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"La lutte contre le terrorisme et toutes les insécurités est une tâche républicaine et donc une œuvre collective"


Entretien de Jean-Pierre Chevènement au journal l'Hemicycle, mercredi 4 avril 2012.


"La lutte contre le terrorisme et toutes les insécurités est une tâche républicaine et donc une œuvre collective"
Est-il légitime que la lutte contre le terrorisme devienne un sujet de campagne ? Ou avez-vous noté une forme d’instrumentalisation?
Jean-Pierre Chevènement :
La lutte contre le terrorisme rassemble et doit rassembler tous les Français. Les gouvernements successifs, qu’ils soient de gauche ou de droite ont tour à tour participé à la lutte contre le terrorisme, qu’il soit d’origine moyen-orientale, GIA, djihadiste, ou tout simplement d’origine corse, basque, ou le fait de terroristes bien de chez nous, comme ceux d’Action Directe.

Je ne sache pas que les gouvernements de gauche aient été moins efficaces pour déjouer le terrorisme du GIA ou de type djihadiste. Après les attentats du métro et du RER en 1995-96, j’étais, en tant que ministre de l’Intérieur depuis juin 1997, naturellement plus inquiet de ce côté-là. A la veille de la coupe du monde de football en juin 1998, l’explosion d’une petite bonbonne dans le XIXème arrondissement m’avait alarmé. En coopération étroite avec les magistrats antiterroristes et particulièrement le juge Bruguière, nous avons été amenés à susciter simultanément des coups de filet dans cinq pays voisins d’où provenaient des indices inquiétants. Ce « coup de pied dans la fourmilière » a été utile car dissuasif. Il n’y a pas eu d’attentats pendant la coupe du monde de football. Une bonne coopération des services de renseignement et d’enquête et des magistrats antiterroristes est la clé d’une politique efficace contre le terrorisme.

De 1997 à 2002, la gauche non seulement n’a pas remis en cause le dispositif de la lutte antiterroriste mais a amélioré les synergies nécessaires. J’ai eu à faire face à d’autres terrorismes, celui qui a frappé lâchement le Préfet Erignac. Seize mois plus tard, six des sept membres du commando d’assassins étaient sous les verrous et désignaient celui qui avait été l’exécuteur. La lutte contre le terrorisme basque a été aussi l’œuvre partagée de la gauche et de la droite. L’ETA aujourd’hui a déposé les armes. Il n’y a donc pas lieu d’instrumenter la lutte contre le terrorisme à des fins électorales. C’est une tâche républicaine et par conséquent une œuvre collective.
Il n’y a pas, en la matière, une politique de gauche et une politique de droite. Il y a le travail opiniâtre de la police, de la gendarmerie et de la justice. Le gouvernement doit leur en fournir les moyens et les soutenir moralement et politiquement dans leur action. La tentative de l’instrumentalisation existe. Les Français sont assez intelligents pour le remarquer quand cela se produit. Ce sera contre-productif pour le candidat qui s’abandonnerait à cette tentation. François Hollande a eu, quant à lui, l’intelligence de prôner l’union et le rassemblement. Il ne s’est livré à aucune polémique.

Quelles sont les failles de la panoplie française ? Comment les corriger ?
M. Juppé a employé le mot « faille ». Mais elle n’est pas, si elle existe, dans la « panoplie ». Ce sont toujours les moyens humains qui manquent le plus. La difficulté pour la police comme pour le gouvernement est de comprendre assez tôt le phénomène de la radicalisation et du passage à des actes aussi barbares. Le vrai remède est dans l’esprit républicain de la population dans son ensemble et dans la lutte quotidienne pour que le mot « République » garde son sens. Le civisme implique notamment la responsabilité des parents à l’égard de leur progéniture et la lutte contre l’« omerta ». Facteur essentiel. Que ce soit en Corse, aux Pays basque ou dans les quartiers, l’amour et le respect de la loi républicaine doivent passer avant les solidarités familiales, claniques ou communautaristes.


Les services de renseignement sont-ils adaptés aux nouvelles menaces ?

Pour la prévention, c’est le renseignement d’origine humaine qui est le plus précieux. Cela dit, le travail technique (à partir des portables par exemple) est indispensable pour les enquêteurs et pour l’efficacité de la répression. Les fichiers, quand ils sont bien tenus, y contribuent aussi. Ce ne semble pas avoir été le cas en ce qui concerne Mohamed Merah.


Comment lutter contre la propagation des dérives islamistes en prison ?

Le surpeuplement des prisons favorise la propagation des dérives. Il y a un immense effort à faire pour permettre la réinsertion quand elle est possible. Cela implique un investissement matériel et humain considérable sur les prisons.


Est-il vain de vouloir mieux contrôler internet ?
Non, mais la surveillance d’Internet ne doit pas menacer les libertés individuelles, et d’abord celle de communiquer. Nicolas Sarkozy n’a pas l’air de s’apercevoir qu’il est très difficile de pénaliser l’usage d’Internet. Cela dit, la surveillance des sites djihadistes doit s’exercer avec vigilance … Un peu d’intelligence ne nuit pas.


De manière plus globale, en matière de sécurité, le temps de la « naïveté », selon l’expression de Lionel Jospin en 2002, est-il vraiment révolu ?
Il y a, à gauche, une sensibilité républicaine, fortement ancrée chez les élus, et une sensibilité compassionnelle souvent portée par les militants associatifs davantage sensibles aux causes sociales de la délinquance. François Hollande appartient sans conteste à la première culture, celle qui met l’accent sur la responsabilité individuelle : il y a des pauvres qui sont honnêtes et des riches malhonnêtes. La délinquance frappe d’abord les plus démunis. Il fera – j’en suis sûr – passer la fermeté avant « la culture de l’excuse », parce qu’il est conscient que seule la fermeté est dissuasive. Quant à Lionel Jospin, il n’est pas juste d’instruire à son égard un procès en « naïveté ». Lui n’était pas naïf, même si certains de ses ministres l’étaient. Son questionnement ne s’adressait pas à lui-même.


Pourquoi les Français créditent-ils la droite plus que la gauche d’être efficace dans la lutte contre la délinquance ? Un consensus est-il possible ?
Les sondages donnent des réponses contradictoires. Pour ma part, je reste persuadé que Nicolas Sarkozy a commis une grave faute quand il a prématurément enterré, en février 2003, la police de proximité que j’avais commencé à mettre en place trois ans auparavant. La preuve est que la droite elle-même y est revenue dans certains quartiers sous des appellations destinées à donner le change : « unités territoriales de quartier », « patrouilleurs », etc. Peut-on dire que l’ordre républicain est revenu dans les quartiers sensibles que Nicolas Sarkozy voulait « passer au karcher » ? Trop d’agitation nuit. La police est, avant tout, affaire de présence, de patience et de persévérance. L’élection de François Hollande aura un effet pacifiant sur la société française. Elle fera baisser les tensions. En recréant la confiance et l’amitié entre les citoyens, elle contribuera à asseoir sur des bases saines une politique de sécurité publique qui devrait faire consensus entre la gauche et la droite, pour peu que celle-ci veuille bien comprendre que derrière les problèmes de sécurité, il y a toujours un problème d’éducation. Les « sauvageons » - le terme désigne, en vieux français, des arbres non greffés – ont d’abord besoin d’être redressés. Ce sera une œuvre collective, celle de la République en action.

Propos recueillis par Eric Mandonnet


Rédigé par Chevenement.fr le Mercredi 4 Avril 2012 à 11:55 | Lu 3342 fois


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