Deux grands choix qui ont modelé la politique étrangère française depuis soixante ans ont écarté la France et la Grande-Bretagne l’une de l’autre : celui de la construction européenne, selon la conception de Jean Monnet au lendemain de la seconde guerre mondiale, et celui de l’indépendance nationale voulue par le Général de Gaulle après son retour au pouvoir en 1958. Ces deux choix étaient d’ailleurs contradictoires : le premier, celui d’une Europe intégrée, n’est compréhensible que parce que la France, ayant failli périr deux fois dans la première partie du XXème siècle (en 1914-1918 et en juin 1940), en était arrivée à douter si profondément d’elle-même qu’elle a voulu faire de l’Europe un substitut à la nation (1). Or la Grande-Bretagne ne pouvait accepter de s’effacer ainsi dans une « Europe supranationale ».
Ce n’était d’ailleurs pas non plus la conception du Général de Gaulle qui ne croyait pas à la supranationalité, mais voulait bien faire « l’Europe des nations ». Au-delà, il définissait son objectif comme étant l’émergence d’une « Europe européenne », actrice de son propre destin. C’est là que le bât blessait avec la Grande-Bretagne attachée à sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis d’Amérique.
Les cartes sont en train d’être rebattues : La crise de la monnaie unique aujourd’hui, reflète l’impasse de l’Europe supranationale. L’Allemagne se disait fédéraliste à l’époque où elle était divisée. Le projet français de noyer la réunification allemande dans une Europe fédérale (c’était l’objet du traité de Maastricht), a aujourd’hui fait long feu. Cela était prévisible depuis longtemps.
Curieusement, c’est le moment historique qu’a choisi le Président Sarkozy pour faire réintégrer la France à l’organisation militaire de l’OTAN, au prétexte bizarre de faciliter l’émergence d’une « défense européenne ».
Ce n’était d’ailleurs pas non plus la conception du Général de Gaulle qui ne croyait pas à la supranationalité, mais voulait bien faire « l’Europe des nations ». Au-delà, il définissait son objectif comme étant l’émergence d’une « Europe européenne », actrice de son propre destin. C’est là que le bât blessait avec la Grande-Bretagne attachée à sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis d’Amérique.
Les cartes sont en train d’être rebattues : La crise de la monnaie unique aujourd’hui, reflète l’impasse de l’Europe supranationale. L’Allemagne se disait fédéraliste à l’époque où elle était divisée. Le projet français de noyer la réunification allemande dans une Europe fédérale (c’était l’objet du traité de Maastricht), a aujourd’hui fait long feu. Cela était prévisible depuis longtemps.
Curieusement, c’est le moment historique qu’a choisi le Président Sarkozy pour faire réintégrer la France à l’organisation militaire de l’OTAN, au prétexte bizarre de faciliter l’émergence d’une « défense européenne ».
La diplomatie française a donc doublement « la gueule de bois » comme disent les amateurs d’alcool: l’Allemagne a entraîné l’Europe (en tout cas la zone euro) dans une surenchère de rigueur qui conduit à une régression économique et sociale dont on ne voit pas l’issue. La France n’ose pas contester vraiment la politique de Madame Merkel, parce qu’elle hésite à remettre en cause des règles du jeu des traités européens d’essence néo-libérale que François Mitterrand a acceptées au départ en pensant pouvoir les changer le moment venu, mais qui se révèlent aujourd’hui tout à fait inadaptées et impossibles à modifier substantiellement : la monnaie unique est une monnaie surévaluée qui asphyxie toutes les économies européennes, en dehors de celle de l’Allemagne. L’euro est une variable d’ajustement entre le dollar et le yuan chinois : la zone euro est prise dans les tenailles du G2 (la « Chinamérique »). Il est tout à fait improbable que le G20 arrive à desserrer cette tenaille : l’Europe, marché offert, se désindustrialise et, à l’échelle mondiale, se marginalise.
De même, en vertu des règles posées à Maastricht, la Banque Centrale Européenne ne se croit pas autorisée à intervenir sur les marchés de la dette pour casser la spéculation et sauver l’euro. Celui-ci semble condamné, si les règles du jeu n’en sont pas profondément modifiées. Peut-être n’est-il pas trop tard pour réfléchir à une organisation monétaire de l’Europe qui organise la coopération entre la Grande-Bretagne et l’Europe continentale. Mais cette occasion viendra à son heure…
Au moment où son projet européen bat de l’aile, la France s’est mise à la remorque de la politique extérieure américaine. Mais les Etats-Unis se soucient de moins en moins de l’Europe. Ils sont de plus en plus tournés vers le Pacifique et obsédés par la montée inéluctable de la Chine. La diplomatie française a provisoirement perdu ses marques par rapport aux deux grands projets qui l’avaient vertébrée depuis un demi siècle, mais elle pourrait les retrouver assez vite si elle revenait à la conception d’une « Europe des nations » à la mode gaulliste, l’ « Europe européenne » n’ayant plus aujourd’hui le même sens qu’à l’époque de la guerre froide.
Est-ce ce chemin que dessinent les accords franco-britanniques de Londres de novembre 2010 ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, si souhaitable qu’en soit la perspective. Les relations avec les Etats-Unis d’Obama ne sont pas vraiment une pomme de discorde entre nos deux pays. La Grande-Bretagne cherche à les influencer en se tenant proche d’eux. Et la France poursuit le même objectif par une démarche inverse : l’indépendance, mais dans l’alliance. L’OTAN oui, mais à condition de ne pas compromettre notre influence dans les pays arabes.
Les Etats-Unis n’ont accepté que de donner un « coup de main » limité à la France et à la Grande-Bretagne en Libye. Nos deux vieilles nations doivent, ensemble, relayer le leadership américain en prenant soin de rester dans le cadre de la légalité internationale (la protection des civils) et en rassemblant le maximum de pays arabes, africains et plus généralement émergents, autour d’une politique dont le but ne peut être que de réunir les conditions de l’autodétermination du peuple libyen. Respectons la volonté de démocratie qui s’exprime dans le monde arabe. C’est ainsi que nous préparerons au mieux l’avenir d’une grande Europe démocratique des nations allant de la Méditerranée jusqu’à la Russie. La Grande-Bretagne et la France peuvent jouer ensemble un rôle moteur, non pas tant pour maintenir notre statut que pour permettre à l’Europe d’exister comme « pôle » dans le monde multipolaire de demain.
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1) « La France est-elle finie ? » par Jean-Pierre Chevènement - Editions Fayard - Paris - Janvier 2011
=> voir l'article en anglais
De même, en vertu des règles posées à Maastricht, la Banque Centrale Européenne ne se croit pas autorisée à intervenir sur les marchés de la dette pour casser la spéculation et sauver l’euro. Celui-ci semble condamné, si les règles du jeu n’en sont pas profondément modifiées. Peut-être n’est-il pas trop tard pour réfléchir à une organisation monétaire de l’Europe qui organise la coopération entre la Grande-Bretagne et l’Europe continentale. Mais cette occasion viendra à son heure…
Au moment où son projet européen bat de l’aile, la France s’est mise à la remorque de la politique extérieure américaine. Mais les Etats-Unis se soucient de moins en moins de l’Europe. Ils sont de plus en plus tournés vers le Pacifique et obsédés par la montée inéluctable de la Chine. La diplomatie française a provisoirement perdu ses marques par rapport aux deux grands projets qui l’avaient vertébrée depuis un demi siècle, mais elle pourrait les retrouver assez vite si elle revenait à la conception d’une « Europe des nations » à la mode gaulliste, l’ « Europe européenne » n’ayant plus aujourd’hui le même sens qu’à l’époque de la guerre froide.
Est-ce ce chemin que dessinent les accords franco-britanniques de Londres de novembre 2010 ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, si souhaitable qu’en soit la perspective. Les relations avec les Etats-Unis d’Obama ne sont pas vraiment une pomme de discorde entre nos deux pays. La Grande-Bretagne cherche à les influencer en se tenant proche d’eux. Et la France poursuit le même objectif par une démarche inverse : l’indépendance, mais dans l’alliance. L’OTAN oui, mais à condition de ne pas compromettre notre influence dans les pays arabes.
Les Etats-Unis n’ont accepté que de donner un « coup de main » limité à la France et à la Grande-Bretagne en Libye. Nos deux vieilles nations doivent, ensemble, relayer le leadership américain en prenant soin de rester dans le cadre de la légalité internationale (la protection des civils) et en rassemblant le maximum de pays arabes, africains et plus généralement émergents, autour d’une politique dont le but ne peut être que de réunir les conditions de l’autodétermination du peuple libyen. Respectons la volonté de démocratie qui s’exprime dans le monde arabe. C’est ainsi que nous préparerons au mieux l’avenir d’une grande Europe démocratique des nations allant de la Méditerranée jusqu’à la Russie. La Grande-Bretagne et la France peuvent jouer ensemble un rôle moteur, non pas tant pour maintenir notre statut que pour permettre à l’Europe d’exister comme « pôle » dans le monde multipolaire de demain.
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1) « La France est-elle finie ? » par Jean-Pierre Chevènement - Editions Fayard - Paris - Janvier 2011
=> voir l'article en anglais