Monsieur le Ministre,
I - Je veux d’abord saluer, en mon nom propre et au nom du groupe RDSE, l’effort qui a été le vôtre, tenace, courageux et en définitive couronné de succès, pour obtenir du Président de la République un arbitrage financier couvrant les six années de la Loi de Programmation militaire (2014-2019), à hauteur de 190 milliards d’euros en valeur 2013 – et non pas en valeur courante, rassurez-nous – de ressources totales dont 183,86 milliards de crédits budgétaires. Ce chiffre qui correspond à 1,5 % du PIB est sans doute la limite basse extrême de l’effort de défense nécessaire au maintien d’un outil de défense performant, au-dessus et même très au-dessus des esquisses dessinées par le Ministère de l’Economie et des Finances avant l’arbitrage présidentiel. Sans doute le Ministère de la Défense doit-il contribuer à l’effort de rigueur auquel s’astreint l’Etat en vertu des engagements européens auxquels il a souscrits. Mais la question se pose de savoir si ceux-ci sont à terme compatibles avec le maintien du rang stratégique et militaire de la France.
Nos armées viennent d’apporter encore une fois, au Mali, la démonstration éclatante de leurs capacités. Elles font l’admiration de tous, et particulièrement de ceux qui ont pu rencontrer sur place nos soldats. La France a fait la preuve de sa réactivité politique au plus haut niveau, de l’excellence de son outil militaire et des hommes qui le servent, et enfin de la capacité diplomatique que lui donne en particulier sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.
I - Je veux d’abord saluer, en mon nom propre et au nom du groupe RDSE, l’effort qui a été le vôtre, tenace, courageux et en définitive couronné de succès, pour obtenir du Président de la République un arbitrage financier couvrant les six années de la Loi de Programmation militaire (2014-2019), à hauteur de 190 milliards d’euros en valeur 2013 – et non pas en valeur courante, rassurez-nous – de ressources totales dont 183,86 milliards de crédits budgétaires. Ce chiffre qui correspond à 1,5 % du PIB est sans doute la limite basse extrême de l’effort de défense nécessaire au maintien d’un outil de défense performant, au-dessus et même très au-dessus des esquisses dessinées par le Ministère de l’Economie et des Finances avant l’arbitrage présidentiel. Sans doute le Ministère de la Défense doit-il contribuer à l’effort de rigueur auquel s’astreint l’Etat en vertu des engagements européens auxquels il a souscrits. Mais la question se pose de savoir si ceux-ci sont à terme compatibles avec le maintien du rang stratégique et militaire de la France.
Nos armées viennent d’apporter encore une fois, au Mali, la démonstration éclatante de leurs capacités. Elles font l’admiration de tous, et particulièrement de ceux qui ont pu rencontrer sur place nos soldats. La France a fait la preuve de sa réactivité politique au plus haut niveau, de l’excellence de son outil militaire et des hommes qui le servent, et enfin de la capacité diplomatique que lui donne en particulier sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.
La loi de programmation militaire, par un véritable tour de force, de rigueur et d’imagination permet d’apporter à cette question du maintien du rang stratégique de la France une réponse positive, pour autant que de nouvelles secousses économiques ou géostratégiques ne viendront pas bouleverser notre environnement. La loi de programmation militaire nous achemine vers un modèle d’armées qui, à l’horizon 2025, devrait permettre à celles-ci de remplir leurs missions, avec des équipements performants, un niveau de préparation opérationnel suffisant, une condition militaire maintenue à un niveau satisfaisant, et cela malgré l’effort exceptionnel de réduction de format engagé déjà depuis 2009 par la précédente loi de programmation militaire, au total 88 000 suppressions de postes. En 2019, la mission Défense permettra de rémunérer 235 940 équivalents temps plein dont 220 000 militaires. Format réduit au minimum, il est vrai compensé par des équipements de haute technologie.
Comme l’a déclaré, devant la Commission des Affaires étrangères et de la Défense, l’Amiral Guillaud, Chef d’Etat-Major des Armées, « la Loi de programmation militaire permet ainsi de conjuguer engagement opérationnel et préparation de l’avenir. »
II – Un mot d’abord, Monsieur le Ministre, sur l’environnement géostratégique.
1. Le pivotement opéré par les Etats-Unis sur l’Asie-Pacifique, la réduction certaine de leur budget militaire, il est vrai exceptionnellement élevé, obligent les Européens à faire un effort de défense plus conséquent. Pourquoi la France ne proposerait-elle pas à Bruxelles, pour les y encourager, de déduire des déficits budgétaires autorisés, les crédits alloués à la Défense ?
2. La montée des arsenaux en Asie du Sud et de l’Est, comme au Moyen-Orient, aura d’inévitables répercussions diplomatiques et peut-être militaires. Avec l’allongement de la portée des missiles stratégiques, l’Europe ne peut spéculer sur l’éloignement des théâtres d’opérations éventuels pour la mettre à l’abri de chantages de toute nature ou de fortes secousses en matière de flux commerciaux et énergétiques par exemple.
3. Au Moyen-Orient, l’élection du Président Rohani en Iran et surtout la proposition de l’Iran de signer le protocole additionnel de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), c’est-à-dire d’accepter des inspections intrusives sur son territoire, constituent des signes positifs que la France ne doit pas ignorer. L’objectif de non prolifération nucléaire doit être réaffirmé, sans ambiguïté, s’agissant de l’Iran qui a signé le TNP. Les moyens doivent être pris de s’assurer qu’en effet l’Iran ne cherche pas à se doter d’armes nucléaires, au-delà d’un droit à l’enrichissement à des fins pacifiques qui lui revient, comme à tous les Etats signataires du TNP. Mais l’objectif doit être de parvenir à un règlement négocié. La France, République laïque, n’a pas à prendre parti dans un conflit religieux propre à l’Islam (sunnites, chiites, etc.). Ses accords de défense visent à garantir la stabilité politique de la région mais le souhait de développer des relations étroites avec l’Arabie Saoudite ne doit pas nous conduire à méconnaître l’importance de l’Iran dans la région et les potentialités que ce pays offrira le jour où pourront être levées les sanctions qui le frappent. Sur ce dossier, comme dans l’affaire syrienne, la politique de la France doit être au service de la paix. C’est cela qui fortifiera le mieux le lien Armée-Nation, auquel je vous sais profondément attaché.
4. J’approuve, ainsi que le groupe RDSE au nom duquel je m’exprime, le recentrage stratégique opéré sur l’Afrique par le rapport annexé à la LPM. C’est là que sont nos responsabilités plus encore que nos intérêts, un grand nombre de nos ressortissants et que se joue l’avenir de la francophonie. Avec le Président Carrère et mes collègues, Gérard Larcher, Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux, je soutiendrai tout à l’heure un amendement approuvé par la Commission des Affaires étrangères et de la Défense tendant au maintien des forces pré-positionnées, en accord avec les Etats concernés, dans la bande sahélienne et sur les façades Est et Ouest de l’Afrique, afin de consolider les architectures sous-régionales de sécurité de l’Union africaine.
La France n’est pas le gendarme de l’Afrique. Elle est à son service, au service de son développement, inséparable de sa sécurité, mais elle ne peut non plus se laisser entraîner dans des conflits sans fin. Ainsi, au Mali, ne faut-il pas se voiler la face : sans une refondation du pacte national malien recueillant l’assentiment des populations, au Nord comme au Sud, les groupes djihadistes armés pourraient reprendre le dessus. Toute l’expérience accumulée sur tous les continents montre qu’on ne peut éradiquer le terrorisme qu’avec l’appui des populations. La France n’est donc pas au Mali pour l’éternité. Les Etats africains sont les responsables au premier chef de leur sécurité.
5. Les conflits sahéliens font apparaître les interconnections entre plusieurs régions : Afrique de l’Ouest, Maghreb, Machreck, Golfe, Pakistan, Afghanistan, voire Caucase et Asie Centrale. Le cours heurté des révolutions arabes suscite de légitimes inquiétudes. Puis-je vous rappeler, Monsieur le Ministre, la recommandation à l’unanimité de la Commission des Affaires étrangères, formulée dans le rapport intitulé « Sahel : pour une approche générale », produit par une délégation sénatoriale coprésidée par M. Gérard Larcher et moi-même : Il faut introduire de la cohérence dans notre approche, face au continuum que peut représenter dans une certaine mesure l’islamisme politique, le salafisme et le djihadisme armé. Il faut distinguer entre l’Islam et l’islamisme politique qui détourne la religion à des fins politiques pour bâtir un modèle de société où les valeurs républicaines (alternance, égalité homme-femme) ne trouvent pas forcément leur compte. Il est indispensable d’approfondir nos analyses sur les changements politiques dans le monde arabo-musulman. Je souhaite que cet appel à la vigilance face à la montée de l’islamisme radical soit entendu.
6. Le rapport annexé à la loi de programmation militaire prône un engagement dynamique de la France dans l’OTAN, certes pour y exprimer sa vision, sans qu’on en sache beaucoup plus à ce sujet, sinon la réaffirmation du rôle de l’Europe et d’une hypothétique « défense européenne crédible et autonome ». La mention faite d’une « combinaison appropriée de capacités nucléaires, conventionnelles et de défense antimissile » est, je l’espère, une concession de langage, car nous n’avons pas les moyens d’une défense antimissile de territoire, aléatoire et dont le principe est contradictoire avec celui de la dissuasion. Le rapport d’ailleurs n’en fait pas mention.
III – Ce qui est important, Monsieur le Ministre, c’est le maintien de notre autonomie stratégique, au bénéfice de la liberté d’action de la France.
Je réaffirme ici l’importance de la dissuasion pour ceux qui croient à la pérennité de la France et à son rôle d’équilibre dans la construction d’une Europe réellement européenne. Nous sommes certes les alliés des Etats-Unis, mais pas dans une position de vassalité qui serait humiliante et, en fin de compte, démobilisatrice pour l’esprit de défense, inséparable de l’esprit national.
Le Président de la République a confirmé le maintien des deux composantes de la dissuasion dont il faut sans cesse rappeler la complémentarité. La vraie question est celle de la volonté de maintenir dans la durée un effort constant mais modeste au total (11 à 12 % du budget de la Défense), afin notamment que la simulation permette de garantir la fiabilité de nos armes dans le temps et que soient financés les travaux d’élaboration du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE3G). J’aimerais, Monsieur le Ministre, que vous puissiez nous apporter des assurances quant à la date et au financement sur ressources budgétaires de ces travaux. Il est important que le politique combatte les arguments de ceux qui voudraient mettre la dissuasion à la casse, tout simplement parce qu’ils n’ont pas compris ou se sont toujours refusés à comprendre qu’elle était le seul moyen pour la France de ne pas se laisser entraîner dans des conflits où ses intérêts fondamentaux ne seraient pas engagés, bref qu’elle est le seul moyen de garantir dans la longue durée la paix à notre pays et à l’Europe.
IV – J’en viens maintenant, Monsieur le Ministre, à notre capacité d’intervention sur des théâtres extérieurs.
Notre capacité de projection est maintenue mais les grands programmes d’équipements sont étalés ; le renouvellement des matériels se fera attendre. Un principe de différenciation a été introduit, à juste titre, s’il ne crée pas une armée à plusieurs vitesses : il faut que les missions puissent être remplies. Là est l’essentiel.
J’ai été surpris, en m’adonnant à une deuxième lecture du rapport annexé au projet de ne voir que très peu, voire pas du tout, mentionnés le rôle des Nations Unies et celui du Conseil de Sécurité de l’ONU. Or, c’est là un atout majeur de la France. Nous devrions être d’autant plus attachés à le crédibiliser qu’il semble avoir permis de régler heureusement la question de l’arsenal chimique syrien. Négocier est une tâche difficile. Encore faut-il ne pas prendre d’emblée des positions qui rendent la négociation impossible. Etait-il vraiment opportun de cautionner le refus de l’Arabie Séoudite de siéger au Conseil de Sécurité comme membre non permanent ? Est-ce le rôle de la France que de contribuer à décrédibiliser si peu que ce soit l’importance et le rôle du CSNU ?
Si j’exprime à haute voix cette inquiétude, Monsieur le Ministre, c’est que le Parlement, en France, n ‘est appelé qu’à donner un avis a posteriori sur la décision d’engager nos armées sur des théâtres d’opérations extérieures. Le gouvernement doit savoir qu’une intervention effectuée au dehors du cadre de la légalité internationale pourrait rompre le si précieux consensus sur la défense. Pour me faire mieux comprendre, je retiendrai l’exemple de notre intervention en Libye en 2011 dont la résolution 1973 ne précisait pas qu’elle avait pour but un changement de régime. Nous pouvons mesurer aujourd’hui sur le terrain qu’elle a eu des conséquences qu’on aurait dû éviter en cherchant, le moment venu, une issue négociée.
Je dis tout cela, Monsieur le Ministre, parce que je connais votre humanisme et que je sais que vous êtes un homme raisonnable, soucieux de n’utiliser la force que pour des objectifs accessibles et reconnus comme légitimes par la communauté internationale.
V – A ce stade de mon propos, Monsieur le Ministre, je voudrais évoquer la question des hommes dont je sais qu’elle vous tient profondément à cœur. L’effort de réduction des effectifs est conséquent : 23 800 s’ajoutant à la déflation résiduelle de la loi de programmation précédente, soit 10 381.
La réduction prévue concerne 5 800 officiers, 11 200 sous-officiers, 9 300 hommes de rang, selon un cadencement d’environ 7 500 par an. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, il ne faudra pas lésiner sur les mesures d’incitation des personnels au départ, de reconversion et de reclassement dans les fonctions publiques. A défaut, les enveloppes prévues pour la masse salariale se révèleront insuffisantes, l’hypothèse d’un glissement vieillesse – technicité quasiment nul apparaissant comme particulièrement « volontariste ». Or, il en va du moral des armées qui doivent s’adapter à des réformes de structures constantes et maîtriser les dépenses courantes de fonctionnement strictement contenues par la LPM. Vous savez l’importance du moral des armées. Celles-ci doivent ressentir l’attention affectueuse que leur porte le peuple français à travers la représentation nationale dont la vigilance sur cette question cruciale ne peut se relâcher.
VI – Ces considérations m’amènent naturellement à souligner les tensions qui risquent de marquer l’application de la loi de programmation. La LPM a évoqué les risques de la faiblesse, s’agissant de nombreux Etats africains. Après le Mali, la République Centre-Africaine et peut-être d’autres demain. La Libye illustre le fait qu’il est plus facile de détruire que de reconstruire. Chaque nouvelle OPEX pèsera sur l’équilibre de la LPM. D’autres incertitudes grèvent le projet : la conjoncture économique et les rentrées fiscales, la concrétisation de l’achat des Rafales, le retard éventuel de la réalisation des ressources exceptionnelles prévues. C’est pour parer à toutes ces éventualités que certains amendements ont été déposés par le Président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et par M. Yves Krattinger, au nom de la Commission des Finances, visant à sécuriser les ressources de la LPM ou a préserver certaines capacités critiques au moment de la réactualisation prévue à la fin de 2015. Je soutiendrai bien sûr ces amendements
VII – Un mot encore Monsieur le Ministre, sur les conséquences de l’étalement de nos programmes sur les industries de défense. Il faut naturellement soutenir l’effort d’exportation mais aussi de larges coopérations industrielles, des co-entreprises avec les pays émergents qui pèsent dès aujourd’hui plus dans le PNB mondial que les pays anciennement industrialisés. Il faut plus d’audace dans la vision de ce que nous pouvons faire à condition que l’Etat reste présent dans le capital de nos principales entreprises de défense. Vendre les bijoux de familles ne sert qu’une fois. Toute ouverture de capital doit aller de pair avec un plan de développement stratégique conforme en dernier ressort aux intérêts de sécurité de la France. Je demande qu’aucune décision ne soit prise concernant l’avenir des participations publiques au capital des entreprises du secteur de la défense sans un débat préalable au Parlement.
Si la trajectoire de redressement des finances publiques ne permettait pas le respect des enveloppes prévues, il ne faudrait pas accepter, Monsieur le Ministre, le déclassement stratégique de la France. Une France forte est nécessaire à l’Europe. Sacrifier notre outil de défense sur l’autel d’une fiction idéologique serait commettre un péché contre l’esprit. Le Président de la République, en rendant ses arbitrages, ne s’y est pas trompé. La France est et doit rester une grande puissance politique et donc militaire. C’est le sens même de la construction européenne qui est en jeu.
VIII – Avant de conclure, je voudrais présenter une dernière observation sur l’aspect normatif de la LPM.
Le rapport annexé a confirmé le concept de sécurité national sur lequel j’avais émis en 2009 quelques réserves, car s’il est vrai que la sécurité intérieure et la sécurité extérieure de la France peuvent se recouper, les questions de police et les questions militaires concernent des objets distincts qu’on ne peut confondre sans inconvénient. C’est pourquoi je souhaite que l’extension des compétences de la Commission de renseignement, prévue à l’article 5 du projet de loi, permette effectivement de garantir que l’accès des services de renseignement aux fichiers de police, aux banques de données de compagnies aériennes et au recueil contrôlé des données de géolocalisation, ainsi que les dispositions qui seront prises au titre de la cyberdéfense, ne viendront pas télescoper la nécessaire confidentialité des données personnelles et n’entraîneront pas une régression des libertés individuelles.
Des préoccupations légitimes peuvent quelquefois entrer en contradiction. Il appartiendra à la Commission du renseignement de faire en sorte que les nécessaires précautions soient prises pour qu’en dernier ressort la liberté des citoyens ait toujours le dernier mot.
Sous réserve de ces quelques observations, dont certaines me sont d’ailleurs personnelles, j’apporte mon soutien et plus généralement celui du groupe RDSE au projet de loi de programmation militaire que vous nous présentez. Les voix des sénateurs RDSE ne manqueront pas pour soutenir l’ambition certes rigoureuse mais noble qui structure l’effort de 190 milliards d’euros dont nos armées ont besoin pour poursuivre leur modernisation.
Nos armées ont besoin d’un cap et le projet de loi de programmation le leur fournit.
Comme l’a déclaré, devant la Commission des Affaires étrangères et de la Défense, l’Amiral Guillaud, Chef d’Etat-Major des Armées, « la Loi de programmation militaire permet ainsi de conjuguer engagement opérationnel et préparation de l’avenir. »
II – Un mot d’abord, Monsieur le Ministre, sur l’environnement géostratégique.
1. Le pivotement opéré par les Etats-Unis sur l’Asie-Pacifique, la réduction certaine de leur budget militaire, il est vrai exceptionnellement élevé, obligent les Européens à faire un effort de défense plus conséquent. Pourquoi la France ne proposerait-elle pas à Bruxelles, pour les y encourager, de déduire des déficits budgétaires autorisés, les crédits alloués à la Défense ?
2. La montée des arsenaux en Asie du Sud et de l’Est, comme au Moyen-Orient, aura d’inévitables répercussions diplomatiques et peut-être militaires. Avec l’allongement de la portée des missiles stratégiques, l’Europe ne peut spéculer sur l’éloignement des théâtres d’opérations éventuels pour la mettre à l’abri de chantages de toute nature ou de fortes secousses en matière de flux commerciaux et énergétiques par exemple.
3. Au Moyen-Orient, l’élection du Président Rohani en Iran et surtout la proposition de l’Iran de signer le protocole additionnel de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), c’est-à-dire d’accepter des inspections intrusives sur son territoire, constituent des signes positifs que la France ne doit pas ignorer. L’objectif de non prolifération nucléaire doit être réaffirmé, sans ambiguïté, s’agissant de l’Iran qui a signé le TNP. Les moyens doivent être pris de s’assurer qu’en effet l’Iran ne cherche pas à se doter d’armes nucléaires, au-delà d’un droit à l’enrichissement à des fins pacifiques qui lui revient, comme à tous les Etats signataires du TNP. Mais l’objectif doit être de parvenir à un règlement négocié. La France, République laïque, n’a pas à prendre parti dans un conflit religieux propre à l’Islam (sunnites, chiites, etc.). Ses accords de défense visent à garantir la stabilité politique de la région mais le souhait de développer des relations étroites avec l’Arabie Saoudite ne doit pas nous conduire à méconnaître l’importance de l’Iran dans la région et les potentialités que ce pays offrira le jour où pourront être levées les sanctions qui le frappent. Sur ce dossier, comme dans l’affaire syrienne, la politique de la France doit être au service de la paix. C’est cela qui fortifiera le mieux le lien Armée-Nation, auquel je vous sais profondément attaché.
4. J’approuve, ainsi que le groupe RDSE au nom duquel je m’exprime, le recentrage stratégique opéré sur l’Afrique par le rapport annexé à la LPM. C’est là que sont nos responsabilités plus encore que nos intérêts, un grand nombre de nos ressortissants et que se joue l’avenir de la francophonie. Avec le Président Carrère et mes collègues, Gérard Larcher, Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux, je soutiendrai tout à l’heure un amendement approuvé par la Commission des Affaires étrangères et de la Défense tendant au maintien des forces pré-positionnées, en accord avec les Etats concernés, dans la bande sahélienne et sur les façades Est et Ouest de l’Afrique, afin de consolider les architectures sous-régionales de sécurité de l’Union africaine.
La France n’est pas le gendarme de l’Afrique. Elle est à son service, au service de son développement, inséparable de sa sécurité, mais elle ne peut non plus se laisser entraîner dans des conflits sans fin. Ainsi, au Mali, ne faut-il pas se voiler la face : sans une refondation du pacte national malien recueillant l’assentiment des populations, au Nord comme au Sud, les groupes djihadistes armés pourraient reprendre le dessus. Toute l’expérience accumulée sur tous les continents montre qu’on ne peut éradiquer le terrorisme qu’avec l’appui des populations. La France n’est donc pas au Mali pour l’éternité. Les Etats africains sont les responsables au premier chef de leur sécurité.
5. Les conflits sahéliens font apparaître les interconnections entre plusieurs régions : Afrique de l’Ouest, Maghreb, Machreck, Golfe, Pakistan, Afghanistan, voire Caucase et Asie Centrale. Le cours heurté des révolutions arabes suscite de légitimes inquiétudes. Puis-je vous rappeler, Monsieur le Ministre, la recommandation à l’unanimité de la Commission des Affaires étrangères, formulée dans le rapport intitulé « Sahel : pour une approche générale », produit par une délégation sénatoriale coprésidée par M. Gérard Larcher et moi-même : Il faut introduire de la cohérence dans notre approche, face au continuum que peut représenter dans une certaine mesure l’islamisme politique, le salafisme et le djihadisme armé. Il faut distinguer entre l’Islam et l’islamisme politique qui détourne la religion à des fins politiques pour bâtir un modèle de société où les valeurs républicaines (alternance, égalité homme-femme) ne trouvent pas forcément leur compte. Il est indispensable d’approfondir nos analyses sur les changements politiques dans le monde arabo-musulman. Je souhaite que cet appel à la vigilance face à la montée de l’islamisme radical soit entendu.
6. Le rapport annexé à la loi de programmation militaire prône un engagement dynamique de la France dans l’OTAN, certes pour y exprimer sa vision, sans qu’on en sache beaucoup plus à ce sujet, sinon la réaffirmation du rôle de l’Europe et d’une hypothétique « défense européenne crédible et autonome ». La mention faite d’une « combinaison appropriée de capacités nucléaires, conventionnelles et de défense antimissile » est, je l’espère, une concession de langage, car nous n’avons pas les moyens d’une défense antimissile de territoire, aléatoire et dont le principe est contradictoire avec celui de la dissuasion. Le rapport d’ailleurs n’en fait pas mention.
III – Ce qui est important, Monsieur le Ministre, c’est le maintien de notre autonomie stratégique, au bénéfice de la liberté d’action de la France.
Je réaffirme ici l’importance de la dissuasion pour ceux qui croient à la pérennité de la France et à son rôle d’équilibre dans la construction d’une Europe réellement européenne. Nous sommes certes les alliés des Etats-Unis, mais pas dans une position de vassalité qui serait humiliante et, en fin de compte, démobilisatrice pour l’esprit de défense, inséparable de l’esprit national.
Le Président de la République a confirmé le maintien des deux composantes de la dissuasion dont il faut sans cesse rappeler la complémentarité. La vraie question est celle de la volonté de maintenir dans la durée un effort constant mais modeste au total (11 à 12 % du budget de la Défense), afin notamment que la simulation permette de garantir la fiabilité de nos armes dans le temps et que soient financés les travaux d’élaboration du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE3G). J’aimerais, Monsieur le Ministre, que vous puissiez nous apporter des assurances quant à la date et au financement sur ressources budgétaires de ces travaux. Il est important que le politique combatte les arguments de ceux qui voudraient mettre la dissuasion à la casse, tout simplement parce qu’ils n’ont pas compris ou se sont toujours refusés à comprendre qu’elle était le seul moyen pour la France de ne pas se laisser entraîner dans des conflits où ses intérêts fondamentaux ne seraient pas engagés, bref qu’elle est le seul moyen de garantir dans la longue durée la paix à notre pays et à l’Europe.
IV – J’en viens maintenant, Monsieur le Ministre, à notre capacité d’intervention sur des théâtres extérieurs.
Notre capacité de projection est maintenue mais les grands programmes d’équipements sont étalés ; le renouvellement des matériels se fera attendre. Un principe de différenciation a été introduit, à juste titre, s’il ne crée pas une armée à plusieurs vitesses : il faut que les missions puissent être remplies. Là est l’essentiel.
J’ai été surpris, en m’adonnant à une deuxième lecture du rapport annexé au projet de ne voir que très peu, voire pas du tout, mentionnés le rôle des Nations Unies et celui du Conseil de Sécurité de l’ONU. Or, c’est là un atout majeur de la France. Nous devrions être d’autant plus attachés à le crédibiliser qu’il semble avoir permis de régler heureusement la question de l’arsenal chimique syrien. Négocier est une tâche difficile. Encore faut-il ne pas prendre d’emblée des positions qui rendent la négociation impossible. Etait-il vraiment opportun de cautionner le refus de l’Arabie Séoudite de siéger au Conseil de Sécurité comme membre non permanent ? Est-ce le rôle de la France que de contribuer à décrédibiliser si peu que ce soit l’importance et le rôle du CSNU ?
Si j’exprime à haute voix cette inquiétude, Monsieur le Ministre, c’est que le Parlement, en France, n ‘est appelé qu’à donner un avis a posteriori sur la décision d’engager nos armées sur des théâtres d’opérations extérieures. Le gouvernement doit savoir qu’une intervention effectuée au dehors du cadre de la légalité internationale pourrait rompre le si précieux consensus sur la défense. Pour me faire mieux comprendre, je retiendrai l’exemple de notre intervention en Libye en 2011 dont la résolution 1973 ne précisait pas qu’elle avait pour but un changement de régime. Nous pouvons mesurer aujourd’hui sur le terrain qu’elle a eu des conséquences qu’on aurait dû éviter en cherchant, le moment venu, une issue négociée.
Je dis tout cela, Monsieur le Ministre, parce que je connais votre humanisme et que je sais que vous êtes un homme raisonnable, soucieux de n’utiliser la force que pour des objectifs accessibles et reconnus comme légitimes par la communauté internationale.
V – A ce stade de mon propos, Monsieur le Ministre, je voudrais évoquer la question des hommes dont je sais qu’elle vous tient profondément à cœur. L’effort de réduction des effectifs est conséquent : 23 800 s’ajoutant à la déflation résiduelle de la loi de programmation précédente, soit 10 381.
La réduction prévue concerne 5 800 officiers, 11 200 sous-officiers, 9 300 hommes de rang, selon un cadencement d’environ 7 500 par an. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, il ne faudra pas lésiner sur les mesures d’incitation des personnels au départ, de reconversion et de reclassement dans les fonctions publiques. A défaut, les enveloppes prévues pour la masse salariale se révèleront insuffisantes, l’hypothèse d’un glissement vieillesse – technicité quasiment nul apparaissant comme particulièrement « volontariste ». Or, il en va du moral des armées qui doivent s’adapter à des réformes de structures constantes et maîtriser les dépenses courantes de fonctionnement strictement contenues par la LPM. Vous savez l’importance du moral des armées. Celles-ci doivent ressentir l’attention affectueuse que leur porte le peuple français à travers la représentation nationale dont la vigilance sur cette question cruciale ne peut se relâcher.
VI – Ces considérations m’amènent naturellement à souligner les tensions qui risquent de marquer l’application de la loi de programmation. La LPM a évoqué les risques de la faiblesse, s’agissant de nombreux Etats africains. Après le Mali, la République Centre-Africaine et peut-être d’autres demain. La Libye illustre le fait qu’il est plus facile de détruire que de reconstruire. Chaque nouvelle OPEX pèsera sur l’équilibre de la LPM. D’autres incertitudes grèvent le projet : la conjoncture économique et les rentrées fiscales, la concrétisation de l’achat des Rafales, le retard éventuel de la réalisation des ressources exceptionnelles prévues. C’est pour parer à toutes ces éventualités que certains amendements ont été déposés par le Président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et par M. Yves Krattinger, au nom de la Commission des Finances, visant à sécuriser les ressources de la LPM ou a préserver certaines capacités critiques au moment de la réactualisation prévue à la fin de 2015. Je soutiendrai bien sûr ces amendements
VII – Un mot encore Monsieur le Ministre, sur les conséquences de l’étalement de nos programmes sur les industries de défense. Il faut naturellement soutenir l’effort d’exportation mais aussi de larges coopérations industrielles, des co-entreprises avec les pays émergents qui pèsent dès aujourd’hui plus dans le PNB mondial que les pays anciennement industrialisés. Il faut plus d’audace dans la vision de ce que nous pouvons faire à condition que l’Etat reste présent dans le capital de nos principales entreprises de défense. Vendre les bijoux de familles ne sert qu’une fois. Toute ouverture de capital doit aller de pair avec un plan de développement stratégique conforme en dernier ressort aux intérêts de sécurité de la France. Je demande qu’aucune décision ne soit prise concernant l’avenir des participations publiques au capital des entreprises du secteur de la défense sans un débat préalable au Parlement.
Si la trajectoire de redressement des finances publiques ne permettait pas le respect des enveloppes prévues, il ne faudrait pas accepter, Monsieur le Ministre, le déclassement stratégique de la France. Une France forte est nécessaire à l’Europe. Sacrifier notre outil de défense sur l’autel d’une fiction idéologique serait commettre un péché contre l’esprit. Le Président de la République, en rendant ses arbitrages, ne s’y est pas trompé. La France est et doit rester une grande puissance politique et donc militaire. C’est le sens même de la construction européenne qui est en jeu.
VIII – Avant de conclure, je voudrais présenter une dernière observation sur l’aspect normatif de la LPM.
Le rapport annexé a confirmé le concept de sécurité national sur lequel j’avais émis en 2009 quelques réserves, car s’il est vrai que la sécurité intérieure et la sécurité extérieure de la France peuvent se recouper, les questions de police et les questions militaires concernent des objets distincts qu’on ne peut confondre sans inconvénient. C’est pourquoi je souhaite que l’extension des compétences de la Commission de renseignement, prévue à l’article 5 du projet de loi, permette effectivement de garantir que l’accès des services de renseignement aux fichiers de police, aux banques de données de compagnies aériennes et au recueil contrôlé des données de géolocalisation, ainsi que les dispositions qui seront prises au titre de la cyberdéfense, ne viendront pas télescoper la nécessaire confidentialité des données personnelles et n’entraîneront pas une régression des libertés individuelles.
Des préoccupations légitimes peuvent quelquefois entrer en contradiction. Il appartiendra à la Commission du renseignement de faire en sorte que les nécessaires précautions soient prises pour qu’en dernier ressort la liberté des citoyens ait toujours le dernier mot.
Sous réserve de ces quelques observations, dont certaines me sont d’ailleurs personnelles, j’apporte mon soutien et plus généralement celui du groupe RDSE au projet de loi de programmation militaire que vous nous présentez. Les voix des sénateurs RDSE ne manqueront pas pour soutenir l’ambition certes rigoureuse mais noble qui structure l’effort de 190 milliards d’euros dont nos armées ont besoin pour poursuivre leur modernisation.
Nos armées ont besoin d’un cap et le projet de loi de programmation le leur fournit.