Introduction : Cinquante ans de Ve République
La Ve République a cinquante ans mais la République française en a 216. La Ve République a été fondée par le général de Gaulle en réaction aux errements et à l’instabilité du régime d’Assemblée qui avait conduit la IIIe République à sa perte et enlisé la IVe République dans le bourbier des guerres coloniales.
La Ve République « donne une tête à l’Etat », selon l’expression du général de Gaulle. Le pouvoir du Président de la République n’a cessé de s’y affirmer, notamment depuis l’élection de celui-ci au suffrage universel décidée par référendum en 1962. Depuis lors, tout montre que le peuple français n’entend pas renoncer à cette élection présidentielle au suffrage universel qui est devenue le moment charnière de la vie politique française.
Au fil des décennies, le fait majoritaire s’est imposé. Il existe aujourd’hui un bipartisme de fait. Ce fait majoritaire a relativisé la nécessité du parlementarisme rationalisé voulu au départ par Michel Debré mais la forme parlementaire du régime demeure, avec la responsabilité devant le Parlement du gouvernement dont le Chef est nommé par le Président de la République. La réforme institutionnelle de juillet 2008 préserve cette responsabilité du gouvernement et donc cette dyarchie du pouvoir exécutif mais elle a élargi sensiblement les pouvoirs du Parlement, tirant ainsi les conséquences des réformes de 2001 (quinquennat) et 2002 (inversion des échéances électorales).
La Ve République a cinquante ans mais la République française en a 216. La Ve République a été fondée par le général de Gaulle en réaction aux errements et à l’instabilité du régime d’Assemblée qui avait conduit la IIIe République à sa perte et enlisé la IVe République dans le bourbier des guerres coloniales.
La Ve République « donne une tête à l’Etat », selon l’expression du général de Gaulle. Le pouvoir du Président de la République n’a cessé de s’y affirmer, notamment depuis l’élection de celui-ci au suffrage universel décidée par référendum en 1962. Depuis lors, tout montre que le peuple français n’entend pas renoncer à cette élection présidentielle au suffrage universel qui est devenue le moment charnière de la vie politique française.
Au fil des décennies, le fait majoritaire s’est imposé. Il existe aujourd’hui un bipartisme de fait. Ce fait majoritaire a relativisé la nécessité du parlementarisme rationalisé voulu au départ par Michel Debré mais la forme parlementaire du régime demeure, avec la responsabilité devant le Parlement du gouvernement dont le Chef est nommé par le Président de la République. La réforme institutionnelle de juillet 2008 préserve cette responsabilité du gouvernement et donc cette dyarchie du pouvoir exécutif mais elle a élargi sensiblement les pouvoirs du Parlement, tirant ainsi les conséquences des réformes de 2001 (quinquennat) et 2002 (inversion des échéances électorales).
Plus contestable est l’extension de la saisine, même indirecte, du Conseil Constitutionnel par tous les citoyens, sans parler bien entendu des limitations apportées à l’exercice de la souveraineté nationale par les traités européens et notamment par le traité de Maastricht et par le traité de Lisbonne, non encore ratifié.
L’évolution de la Ve République est ainsi ambivalente même si la réforme de juillet 2008 marque, du point de vue des pouvoirs du Parlement, une avancée peu contestable.
Souveraineté populaire, citoyenneté, école.
Dans la conception républicaine classique, héritée de la Révolution française, la souveraineté populaire repose sur les individus en tant que citoyens, « le peuple en corps » disent les juristes. Le citoyen n’est pas seulement l’individu jouissant de ses droits naturels et pourvu de sensibilité, de désirs divers et bien sûr de besoins, c’est un individu rationnel conscient de devoir de participer à l’élaboration de la volonté générale, c’est-à-dire de la loi, avec les droits et les devoirs qu’elle comporte. Le citoyen c’est une parcelle du « Souverain » (en d’autres termes le Peuple).
Cette « citoyenneté » s’apprend, et c’est la raison pour laquelle la tradition républicaine, de Condorcet à Jules Ferry, a toujours mis un accent particulier sur le rôle de l’Ecole. Non pas une école qui participerait à une sorte de « bourrage de crânes » et de conditionnement des esprits, mais bien au contraire une Ecole destinée à former le jugement critique du citoyen, bref sa « capacité à penser par lui-même ».
L’Ecole républicaine éduque à la liberté : elle est naturellement laïque car elle présuppose un espace commun à tous les citoyens en dehors des dogmes révélés : celui de la « raison naturelle », chose du monde la mieux partagée selon Descartes. L’Ecole républicaine porte par ailleurs des valeurs : égalité, fraternité nullement antinomiques avec la première de ses missions : l’éducation à la liberté c’est-à-dire à l’autonomie.
On fait souvent valoir aujourd’hui que cette école parce qu’elle était l’Ecole de la République a participé à l’exaltation du sentiment national. On confond me semble-t-il deux choses : le patriotisme républicain ouvert à l’universel et le nationalisme de repli. Il me semble que l’Ecole républicaine a toujours enseigné, quand elle l’a enseigné, le patriotisme républicain, socle du civisme, plutôt que le nationalisme. On pourrait même dire que de 1919 à 1940 elle était plutôt ouverte à l’influence du pacifisme. De façon générale cependant, l’école républicaine telle qu’elle avait été conçue par la Révolution et telle que l’a mise en œuvre la IIIe République dite souvent « République enseignante » a plutôt formé des citoyens, leur transmettant une éducation morale et civique respectueuse de la liberté de chacun et qui se voulait universelle.
I – « L’idée républicaine » et le concept de citoyenneté sont aujourd’hui battue en brèche dans le contexte de la globalisation financière.
1. L’individu avant d’être considéré comme un citoyen libre a d’abord été identifié par l’économie politique anglaise à un agent économique soi-disant rationnel : « l’homo oeconomicus » agissant sur le marché. La conception anglo-saxonne fondée sur la supériorité, en tous domaines, de l’économie de marché (Hayek – Friedman à notre époque) a inspiré les politiques de dérégulation mises en œuvre d’abord aux Etats-Unis dans les années soixante-dix, quatre-vingt du dernier siècle et généralisée plus ou moins au reste de la planète dans les années quatre-vingt-dix, deux mille. Le Président Reagan avait défini le programme dès 1980 : « L’Etat n’est pas la solution à nos problèmes. Il est le problème ».
2. La souveraineté populaire a été ainsi confisquée par la souveraineté des marchés et d’abord des marchés financiers. Historiquement il est intéressant d’observer que la « dérégulation financière » (libération des mouvements de capitaux, prééminence de la bourse, effacement du rôle des banques) a précédé la dérégulation commerciale (OMC 1994). Les marchés financiers sont devenus la force directrice de l’économie, provoquant une série de bulles spéculatives qui ont éclaté de 1996-97 à 2000, puis en 2007-2008.
3. La dépossession de la souveraineté populaire en Europe notamment s’est souvent camouflée derrière des instances technocratiques.
a) Par exemple les instances européennes : Commission, Banque Centrale, Cour de Justice de l’Union européenne, institutions entièrement déconnectées du suffrage universel avec un Parlement européen alibi car n’exprimant aucune « volonté générale ». L’Europe a ainsi évolué pour l’essentiel vers une zone de libre échange dérégulée.
b) On peut observer une évolution comparable à l’échelle mondiale :
- pratique des sommets restreints aux grands pays industrialisés (G5 puis G8) à partir des années 1970-80 jusqu’à aujourd’hui ;
- rôle du FMI dans les plans d’ajustement structurels appliqués aux pays en voie de développement dans les années quatre-vingt ;
- rôle de l’OMC qui remplace le GATT après 1994 dans le désarmement tarifaire et contingentaire.
c) L’Asie est sans doute un cas spécifique : le libre échange à l’extérieur n’a généralement pas eu son pendant dans l’ordre interne. La croissance est tirée par l’exportation. Le marché intérieur reste souvent protégé (c’est plus ou moins le cas du Japon hisoriquement, de la Corée, de l’ASEAN et maintenant de la Chine). Il faudrait discuter, me semble-t-il, de ce « capitalisme asiatique » dont l’ancien Premier ministre de Singapour, M. Lee Kuan Yew, s’était fait le théoricien.
4. La crise financière actuelle illustre les excès du capitalisme financier et met parallèlement en cause le rôle de l’Hyperpuissance américaine dans la genèse et la propagation de la crise.
Les déséquilibres économiques fondamentaux de l’économie américaine (déficits – endettement) nourrissent une fuite en avant dans la sophistication des produits financiers (« économie virtuelle ») aussi bien que dans l’aventurisme extérieur (contrôle des sources d’approvisionnement en pétrole – guerre d’Irak – conflits autour du pétrole et du gaz de la Caspienne - tracé des oléoducs dans le Caucase – tensions avec la Russie).
5. Dans ce contexte, la conception individualiste, républicaine ou encore « citoyenne » de la démocratie est affrontée :
a) Soit à un mouvement de décomposition interne théorisé en France par Marcel Gauchet : c’est la démocratie des droits revendiqués qui étouffe la démocratie « citoyenne » (la citoyenneté associant les droits et les devoirs). L’hyperindividualisme libéral met la citoyenneté active en vacances.
b) Soit au retour en force du « holisme » (du grec holos : tribu) c’est-à-dire des identités dites « naturelles » préconstituées : nationalismes ethniques ou nationalismes de grande puissance (Etats-Unis, Russie, Chine) opposés à la conception républicaine de la nation définie comme « communauté de citoyens », ouverte à l’universel.
Louis Dumont a jadis fondé une distinction entre les peuples traditionnellement dits « holistes » (Allemagne, Japon) et les peuples individualistes (France – Etats-Unis), l’Angleterre constituant sans doute une « synthèse » des deux. La France et les Etats-Unis ne sont d’ailleurs pas à l’abri de réactions nationalistes (le « Front National » en France – les néo conservateurs américains). Le retour du « holisme » peut aussi prendre la forme du « communautarisme soit ethnique soit religieux (intégrismes islamiste, juif ou chrétien : on le voit aux Etats-Unis avec la force du fondamentalisme chrétien).
c) Enfin il faut évoquer la crise de l’Ecole affrontée à la puissance manipulatrice des médias de masse et à la montée de la violence scolaire. Les fractures de la société font irruption dans l’Ecole. L’Ecole est remise en cause par les mouvements libertaires (contestation du « Savoir » et des valeurs de la connaissance et par conséquent de l’autorité des maîtres, autant que par la puissance de l’Argent (ségrégation scolaire) ; « L’effet télé » peut-il être compensé par « l’effet Internet » ? Plus que jamais le redressement de l’Ecole comme service public conditionne l’avenir de la démocratie. Il n’y a pas de République sans Ecole forte et assurée de ses valeurs.
Au total, la volonté populaire est aujourd’hui prise en otage : un nouveau conformisme s’est installé, fondé sur l’idée que les hommes, collectivement, ne peuvent pas changer le cours d’une Histoire qui les dépasse. Plus subtilement un prétendu « Cercle de la Raison » veut imposer un dogmatisme libéral étouffant.
Mais ce dogme est profondément remis en cause par la crise économique et financière actuelle. L’élection de Barak Obama a fait lever des espoirs qui, espérons-le, ne seront pas déçus. « Yes, we can », c’est un beau slogan pour une démocratie citoyenne active mais le nouveau Président devra tenir compte du fait que les Etats-Unis doivent aujourd’hui accepter la multipolarité du monde et qu’ils ne peuvent plus dominer seuls la planète, d’autant qu’ils vivent aujourd’hui très au-dessus de leurs moyens. Pourront-ils remettre en cause leur mode de vie dispendieux et revenir à un sain multilatéralisme ? Vis-à-vis de l’Europe, sur le terrain des rapports avec le Moyen-Orient et avec la Russie qui sont tous deux des sujets de contentieux ? Vis-à-vis de l’Asie aussi, et de la Chine en particulier, avec laquelle ils entretiennent un rapport ambigu d’alliance et de rivalité ?
Quelle place pour le Japon dans ce monde « multipolaire » ? Mais le mot « multipolarité » n’est-il pas lui-même déjà dépassé ? Le monde, fondamentalement, reste un monde de nations. Celles-ci doivent inventer des formes de coopération nouvelles, particulièrement au plan régional, mais tout en restant sous l’égide de l’ONU qui doit symboliser l’universalité du droit.
III – Vers une nouvelle donne (un nouveau « New Deal »)
A) Le monde a profondément changé depuis la fin de la guerre froide.
1. Le déclin de l’Europe et du Japon mais aussi des Etats-Unis.
2. la montée des pays émergents et le retour de la Russie.
3. La crise du monde musulman.
4. Le Sud délaissé (Afrique, Asie profonde, pays andins).
B) Les axes possibles d’une stratégie destinée à surmonter la crise.
1. Dans l’immédiat une relance coordonnée à l’échelle mondiale est nécessaire. Les Etats-Unis ne peuvent pas relancer « en solitaire », comme en 2002-2003, sauf à détériorer encore plus leurs « fondamentaux » et à aller vers une nouvelle crise plus profonde encore que l’actuelle. Les pays excédentaires du point de vue du commerce extérieur et de l’épargne (Chine-Japon-Allemagne) doivent participer à la relance économique mondiale. La garantie des Etats est nécessaire : le retour du politique clôt le cycle de la « globalisation financière ».
2. Il faut articuler la relance de l’économie avec la conception d’un nouveau modèle de développement répondant aux besoins de l’humanité et d’une société du XXIe siècle respectueuse des besoins sociaux et de l’environnement.
Il faut gérer deux transitions
a) celle de l’unipolarité dominée par les Etats-Unis à la multipolarité du monde voire à une certaine bipolarité avec le dépassement vers 2025-2030 des Etats-Unis par la Chine en termes de PNB)
b) deuxième transition : faire que le modèle de développement du Nord puisse évoluer pour devenir transposable au Sud. Trouver un équilibre entre les deux trajectoires économiques et sociales, du Nord qui doit préserver ses équilibres sociaux (problèmes de délocalisations d’activités) et du Sud qui doit trouver un modèle de développement harmonieux, en se fondant aussi sur les besoins de sa population.
3. Citons comme axes d’effort et d’investissement principaux :
a) la révolution énergétique (« l’après-pétrole »)
b) la lutte contre le réchauffement climatique et l’émission de gaz à effet de serre : tout cela implique d’énormes investissements ;
c) la préservation des biens rares de l’humanité (eau – air – sols - matières premières, etc.)
d) l’accent mis sur les valeurs d’égalité et sur les besoins sociaux fondamentaux :
- infrastructures dans les pays du Sud (agriculture, eau, hôpitaux, transports) – financées le cas échéant par l’émission de droits de tirage spéciaux (DTS émis par le FMI)
- Education – formation – recherche
- Protection sociale – conciliation entre l’activité professionnelle des femmes et leur épanouissement personnel et familial.
4. La reconstruction (ou la construction) d’Etats « républicains » est une tâche majeure des temps à venir :
- fonction d’anticipation, de programmation, de politique industrielle
- reprise en main du crédit par l’Etat
- la notion de service public couplée avec la valeur d’égalité a un grand avenir : il faut penser des Etats modernes avec des services publics performants et justes.
5. Cette période de transition (à plusieurs niveaux : géopolitique : entre les Etats-Unis et la Chine – économique et sociale : entre deux modèles de développement et pour l’accès aux matières premières) peut être la source de fortes tensions, voire de guerres :
- dans le monde musulman (conflits israélo-palestinien, Irak-Iran, Golfe, Afghanistan et Pakistan – Pakistan et Inde, Cachemire)
- en Europe (Balkans – Caucase)
- en Asie de l’Est (Taïwan – Corée).
La mobilisation pour la paix peut être un puissant vecteur de solidarité à l’échelle mondiale
6. La démocratie n’est pas un article d’exportation. Chaque peuple doit trouver son propre chemin, d’où l’importance du « dialogue des cultures ». Néanmoins il faut préserver l’idée de valeurs universelles et améliorer l’ordre juridique international existant : ne pas opposer l’ONU et les organisations régionales. Améliorer la légitimité de l’ONU par une réforme du Conseil de Sécurité.
L’idée « constitutionnaliste » et « l’idée républicaine » sont des valeurs d’avenir aussi dans le monde extraoccidental. Mais elles ne doivent pas prendre la forme hypocrite d’un impérialisme culturel. Chaque peuple doit trouver sa propre voie pour associer les droits de l’homme et du citoyen car la liberté nationale et la démocratie sont les deux faces d’une même médaille.
L’évolution de la Ve République est ainsi ambivalente même si la réforme de juillet 2008 marque, du point de vue des pouvoirs du Parlement, une avancée peu contestable.
Souveraineté populaire, citoyenneté, école.
Dans la conception républicaine classique, héritée de la Révolution française, la souveraineté populaire repose sur les individus en tant que citoyens, « le peuple en corps » disent les juristes. Le citoyen n’est pas seulement l’individu jouissant de ses droits naturels et pourvu de sensibilité, de désirs divers et bien sûr de besoins, c’est un individu rationnel conscient de devoir de participer à l’élaboration de la volonté générale, c’est-à-dire de la loi, avec les droits et les devoirs qu’elle comporte. Le citoyen c’est une parcelle du « Souverain » (en d’autres termes le Peuple).
Cette « citoyenneté » s’apprend, et c’est la raison pour laquelle la tradition républicaine, de Condorcet à Jules Ferry, a toujours mis un accent particulier sur le rôle de l’Ecole. Non pas une école qui participerait à une sorte de « bourrage de crânes » et de conditionnement des esprits, mais bien au contraire une Ecole destinée à former le jugement critique du citoyen, bref sa « capacité à penser par lui-même ».
L’Ecole républicaine éduque à la liberté : elle est naturellement laïque car elle présuppose un espace commun à tous les citoyens en dehors des dogmes révélés : celui de la « raison naturelle », chose du monde la mieux partagée selon Descartes. L’Ecole républicaine porte par ailleurs des valeurs : égalité, fraternité nullement antinomiques avec la première de ses missions : l’éducation à la liberté c’est-à-dire à l’autonomie.
On fait souvent valoir aujourd’hui que cette école parce qu’elle était l’Ecole de la République a participé à l’exaltation du sentiment national. On confond me semble-t-il deux choses : le patriotisme républicain ouvert à l’universel et le nationalisme de repli. Il me semble que l’Ecole républicaine a toujours enseigné, quand elle l’a enseigné, le patriotisme républicain, socle du civisme, plutôt que le nationalisme. On pourrait même dire que de 1919 à 1940 elle était plutôt ouverte à l’influence du pacifisme. De façon générale cependant, l’école républicaine telle qu’elle avait été conçue par la Révolution et telle que l’a mise en œuvre la IIIe République dite souvent « République enseignante » a plutôt formé des citoyens, leur transmettant une éducation morale et civique respectueuse de la liberté de chacun et qui se voulait universelle.
I – « L’idée républicaine » et le concept de citoyenneté sont aujourd’hui battue en brèche dans le contexte de la globalisation financière.
1. L’individu avant d’être considéré comme un citoyen libre a d’abord été identifié par l’économie politique anglaise à un agent économique soi-disant rationnel : « l’homo oeconomicus » agissant sur le marché. La conception anglo-saxonne fondée sur la supériorité, en tous domaines, de l’économie de marché (Hayek – Friedman à notre époque) a inspiré les politiques de dérégulation mises en œuvre d’abord aux Etats-Unis dans les années soixante-dix, quatre-vingt du dernier siècle et généralisée plus ou moins au reste de la planète dans les années quatre-vingt-dix, deux mille. Le Président Reagan avait défini le programme dès 1980 : « L’Etat n’est pas la solution à nos problèmes. Il est le problème ».
2. La souveraineté populaire a été ainsi confisquée par la souveraineté des marchés et d’abord des marchés financiers. Historiquement il est intéressant d’observer que la « dérégulation financière » (libération des mouvements de capitaux, prééminence de la bourse, effacement du rôle des banques) a précédé la dérégulation commerciale (OMC 1994). Les marchés financiers sont devenus la force directrice de l’économie, provoquant une série de bulles spéculatives qui ont éclaté de 1996-97 à 2000, puis en 2007-2008.
3. La dépossession de la souveraineté populaire en Europe notamment s’est souvent camouflée derrière des instances technocratiques.
a) Par exemple les instances européennes : Commission, Banque Centrale, Cour de Justice de l’Union européenne, institutions entièrement déconnectées du suffrage universel avec un Parlement européen alibi car n’exprimant aucune « volonté générale ». L’Europe a ainsi évolué pour l’essentiel vers une zone de libre échange dérégulée.
b) On peut observer une évolution comparable à l’échelle mondiale :
- pratique des sommets restreints aux grands pays industrialisés (G5 puis G8) à partir des années 1970-80 jusqu’à aujourd’hui ;
- rôle du FMI dans les plans d’ajustement structurels appliqués aux pays en voie de développement dans les années quatre-vingt ;
- rôle de l’OMC qui remplace le GATT après 1994 dans le désarmement tarifaire et contingentaire.
c) L’Asie est sans doute un cas spécifique : le libre échange à l’extérieur n’a généralement pas eu son pendant dans l’ordre interne. La croissance est tirée par l’exportation. Le marché intérieur reste souvent protégé (c’est plus ou moins le cas du Japon hisoriquement, de la Corée, de l’ASEAN et maintenant de la Chine). Il faudrait discuter, me semble-t-il, de ce « capitalisme asiatique » dont l’ancien Premier ministre de Singapour, M. Lee Kuan Yew, s’était fait le théoricien.
4. La crise financière actuelle illustre les excès du capitalisme financier et met parallèlement en cause le rôle de l’Hyperpuissance américaine dans la genèse et la propagation de la crise.
Les déséquilibres économiques fondamentaux de l’économie américaine (déficits – endettement) nourrissent une fuite en avant dans la sophistication des produits financiers (« économie virtuelle ») aussi bien que dans l’aventurisme extérieur (contrôle des sources d’approvisionnement en pétrole – guerre d’Irak – conflits autour du pétrole et du gaz de la Caspienne - tracé des oléoducs dans le Caucase – tensions avec la Russie).
5. Dans ce contexte, la conception individualiste, républicaine ou encore « citoyenne » de la démocratie est affrontée :
a) Soit à un mouvement de décomposition interne théorisé en France par Marcel Gauchet : c’est la démocratie des droits revendiqués qui étouffe la démocratie « citoyenne » (la citoyenneté associant les droits et les devoirs). L’hyperindividualisme libéral met la citoyenneté active en vacances.
b) Soit au retour en force du « holisme » (du grec holos : tribu) c’est-à-dire des identités dites « naturelles » préconstituées : nationalismes ethniques ou nationalismes de grande puissance (Etats-Unis, Russie, Chine) opposés à la conception républicaine de la nation définie comme « communauté de citoyens », ouverte à l’universel.
Louis Dumont a jadis fondé une distinction entre les peuples traditionnellement dits « holistes » (Allemagne, Japon) et les peuples individualistes (France – Etats-Unis), l’Angleterre constituant sans doute une « synthèse » des deux. La France et les Etats-Unis ne sont d’ailleurs pas à l’abri de réactions nationalistes (le « Front National » en France – les néo conservateurs américains). Le retour du « holisme » peut aussi prendre la forme du « communautarisme soit ethnique soit religieux (intégrismes islamiste, juif ou chrétien : on le voit aux Etats-Unis avec la force du fondamentalisme chrétien).
c) Enfin il faut évoquer la crise de l’Ecole affrontée à la puissance manipulatrice des médias de masse et à la montée de la violence scolaire. Les fractures de la société font irruption dans l’Ecole. L’Ecole est remise en cause par les mouvements libertaires (contestation du « Savoir » et des valeurs de la connaissance et par conséquent de l’autorité des maîtres, autant que par la puissance de l’Argent (ségrégation scolaire) ; « L’effet télé » peut-il être compensé par « l’effet Internet » ? Plus que jamais le redressement de l’Ecole comme service public conditionne l’avenir de la démocratie. Il n’y a pas de République sans Ecole forte et assurée de ses valeurs.
Au total, la volonté populaire est aujourd’hui prise en otage : un nouveau conformisme s’est installé, fondé sur l’idée que les hommes, collectivement, ne peuvent pas changer le cours d’une Histoire qui les dépasse. Plus subtilement un prétendu « Cercle de la Raison » veut imposer un dogmatisme libéral étouffant.
Mais ce dogme est profondément remis en cause par la crise économique et financière actuelle. L’élection de Barak Obama a fait lever des espoirs qui, espérons-le, ne seront pas déçus. « Yes, we can », c’est un beau slogan pour une démocratie citoyenne active mais le nouveau Président devra tenir compte du fait que les Etats-Unis doivent aujourd’hui accepter la multipolarité du monde et qu’ils ne peuvent plus dominer seuls la planète, d’autant qu’ils vivent aujourd’hui très au-dessus de leurs moyens. Pourront-ils remettre en cause leur mode de vie dispendieux et revenir à un sain multilatéralisme ? Vis-à-vis de l’Europe, sur le terrain des rapports avec le Moyen-Orient et avec la Russie qui sont tous deux des sujets de contentieux ? Vis-à-vis de l’Asie aussi, et de la Chine en particulier, avec laquelle ils entretiennent un rapport ambigu d’alliance et de rivalité ?
Quelle place pour le Japon dans ce monde « multipolaire » ? Mais le mot « multipolarité » n’est-il pas lui-même déjà dépassé ? Le monde, fondamentalement, reste un monde de nations. Celles-ci doivent inventer des formes de coopération nouvelles, particulièrement au plan régional, mais tout en restant sous l’égide de l’ONU qui doit symboliser l’universalité du droit.
III – Vers une nouvelle donne (un nouveau « New Deal »)
A) Le monde a profondément changé depuis la fin de la guerre froide.
1. Le déclin de l’Europe et du Japon mais aussi des Etats-Unis.
2. la montée des pays émergents et le retour de la Russie.
3. La crise du monde musulman.
4. Le Sud délaissé (Afrique, Asie profonde, pays andins).
B) Les axes possibles d’une stratégie destinée à surmonter la crise.
1. Dans l’immédiat une relance coordonnée à l’échelle mondiale est nécessaire. Les Etats-Unis ne peuvent pas relancer « en solitaire », comme en 2002-2003, sauf à détériorer encore plus leurs « fondamentaux » et à aller vers une nouvelle crise plus profonde encore que l’actuelle. Les pays excédentaires du point de vue du commerce extérieur et de l’épargne (Chine-Japon-Allemagne) doivent participer à la relance économique mondiale. La garantie des Etats est nécessaire : le retour du politique clôt le cycle de la « globalisation financière ».
2. Il faut articuler la relance de l’économie avec la conception d’un nouveau modèle de développement répondant aux besoins de l’humanité et d’une société du XXIe siècle respectueuse des besoins sociaux et de l’environnement.
Il faut gérer deux transitions
a) celle de l’unipolarité dominée par les Etats-Unis à la multipolarité du monde voire à une certaine bipolarité avec le dépassement vers 2025-2030 des Etats-Unis par la Chine en termes de PNB)
b) deuxième transition : faire que le modèle de développement du Nord puisse évoluer pour devenir transposable au Sud. Trouver un équilibre entre les deux trajectoires économiques et sociales, du Nord qui doit préserver ses équilibres sociaux (problèmes de délocalisations d’activités) et du Sud qui doit trouver un modèle de développement harmonieux, en se fondant aussi sur les besoins de sa population.
3. Citons comme axes d’effort et d’investissement principaux :
a) la révolution énergétique (« l’après-pétrole »)
b) la lutte contre le réchauffement climatique et l’émission de gaz à effet de serre : tout cela implique d’énormes investissements ;
c) la préservation des biens rares de l’humanité (eau – air – sols - matières premières, etc.)
d) l’accent mis sur les valeurs d’égalité et sur les besoins sociaux fondamentaux :
- infrastructures dans les pays du Sud (agriculture, eau, hôpitaux, transports) – financées le cas échéant par l’émission de droits de tirage spéciaux (DTS émis par le FMI)
- Education – formation – recherche
- Protection sociale – conciliation entre l’activité professionnelle des femmes et leur épanouissement personnel et familial.
4. La reconstruction (ou la construction) d’Etats « républicains » est une tâche majeure des temps à venir :
- fonction d’anticipation, de programmation, de politique industrielle
- reprise en main du crédit par l’Etat
- la notion de service public couplée avec la valeur d’égalité a un grand avenir : il faut penser des Etats modernes avec des services publics performants et justes.
5. Cette période de transition (à plusieurs niveaux : géopolitique : entre les Etats-Unis et la Chine – économique et sociale : entre deux modèles de développement et pour l’accès aux matières premières) peut être la source de fortes tensions, voire de guerres :
- dans le monde musulman (conflits israélo-palestinien, Irak-Iran, Golfe, Afghanistan et Pakistan – Pakistan et Inde, Cachemire)
- en Europe (Balkans – Caucase)
- en Asie de l’Est (Taïwan – Corée).
La mobilisation pour la paix peut être un puissant vecteur de solidarité à l’échelle mondiale
6. La démocratie n’est pas un article d’exportation. Chaque peuple doit trouver son propre chemin, d’où l’importance du « dialogue des cultures ». Néanmoins il faut préserver l’idée de valeurs universelles et améliorer l’ordre juridique international existant : ne pas opposer l’ONU et les organisations régionales. Améliorer la légitimité de l’ONU par une réforme du Conseil de Sécurité.
L’idée « constitutionnaliste » et « l’idée républicaine » sont des valeurs d’avenir aussi dans le monde extraoccidental. Mais elles ne doivent pas prendre la forme hypocrite d’un impérialisme culturel. Chaque peuple doit trouver sa propre voie pour associer les droits de l’homme et du citoyen car la liberté nationale et la démocratie sont les deux faces d’une même médaille.