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L’ambition ne va pas sans effort


Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat sur le projet de loi Enseignement supérieur et recherche, mercredi 19 juin 2013.


L’ambition ne va pas sans effort
Monsieur le Président,
Madame le Ministre,

Pour la première fois, un projet de loi vise à définir une stratégie d’ensemble à la fois pour l’enseignement supérieur et pour la recherche.

Je tiens à saluer cette ambition qui répond au défi que nous jettent les pays avancés -Etats-Unis, Japon, Allemagne- mais aussi de plus en plus les pays émergents : Corée, Chine, Inde en particulier.

Les vieux pays industrialisés n’ont plus le monopole de la science et de la technologie. C’est une situation radicalement nouvelle, à laquelle nous ne pouvons répondre que par un effort accru. Cet effort ne peut pas être qu’un effort budgétaire, même si nous apprécions la « sanctuarisation » de votre budget, en elle-même insuffisante d’ailleurs, si nous comparons notre effort de recherche à celui des pays les plus avancés, à commencer par celui de notre plus proche voisin. Cet effort accru doit être l’effort de tous et d’abord de nos chercheurs et de nos universitaires.

Vous avez présenté, à juste titre, Madame le Ministre, ses insuffisances, qu’il s’agisse du taux d’échec trop élevé de nos étudiants en licence ou la trop faible valorisation de notre recherche.

Il ne suffit pas d’inscrire dans la loi l’objectif du transfert des résultats de la recherche dans la production. La recherche technologique (10% seulement de notre dépense intérieure de recherche) et le transfert sont, vous l’avez dit devant l’Assemblée nationale, nos deux points faibles par rapport à nos concurrents qui par exemple consacrent plus de 20% de leur effort de recherche à la recherche technologique.

Peut-on remédier à cette situation en se bornant à rendre un hommage -sans doute justifié- à notre recherche fondamentale et en proclamant la confiance du gouvernement à l’égard de la communauté universitaire et scientifique ?

Vous savez bien que non. Vous nous proposez, à juste titre, de prendre des mesures regroupées dans un « livre de transfert » et de favoriser l’innovation en créant de nouvelles plateformes de transfert technologique. Vous voulez que le titre de docteur soit reconnu dans les conventions collectives et vous demandez parallèlement la reconnaissance du doctorat dans les grilles de la Fonction Publique. Vous avez raison. Mais il faut obtenir les deux à la fois. Sinon ce serait perpétuer le déséquilibre entre une recherche publique bien dotée et une recherche industrielle privée trop faible.

Mais il serait aussi souhaitable de favoriser une relation plus étroite entre l’industrie, la formation et la recherche. Je prends l’exemple d’une région comme celle de Belfort-Montbéliard, où sont implantées de grandes entreprises mondialisées comme Peugeot, Alstom, General Electric ou Faurecia, et où s’est développé un tissu industriel dense. Une véritable stratégie nationale de développement de la recherche et de l’enseignement supérieur devrait comporter un contrat de site propre à la Communauté d’universités et d’établissements de Bourgogne et de Franche-Comté et visant à la création d’un pôle ingénierie dont le centre de gravité serait naturellement le Nord-Est Franche-Comté.

Vous avez évoqué, à juste titre, un « Etat-stratège ». Il serait normal que celui-ci applique son effort non pas seulement aux métropoles mais aussi à des pôles industriels comme celui-là. Je souhaite qu’il figure dans le contrat du site et, parallèlement dans le contrat du plan État Région 2014-2020.
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Vous avez aussi évoqué, Madame le Ministre, la démocratie et la collégialité dans les universités. Cela est fort souhaitable, mais les hommes sont les hommes : l’Université et la recherche – ceux qui ont siégé longtemps dans les Conseils d’administration des Universités le savent bien – ne sont pas à l’abri des corporatismes. C’est pourquoi M. Mézard, président du groupe RDSE et moi-même avons déposé un amendement prévoyant que le Président du Conseil d’Administration pourrait présider le Conseil académique ou déléguer sa présidence. Je sais qu’il est à la mode de critiquer l’autorité, le centralisme réputé jacobin, mais enfin il ne faut pas de dyarchie à la tête des Universités : d’un côté un président du conseil d’administration prétendument stratège, et de l’autre, un président de Conseil académique maître des moyens et des personnels. Sinon l’autonomie des universités donnerait le jour à des bateaux ivres. Il n’est certes pas souhaitable de réduire les conseils scientifiques à un rôle purement consultatif, mais la présidence ne se partage pas. Nous n’avons pas la tradition des universités anglo-saxonnes. Il ne peut y avoir deux présidents dont l’autorité de l’un pourrait bloquer celle de l’autre. La confiance, il faut la créer ! Commençons donc par l’institution d’un président délégué !
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J’approuve Madame la ministre, l’objectif de 50% d’une classe d’âge au niveau de la licence, déjà affirmé en 2000 par le sommet européen de Lisbonne. Nous en sommes aujourd’hui à 37% selon vos déclarations un peu optimistes, me semble-t-il.

Il faut d’abord rappeler que les « bacs pros » que j’avais créés en 1985 ne visaient qu’exceptionnellement la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur. Le but était de former des personnels qualifiés pour les entreprises.

Ceux qui le souhaitaient auraient dû et doivent s’inscrire dans les sections de techniciens supérieurs (STS) plutôt qu’en licence. Sans doute faut-il multiplier les STS. Désormais vous allez pouvoir agir à ce niveau.
Quant aux bacheliers technologiques, la fixation des quotas dans les IUT doit se faire en concertation avec les établissements. L’orientation par l’échec n’est jamais souhaitable ! Il faut renforcer la formation générale dans les bacs technos pour que ceux-ci puissent poursuivre en plus grand nombre des études universitaires. Sinon l’objectif des 50% restera inaccessible avec les seuls bacs généraux qui représentent la moitié des bacheliers soit moins de 30% d’une classe d’âge.

En tout cas les mesures que vous proposez pour assurer une meilleure continuité entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur vont dans le bon sens. Vous avez raison de vouloir une spécialisation progressive des études de licence. C’était autrefois le rôle de ce qu’on appelait les IPES. La baisse du niveau scolaire que constatent non seulement les indicateurs PISA mais même M Antoine Prost, éminent spécialiste de l’éducation, nous amènent à y revenir. Refonder c’est tout reprendre à la base !

De même l’alternance dans l’enseignement supérieur, notamment par la voie de l’apprentissage a encore beaucoup de progrès à faire dans notre pays.

Un mot encore sur les Ecoles supérieures du professorat et de l’Education. Il ne suffit pas de former les futurs enseignants à l’intérieur de l’Université ou au contact du terrain. Si on veut vraiment refonder l’Ecole de la République, il faut qu’ils puissent bénéficier de cours obligatoires de philosophie et d’histoire. Il faut surtout qu’ils puissent transmettre à la jeunesse l’Histoire inséparable de la France et de la République.

Je voudrais pour terminer, Madame la Ministre, évoquer le problème de l’introduction d’enseignements en anglais, puisque c’est de cela qu’il s’agit, dans notre enseignement supérieur. Cet enseignement en anglais se fait dès aujourd’hui dans les grandes écoles -vous avez recensé 600 formations-et à l’université-vous en avez dénombré 190- en parfaite contradiction avec notre Constitution- et pas seulement avec la loi Toubon. On aurait attendu de l’Etat qu’il réagisse. Il ne suffit pas de constater. Il y a là une grave faute du précédent gouvernement. Je souhaite que vous ne vous inscriviez pas dans sa continuité. Il faut distinguer en effet l’attractivité de nos universités et le souci de défendre et promouvoir la langue française, dont Braudel disait qu’elle était à 80% constitutive de notre identité.

L’attractivité de nos universités dépend de nombreux facteurs, à commencer par la politique des visas excessivement restrictive, comme j’ai pu le constater en Russie. Il y a dans ce grand pays 7 millions d’étudiants dont 800 000 apprennent le français. Or nous n’accueillons dans nos universités que 4 000 étudiants russes contre 16 000 en Allemagne. Le taux de refus des visas atteint 37% en 2013, deux fois plus que l’année précédente. Nous ne devons pas rougir d’accueillir des étudiants venus du monde arabe et d’Afrique : ces pays connaîtront à leur tour le phénomène de l’émergence, et nous devons les y aider. Ce sera aussi une chance pour la France.

Certes je ne méconnais pas l’intérêt d’attirer des Indiens, des Pakistanais ou des Bangladais. Mais est-ce en organisant des cours en anglais que nous allons inverser les flux ? Je crains bien plutôt qu’en favorisant de trop larges exceptions au principe de l’enseignement obligatoire en français, nous ne donnions l’exemple d’un grand manque de confiance en nous et en l’avenir de la langue française.

Le sabir qu’est l’anglais international favorise l’imprécision des concepts. Même les Britanniques dans nos Congrès scientifiques réclament la traduction simultanée, car ils ne comprennent pas nos chercheurs quand ils croient s’exprimer en anglais. Le français doit pouvoir tout dire.

C’est pourquoi, sans exclure que des formations puissent être assumées dans une autre langue que le français à partir d’un niveau Master, j’ai déposé un amendement visant à restreindre le champ trop large des exceptions faites au principe constitutionnel de l’enseignement en français. J’ai bien noté qu’une mise à niveau en français des étudiants étrangers qui ne pratiquent pas notre langue serait assurée et qu’une « évaluation » serait faite à l’occasion de l’obtention du diplôme. Ce mot d’ « évaluation »est faible. Je préfèrerais qu’un pourcentage soit fixé pour l’enseignement dispensé en français et qu’une épreuve en français figure parmi celles qui conditionnent l’obtention du diplôme.

Ne donnons pas le signe fâcheux que nous ne croyons plus à l’avenir de la langue française. Je sais, Madame la Ministre, que tel n’est pas votre propos. Il ne faut pas polluer un débat essentiel sur l’excellence et l’attractivité de notre recherche et de notre enseignement supérieur par une disposition mal comprise. Il y a un juste équilibre pour permettre de mobiliser sur votre projet et sans restriction, toutes les forces de la France !


Rédigé par Chevenement.fr le Mercredi 19 Juin 2013 à 17:36 | Lu 2733 fois


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