L’examen des crédits de la mission « Action extérieure de l’Etat » est l’occasion de nous interroger sur la capacité de notre pays à exister en dehors de ses frontières, c’est-à-dire pour les autres, mais aussi pour lui-même, tant il est vrai qu’on ne peut séparer les affaires étrangères de la politique intérieure.
Etrangères, ces affaires le sont si peu qu’elles se répercutent souvent très vite sur les équilibres de la société française et sur nos choix politiques : crises au Moyen-Orient, crise financière, montée irréversible de la Chine au rang des très grandes puissances et qui fait déjà sentir son poids, élection américaine qui rebat les cartes en maints domaines, en Irak, mais aussi en Afghanistan où nous risquons d’être entraînés dans une guerre qu’on ne peut pas gagner. La multipolarité du monde est d’ores et déjà un fait. Encore peut-on se demander si elle n’est pas elle-même dépassée par un mouvement brownien de nations qui, à côté de pays continents, aspirent à s’affirmer, hier le Vietnam, aujourd’hui l’Iran, le Venezuela, la Bolivie, la Serbie, demain sans doute la Corée. Bref, le monde reste fait de nations et la France, puissance ancienne mais encore respectable, membre permanent du Conseil de Sécurité, disposant d’une capacité nucléaire dissuasive, tête de la francophonie, qui rassemble, à travers une langue partagée, de très nombreux peuples sur tous les continents, peut encore influer.
Etrangères, ces affaires le sont si peu qu’elles se répercutent souvent très vite sur les équilibres de la société française et sur nos choix politiques : crises au Moyen-Orient, crise financière, montée irréversible de la Chine au rang des très grandes puissances et qui fait déjà sentir son poids, élection américaine qui rebat les cartes en maints domaines, en Irak, mais aussi en Afghanistan où nous risquons d’être entraînés dans une guerre qu’on ne peut pas gagner. La multipolarité du monde est d’ores et déjà un fait. Encore peut-on se demander si elle n’est pas elle-même dépassée par un mouvement brownien de nations qui, à côté de pays continents, aspirent à s’affirmer, hier le Vietnam, aujourd’hui l’Iran, le Venezuela, la Bolivie, la Serbie, demain sans doute la Corée. Bref, le monde reste fait de nations et la France, puissance ancienne mais encore respectable, membre permanent du Conseil de Sécurité, disposant d’une capacité nucléaire dissuasive, tête de la francophonie, qui rassemble, à travers une langue partagée, de très nombreux peuples sur tous les continents, peut encore influer.
Parlons d’abord de votre budget puis de votre politique.
I – Votre budget.
Si votre budget est modeste, votre mission est importante. Si vous ne disposez que de 15 866 emplois, chacun sait que le personnel du Quai d’Orsay est de très grande qualité : son professionnalisme, sa motivation, son dévouement au service de la France, en font un corps d’élite et pour tout dire une des grandes institutions de la France. Vous avez hérité, Monsieur le Ministre, du deuxième réseau diplomatique du monde. C’est un grand atout pour l’influence et le rayonnement de notre pays. Mais que voyons-nous à travers ce projet de budget ?
1. A structures constantes, il baisse de 1,53%.
a) On vous colle sur le dos les pensions des enseignants à l’étranger - 120 millions d’euros – au risque d’étouffer l’AEFE (l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger).
b) La prise en charge passablement démagogique des frais de scolarité des enfants français – 20 millions de plus cette année mais 94 millions à terme – ne peut manquer d’avoir un effet d’éviction sur les enfants des élites du pays d’accueil ou de pays tiers. C’est un précieux moyen de rayonnement que nous gaspillons ainsi.
c) La croissance optique des crédits de votre ministère – 3,6 % - provient du « rebasage » toujours trop tardif - 41,2 millions cette année – destiné à financer les opérations de maintien de la paix de l’ONU comme l’opération Darfour dont le coût pour la France est chiffré à plus de 90 millions d’euros. Croyez-vous que des problèmes humanitaires puissent être traités essentiellement à travers le prisme militaire ? N’y a-t-il pas une approche politique, moins coûteuse, plus efficace et en définitive plus humaine ?
d) Les contributions de la France hors OMP aux institutions internationales - 405 millions d’euros en 2008 - représentent plus que le coût de nos ambassades – 160 millions d’euros – et de nos consulats - 97 millions d’euros.
e) Un mot, Monsieur le Ministre, sur la francophonie. Son centre de gravité sera de plus en plus en Afrique. N’ayons donc pas peur d’affirmer la nécessité y compris militaire de notre présence en Afrique pour aider à la construction de jeunes Etats. Sans la sécurité, il n’y a ni développement ni démocratie possible. Deuxième observation : l’avenir de la francophonie passe pour le multilinguisme. Il faut augmenter les moyens accordés au corps des interprètes et traducteurs non seulement à l’ONU mais dans toutes les organisations dont nous sommes membres. Une surcharge très légère sur les transactions internationales permettrait de sauver la diversité culturelle et linguistique du monde. Une cause qui vaut la peine d’être défendue !
2. Une contradiction manifeste frappe ainsi le budget de votre ministère. La France réduit ses moyens d’action propres. Elle augmente sa participation aux organisations multilatérales et aux opérations de maintien de la paix. Tout se passe comme si nous avions de plus en plus peur d’agir par nous-mêmes et comme si nous devions dissimuler notre action dans des interventions multilatérales où la France n’apparaît guère.
a) C’est dans ces conditions que votre ministère se voit appliquer, au nom de la révision générale des politiques publiques, un plan de rigueur d’une exceptionnelle sévérité.
Vous devez ainsi supprimer 700 équivalents temps plein de vos effectifs, soit 4 % : plus d’un départ à la retraite sur deux, alors que certains ministères ne sont taxés que de un sur trois. Ce sont des économies de bout de chandelle. Désormais on touche à l’os. Plus de la moitié des suppressions de postes concernera des personnels titulaires.
b) On n’améliorera pas l’image de la France en créant trois catégories d’ambassades. Cette différenciation qui heurtera la sensibilité des pays-hôtes qui se sentiront méprisés sera fortement préjudiciable à notre rayonnement.
c) Outre les restrictions infligées à l’AEFE, j’observe que les crédits consacrés à l’action culturelle baissent de 13 % dans le programme 185. Des fermetures successives sont intervenues, notamment en Allemagne, notre premier partenaire en Europe, alors que nos voisins multiplient les British Councils, les Goethe Instituts, ou les Instituts Cervantès. Tout se passe comme si la coopération culturelle servait de variable d’ajustement. Cessons ces fermetures. Soyons moins restrictifs à l’accueil d’étudiants étrangers dont l’effectif baisse pour la première fois en 2008.
3. Comment ne pas comparer à la modestie de nos moyens propres le poids des opérations extérieures (dites OPEX) dans le budget de la Défense ? Un surcoût de 850 millions d’euros en 2008, soit 20 % de vos crédits, et un coût réel d’ailleurs, bien supérieur ! Un mot encore sur le coût du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie – plus de 300 millions d’euros pour plus de 1 000 emplois. Je laisse ces chiffres à votre réflexion et à celle du Sénat.
Vos crédits sont chichement mesurés. Parallèlement, la contribution de la France au budget de l’Union Européenne atteindra 17,4 milliards d’euros. En solde net, nous paierons 4 milliards d’euros au budget de l’Union Européenne ce qui fera de nous le deuxième contributeur net, un peu derrière l’Allemagne. Où est la cohérence de notre action extérieure ?
II – Venons-en à votre politique
Le XXIe siècle comporte pour la France un grave risque d’effacement, soit qu’elle se laisse absorber dans un Empire, soit qu’elle se fracture entre différents communautarismes. Ces deux dangers peuvent d’ailleurs aller de pair.
Au premier de ces dangers conspire l’idéologie « occidentaliste », théorisée par M. Balladur dans un livre intitulé « Pour une Union Occidentale » : il faudrait dans un Occident en perdition une véritable fusion euratlantique, bien entendu autour des Etats-Unis.
1. L’OTAN serait la colonne vertébrale de ces futurs Etats-Unis d’Occident. Je ne crois pas que ce soit là ni l’intérêt ni la vocation de la France : le monde est pluriel au Sud comme au Nord et dans un monde de nations la France a encore un beau rôle à jouer. A quoi sert l’OTAN, Monsieur le Ministre, quand l’URSS a disparu, et dans un monde dont les équilibres se déplacent à grande vitesse vers l’Asie ? Dans deux décennies, le PIB de la Chine aura rejoint, si les tendances observées se poursuivaient, celui des Etats-Unis. S’agit-il de nous mettre à la remorque de leur diplomatie et de transformer l’OTAN en bras armé de l’Occident, sous la direction des Etats-Unis, comme on le voit au Kosovo ou en Afghanistan ?
L’Institut John Hopkins réfléchit, nous dit-on, à un « nouveau concept stratégique de l’OTAN ». Nous aimerions être associés à cette réflexion. S’agit-il de contenir la Russie ? Il est regrettable que le Président de la République ait approuvé le déploiement par l’OTAN de systèmes anti-missiles en Tchéquie et en Pologne. Le principe de l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie a été acté, même si sa concrétisation a été renvoyée à un avenir indéfini. Chacun voit le danger de se laisser entraîner dans les conflits du Caucase ou dans une nouvelle affaire de Crimée dont Sébastopol sera l’enjeu.
Le comportement politique irresponsable de certains leaders, comme on l’a vu en Géorgie, peut mettre en danger la sécurité collective. On nous dit qu’il y a des critères pour l’admission dans l’OTAN : sincérité des élections – indépendance de la justice – lutte contre la corruption, etc. Je crains qu’en réalité nous ayons mis le doigt dans un engrenage, même si la Géorgie et l’Ukraine n’ont pas été admises dans la procédure « MAP », préparatoire à l’admission.
Le Président de la République nous a expliqué que la réintégration de la France dans l’organisation militaire de l’OTAN était subordonnée dans son esprit à des progrès décisifs en matière de défense européenne. J’avoue ne pas voir ces avancées : on nous parle d’action maritime commune contre la piraterie sous l’autorité d’un amiral britannique. J’ose espérer que nous ne nous payons pas de mots.
La seule réalisation concrète significative serait la constitution permanente d’un Etat-major de forces, auquel s’oppose toujours la Grande-Bretagne, à ma connaissance. Le retour dans l’organisation militaire intégrée n’aurait pour la France que des inconvénients : il porterait un coup à l’originalité de notre posture de défense et de politique extérieure aux yeux des peuples du Sud et de puissances émergentes.
Une telle réintégration renforcerait encore la propension de certains de nos officiers généraux à s’évaluer à l’aune du regard américain plutôt qu’à l’aune de l’intérêt national.
En tout cas, le Parlement a un impérieux besoin de débattre de cette question et notamment du « nouveau concept stratégique de l’OTAN », avant toute décision, et avant même le Conseil de l’OTAN prévu à Strasbourg en avril prochain. Il ne serait pas admissible que celui-ci soit l’occasion d’une piteuse mise en scène du retour au bercail du fils prodigue.
2. Certes il y a eu des aspects positifs dans la diplomatie française récente :
a) Le succès du lancement de « l’Union pour la Méditerranée », obéré cependant par le fait qu’on n’a pas vu se constituer en 2008 un Etat palestinien viable, contrairement à des propos imprudents.
b) Il y a eu surtout le succès de la Présidence française de l’Union européenne :
- d’abord de la médiation russo-géorgienne qui préserve la possibilité d’un partenariat indispensable entre la Russie et l’Union européenne ;
- ensuite face à la crise financière, les initiatives pragmatiques du Président Sarkozy qui a su mettre en congé - mais pour combien de temps ? - les règles européennes qui eussent pu faire obstacle à une stratégie de consolidation bancaire et je l’espère aussi, de relance économique coordonnée à l’échelle européenne et mondiale.
c) Leçon de choses pour ouvrir les yeux des tenants d’une idéologie fédéraliste à l’échelle de l’Europe : on a assisté au grand retour non seulement de la puissance publique mais des Etats-nations parce que seuls ceux-ci ont la légitimité démocratique qui leur permet d’agir en cas de crise. Le Président Sarkozy a eu la sagesse de le comprendre et d’agir en pratiquant la géométrie variable en matière européenne. C’est par cercles concentriques progressifs : G4 puis Eurogroupe à quinze, auquel s’est joint la Grande-Bretagne, puis Union européenne à vingt-sept, qu’un cadre de cohérence a été dessiné, où se sont emboîtés des plans qui restent nationaux.
J’observe que le Président de la Commission européenne, M. Barroso, ressassant de vieilles patenôtres, voudrait faire valoir à nouveau des règles de concurrence opportunément suspendues alors qu’il faudrait faire prévaloir l’idée de politiques économiques et industrielles coordonnées sur les tables de la loi de la concurrence libre et non faussée.
d) Opportune également a été la décision de réunir, le 15 novembre, le G20 à Washington, même si l’application tarde et se heurte en Europe aux réticences de Madame Merkel dont on ne sait si c’est le dogme libéral ou une vision à courte vue de l’intérêt de l’Allemagne qui les inspirent. Je crois au contraire que le rôle de locomotive de la relance correspond à l’intérêt européen et par conséquent à l’intérêt national bien compris de l’Allemagne.
3. La France ne doit pas avoir peur de son ombre, y compris dans ses rapports avec le grand allié d’Outre Atlantique. Les retrouvailles avec M. Bush étaient peut-être un peu trop ostensibles, puisqu’aussi bien, nous allons devoir travailler avec M. Obama et son équipe. Les priorités de celui-ci ne sont pas forcément les nôtres. Comme l’a dit plaisamment Hubert Védrine, gardons-nous de croire que les Américains ont élu à la Maison Blanche un Européen de gauche.
L’un des premiers discours de M. Obama, à Chicago, évoquait « un nouveau leadership américain ». La vérité est que M. Obama devra réviser en baisse les objectifs de la politique extérieure américaine. Il aura aussi besoin de la coopération internationale pour relancer l’économie et instaurer aux Etats-Unis une société moins inégalitaire. L’équipe qu’a choisie M. Obama est composée d’hommes et de femmes réalistes. M. Obama a laissé entendre qu’il nouerait un rapport diplomatique avec Téhéran. Il faut résister à la tentation de frapper, donner du temps au temps et parier sur la société iranienne avide de modernité. L’Iran est la puissance dominante de la région depuis l’écrasement de l’Irak. C’est un fait.
Les Etats-Unis peuvent faire comprendre aux dirigeants iraniens que le véritable intérêt de leur pays n’est pas dans la prolifération nucléaire dans une région instable. Il serait intelligent de la part de la France de se placer dans la perspective de ce rapprochement irano-américain probable plutôt que de surenchérir sur un bellicisme à courte vue.
4. Concernant le Kosovo, quel intérêt y a-t-il à prolonger notre présence militaire dans un micro Etat non viable ? Il ne sert à rien de faire miroiter à une demi-douzaine d’Etats de l’ancienne Fédération yougoslave la perspective d’une adhésion à l’Union européenne sans leur avoir demandé de procéder à une intégration régionale préalable.
5. Un mot sur l’Afghanistan, M. le Ministre : le risque est grand de nous voir entraînés à participer toujours plus profondément à une guerre sans issue. La solution n’est pas à Kaboul mais à Islamabad où la jeune démocratie pakistanaise doit s’affranchir de la tutelle de son armée.
6. Enfin, une question sur la Chine : comment expliquez-vous la vivacité regrettable de la réaction chinoise aux propos du Président de la République sur une éventuelle rencontre avec le Dalaï Lama ?
Est-il bien heureux, M. le Ministre, qu’après avoir échoué à trouver une solution politique viable au conflit israélo-palestinien, ou aux conflits balkaniques, nous allions nous immiscer dans les conflits immémoriaux de l’Hindou-Kouch, du Caucase, des vallées himalayennes ? Il y a pour la France une manière raisonnable et honnête d’exister, loin de l’hubris de postures que nous ne pouvons pas soutenir dans la durée, mais tout simplement en nous tenant à la légalité internationale telle que la définit le Conseil de Sécurité dont nous sommes membre permanent.
7. Un mot encore sur la réforme du Conseil. Sachons ne pas augmenter le nombre de ses membres permanents au-delà de vingt et permettons que certains membres non permanents puissent être rééligibles au bout de deux ans. Cette simple « réformette » (il suffit de modifier un article de la Charte) permettrait l’inclusion dans le Conseil de quelques membres semi-permanents ou quasi permanents et consoliderait la légitimité déjà grande du Conseil de Sécurité.
Déjà au XVIe siècle Montaigne écrivait qu’il se sentait homme en général et Français par accident. J’aimerais vous convaincre, Monsieur le Ministre, qu’on peut s’écarter de cette inspiration et défendre les intérêts de la France sans trahir ceux de l’Humanité.
I – Votre budget.
Si votre budget est modeste, votre mission est importante. Si vous ne disposez que de 15 866 emplois, chacun sait que le personnel du Quai d’Orsay est de très grande qualité : son professionnalisme, sa motivation, son dévouement au service de la France, en font un corps d’élite et pour tout dire une des grandes institutions de la France. Vous avez hérité, Monsieur le Ministre, du deuxième réseau diplomatique du monde. C’est un grand atout pour l’influence et le rayonnement de notre pays. Mais que voyons-nous à travers ce projet de budget ?
1. A structures constantes, il baisse de 1,53%.
a) On vous colle sur le dos les pensions des enseignants à l’étranger - 120 millions d’euros – au risque d’étouffer l’AEFE (l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger).
b) La prise en charge passablement démagogique des frais de scolarité des enfants français – 20 millions de plus cette année mais 94 millions à terme – ne peut manquer d’avoir un effet d’éviction sur les enfants des élites du pays d’accueil ou de pays tiers. C’est un précieux moyen de rayonnement que nous gaspillons ainsi.
c) La croissance optique des crédits de votre ministère – 3,6 % - provient du « rebasage » toujours trop tardif - 41,2 millions cette année – destiné à financer les opérations de maintien de la paix de l’ONU comme l’opération Darfour dont le coût pour la France est chiffré à plus de 90 millions d’euros. Croyez-vous que des problèmes humanitaires puissent être traités essentiellement à travers le prisme militaire ? N’y a-t-il pas une approche politique, moins coûteuse, plus efficace et en définitive plus humaine ?
d) Les contributions de la France hors OMP aux institutions internationales - 405 millions d’euros en 2008 - représentent plus que le coût de nos ambassades – 160 millions d’euros – et de nos consulats - 97 millions d’euros.
e) Un mot, Monsieur le Ministre, sur la francophonie. Son centre de gravité sera de plus en plus en Afrique. N’ayons donc pas peur d’affirmer la nécessité y compris militaire de notre présence en Afrique pour aider à la construction de jeunes Etats. Sans la sécurité, il n’y a ni développement ni démocratie possible. Deuxième observation : l’avenir de la francophonie passe pour le multilinguisme. Il faut augmenter les moyens accordés au corps des interprètes et traducteurs non seulement à l’ONU mais dans toutes les organisations dont nous sommes membres. Une surcharge très légère sur les transactions internationales permettrait de sauver la diversité culturelle et linguistique du monde. Une cause qui vaut la peine d’être défendue !
2. Une contradiction manifeste frappe ainsi le budget de votre ministère. La France réduit ses moyens d’action propres. Elle augmente sa participation aux organisations multilatérales et aux opérations de maintien de la paix. Tout se passe comme si nous avions de plus en plus peur d’agir par nous-mêmes et comme si nous devions dissimuler notre action dans des interventions multilatérales où la France n’apparaît guère.
a) C’est dans ces conditions que votre ministère se voit appliquer, au nom de la révision générale des politiques publiques, un plan de rigueur d’une exceptionnelle sévérité.
Vous devez ainsi supprimer 700 équivalents temps plein de vos effectifs, soit 4 % : plus d’un départ à la retraite sur deux, alors que certains ministères ne sont taxés que de un sur trois. Ce sont des économies de bout de chandelle. Désormais on touche à l’os. Plus de la moitié des suppressions de postes concernera des personnels titulaires.
b) On n’améliorera pas l’image de la France en créant trois catégories d’ambassades. Cette différenciation qui heurtera la sensibilité des pays-hôtes qui se sentiront méprisés sera fortement préjudiciable à notre rayonnement.
c) Outre les restrictions infligées à l’AEFE, j’observe que les crédits consacrés à l’action culturelle baissent de 13 % dans le programme 185. Des fermetures successives sont intervenues, notamment en Allemagne, notre premier partenaire en Europe, alors que nos voisins multiplient les British Councils, les Goethe Instituts, ou les Instituts Cervantès. Tout se passe comme si la coopération culturelle servait de variable d’ajustement. Cessons ces fermetures. Soyons moins restrictifs à l’accueil d’étudiants étrangers dont l’effectif baisse pour la première fois en 2008.
3. Comment ne pas comparer à la modestie de nos moyens propres le poids des opérations extérieures (dites OPEX) dans le budget de la Défense ? Un surcoût de 850 millions d’euros en 2008, soit 20 % de vos crédits, et un coût réel d’ailleurs, bien supérieur ! Un mot encore sur le coût du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie – plus de 300 millions d’euros pour plus de 1 000 emplois. Je laisse ces chiffres à votre réflexion et à celle du Sénat.
Vos crédits sont chichement mesurés. Parallèlement, la contribution de la France au budget de l’Union Européenne atteindra 17,4 milliards d’euros. En solde net, nous paierons 4 milliards d’euros au budget de l’Union Européenne ce qui fera de nous le deuxième contributeur net, un peu derrière l’Allemagne. Où est la cohérence de notre action extérieure ?
II – Venons-en à votre politique
Le XXIe siècle comporte pour la France un grave risque d’effacement, soit qu’elle se laisse absorber dans un Empire, soit qu’elle se fracture entre différents communautarismes. Ces deux dangers peuvent d’ailleurs aller de pair.
Au premier de ces dangers conspire l’idéologie « occidentaliste », théorisée par M. Balladur dans un livre intitulé « Pour une Union Occidentale » : il faudrait dans un Occident en perdition une véritable fusion euratlantique, bien entendu autour des Etats-Unis.
1. L’OTAN serait la colonne vertébrale de ces futurs Etats-Unis d’Occident. Je ne crois pas que ce soit là ni l’intérêt ni la vocation de la France : le monde est pluriel au Sud comme au Nord et dans un monde de nations la France a encore un beau rôle à jouer. A quoi sert l’OTAN, Monsieur le Ministre, quand l’URSS a disparu, et dans un monde dont les équilibres se déplacent à grande vitesse vers l’Asie ? Dans deux décennies, le PIB de la Chine aura rejoint, si les tendances observées se poursuivaient, celui des Etats-Unis. S’agit-il de nous mettre à la remorque de leur diplomatie et de transformer l’OTAN en bras armé de l’Occident, sous la direction des Etats-Unis, comme on le voit au Kosovo ou en Afghanistan ?
L’Institut John Hopkins réfléchit, nous dit-on, à un « nouveau concept stratégique de l’OTAN ». Nous aimerions être associés à cette réflexion. S’agit-il de contenir la Russie ? Il est regrettable que le Président de la République ait approuvé le déploiement par l’OTAN de systèmes anti-missiles en Tchéquie et en Pologne. Le principe de l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie a été acté, même si sa concrétisation a été renvoyée à un avenir indéfini. Chacun voit le danger de se laisser entraîner dans les conflits du Caucase ou dans une nouvelle affaire de Crimée dont Sébastopol sera l’enjeu.
Le comportement politique irresponsable de certains leaders, comme on l’a vu en Géorgie, peut mettre en danger la sécurité collective. On nous dit qu’il y a des critères pour l’admission dans l’OTAN : sincérité des élections – indépendance de la justice – lutte contre la corruption, etc. Je crains qu’en réalité nous ayons mis le doigt dans un engrenage, même si la Géorgie et l’Ukraine n’ont pas été admises dans la procédure « MAP », préparatoire à l’admission.
Le Président de la République nous a expliqué que la réintégration de la France dans l’organisation militaire de l’OTAN était subordonnée dans son esprit à des progrès décisifs en matière de défense européenne. J’avoue ne pas voir ces avancées : on nous parle d’action maritime commune contre la piraterie sous l’autorité d’un amiral britannique. J’ose espérer que nous ne nous payons pas de mots.
La seule réalisation concrète significative serait la constitution permanente d’un Etat-major de forces, auquel s’oppose toujours la Grande-Bretagne, à ma connaissance. Le retour dans l’organisation militaire intégrée n’aurait pour la France que des inconvénients : il porterait un coup à l’originalité de notre posture de défense et de politique extérieure aux yeux des peuples du Sud et de puissances émergentes.
Une telle réintégration renforcerait encore la propension de certains de nos officiers généraux à s’évaluer à l’aune du regard américain plutôt qu’à l’aune de l’intérêt national.
En tout cas, le Parlement a un impérieux besoin de débattre de cette question et notamment du « nouveau concept stratégique de l’OTAN », avant toute décision, et avant même le Conseil de l’OTAN prévu à Strasbourg en avril prochain. Il ne serait pas admissible que celui-ci soit l’occasion d’une piteuse mise en scène du retour au bercail du fils prodigue.
2. Certes il y a eu des aspects positifs dans la diplomatie française récente :
a) Le succès du lancement de « l’Union pour la Méditerranée », obéré cependant par le fait qu’on n’a pas vu se constituer en 2008 un Etat palestinien viable, contrairement à des propos imprudents.
b) Il y a eu surtout le succès de la Présidence française de l’Union européenne :
- d’abord de la médiation russo-géorgienne qui préserve la possibilité d’un partenariat indispensable entre la Russie et l’Union européenne ;
- ensuite face à la crise financière, les initiatives pragmatiques du Président Sarkozy qui a su mettre en congé - mais pour combien de temps ? - les règles européennes qui eussent pu faire obstacle à une stratégie de consolidation bancaire et je l’espère aussi, de relance économique coordonnée à l’échelle européenne et mondiale.
c) Leçon de choses pour ouvrir les yeux des tenants d’une idéologie fédéraliste à l’échelle de l’Europe : on a assisté au grand retour non seulement de la puissance publique mais des Etats-nations parce que seuls ceux-ci ont la légitimité démocratique qui leur permet d’agir en cas de crise. Le Président Sarkozy a eu la sagesse de le comprendre et d’agir en pratiquant la géométrie variable en matière européenne. C’est par cercles concentriques progressifs : G4 puis Eurogroupe à quinze, auquel s’est joint la Grande-Bretagne, puis Union européenne à vingt-sept, qu’un cadre de cohérence a été dessiné, où se sont emboîtés des plans qui restent nationaux.
J’observe que le Président de la Commission européenne, M. Barroso, ressassant de vieilles patenôtres, voudrait faire valoir à nouveau des règles de concurrence opportunément suspendues alors qu’il faudrait faire prévaloir l’idée de politiques économiques et industrielles coordonnées sur les tables de la loi de la concurrence libre et non faussée.
d) Opportune également a été la décision de réunir, le 15 novembre, le G20 à Washington, même si l’application tarde et se heurte en Europe aux réticences de Madame Merkel dont on ne sait si c’est le dogme libéral ou une vision à courte vue de l’intérêt de l’Allemagne qui les inspirent. Je crois au contraire que le rôle de locomotive de la relance correspond à l’intérêt européen et par conséquent à l’intérêt national bien compris de l’Allemagne.
3. La France ne doit pas avoir peur de son ombre, y compris dans ses rapports avec le grand allié d’Outre Atlantique. Les retrouvailles avec M. Bush étaient peut-être un peu trop ostensibles, puisqu’aussi bien, nous allons devoir travailler avec M. Obama et son équipe. Les priorités de celui-ci ne sont pas forcément les nôtres. Comme l’a dit plaisamment Hubert Védrine, gardons-nous de croire que les Américains ont élu à la Maison Blanche un Européen de gauche.
L’un des premiers discours de M. Obama, à Chicago, évoquait « un nouveau leadership américain ». La vérité est que M. Obama devra réviser en baisse les objectifs de la politique extérieure américaine. Il aura aussi besoin de la coopération internationale pour relancer l’économie et instaurer aux Etats-Unis une société moins inégalitaire. L’équipe qu’a choisie M. Obama est composée d’hommes et de femmes réalistes. M. Obama a laissé entendre qu’il nouerait un rapport diplomatique avec Téhéran. Il faut résister à la tentation de frapper, donner du temps au temps et parier sur la société iranienne avide de modernité. L’Iran est la puissance dominante de la région depuis l’écrasement de l’Irak. C’est un fait.
Les Etats-Unis peuvent faire comprendre aux dirigeants iraniens que le véritable intérêt de leur pays n’est pas dans la prolifération nucléaire dans une région instable. Il serait intelligent de la part de la France de se placer dans la perspective de ce rapprochement irano-américain probable plutôt que de surenchérir sur un bellicisme à courte vue.
4. Concernant le Kosovo, quel intérêt y a-t-il à prolonger notre présence militaire dans un micro Etat non viable ? Il ne sert à rien de faire miroiter à une demi-douzaine d’Etats de l’ancienne Fédération yougoslave la perspective d’une adhésion à l’Union européenne sans leur avoir demandé de procéder à une intégration régionale préalable.
5. Un mot sur l’Afghanistan, M. le Ministre : le risque est grand de nous voir entraînés à participer toujours plus profondément à une guerre sans issue. La solution n’est pas à Kaboul mais à Islamabad où la jeune démocratie pakistanaise doit s’affranchir de la tutelle de son armée.
6. Enfin, une question sur la Chine : comment expliquez-vous la vivacité regrettable de la réaction chinoise aux propos du Président de la République sur une éventuelle rencontre avec le Dalaï Lama ?
Est-il bien heureux, M. le Ministre, qu’après avoir échoué à trouver une solution politique viable au conflit israélo-palestinien, ou aux conflits balkaniques, nous allions nous immiscer dans les conflits immémoriaux de l’Hindou-Kouch, du Caucase, des vallées himalayennes ? Il y a pour la France une manière raisonnable et honnête d’exister, loin de l’hubris de postures que nous ne pouvons pas soutenir dans la durée, mais tout simplement en nous tenant à la légalité internationale telle que la définit le Conseil de Sécurité dont nous sommes membre permanent.
7. Un mot encore sur la réforme du Conseil. Sachons ne pas augmenter le nombre de ses membres permanents au-delà de vingt et permettons que certains membres non permanents puissent être rééligibles au bout de deux ans. Cette simple « réformette » (il suffit de modifier un article de la Charte) permettrait l’inclusion dans le Conseil de quelques membres semi-permanents ou quasi permanents et consoliderait la légitimité déjà grande du Conseil de Sécurité.
Déjà au XVIe siècle Montaigne écrivait qu’il se sentait homme en général et Français par accident. J’aimerais vous convaincre, Monsieur le Ministre, qu’on peut s’écarter de cette inspiration et défendre les intérêts de la France sans trahir ceux de l’Humanité.