Verbatim
- Samuel Etienne : Le séisme en Ardèche pose-il la question du nucléaire en France ?
Jean-Pierre Chevènement : Ce séisme est d'un magnitude modérée. Je vois pourtant sur France 2 des militants écologistes venir dire que l'on pourrait sortir d'une nucléaire et ne tirer notre énergie que du renouvelable, comme en Allemagne...
- La ministre de l'Ecologie elle-même a demandé à EDF de plancher sur ce scénario.
Si c'est vrai, cela me scandalise ! Nous sommes en train de gâcher un atout industriel majeur de la France. Nous avons une électricité à bas coût – 58 tranches de nucléaires qui assurent 75% de notre approvisionnement électrique – et on le gâche en demandant des études absurdes à EDF, placé sous la tutelle de ce ministre de la "transition" écologique. Que veut dire "transition" ? Où va-t-on ? Nul le sait ! Tout cela montre la complaisance à l'égard de l'écologie comme idéologie, que je distingue de l'écologie comme science.
- Faut-il poursuivre la construction de centrales nucléaires ? Quid de la sécurité ?
Je comprends parfaitement toutes les préoccupations en matière de sécurité. Mais nous sommes en présence d'un phénomène idéologique hautement dangereux pour bien des activités comme l'agriculture, l'industrie... On finira par ne plus avoir d'appareil productif ! L'idéologie que je veux dénoncer est celle qui consiste à mettre la catastrophe à l'horizon de l'histoire alors qu'avant c'était le progrès. Un philosophe allemand, Hans Jonas, a parlé de "l'heuristique de la peur" : on fait peur aux gens pour qu'ils progressent dans leur manière de consommer ou de produire. En réalité, on ne produit plus ! Je suis très déçu qu'Elisabeth Borne ait demandé cette étude à EDF. On se tire une balle dans le pied !
- Pourtant, tous les partis politiques verdissent leurs programmes...
C'est l'électoralisme le plus plat ! Ils courent après des électeurs qui ont voté pour les écologistes aux élections européennes car ils ne voulaient plus voter pour les socialistes. C'est un vote qui n'a pas beaucoup de signification... C'est une complaisance coupable à l'égard des intérêts réels de la France que de céder à cette mode. Je voudrais demander au Gouvernement de préciser sa position et de renoncer à ces fermetures de tranches nucléaires. Regardez ce qui s'est passé en Allemagne : le tournant énergétique de Madame Merkel est un retentissant fiasco ! Les Allemands rejettent 8 à 10 fois plus de gaz carbonique que les Français. Les énergies renouvelables sont intermittentes : quand le soleil se couche ou que le vent tombe, il faut faire tourner les centrales à charbon ou à lignite, très polluantes. En outre, cela coûte cher car il faut subventionner les énergies dites "renouvelables", en fait intermittentes, ce qui a abouti à ce que la facture d'électricité pour un Allemand soit deux fois plus élevée que celle d'un Français. Est-ce cette écologie punitive que nous voulons pour nos concitoyens ?
- L'actualité ce matin, c'est également la Turquie qui commence à renvoyer dans leurs pays d'origine des djihadistes. 11 Français figurent dans cette liste. Ankara souhaite que la France récupère ses terroristes, ce que la France a toujours refusé. Que répond-on ?
La position du Gouvernement, judicieuse, est que ces terroristes doivent être jugés dans les pays où ils ont commis leurs crimes. La Turquie, qui a ouvert ses frontières vers la Syrie en 2011 et qui a largement contribué à la guerre qui a sévi pendant 5 ans, prétend nous envoyer aujourd'hui les djihadistes, demain les migrants ! Nous avons affaire à un pays qui n'est pas très coopératif... Beaucoup de pays refusent de recevoir leurs ressortissants. Et qui sont ces djihadistes ? Des Français ? Ce sont des Français de papier ! En rejoignant Daech, ils ont abandonné la nationalité française donc nous ne sommes pas tenus de les récupérer.
- Sur la manifestation contre l'islamophobie de dimanche, il y a eu beaucoup de protestations. Céline Pina par exemple, dit qu' "une gauche dévoyée s'est faite l'alliée des islamistes".
L'appel à manifester relève d'une grave erreur conceptuelle. La manifestation était dirigée contre "l'islamophobie", mais cette dernière mélange deux choses : la juste réprobation des actes anti-musulmans, pour laquelle j'aurais manifesté car la tentative d'incendie de la mosquée de Bayonne est inadmissible, de même que les attentats commis contre ces deux malheureux qui servaient de gardiens. Tout cela est totalement condamnable. Mais on ajoute à cela qu'il y a une religion qui est au-dessus de la critique et que quiconque critique l'islam se met en faute. Or, s'il n'y avait pas eu la critique biblique, le christianisme n'aurait pas évolué, il n'y aurait pas eu l'évolution de l'Eglise catholique vers des chemins plus libéraux, hors de l'obscurantisme qui était traditionnellement le sien. C'est très grave : il s'agit d'un confusionnisme, d'un amalgame coupable. Et quand je vois une étoile jaune parmi les manifestants, je dis que c'est insupportable de mettre sur le même plan la situation de nos concitoyens musulmans – qui doivent naturellement être traités à égalité – avec la situation des juifs sous l'Occupation. Ca n'a rigoureusement rien à voir. C'est une horrible démagogie que je tiens à condamner fermement. Ces gens qui appellent à manifester contribuent à la surenchère avec le RN qui, à terme, nous conduira vers la guerre civile. Car la guerre civile progresse toujours à bas bruit. Je pourrais vous donner l'exemple des guerres de religion en France : en 1523, un premier protestant est brûlé sur un bûcher, mais les grands massacres de Wassy et de la Saint-Barthélémy n'ont lieu qu'en 1562 et 1572, presque 50 ans après. Si l'on continue comme cela, et je mets en garde nos concitoyens contre ces agissements irresponsables, on ira vers la guerre civile. Je lance un appel à la paix civile, au sang froid, à la civilité, l'écoute, l'argumentation. Je me tiens éloigné de toutes ces manifestations qui ne peuvent faire que beaucoup de mal à nos concitoyens musulmans.
Source : 6h30-9h30 - franceinfo