Carnet de Jean-Pierre Chevènement

L’Europe, le boeuf et la grenouille



Dans Le Monde du 5 janvier, M. Thomas Ferenczi suggère que l’Union européenne se dote d’une vision et d’une stratégie « Mer Noire ». « Cette mer, écrit M. Ferenczi, est devenue une mer européenne et le sera plus encore quand la Turquie et puis éventuellement l’Ukraine adhéreront à leur tour ». M. Ferenczi évoque la question de l’énergie et en particulier celle des voies de passage du pétrole et du gaz de la Caspienne. Cette question, on le sait, oppose la Russie et les Etats-Unis.

Devinette : de quel côté tomberons nous, si ces élargissements devaient intervenir ? Evidemment, du côté des Etats-Unis où nous penchons déjà.

Le problème vient de ce que l’Europe, pour résoudre ses problèmes d’approvisionnement énergétique, a tout intérêt à nouer un partenariat stratégique avec la Russie. C’est ce qu’a fort bien compris l’Allemagne. Mme Merkel, à cet égard, a mis ses pas dans ceux de M. Schröder. Mais l’Allemagne veut aussi l’élargissement à la Turquie. Première contradiction.

L’Allemagne veut enfin une réforme institutionnelle de l’Union européenne qui prenne en compte son poids démographique dans les votes au Conseil européen. Si ces deux vœux se concrétisent, le centre de gravité de l’Union européenne se déplacera vers la Mer Noire. Faut-il rappeler que la Turquie, du point de vue démographique, pèsera, avant peu, aussi lourd que l’Allemagne ? Deuxième contradiction !

La vérité est que si l’Union européenne n’exclut pas de s’élargir encore, mieux vaut, alors, conserver le système actuel de pondération des voix au Conseil (29 voix pour les quatre « grands pays » : Allemagne – France – Grande-Bretagne – Italie et 27 voix pour l’Espagne et la Pologne). La Turquie recevrait le même nombre de voix que les grands pays : 29. Ainsi, le centre de gravité de l’Europe resterait plus à l’Ouest que si on devait adopter une pondération des voix en fonction de la démographie. Les intérêts de l’Europe Occidentale seraient mieux préservés. Nous ne courrions pas le risque de nous voir mettre à la remorque d’intérêts extérieurs, voire de nous laisser entraîner dans des conflits qui ne seraient pas les nôtres.

Qui ne comprend que dans le rejet de la Constitution européenne par les peuples français et néerlandais il entre, pour une part non négligeable, le refus de voir le processus de décision européenne s’éloigner de plus en plus et tenir de moins en moins compte des intérêts des peuples qui ont formé le « noyau initial » (France – Allemagne – Italie – Benelux) ?

L’Europe ne semble pas connaître la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Vendredi 5 Janvier 2007 à 12:59 | Lu 8022 fois



1.Posté par Eric PASTYKA le 05/01/2007 17:44
Voici (encore) une note qui me conforte dans l'idée que Jean-Pierre CHEVENEMENT pourrait bien être le prochain ministre en charge des questions européennes au sein d'un gouvernement de Gauche. Je le souhaite ardemment pour mon pays et pour l'Europe à laquelle je suis aussi fort attaché.
A nous la victoire, Cher Jean-Pierre
Eric PASTYKA - MRC Maubeuge - Sambre/Avesnois

2.Posté par A2B le 05/01/2007 18:18
Très bien analysé !
Les points de vue de JPC. peuvent déranger mais ils ont le mérite d'être argumentés. Je regrette que JPC aille se noyer dans la candidature royale qui me fait de plus en plus peur sous des allures souriantes.
Pourquoi JPC. n'écrit-il, qu'à l'occasion des élections ?
Pourquoi acun hebdo ou quotidien ne lui ouvre-t-il pas une rubrique permanente, ces fameuses chroniques de XXX.façon Mauriac.
La presse a des problèmes mais elle n'ose pas inviter des chroniqueurs qui réfléchissent et qui intéresseraient de plus nombreux lecteurs ?
Mais la réponse dépend de qui ? à suivre...

3.Posté par simon95 le 05/01/2007 18:24
Cette explication qui me semble encore pleine de bon sens ne peut que nous conforter sur la présence encore bien réelle du Gardien du Temple que vous incarnez.

Mais l'appétit immense exprimée dans nos classes aristocratiques se chargera bien de nous mettre le moment venu un nouveau bandeau sur les yeux afin que leurs intérêts soient préservés.

Qu'importe si le train passe à l'Est ou à l'Ouest, le tout c'est qu'il passe, chargé de prospérité pour tous leurs dirigeants.

4.Posté par Couvert Gérard le 05/01/2007 18:33
"Voici (encore) une note qui me conforte dans l'idée que Jean-Pierre CHEVENEMENT pourrait bien être le prochain ministre en charge des questions européennes au sein d'un gouvernement de Gauche. Je le souhaite ardemment pour mon pays et pour l'Europe à laquelle je suis aussi fort attaché"
Certes l'analyse de Monsieur Chevènement est parfaite, comme si souvent, certes sa "réponse" est largement supérieure à la pratique des autres, mais justement comment pouvez-vous imaginer une seule seconde que "ces autres" justement lui confient un poste où il n'aurait de cesse que de démonter ce qu'il ont eu tant de peine à installer ?
Cesser de rêver, l'Europe de Bruxelle est un protectorat US, et la seule province (la France) qui se rebelle encore sera bientôt ruinée et donc incapable de modifier la mise en esclavage.
La "gauche" de madame Royal, qui ne poura rien faire d'autre que de suivre ses bailleurs de fonds, n'a aucune intention de faire varier la soumission au libéralisme euro-atlantique et la "relance par les régions" est prévue pour accélérer la dissolution de la France.

5.Posté par Jorg Schumacher le 05/01/2007 19:57
Encore un commentaire plein de bon sens et de réalisme!

Curieusement c'est quelqu'un qualifié habituellement d'"anti-européen" par ses adversaires trop bien pensants qui exprime les idées les plus avancées sur l'Europe et qui propose une manière novatrice d'avancer ensemble.
En ce qui concerne l'avenir proche et les défis qui se poseront après les élections, j'espère que le futur gouvernement français aura le courage de s'opposer à la vision trop atlantiste de la chancélière Merkel sans compromettre pour autant les relations franco-allemandes si importantes pour l'avenir de ce continent.

6.Posté par Basilio Sap le 05/01/2007 20:38
>> "Cesser de rêver, l'Europe de Bruxelle est un protectorat US, et la seule province (la France) qui se rebelle encore sera bientôt ruinée et donc incapable de modifier la mise en esclavage."

Ne pensez-vous pas que nous sommes au début du déclin US ? Que faites-vous de la Chine ?
Avez-vous lu 'A propos de la Chine' sur le présent site ?
JPC : "C'est un défi majeur : penser la Chine pour façonner notre XXIe siècle."


7.Posté par morel jean claude le 06/01/2007 11:23
Je veux bien croire que c'est avec l'assurance de pouvoir et de devoir jouer un rôle majeur dans le débat
Et plus tard dans la conduite des affaires que J P Chevènement se retrouve aux cotés de S Royal qui à parfaitement compris que pour faire gagner la gauche républicaine il fallait se tourner vers ceux qui le 29 Mai 2005 ont fait savoir démocratiquement qu'ils souhaitaient construire une autre Europe que celle qui ressemble plutôt à un suicide collectif .
Sans JPC qui apporterait cet éclairage sur l'élargissement et ses conséquences ??le dernier en date "la grenouille qui veut se faire etc. etc. …….

8.Posté par Xavier DUMOULIN le 08/01/2007 22:22
C'est une belle démonstration qui pousse haut et loin le raisonnemnt. Merci de nourrir ce blog de vos analyses toujours audacieuses, Jean Pierre Chevènement. En suivant vos pensées et vos pas, on est assuré d'aller à l'essentiel. Et reconnaissons le volontiers, il nous arrive de dire beaucoup de bêtises en parlant à votre place. Pour ma part sur des questions aussi importantes que l'Europe, le monde arabe, la vision économique... mon esprit citoyen vous doit beaucoup et attend plus encore de vous pour l'avenir. Et n'oubliez pas Gramsci, vous qui êtes aussi l'instituteur républicain.


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