Verbatim
- A propos de l'émission de TV russe "Ligne directe" durant laquelle le Président Poutine répond aux questions de téléspectateurs sur leur quotidien
C'est une pratique assez constante de Vladimir Poutine de répondre aux questions des citoyens russes devant les médias, ce n'est pas nouveau
- A propos de la Coupe du Monde de football organisée en Russie et du retentissement que cet événement pourrait avoir sur l'image du Président et du peuple russes
Les trois-quarts de la population russe se situent à l'Ouest. Il faut rappeler que le peuple russe est un peuple européen entre quatre mers : la Noire, la Blanche, la Baltique et la Caspienne. Au XVIIème siècle, c'est l'extension à la Sibérie par le fait des Cosaques. Et puis il y a aussi cette Russie ultra-périphérique qui est aussi bien Kaliningrad, ex Königsberg, que les Kouriles, Kamtchatka, qui sont particulières mais ouvrent la Russie sur l'océan mondial.
ll y a, pour tout pouvoir politique, un intérêt à organiser la Coupe du Monde de football. J'ai été ministre de l'Intérieur en 1998 quand la France l'a organisée, il y a toutes sortes d'intérêts. Mais il faut aller plus loin. Quand on connaît les villes russes et qu'on visite un peu la Russie, on voit qu'elles bougent de plus en plus. Et pas seulement Moscou, qui est une ville moderne, jeune, branchée d'une certaine manière, mais Saint-Pétersbourg, Kazan, sur les bords de la Volga, Samara, les villes de l'Anneau d'Or
- Sur la situation économique et sociale en Russie ; les inégalités et la concentration des richesses similaires à celles des Etats-Unis ou de la Chine
Pour avoir une vision exacte des choses, il faut les voir dans la durée. La Russie a perdu la moitié de son PIB dans la décennie 1990 suite à la 'thérapie de choc' ultralibérale. Elle a reconquis une position estimable dans la première décennie 2000-2010, avec une croissance qui s'est ralentie à partir de 2012-2013 puis le choc des sanctions et l'effondrement du prix du baril. Elle est repartie de l'avant, avec un rythme de 2% de croissance par an. Et il y a une véritable diversification de l'économie, qui a beaucoup progressé du fait même des sanctions dans des domaines comme l'agroalimentaire, la pharmacie et même l'automobile. On ignore que la Russie pourrait être le premier marché européen avant l'Allemagne ; c'est intéressant pour la France. Renault est le premier actionnaire d'Avtovaz, qui produit la Lada, et il y a également des usines Peugeot et bien d'autres en Russie. Tout cela s'est fait, il est vrai, avec une économie de plus en plus inégalitaire. Il y a en Russie des inégalités aussi criantes qu'aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne.
Il faut réviser nos grilles de lecture. La Russie fait, sans doute à tort, partie des pays qu'on appelle "émergents". Il s'agit en fait d'un pays "ré-émergent" : la Russie a connu avant la guerre de 1914 une expansion formidable au temps de Stolypine et de Witte. Et quoi qu'on dise de l'URSS, elle a réussi sur le plan industriel, sur le plan de l'urbanisation ou sur la plan de l'éducation un certain nombre de choses, même si tout cela s'est enlisé à la fin dans une espèce de gel brejnevien. Aujourd'hui, doit-on considérer que le monde fonctionne avec d'un côté les Occidentaux derrière les Etats-Unis et de l'autre les BRICS, les émergents ? Les pays émergents ont manifesté une certaine vitalité puisqu'ils fabriquent plus de la moitié des produits industriels. Nous sommes dans la phase post-Occidentale du monde : l'Occident n'a plus le monopole de la fabrication de l'Histoire.
- Relations Europe-Russie
Il est facile de taper sur la Russie. Le président de la République a lui-même parlé d'incompréhensions et d' "erreurs partagées". Les événements de Maïdan ont pu être vus comme une Révolution, c'est le point de vue des Occidentaux. Du point de vue des Russes, c'était un coup d'Etat contre un président légitimement élu, même s'il était corrompu.
La politique du partenariat oriental visant à créer une zone de libre-échange entre l'Europe et l'Ukraine méconnaissait un fait : il y avait déjà une zone de libre-échange entre la Russie et l'Ukraine. On a donc déséquilibré l'Ukraine au lieu d'en faire un pont entre la Russie et l'Europe.
- Sur une intention délibérée de Vladimir Poutine de déstabiliser l'UE ?
Il y a eu une idéologie tendant à dévaluer notre façon de vivre, notre démocratie, nos moeurs, mais c'est le fait d'un courant conservateur, voire ultra-conservateur, qui existe en Russie comme dans d'autres pays. Il y a traditionnellement en Russie une orientation "occidentaliste", c'est-à-dire tournée vers l'Europe. La Russie fait la moitié de son commerce extérieur avec l'UE. Quant à déstabiliser l'UE, elle est bien capable de se déstabiliser toute seule, il n'y a pas besoin de faire intervenir la Russie !
- Sur les divergences entre les pays de l'UE à l'égard de la Russie, sur les sanctions, sur les accords commerciaux entre la France et la Russie
S'agissant des gisements gaziers de la presqu'île de Yamal, en Sibérie occidentale, il y a eu une première usine gigantesque où Total a investi à hauteur de 20%, mais comme c'est un investissement de près de 30 milliards de dollars, c'est considérable. Le financement était assuré par des banques chinoises car les banques françaises ont peur des sanctions américaines. Nous avons des banques qui sont tétanisées et par conséquent nos entreprises, comme Total, Peugeot, se sont retirées d'Iran il y a quelques semaines. Pour ce qui est de Yamal II, c'est-à-dire l'autre exploration d'un gisement de gaz à l'embouchure de l'Ob, le financement n'est pas acquis. Beaucoup d'entreprises se demandent comment elles pourront financer leurs investissements et leurs opérations. Nous avons vu cela avec Airbus, car aucune banque n'était prête à financer l'opération.
La levée des sanctions est liée à la concrétisation des accords de Minsk.
- Sur la Syrie
Une avancée notable s'est produite l'année dernière, quand le président Macron a dit qu'il rechercherait une solution politique inclusive, c'est-à-dire y compris avec les représentants du gouvernement de Damas. Nous avons, la Russie et nous, un adversaire commun : le terrorisme islamiste. Or Daech a été réduit, pas seulement mais très largement, par l'intervention russe.