Le Kosovo entend proclamer son indépendance, réclamer son entrée aux Nations unies, l’adhésion à l’Union européenne et des crédits qui vont avec. Volonté comprise de beaucoup qui se préparent déjà aux cérémonies de reconnaissance, aux embrassades, au grand concert avec chœur et trilles et à l’exécution de la 9e Symphonie de Beethoven. On comprend cette inclination devant le principe d’autodétermination et bien peu discuteront de l’issue d’un référendum sur une possible indépendance. Rien d’étonnant. La nature humaine est ainsi faite que si l’on consulte de par le monde d’innombrables groupes plus ou moins organisés, on enregistrera autant d’émouvantes aspirations à la sécession et à l’indépendance, d’autant mieux étayées qu’une puissance extérieure, disposant de quelques moyens, paraît déjà toute prête à vous aider.
La question est évidemment de savoir s’il convient de s’arrêter, et où. Faut-il indéfiniment encourager au fractionnement, aux divisions, à la scissiparité, célébrer la mise en place de nouvelles frontières, alors qu’au même moment on exalte le dépérissement des identités nationales et l’ensevelissement dans le grand tout ? La contradiction étant évidente, les réponses sont naturellement embarrassées et dépendent de l’air du temps. Là on pleure le policier victime d’un indépendantiste qualifié de terroriste et l’on défile pour l’unité nationale. Ici l’on crie à la répression ou à la ringardise patriotique.
La question est évidemment de savoir s’il convient de s’arrêter, et où. Faut-il indéfiniment encourager au fractionnement, aux divisions, à la scissiparité, célébrer la mise en place de nouvelles frontières, alors qu’au même moment on exalte le dépérissement des identités nationales et l’ensevelissement dans le grand tout ? La contradiction étant évidente, les réponses sont naturellement embarrassées et dépendent de l’air du temps. Là on pleure le policier victime d’un indépendantiste qualifié de terroriste et l’on défile pour l’unité nationale. Ici l’on crie à la répression ou à la ringardise patriotique.
Si, dépassant les humeurs, on s’inquiétait un peu du bien-être général, on rappellerait sans doute le vieux principe que l’intérêt des uns doit tenir compte de celui des autres. En l’occurrence, il importe qu’un peuple européen, animé par l’ambition qu’il estime très légitime de son indépendance, fasse attention aux préoccupations de paix et de stabilité, aussi légitimes également, de ses voisins. Il y va, très simplement, de ce qui avait été conçu, au lendemain de la chute du mur de Berlin, pour fonder l’ordre et la tranquillité de l’Europe.
Cet ordre, tel qu’il fut inscrit dans les textes des grandes conférences, notamment la Conférence de Paris, qui accompagnèrent la dislocation du bloc soviétique, était organisé autour du respect d’une vérité élémentaire : le respect des frontières existantes sauf à les modifier par consentement pacifique. C’est en application de cette idée-force, devenue vrai dogme des négociations européennes, que la frontière orientale de l’Allemagne demeure celle tracée par l’Oder et la Neisse, et que les anciens satellites de l’URSS ou républiques membres recouvrirent l’indépendance ou y accédèrent sans problèmes majeurs. La Tchécoslovaquie se divisa parce que les deux peuples constituant ce pays convinrent de se séparer amiablement, pacifiquement. La République fédérale yougoslave éclata en grande partie parce que les Occidentaux refusèrent que les Serbes puissent créer à l’intérieur de la Bosnie ou de la Croatie de nouvelles frontières englobant les communautés serbes homogènes. On fit, en revanche, prévaloir, contre l’avis de Belgrade, que les limites des anciennes républiques fédérées à l’intérieur de la Yougoslavie étaient des frontières justifiant d’être respectées comme telles. Et le Monténégro devint indépendant par accord de la Serbie.
Le cas du Kosovo est, chacun le sait, fort différent, car ce territoire n’a jamais été considéré comme une république fédérée et parce que la Serbie, qui y est attachée par de très profonds liens et symboles historiques, religieux, nationaux, n’entend pas s’en couper. De cette situation, de la force des principes qui avaient permis de régler pacifiquement la succession de l’URSS et qui avaient valu ensuite aux Croates, aux Slovènes, aux Macédoniens et aux Bosniaques le soutien international, les négociateurs européens, occidentaux et russes tinrent compte, lors du règlement de la guerre du Kosovo voici moins de dix ans. Autonomie substantielle. Respect de la souveraineté nationale de la République fédérale yougoslave, autrement dit respect des frontières. Tels étaient les principes d’un accord de paix conforme aux exigences immédiates du dénouement pacifique de la crise mais aussi aux principes fondamentaux de l’organisation de l’Europe. Va-t-on tout jeter bas ? Au risque, on le sait, de semer en Europe les germes de nombreuses sécessions, en Bosnie, Géorgie, Moldavie, etc., au risque, au-delà de l’Europe, de donner un singulier exemple qui fera réfléchir Marocains, Indiens, Indonésiens et nos excellents amis canadiens…
Souhaite-t-on vraiment se donner un nouveau prétexte de solide et bonne brouille avec la Russie ? On peut penser tout ce que l’on veut du régime russe mais les dernières élections tendent à prouver que celui-ci est assez solidement installé. Faut-il lui offrir l’occasion d’ajouter à la confusion en choisissant la Serbie pour théâtre d’une éventuelle réplique stratégique au déploiement éventuel d’un réseau américain d’armes antimissiles ? Ou bien convient-il, comme le font assez habilement les Allemands, de continuer de discuter avec la Russie le plus raisonnablement et froidement possible ? Il se trouve que le dossier du Kosovo est précisément celui sur lequel travaillent depuis longtemps, en relative intelligence, les trois acteurs : États-Unis, Union européenne et Russie. C’est même l’un des très rares sujets de politique étrangère où l’Union européenne, en tant que telle, fonctionne réellement sur un pied de stricte égalité avec Moscou et Washington.
N’est-il pas l’heure plutôt pour tous ceux qui, quels que soient leurs credo, souhaitent que la voix de l’Europe soit entendue, d’encourager ses né-gociateurs à poursuivre la discussion avec la Russie sur la formule la plus propice (il y a mille combinaisons possibles) à satisfaire la volonté d’autonomie et de vivre ensemble des Kosovars, sans qu’une excessive prétention à un siège indépendant à l’ONU, et pis, que l’établissement d’une nouvelle frontière vienne miner encore plus la base de l’équilibre européen ?
Cet ordre, tel qu’il fut inscrit dans les textes des grandes conférences, notamment la Conférence de Paris, qui accompagnèrent la dislocation du bloc soviétique, était organisé autour du respect d’une vérité élémentaire : le respect des frontières existantes sauf à les modifier par consentement pacifique. C’est en application de cette idée-force, devenue vrai dogme des négociations européennes, que la frontière orientale de l’Allemagne demeure celle tracée par l’Oder et la Neisse, et que les anciens satellites de l’URSS ou républiques membres recouvrirent l’indépendance ou y accédèrent sans problèmes majeurs. La Tchécoslovaquie se divisa parce que les deux peuples constituant ce pays convinrent de se séparer amiablement, pacifiquement. La République fédérale yougoslave éclata en grande partie parce que les Occidentaux refusèrent que les Serbes puissent créer à l’intérieur de la Bosnie ou de la Croatie de nouvelles frontières englobant les communautés serbes homogènes. On fit, en revanche, prévaloir, contre l’avis de Belgrade, que les limites des anciennes républiques fédérées à l’intérieur de la Yougoslavie étaient des frontières justifiant d’être respectées comme telles. Et le Monténégro devint indépendant par accord de la Serbie.
Le cas du Kosovo est, chacun le sait, fort différent, car ce territoire n’a jamais été considéré comme une république fédérée et parce que la Serbie, qui y est attachée par de très profonds liens et symboles historiques, religieux, nationaux, n’entend pas s’en couper. De cette situation, de la force des principes qui avaient permis de régler pacifiquement la succession de l’URSS et qui avaient valu ensuite aux Croates, aux Slovènes, aux Macédoniens et aux Bosniaques le soutien international, les négociateurs européens, occidentaux et russes tinrent compte, lors du règlement de la guerre du Kosovo voici moins de dix ans. Autonomie substantielle. Respect de la souveraineté nationale de la République fédérale yougoslave, autrement dit respect des frontières. Tels étaient les principes d’un accord de paix conforme aux exigences immédiates du dénouement pacifique de la crise mais aussi aux principes fondamentaux de l’organisation de l’Europe. Va-t-on tout jeter bas ? Au risque, on le sait, de semer en Europe les germes de nombreuses sécessions, en Bosnie, Géorgie, Moldavie, etc., au risque, au-delà de l’Europe, de donner un singulier exemple qui fera réfléchir Marocains, Indiens, Indonésiens et nos excellents amis canadiens…
Souhaite-t-on vraiment se donner un nouveau prétexte de solide et bonne brouille avec la Russie ? On peut penser tout ce que l’on veut du régime russe mais les dernières élections tendent à prouver que celui-ci est assez solidement installé. Faut-il lui offrir l’occasion d’ajouter à la confusion en choisissant la Serbie pour théâtre d’une éventuelle réplique stratégique au déploiement éventuel d’un réseau américain d’armes antimissiles ? Ou bien convient-il, comme le font assez habilement les Allemands, de continuer de discuter avec la Russie le plus raisonnablement et froidement possible ? Il se trouve que le dossier du Kosovo est précisément celui sur lequel travaillent depuis longtemps, en relative intelligence, les trois acteurs : États-Unis, Union européenne et Russie. C’est même l’un des très rares sujets de politique étrangère où l’Union européenne, en tant que telle, fonctionne réellement sur un pied de stricte égalité avec Moscou et Washington.
N’est-il pas l’heure plutôt pour tous ceux qui, quels que soient leurs credo, souhaitent que la voix de l’Europe soit entendue, d’encourager ses né-gociateurs à poursuivre la discussion avec la Russie sur la formule la plus propice (il y a mille combinaisons possibles) à satisfaire la volonté d’autonomie et de vivre ensemble des Kosovars, sans qu’une excessive prétention à un siège indépendant à l’ONU, et pis, que l’établissement d’une nouvelle frontière vienne miner encore plus la base de l’équilibre européen ?