Le Figaro Magazine - Pourquoi la mondialisation fait-elle peur aux Français ?
Jean-Pierre Chevènement - Elle ne fait pas peur à tout le monde. Il y a ceux qui en profitent, des multinationales qui font des bénéfices à l'étranger et les plus fortunés qui effectuent des placements avantageux. Mais une majorité de Français, soucieux de l'avenir du pays, ressentent une profonde inquiétude. Nous sommes structurellement affrontés à des pays à très bas coûts salariaux, et qui ont une capacité technologique et scientifique égale à la nôtre, la Chine et l'Inde. Nous n'avons pas, au contraire des Etats-Unis, l'extraordinaire avantage d'une monnaie mondiale comme le dollar qui leur permet de vivre en déficit, c'est-à-dire à crédit. Enfin, l'Europe a anéanti le tarif extérieur commun, il n'y a plus de préférence européenne. En 1972, la moyenne des droits de douane était de 14,5%, elle est actuellement de 1,5%. L'Europe a vécu cinq siècles sur une position de rente objective. Tout cela est terminé. Je ne pense pas que cela puisse être toléré sans que l'Europe ne rétablisse une forme de préférence communautaire ou, en tout cas, qu'elle se donne les moyens d'une croissance plus forte. Rappelons qu'elle est aujourd'hui la lanterne rouge de la croissance mondiale.
Jean-Pierre Chevènement - Elle ne fait pas peur à tout le monde. Il y a ceux qui en profitent, des multinationales qui font des bénéfices à l'étranger et les plus fortunés qui effectuent des placements avantageux. Mais une majorité de Français, soucieux de l'avenir du pays, ressentent une profonde inquiétude. Nous sommes structurellement affrontés à des pays à très bas coûts salariaux, et qui ont une capacité technologique et scientifique égale à la nôtre, la Chine et l'Inde. Nous n'avons pas, au contraire des Etats-Unis, l'extraordinaire avantage d'une monnaie mondiale comme le dollar qui leur permet de vivre en déficit, c'est-à-dire à crédit. Enfin, l'Europe a anéanti le tarif extérieur commun, il n'y a plus de préférence européenne. En 1972, la moyenne des droits de douane était de 14,5%, elle est actuellement de 1,5%. L'Europe a vécu cinq siècles sur une position de rente objective. Tout cela est terminé. Je ne pense pas que cela puisse être toléré sans que l'Europe ne rétablisse une forme de préférence communautaire ou, en tout cas, qu'elle se donne les moyens d'une croissance plus forte. Rappelons qu'elle est aujourd'hui la lanterne rouge de la croissance mondiale.
Pierre Lellouche - Il règne une profonde inquiétude en France. Nous devons la prendre en compte. La mondialisation est là. Mais qu'est-ce que la mondialisation ? C'est la liberté totale des échanges grâce aux moyens modernes de communication et de transport de l'information, des matériels, des hommes et des capitaux. Et cela n'est pas aussi négatif que certains le disent. Au cours de mes nombreux voyages, je vois des zones de développement extraordinaires dans le monde, des pays qui étaient extrêmement pauvres et qui aujourd'hui décollent. Ce n'est pas parfait, il y a des inégalités, mais aussi un essor dans des pays comme l'Inde, la Chine, le Brésil, pour ne citer que les principaux... Curieusement, la gauche passe son temps à dénoncer le sous-développement du tiers-monde, mais s'affole quand ces pays commencent à créer des emplois. C'est le vieux discours du Zambèze contre la Corrèze, repris cette fois par la gauche. Pourtant, en Europe même, il y a de la croissance : en Espagne, en Irlande, en Pologne, en Scandinavie, dans les Etats baltes, au Royaume-Uni, aussi, qui connaît le plein emploi... Ces différences de croissance-là ne renvoient pas à la «malédiction» de la mondialisation mais à la performance de ces pays européens dans les conditions qui nous sont imposées. On ne peut expliquer les problèmes de la France que par les bas coûts salariaux dans les pays émergents. En Allemagne, ils sont tout aussi hauts que chez nous, voire plus, ce qui ne l'empêche pas d'être le premier exportateur du monde...
J.-P. C. - C'est parce que l'Allemagne dispose de créneaux porteurs dans les domaines de la machine-outil, de la pharmacie et de la chimie fine, ce que nous n'avons pas ! C'est vrai depuis la fin du XIXe siècle.
P. L. - Vous abondez dans mon sens. Nous devons lutter contre les faiblesses structurelles françaises chez nous. Comme nous, les Allemands ont le même euro et la même Banque centrale européenne. Pourquoi s'en sortent-ils et pas nous ? Quant aux tarifs extérieurs européens, à nous de les défendre quand c'est notre intérêt : voyez notre agriculture, la deuxième au monde après les Etats-Unis ! L'Europe est un formidable multiplicateur de puissance. J'ai négocié Iter pour la France. Nous avions l'Europe avec nous, nous l'avons emporté. Sans le bloc des 25, nous n'aurions pas réussi face au Japon et aux Etats-Unis, unis contre nous, à faire de notre pays le berceau de la fusion thermonucléaire.
La France est extrêmement créative. Mais l'argent de la recherche y est mal dépensé, les liens entre la recherche fondamentale, l'université, l'industrie et le capital-risque sont quasi inexistants. Notre système éducatif s'affaiblit et nos PME sont trop faibles, notamment par rapport aux entreprises allemandes. La France travaille moins que les autres : un tiers de moins que les Anglais et les Américains en moyenne, ce qui a fait passer notre pays en vingt-trois ans de la quatrième à la dix-septième place parmi les pays de l'OCDE. Ne nous étonnons donc pas que notre compétitivité baisse !
J.-P. C. - Vos arguments concernant l'Allemagne sont à courte vue. Si elle exporte autant, c'est parce que de nombreux pays émergents s'équipent actuellement. Mais ils ne s'équiperont pas toujours en Allemagne, ils développeront leur propre industrie de machines-outils, notamment la Chine. Ces avantages vont donc s'éroder. En Allemagne, du fait du freinage de la demande intérieure, le chômage atteint 4 millions de personnes et le sentiment de précarité touche un tiers de la population avec, de surcroît, des classes moyennes désorientées. Quant à l'Irlande, l'Espagne ou la Pologne, elles tirent plusieurs points de leur PIB des fonds structurels européens. De plus, l'Irlande a attiré des multinationales...
P. L. - Le chômage en Allemagne est concentré dans l'ex-RDA. Voyez la Bavière en plein emploi. Quant à l'Irlande, pourquoi attire-t-elle les multinationales ?
J.-P. C. - Déjà parce qu'on y parle anglais...
P. L. - Non, c'est surtout pour des raisons fiscales.
J.-P. C. - On n'y paye pas d'impôts. Mais si on ne paye plus d'impôts nulle part, que deviendront les services publics, qui sont quand même un élément de la compétitivité française ? Vous contestez mon argument sur la monnaie. Mais un euro qui s'est apprécié de 60% depuis 2000, cela pèse sur nos exportations. En quinze ans, l'Europe a perdu sept points de parts de marché dans les exportations mondiales. Cela se traduit naturellement dans les chiffres de l'emploi.
Je suis d'accord avec vous pour balayer devant notre porte. Il faut doper la recherche, mais ce sont les gouvernements de droite qui l'ont laissée s'étioler.
La mondialisation remet-elle en cause le modèle social français ?
J.-P. C. - On ne peut pas se donner le modèle social chinois pour objectif !
P. L. - Pourtant, Ségolène Royal a vanté la justice chinoise...
J.-P. C. - En matière commerciale ! Mais elle a surtout insisté sur le fait que la Chine devait prendre en compte dans son développement les besoins de sa propre population, respecter les droits humains, y compris les droits sociaux ainsi que les normes environnementales, de façon à ce que la concurrence ne soit pas excessivement faussée. Elle a dit des choses que nos dirigeants n'osent pas dire habituellement aux Chinois. Notre déficit avec la Chine est de 15 milliards d'euros, la moitié de notre déficit total.
Mondialisation rime aussi avec délocalisation. Faut-il pénaliser les entreprises qui s'expatrient ?
J.-P. C. - Non. Mais il faut protéger davantage le marché européen, appliquer des normes de sécurité, faire en sorte que nos entreprises ne soient pas concurrencées de façon totalement déloyale sur leur propre territoire.
P. L. - La préférence communautaire est sans doute nécessaire dans les cas de dumping pratiqué par certains pays. Mais attention : 20% des emplois français proviennent des exportations. En érigeant des barrières, nous serions les premiers à nous tirer une balle dans le pied, en pénalisant nos ventes de centrales nucléaires, d'Airbus, de produits agroalimentaires...
J.-P. C. - Il ne s'agit pas de basculer dans un protectionnisme à courte vue, mais simplement de définir des règles plus justes pour retenir nos entreprises, empêcher l'érosion de notre tissu industriel, et faire en sorte que nos grandes sociétés trouvent davantage intérêt à fabriquer chez nous plutôt qu'en Europe de l'Est ou en Asie. Je constate avec regret qu'Alstom, qui vient de remporter un important marché de construction de centrales à cycles combinés au Vietnam, va produire la totalité de celles-ci dans ses usines chinoises.
P. L. - Mais qui a sauvé Alstom, sinon Nicolas Sarkozy ? Baissez les charges, laissez les gens travailler davantage, autorisez les magasins à ouvrir le dimanche et vous verrez que les entreprises produiront plus volontiers dans l'Hexagone ! Je suis étonné de voir comment la gauche veut parfois tout et son contraire. Finalement, nous sommes d'accord : il ne s'agit pas tant de pénaliser les entreprises qui délocalisent que d'offrir en France un cadre plus attractif donnant davantage de chances de réussir à ceux qui entreprennent. C'est ce que préconise Nicolas Sarkozy lorsqu'il propose de canaliser davantage l'épargne vers les entreprises, notamment les PME, au lieu de la laisser s'évaporer dans des impôts et des charges stériles.
L'Etat doit-il intervenir au nom du patriotisme économique ?
J.-P. C. - Quand les Américains sont confrontés à une entreprise chinoise souhaitant racheter l'un de leurs fleurons (Unocal), ils s'y opposent ; de même qu'ils se sont opposés au rachat de leurs ports par Dubaï. En France, il faut avancer sur la pointe des pieds pour ne pas choquer la Commission de Bruxelles : la petite liste des secteurs à protéger transmise par Dominique de Villepin à la Commission européenne a été aussitôt perçue comme une manifestation de protectionnisme excessif.
P. L. - Je crois moi aussi que la France a besoin d'une vraie politique industrielle.
J.-P. C. - Je me réjouis de voir que vous vous convertissez à une idée dont j'étais le chantre dans les années 80 !
P. L. - Vous n'en avez pas le monopole ! Pourquoi n'aurions-nous pas, à l'instar des Etats-Unis, un conseil scientifique chargé de définir clairement ce que nous voulons être dans les 20 années qui viennent, quels secteurs nous ambitionnons d'encourager et de quels moyens nous souhaitons nous doter en matière de recherche nucléaire, aéronautique, spatiale ? Je ne suis pas favorable à ce qu'on laisse les marchés financiers décider des chances industrielles de la France. Comme l'a très justement rappelé, récemment encore, Nicolas Sarkozy «le capitalisme ne survivra pas sans le respect d'un minimum de règles éthiques». L'Etat a un rôle à jouer dans un monde de plus en plus compétitif. Même dans les pays taxés d'ultralibéralisme comme les Etats-Unis, l'Etat intervient dans les secteurs stratégiques. Que George W. Bush décroche son téléphone pour vendre des Boeing ne me choque pas. A nous de faire de même.
Toute politique industrielle implique des choix. Quels secteurs encourager en priorité ?
P. L. - La France dispose de leaders mondiaux dans le pétrole, la défense, le nucléaire, l'eau, l'aéronautique, les grands systèmes informatiques, l'agroalimentaire. Ces grandes forces doivent être protégées et développées. A l'avenir, nous devons concentrer nos efforts sur des secteurs où notre valeur s'exprime. En avant toute sur les jobs avec de la qualification et de l'intelligence !
J.-P. C. - Je ne peux me résoudre à l'idée que la France devienne uniquement le pays du tourisme et du luxe. Même cela ne durerait pas toujours. Ne cessons pas de manufacturer et de produire en France ! Nous ne devons baisser les bras dans aucun domaine. Il n'y a pas d'industrie dépassée, il y a simplement des technologies dépassées. Défendons bec et ongles notre tissu industriel !
Propos recueillis par Jean-Marc Gonin et Ghislain de Montalembert.
J.-P. C. - C'est parce que l'Allemagne dispose de créneaux porteurs dans les domaines de la machine-outil, de la pharmacie et de la chimie fine, ce que nous n'avons pas ! C'est vrai depuis la fin du XIXe siècle.
P. L. - Vous abondez dans mon sens. Nous devons lutter contre les faiblesses structurelles françaises chez nous. Comme nous, les Allemands ont le même euro et la même Banque centrale européenne. Pourquoi s'en sortent-ils et pas nous ? Quant aux tarifs extérieurs européens, à nous de les défendre quand c'est notre intérêt : voyez notre agriculture, la deuxième au monde après les Etats-Unis ! L'Europe est un formidable multiplicateur de puissance. J'ai négocié Iter pour la France. Nous avions l'Europe avec nous, nous l'avons emporté. Sans le bloc des 25, nous n'aurions pas réussi face au Japon et aux Etats-Unis, unis contre nous, à faire de notre pays le berceau de la fusion thermonucléaire.
La France est extrêmement créative. Mais l'argent de la recherche y est mal dépensé, les liens entre la recherche fondamentale, l'université, l'industrie et le capital-risque sont quasi inexistants. Notre système éducatif s'affaiblit et nos PME sont trop faibles, notamment par rapport aux entreprises allemandes. La France travaille moins que les autres : un tiers de moins que les Anglais et les Américains en moyenne, ce qui a fait passer notre pays en vingt-trois ans de la quatrième à la dix-septième place parmi les pays de l'OCDE. Ne nous étonnons donc pas que notre compétitivité baisse !
J.-P. C. - Vos arguments concernant l'Allemagne sont à courte vue. Si elle exporte autant, c'est parce que de nombreux pays émergents s'équipent actuellement. Mais ils ne s'équiperont pas toujours en Allemagne, ils développeront leur propre industrie de machines-outils, notamment la Chine. Ces avantages vont donc s'éroder. En Allemagne, du fait du freinage de la demande intérieure, le chômage atteint 4 millions de personnes et le sentiment de précarité touche un tiers de la population avec, de surcroît, des classes moyennes désorientées. Quant à l'Irlande, l'Espagne ou la Pologne, elles tirent plusieurs points de leur PIB des fonds structurels européens. De plus, l'Irlande a attiré des multinationales...
P. L. - Le chômage en Allemagne est concentré dans l'ex-RDA. Voyez la Bavière en plein emploi. Quant à l'Irlande, pourquoi attire-t-elle les multinationales ?
J.-P. C. - Déjà parce qu'on y parle anglais...
P. L. - Non, c'est surtout pour des raisons fiscales.
J.-P. C. - On n'y paye pas d'impôts. Mais si on ne paye plus d'impôts nulle part, que deviendront les services publics, qui sont quand même un élément de la compétitivité française ? Vous contestez mon argument sur la monnaie. Mais un euro qui s'est apprécié de 60% depuis 2000, cela pèse sur nos exportations. En quinze ans, l'Europe a perdu sept points de parts de marché dans les exportations mondiales. Cela se traduit naturellement dans les chiffres de l'emploi.
Je suis d'accord avec vous pour balayer devant notre porte. Il faut doper la recherche, mais ce sont les gouvernements de droite qui l'ont laissée s'étioler.
La mondialisation remet-elle en cause le modèle social français ?
J.-P. C. - On ne peut pas se donner le modèle social chinois pour objectif !
P. L. - Pourtant, Ségolène Royal a vanté la justice chinoise...
J.-P. C. - En matière commerciale ! Mais elle a surtout insisté sur le fait que la Chine devait prendre en compte dans son développement les besoins de sa propre population, respecter les droits humains, y compris les droits sociaux ainsi que les normes environnementales, de façon à ce que la concurrence ne soit pas excessivement faussée. Elle a dit des choses que nos dirigeants n'osent pas dire habituellement aux Chinois. Notre déficit avec la Chine est de 15 milliards d'euros, la moitié de notre déficit total.
Mondialisation rime aussi avec délocalisation. Faut-il pénaliser les entreprises qui s'expatrient ?
J.-P. C. - Non. Mais il faut protéger davantage le marché européen, appliquer des normes de sécurité, faire en sorte que nos entreprises ne soient pas concurrencées de façon totalement déloyale sur leur propre territoire.
P. L. - La préférence communautaire est sans doute nécessaire dans les cas de dumping pratiqué par certains pays. Mais attention : 20% des emplois français proviennent des exportations. En érigeant des barrières, nous serions les premiers à nous tirer une balle dans le pied, en pénalisant nos ventes de centrales nucléaires, d'Airbus, de produits agroalimentaires...
J.-P. C. - Il ne s'agit pas de basculer dans un protectionnisme à courte vue, mais simplement de définir des règles plus justes pour retenir nos entreprises, empêcher l'érosion de notre tissu industriel, et faire en sorte que nos grandes sociétés trouvent davantage intérêt à fabriquer chez nous plutôt qu'en Europe de l'Est ou en Asie. Je constate avec regret qu'Alstom, qui vient de remporter un important marché de construction de centrales à cycles combinés au Vietnam, va produire la totalité de celles-ci dans ses usines chinoises.
P. L. - Mais qui a sauvé Alstom, sinon Nicolas Sarkozy ? Baissez les charges, laissez les gens travailler davantage, autorisez les magasins à ouvrir le dimanche et vous verrez que les entreprises produiront plus volontiers dans l'Hexagone ! Je suis étonné de voir comment la gauche veut parfois tout et son contraire. Finalement, nous sommes d'accord : il ne s'agit pas tant de pénaliser les entreprises qui délocalisent que d'offrir en France un cadre plus attractif donnant davantage de chances de réussir à ceux qui entreprennent. C'est ce que préconise Nicolas Sarkozy lorsqu'il propose de canaliser davantage l'épargne vers les entreprises, notamment les PME, au lieu de la laisser s'évaporer dans des impôts et des charges stériles.
L'Etat doit-il intervenir au nom du patriotisme économique ?
J.-P. C. - Quand les Américains sont confrontés à une entreprise chinoise souhaitant racheter l'un de leurs fleurons (Unocal), ils s'y opposent ; de même qu'ils se sont opposés au rachat de leurs ports par Dubaï. En France, il faut avancer sur la pointe des pieds pour ne pas choquer la Commission de Bruxelles : la petite liste des secteurs à protéger transmise par Dominique de Villepin à la Commission européenne a été aussitôt perçue comme une manifestation de protectionnisme excessif.
P. L. - Je crois moi aussi que la France a besoin d'une vraie politique industrielle.
J.-P. C. - Je me réjouis de voir que vous vous convertissez à une idée dont j'étais le chantre dans les années 80 !
P. L. - Vous n'en avez pas le monopole ! Pourquoi n'aurions-nous pas, à l'instar des Etats-Unis, un conseil scientifique chargé de définir clairement ce que nous voulons être dans les 20 années qui viennent, quels secteurs nous ambitionnons d'encourager et de quels moyens nous souhaitons nous doter en matière de recherche nucléaire, aéronautique, spatiale ? Je ne suis pas favorable à ce qu'on laisse les marchés financiers décider des chances industrielles de la France. Comme l'a très justement rappelé, récemment encore, Nicolas Sarkozy «le capitalisme ne survivra pas sans le respect d'un minimum de règles éthiques». L'Etat a un rôle à jouer dans un monde de plus en plus compétitif. Même dans les pays taxés d'ultralibéralisme comme les Etats-Unis, l'Etat intervient dans les secteurs stratégiques. Que George W. Bush décroche son téléphone pour vendre des Boeing ne me choque pas. A nous de faire de même.
Toute politique industrielle implique des choix. Quels secteurs encourager en priorité ?
P. L. - La France dispose de leaders mondiaux dans le pétrole, la défense, le nucléaire, l'eau, l'aéronautique, les grands systèmes informatiques, l'agroalimentaire. Ces grandes forces doivent être protégées et développées. A l'avenir, nous devons concentrer nos efforts sur des secteurs où notre valeur s'exprime. En avant toute sur les jobs avec de la qualification et de l'intelligence !
J.-P. C. - Je ne peux me résoudre à l'idée que la France devienne uniquement le pays du tourisme et du luxe. Même cela ne durerait pas toujours. Ne cessons pas de manufacturer et de produire en France ! Nous ne devons baisser les bras dans aucun domaine. Il n'y a pas d'industrie dépassée, il y a simplement des technologies dépassées. Défendons bec et ongles notre tissu industriel !
Propos recueillis par Jean-Marc Gonin et Ghislain de Montalembert.