grands pays européens puissent faire entendre leur voix dans la redistribution du pouvoir, à l'échelle mondiale, qui se profile, il serait temps de regarder les réalités en face. La crise a frappé de désuétude les principes qui ont gouverné la construction européenne : concurrence libre et non faussée sous la haute surveillance d'une Commission européenne omnipotente, prohibition des aides d'Etat, critères dépassés de plafonnement des déficits et de la dette publique, irresponsabilité de la Banque centrale européenne (BCE). On mesure ainsi à quel point le traité de Lisbonne correspondait peu aux nécessités d'une construction européenne réaliste.

En quelques jours, la réalité de l'Union européenne s'est révélée : c'est une union d'Etats et non pas une construction "communautaire" et encore moins fédérale. Ce sont les quatre plus grands Etats réunis d'urgence au sein d'un "G4" qui ont décidé, le 4 octobre, une simple coordination de mesures nationales, sous le régime de l'urgence, c'est-à-dire en dehors des règles posées par les traités, et cela sous l'impulsion d'Angela Merkel.

L'Eurogroupe à quinze, avec le concours de Gordon Brown, a assuré la mise en musique. Ainsi a éclaté la puissance du fait national : seuls les Etats en temps de crise ont en effet la légitimité démocratique pour imposer des plans d'urgence. La Commission européenne a été mise devant le fait accompli, et la BCE a été contrainte d'accepter dans l'urgence une baisse de ses taux d'intérêt que M. Trichet refusait encore quelques jours auparavant. Fallait-il que soufflât fort le vent venu d'Amérique !

Mais mieux vaut l'Europe des Etats que pas d'Europe du tout ! L'Allemagne ne veut pas d'un gouvernement économique de la zone euro. J'entends certains réclamer un "emprunt européen" que Jacques Delors évoquait déjà en 1994 au sommet d'Essen et que les traités actuels ne permettent toujours pas.

Ainsi les faits ont tranché : armés d'un solide euroréalisme, allons à la rencontre d'un avenir que chacun pressent difficile, en nous appuyant sur les nations, là où vit la démocratie, avec une idée simple : "Autant d'Europe que possible, mais autant de France que nécessaire !" Loin de toute inféodation, la France peut et doit faire entendre une voix claire, à la rencontre du monde nouveau qui vient.
Jean-Pierre Chevènement est sénateur du Territoire de Belfort, ancien ministre.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mercredi 22 Octobre 2008 à 14:46 | Lu 5538 fois



1.Posté par furaxauboulot le 22/10/2008 16:58
Le fossoyeur du Gaullisme devra probablement et heureusement rendre des comptes. Il est plus que temps de dégonfler le ballon de baudruche du "Chirac brave Rad-Soc". Les positions de l'intéressé en matière de politique étrangère n'excusent pas tout. Il y a des limites à la bienveillance. Et ce n'est pas fini...La retraite risque d'être moins dorée que prévue. Existerait-il une Justice dans ce pays ?


JACQUES CHIRAC
Levée du secret défense du compte présumé de Chirac
NOUVELOBS.COM | 22.10.2008 | 16:45
12 réactions
Le ministre de la Défense indique qu'il a signé les documents permettant la déclassification des documents de la DGSE concernant la disparition d'un journaliste enquêtant sur un présumé compte secret au Japon de l'ancien président de la République.

Jacques Chirac (c) Sipa
Le ministre de la Défense Hervé Morin a indiqué mercredi 22 octobre sur LCI avoir "signé" la veille "les documents" permettant la levée du secret défense dans l'enquête sur un présumé compte secret de l'ancien président Jacques Chirac au Japon.
"C'est fait. J'ai signé les documents", a déclaré Hervé Morin interrogé à ce sujet sur LCI.
La Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) avait émis un avis favorable à la déclassification de documents de la DGSE (Renseignements extérieurs) saisis par un juge enquêtant sur la disparition d'un journaliste travaillant sur un présumé compte secret de Jacques Chirac au Japon. "Comme toujours, il y a beaucoup plus de fantasmes que de réalité dans tout cela", a toutefois ajouté Hervé Morin.

Eventuels transferts de fonds

Dans son avis, paru le 18 octobre au Journal officiel, la CCSDN se déclare favorable à la déclassification de seize documents sur les dix-sept saisis le 4 juin au siège de la DGSE par le juge de Papeete Jean-François Redonnet qui enquête sur la disparition de Jean-Pascal Couraud.
Ce journaliste indépendant travaillait sur d'éventuels transferts de fonds entre une grosse entreprise de Polynésie française et un compte qu'aurait détenu l'ancien président de la République. Il a disparu dans des conditions mystérieuses le 15 décembre 1997.

2.Posté par jctoussaint le 22/10/2008 19:34
Une tribune brillante comme toujours. Une vision très juste de la situation économique et géopolitique actuelle. Mais aussi une critique aiguisée du capitalisme.
Je suis content qu'enfin un homme politique français ait le courage de montrer que la politique de Obama diffère peu de celle de Mac Cain.
Je regrette juste, un peu, qu'il ne parle pas du protectionnisme car c'est là une des clés de la sortie de crise.
Cependant, c'est une tribune comme on aimerait en lire plus souvent, du grand JPC.

3.Posté par furaxauboulot le 23/10/2008 17:50
La voix de la France dans le monde

C'est aussi la crédibilité des ses élites. Il y aurait beaucoup de choses à dire là-dessus. Des élites déconnectées du Peuple , des experts qui se trompent à répétition. Le Tiers-Etat à voix au chapitre.

4.Posté par furaxauboulot le 24/10/2008 10:14
Libération ce jour ; la voix de la France sera désormais plus audible encore en Afrique...........................................................

Pendant la crise, les cadeaux fiscaux continuent. Jusqu’à semer parfois le malaise au sein de l’Assemblée nationale, qui examine le volet recettes du budget 2009. Alors qu’on s’attendait à voir supprimer certains avantages fiscaux, la majorité UMP a causé la surprise en créant une nouvelle niche fiscale - dont on ignore le coût - lors de la séance de nuit de mercredi à jeudi.

A la manœuvre le député (UMP) des Hauts-de-Seine, Frédéric Lefebvre, seul signataire d’un amendement octroyant des avantages fiscaux - avec effet rétroactif - aux particuliers et aux entreprises investissant en Afrique. Un amendement redoutablement complexe que son auteur dit avoir rédigé «avec Bercy». Pour le justifier, Frédéric Lefebvre a mis en avant de nobles causes. Le but est de favoriser l’expansion «du tissu économique des pays en voie de développement et plus particulièrement en Afrique» et booster le «codéveloppement».

Vigilance. Sur les bancs de la gauche, on a surtout vu dans cet amendement, la main «de la Françafrique». «Qu’est-ce qu’il y a derrière tout ça ?» a questionné Dominique Baert (PS). «Cet amendement est une proposition étrange», a commenté Jean-Pierre Brard (PC). Jérôme Cahuzac (PS) s’est interrogé sur la rétroactivité de la mesure et ses bénéficiaires : «Qui a investi ? Combien ? Ou ? Qui demande au Parlement de défiscaliser cet investissement ?» Continuant sur sa lancée, il a souligné la «gêne» des ministres Eric Woerth et Christine Lagarde, qui ont donné un «avis favorable» à l’amendement. Il a aussi appelé à la vigilance des députés. Sur les bancs de l’UMP personne n’a moufté. Sauf Frédéric Lefebvre, qui a trouvé ces propos «assez choquants». Avant de passer au vote, Didier Migaud, le président (PS) de la commission des finances a fait observer que l’Assemblée s’apprêtait à créer «une nouvelle niche fiscale». En vain. L’amendement a été adopté avec les seules voix des députés UMP.

Une demi-heure plus tard, nouveau bouillonnement dans l’hémicycle. Le gouvernement propose au vote un amendement, distribué à la hussarde dans les rangs. Il prévoit de porter de 12 000 à 12 400 euros le plafond de réduction d’impôt au profit des ménages qui emploient du personnel à domicile. Cerise sur le gâteau : ce plafond sera indexé sur l’évolution du «barème de l’impôt sur le revenu» et «le montant obtenu est arrondi à la centaine d’euros supérieure».

Généreux. Une première que la gauche a aussitôt dénoncée. Un moindre mal en réalité : cet amendement venait contrer un amendement encore plus généreux présenté par… Frédéric Lefebvre, qui souhaitait, lui, porter le montant du plafond de réduction d’impôt de 12 000 à 15 000 euros. Cette fois, même à droite, certains se sont rebellés. Le rapporteur général de la commission des finances Gilles Carrez (UMP) a contré à coup d’arguments affûtés l’amendement Lefebvre, mais aussi celui du gouvernement. Sentant qu’il risquait d’être mis en difficulté par sa propre majorité Eric Woerth a du coup décidé de repousser l’examen du texte «en seconde partie», lors de l’examen du budget de l’emploi.

5.Posté par henri 34 le 24/10/2008 11:23
Merci à JPC de souligner que le tsunami économico-financier actuel est une menace incontestable pour la paix mondiale.La seule supériorité incontestable des US réside aujourd'hui dans leur maîtrise militaire technologique dans l'espace,dans les airs et sur mer.Sur le plan terrestre cette supériorité qualitative est moins nette mais une armée de terre menant des opérations difficiles depuis 8 ans s'aguerrit.La crise et son cortége de chômeurs ne peut qu'améliorer son probléme de recrutement actuellement masqué en partie par l'importance de sa "légion étrangére"(immigrés qui en contrepartie du service armé sont intégrés dans la société US à leur libération).
Espérons que cet avantage miltaire en restera au stade de la dissuasion et sur ce plan le ralliement de Powell à Obama est un bon signe,l'homme ayant été berné par les néo-cons sur la guerre en Irak et il a dû retenir la leçon.
Dans les zones potentielles de conflit la plus importante peut-être ,même si JPC ne la cite pas ,est la poudriére entre Afghanistan-Inde-Pakistan.L'alliance traditionnelle Pékin -Islamabad se renforce et la situation dans ce coin du monde est beaucoup plus imprévisible qu'en Mer de Chine ou au Caucase où les parties prenantes sont identifiables.
La haine des US dans le monde est à son paroxysme et le successeur de Bush ne pourra pas faire plus mal .Si c'est Obama qui prend la place d'un homme qui laissera un triste souvenir dans l'histoire,à défaut d'un état de grâce nous devrions avoir une éclaircie dans un contexte international bien noir.Mais le délai sera court pour amorcer une nouvelle donne.
Notre pays doit y jouer un rôle particulier d'éclaireur-modérateur plus que l'UE dont trop de membres sont inféodés à l'OTAN.Pour celà une concertation de nos responsables politiques nationaux serait l'atout indispensable.Une initiative discréte de JPC dans ce sens me plaîrait bien.

6.Posté par hélène le 24/10/2008 20:47

Heureusement que vous êtes là pour ne pas cacher la réalité des choses aux Français.

Vous êtes un des rares à "oser" parler des évènements tels qu'ils se profilent
et non uniquement basés sur les mots crise financière, crise économique.

Cela va hélas beaucoup plus loin dans le processus ...

7.Posté par baudouin grégory le 25/10/2008 00:12
qu'il est bon de revoir de telle tribune et d'entendre Jean Pierre Chevènement réaffirmer comme il le fit à notre congrès "le fait national ne disparaitrait pas...". il est le seul à démontrer que tout est lier à la Nation citoyenne et à la république que cela soit dans le domaine économique, industriel, sécurité etc....

8.Posté par Quotidien de Babylone le 25/10/2008 13:04
Très bon article qui remet les pendules à l'heure à propos de l'U. E et de ses échecs !


http://lequotidiendebabylone.over-blog.com/

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