L'échec de la monnaie unique, qui a été le vrai projet des élites françaises depuis plus de trente ans (en gros depuis la création du système monétaire européen par Giscard et Schmidt en 1978), est un événement immense. Cet événement va télescoper toute la campagne présidentielle de 2012.
Pour la gauche comme pour la droite, ce sera un moment de vérité. On voit déjà Nicolas Sarkozy préparer l'opinion à l'abandon de la souveraineté budgétaire de la France à travers un nouveau traité européen et la constitution d'un «noyau dur», dont la monnaie risque d'être encore plus surévaluée que l'actuelle. Que restera-t-il dans dix ans de notre base productive, condition d'une protection sociale efficace? Et, avec un Etat exsangue, de l'indépendance de notre diplomatie et de notre défense?
D'un autre côté, la gauche va rencontrer, elle aussi, son heure de vérité, car ses échecs, depuis 1993, ont largement résulté de la superposition d'un logiciel néolibéral au logiciel européen. Elle ne peut accepter la politique d'Angela Merkel, qui conduit à la récession et à la mise en place d'une Europe post démocratique. Sauf à se couper de l'électorat populaire à six mois d'une élection décisive. Réduire la critique de la politique du gouvernement Merkel à un réflexe de germanophobie relève de la manipulation pure et simple. Ce serait vouloir interdire un débat sur le fond, plus nécessaire que jamais.
C'est devenu une évidence: la monnaie unique ne marche pas. Il était absurde de vouloir imposer à dix-sept pays très différents par leurs structures économiques et politiques et par leurs cultures, un mark-bis.
Pour la gauche comme pour la droite, ce sera un moment de vérité. On voit déjà Nicolas Sarkozy préparer l'opinion à l'abandon de la souveraineté budgétaire de la France à travers un nouveau traité européen et la constitution d'un «noyau dur», dont la monnaie risque d'être encore plus surévaluée que l'actuelle. Que restera-t-il dans dix ans de notre base productive, condition d'une protection sociale efficace? Et, avec un Etat exsangue, de l'indépendance de notre diplomatie et de notre défense?
D'un autre côté, la gauche va rencontrer, elle aussi, son heure de vérité, car ses échecs, depuis 1993, ont largement résulté de la superposition d'un logiciel néolibéral au logiciel européen. Elle ne peut accepter la politique d'Angela Merkel, qui conduit à la récession et à la mise en place d'une Europe post démocratique. Sauf à se couper de l'électorat populaire à six mois d'une élection décisive. Réduire la critique de la politique du gouvernement Merkel à un réflexe de germanophobie relève de la manipulation pure et simple. Ce serait vouloir interdire un débat sur le fond, plus nécessaire que jamais.
C'est devenu une évidence: la monnaie unique ne marche pas. Il était absurde de vouloir imposer à dix-sept pays très différents par leurs structures économiques et politiques et par leurs cultures, un mark-bis.
La monnaie unique a creusé les écarts de compétitivité en Europe entre un Nord industriel (essentiellement l'Allemagne) à la balance commerciale fortement excédentaire (entre 150 et 200 milliards d'euros par an), et un Sud déficitaire et en voie de désindustrialisation (y compris la France dont le déficit commercial atteindra 75 milliards d'euros en 2011). L'euro est une monnaie surévaluée de 25% qui écrase notre compétitivité. La monnaie unique devait réunir les peuples: elle les divise. L'erreur a été de vouloir construire l'Europe dans l'ignorance des nations, ou plutôt avec l'arrière-pensée que la crise obligerait à faire le «grand saut fédéral». Vue courte des choses: l'Europe n'est pas mûre pour constituer une fédération, d'abord parce qu'elle n'est pas une nation. Ensuite parce que la solidarité européenne (le budget européen ne représente que 1% du PIB de l'Union européenne) est évidemment beaucoup plus faible que la solidarité nationale (quarante points de prélèvements obligatoires en moyenne dans l'Union européenne, plus de cinquante en France). On ne peut pas changer cela rapidement.
L'Allemagne ne veut pas d'une «union de transferts financiers». Elle ne veut pas faire pour le Péloponnèse ou la Calabre l'effort qu'elle a fait hier pour absorber ses Länder de l'Est. L'Allemagne affirme la responsabilité des Etats. On ne peut lui donner tort sur ce point. Elle n'accepte pas non plus, mais par dogmatisme idéologique, cette fois, l'adossement du Fonds européen de stabilité financière aux ressources de la Banque Centrale européenne (1). Angela Merkel ne veut qu'une chose: renforcer le contrôle que l'Allemagne exerce, via les institutions européennes, Commission et Banque Centrale, pour généraliser les plans de rigueur aux pays de l'Europe du Sud, en remplaçant les gouvernants jugés trop laxistes par des technocrates européens non élus, véritables gouverneurs nommés en fait par Bruxelles (Lucas Papademos en Grèce, Mario Monti en Italie), ou par des gouvernements de droite libéralo-compatibles (Portugal, Espagne). A quand Jean-Claude Trichet à Matignon ?
La situation de la zone euro est intenable: l'Italie, même avec «Super Mario», emprunte à près de 7% l'Espagne à 6%, la Belgique à plus de 5%. Nous sommes à la merci du prochain «défaut».
Nicolas Sarkozy a déjà accepté, à la remorque de l'Allemagne, la «règle d'or», c'est-à-dire l'inscription dans la Constitution d'une prohibition du déficit budgétaire. S'il continue dans la voie de l'alignement sur Angela Merkel (et nos «élites» y poussent), nous irons tout droit vers une Europe disciplinaire et purement coercitive, synonyme de déflation et de récession au plan économique, et d'installation d'une forme d'Empire au plan politique. L'intrusion de la Commission dans la procédure budgétaire signifierait la fin des Parlements qui tiraient leur légitimité du principe de consentement à l'impôt. Nicolas Sarkozy, dans son discours de Toulon du 1er décembre 2011, a déjà admis sans aucune contrepartie que le Conseil européen, au sein de la zone euro, puisse statuer à la majorité qualifiée. C'est faire comme si la règle de la majorité, qui implique l'acceptation de la discipline par la minorité des citoyens, pouvait s'appliquer aux nations sur des sujets aussi sensibles que le vote du budget et des impôts. C'est clairement renoncer à la souveraineté nationale dans un contexte de stagnation économique prolongée. Déjà, le ministre des affaires étrangères allemand, Guido Westervelle, évoquait (Le Figaro, 20 novembre) l'élaboration d'une nouvelle Constitution européenne où l'Allemagne exercerait une «responsabilité particulière, héritée de l'Histoire». Je ne l'ai pas inventé! Et son papier est cosigné par trois anciens ministres des affaires étrangères: Walter Scheel, Han-Dietrich Genscher et Klaus Kinkel!
Ce serait tout bonnement la fin de la République!
Aujourd'hui, il y a deux solutions :
- Ou bien on met un moteur dans la zone euro, qui ne peut être que la Banque Centrale, dont les prérogatives doivent être étendues au soutien à la croissance et à l'emploi et aux interventions sur le marché de la dette et sur le change.
- Ou bien, pour préserver la cohérence du marché européen, on rectifie l'erreur initiale de Maastricht en revenant de manière négociée, de l'euro, monnaie unique, à un euro monnaie commune. C'était, il y a plus de vingt ans, la thèse de Pierre Bérégovoy.
Je ne serais pas hostile, pour ma part, à un «gouvernement économique de la zone euro», à supposer qu'il ne soit pas limité à l'aspect budgétaire et si, surtout, on élargissait le rôle de la Banque Centrale pour en faire un moteur keynésien et ramener la valeur de l'euro par rapport au dollar à son cours de lancement (1,16 dollar). Cela aiderait les exportations, l'investissement, les relocalisations, bref la reprise.
Mais le «grand saut fédéral» dont les jeunes cabris d'aujourd'hui nous rebattent les oreilles marquerait aujourd'hui l'avènement d'une Europe purement coercitive. Croit-on vraiment que les peuples puissent accepter l'austérité à perpétuité et la perte de leur souveraineté? Voilà où, vingt ans après, nous a conduits l'Europe de Maastricht!
Que la droite française puisse entraîner le pays sur la pente fatale de l'abandon de la souveraineté budgétaire et fiscale de la France, ce serait, si je puis dire, dans sa nature, en tout cas dans celle de ses élites: la monnaie forte et l'austérité budgétaire, ce sont les choix de la rente et de la finance, au détriment de la production et des salariés dont l'emploi, le pouvoir d'achat et la protection sociale continueront d'être sapés.
Mais comment la gauche pourrait-elle entériner ces choix? Pour rassembler, il est temps de redresser la barre, de retrouver le cap de la République, bref de relever l'Etat en le mettant, à nouveau, au service du peuple!
On me dira qu'on ne discerne guère les prémisses de ce sursaut républicain dans l'accord PS-Verts dont on se demande si le candidat socialiste à la Présidence de la République a été bien informé de son contenu avant qu'il ne soit conclu. A mon sens cet accord ne peut l'engager. Il faudra beaucoup d'énergie au candidat socialiste pour remettre la gauche à la hauteur des défis qu'elle aura à relever en tous domaines. Il lui faudra non seulement prendre de la distance avec l'accord PS-Verts mais aussi renoncer au retour des vieilles lubies sur l'école (Vincent Peillon aura la tâche ingrate de contrarier le pédagogisme, version Meirieu), sur la sécurité (l'angélisme) ou sur l'immigration (le «sans-papiérisme»), bref sur le «différentialisme», porte ouverte aux communautarismes.
On peut espérer que l'accumulation des difficultés prévisibles nourrira une reprise en mains nécessaire. C'est ce sursaut républicain qu'il faut préparer dès aujourd'hui si on veut que la gauche puisse gagner en mai 2012 et surtout ne pas décevoir ensuite.
La gauche doit se mettre à la hauteur de la France. C'est cette «conversion républicaine», envers de la conversion libérale, qui se joue aujourd'hui.
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(1) Jean-Pierre Chevènement, Sortir la France de l'impasse, Fayard, octobre 2011.
Source : Mediapart.fr
L'Allemagne ne veut pas d'une «union de transferts financiers». Elle ne veut pas faire pour le Péloponnèse ou la Calabre l'effort qu'elle a fait hier pour absorber ses Länder de l'Est. L'Allemagne affirme la responsabilité des Etats. On ne peut lui donner tort sur ce point. Elle n'accepte pas non plus, mais par dogmatisme idéologique, cette fois, l'adossement du Fonds européen de stabilité financière aux ressources de la Banque Centrale européenne (1). Angela Merkel ne veut qu'une chose: renforcer le contrôle que l'Allemagne exerce, via les institutions européennes, Commission et Banque Centrale, pour généraliser les plans de rigueur aux pays de l'Europe du Sud, en remplaçant les gouvernants jugés trop laxistes par des technocrates européens non élus, véritables gouverneurs nommés en fait par Bruxelles (Lucas Papademos en Grèce, Mario Monti en Italie), ou par des gouvernements de droite libéralo-compatibles (Portugal, Espagne). A quand Jean-Claude Trichet à Matignon ?
La situation de la zone euro est intenable: l'Italie, même avec «Super Mario», emprunte à près de 7% l'Espagne à 6%, la Belgique à plus de 5%. Nous sommes à la merci du prochain «défaut».
Nicolas Sarkozy a déjà accepté, à la remorque de l'Allemagne, la «règle d'or», c'est-à-dire l'inscription dans la Constitution d'une prohibition du déficit budgétaire. S'il continue dans la voie de l'alignement sur Angela Merkel (et nos «élites» y poussent), nous irons tout droit vers une Europe disciplinaire et purement coercitive, synonyme de déflation et de récession au plan économique, et d'installation d'une forme d'Empire au plan politique. L'intrusion de la Commission dans la procédure budgétaire signifierait la fin des Parlements qui tiraient leur légitimité du principe de consentement à l'impôt. Nicolas Sarkozy, dans son discours de Toulon du 1er décembre 2011, a déjà admis sans aucune contrepartie que le Conseil européen, au sein de la zone euro, puisse statuer à la majorité qualifiée. C'est faire comme si la règle de la majorité, qui implique l'acceptation de la discipline par la minorité des citoyens, pouvait s'appliquer aux nations sur des sujets aussi sensibles que le vote du budget et des impôts. C'est clairement renoncer à la souveraineté nationale dans un contexte de stagnation économique prolongée. Déjà, le ministre des affaires étrangères allemand, Guido Westervelle, évoquait (Le Figaro, 20 novembre) l'élaboration d'une nouvelle Constitution européenne où l'Allemagne exercerait une «responsabilité particulière, héritée de l'Histoire». Je ne l'ai pas inventé! Et son papier est cosigné par trois anciens ministres des affaires étrangères: Walter Scheel, Han-Dietrich Genscher et Klaus Kinkel!
Ce serait tout bonnement la fin de la République!
Aujourd'hui, il y a deux solutions :
- Ou bien on met un moteur dans la zone euro, qui ne peut être que la Banque Centrale, dont les prérogatives doivent être étendues au soutien à la croissance et à l'emploi et aux interventions sur le marché de la dette et sur le change.
- Ou bien, pour préserver la cohérence du marché européen, on rectifie l'erreur initiale de Maastricht en revenant de manière négociée, de l'euro, monnaie unique, à un euro monnaie commune. C'était, il y a plus de vingt ans, la thèse de Pierre Bérégovoy.
Je ne serais pas hostile, pour ma part, à un «gouvernement économique de la zone euro», à supposer qu'il ne soit pas limité à l'aspect budgétaire et si, surtout, on élargissait le rôle de la Banque Centrale pour en faire un moteur keynésien et ramener la valeur de l'euro par rapport au dollar à son cours de lancement (1,16 dollar). Cela aiderait les exportations, l'investissement, les relocalisations, bref la reprise.
Mais le «grand saut fédéral» dont les jeunes cabris d'aujourd'hui nous rebattent les oreilles marquerait aujourd'hui l'avènement d'une Europe purement coercitive. Croit-on vraiment que les peuples puissent accepter l'austérité à perpétuité et la perte de leur souveraineté? Voilà où, vingt ans après, nous a conduits l'Europe de Maastricht!
Que la droite française puisse entraîner le pays sur la pente fatale de l'abandon de la souveraineté budgétaire et fiscale de la France, ce serait, si je puis dire, dans sa nature, en tout cas dans celle de ses élites: la monnaie forte et l'austérité budgétaire, ce sont les choix de la rente et de la finance, au détriment de la production et des salariés dont l'emploi, le pouvoir d'achat et la protection sociale continueront d'être sapés.
Mais comment la gauche pourrait-elle entériner ces choix? Pour rassembler, il est temps de redresser la barre, de retrouver le cap de la République, bref de relever l'Etat en le mettant, à nouveau, au service du peuple!
On me dira qu'on ne discerne guère les prémisses de ce sursaut républicain dans l'accord PS-Verts dont on se demande si le candidat socialiste à la Présidence de la République a été bien informé de son contenu avant qu'il ne soit conclu. A mon sens cet accord ne peut l'engager. Il faudra beaucoup d'énergie au candidat socialiste pour remettre la gauche à la hauteur des défis qu'elle aura à relever en tous domaines. Il lui faudra non seulement prendre de la distance avec l'accord PS-Verts mais aussi renoncer au retour des vieilles lubies sur l'école (Vincent Peillon aura la tâche ingrate de contrarier le pédagogisme, version Meirieu), sur la sécurité (l'angélisme) ou sur l'immigration (le «sans-papiérisme»), bref sur le «différentialisme», porte ouverte aux communautarismes.
On peut espérer que l'accumulation des difficultés prévisibles nourrira une reprise en mains nécessaire. C'est ce sursaut républicain qu'il faut préparer dès aujourd'hui si on veut que la gauche puisse gagner en mai 2012 et surtout ne pas décevoir ensuite.
La gauche doit se mettre à la hauteur de la France. C'est cette «conversion républicaine», envers de la conversion libérale, qui se joue aujourd'hui.
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(1) Jean-Pierre Chevènement, Sortir la France de l'impasse, Fayard, octobre 2011.
Source : Mediapart.fr