Je me réjouis de participer à ce forum entre nos deux sociétés civiles qui réunit d’éminents experts en matière d’éducation, de science, de culture, de littérature.
Je n’ai pas l’intention d’intervenir dans un champ particulier mais d’aborder les problèmes à travers un thème transversal : y’a-t-il entre nos deux pays une opposition de « valeurs », comme on l’entend dire souvent dans les médias ?
Il est devenu banal d’entendre opposer les valeurs individualistes de l’Europe et les valeurs du collectif – la nation, l'ordre, la religion – qui seraient portées par la Russie. Cette opposition est devenue un « marronnier » comme on dit dans le langage journalistique, des commentaires visant à rendre compte des différences entre l'Europe et la Russie.
Je n’ai pas l’intention d’intervenir dans un champ particulier mais d’aborder les problèmes à travers un thème transversal : y’a-t-il entre nos deux pays une opposition de « valeurs », comme on l’entend dire souvent dans les médias ?
Il est devenu banal d’entendre opposer les valeurs individualistes de l’Europe et les valeurs du collectif – la nation, l'ordre, la religion – qui seraient portées par la Russie. Cette opposition est devenue un « marronnier » comme on dit dans le langage journalistique, des commentaires visant à rendre compte des différences entre l'Europe et la Russie.
Les choses ne sont pas si simples. Certes, l'idée de démocratie a évolué.
Première phase, 1789, Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Droits de l'individu. Devoirs du citoyen. La liberté individuelle est centrale. Rôle de la Loi et de la représentation nationale. Mais la citoyenneté, le civisme, ne sont pas moins importants. La vertu est érigée en modèle.
Deuxième étape, la démocratie sociale. 1848 > le Welfare State. Cette deuxième étape met au premier rang les droits sociaux et le rôle de l’État et donc de l'exécutif.
Nous serions aujourd’hui à la troisième étape : les juges imposent une démocratie des individus, titulaires de droits indéfiniment extensibles. La judiciarisation de la vie politique contribue au discrédit des politiques. La rôle central est celui du juge.
Une double caricature se fait jour.
On en vient à opposer « démocraties » et « démocratures ». On a évoqué des démocraties « illibérales » qui ignoreraient non pas le suffrage universel mais « l’État de droit » construit par la jurisprudence d'institutions déconnectées du suffrage universel.
La Russie est ainsi caricaturée comme ne connaissant ni la séparation des pouvoirs, ni la laïcité, c'est-à-dire la séparation du politique et du religieux.
Mais du côté russe, il y aussi une caricature de la « décadence européenne » à travers la méconnaissance de l'intérêt général au profit d’un hyper-individualisme exacerbé ainsi que le déclin du patriotisme.
Les choses ne sont pas aussi tranchées.
Il existe en Europe des courants républicains (différents des « populismes ») attachés à la souveraineté populaire, comme il y a des courants libéraux voire ultralibéraux qui définissent un « État de droit » en dehors du cadre national.
De la même manière, il existe en Russie une tension entre un courant, majoritaire sans doute, qui met l'accent sur la verticalité du pouvoir, l'importance de l’État au sortir d'une ère de transition chaotique (1991-2000), et des courants contestataires qui mettent l'accent sur les droits individuels, la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, le pluralisme dans les médias etc.
Mais ces oppositions ne se recoupent pas. En Europe, le débat porte sur la démocratie du troisième type (une nouvelle génération de droits versus les tenants d'un ordre républicain qui n'est pas un ordre arbitraire mais un ordre défini par la Loi). En Russie, le débat porte sur la démocratie du premier ou du deuxième type (la démocratie politique – transparence des élections, pluralisme de l'information – et la démocratie sociale).
En Russie, la Constitution date de 1993. Elle a 25 ans. Or de 1790 à 1815, huit Constitutions se sont succédé en France ! Plus d’un siècle s’écoule entre 1790 (constitution civile du clergé) et 1905 (loi de séparation des Églises et de l’État). Nous ne sommes pas dans la même temporalité.
Je hasarde une hypothèse.
Le débat se rapport plutôt à la place et au rôle qu'on accorde à la nation.
Le débat en Europe occidentale oppose partisans d'un « État de droit » transnational et les tenants de la souveraineté populaire au sens strict, où la démocratie s’exerce dans le cadre national.
Ce débat est durci à l'excès. La démocratie implique le suffrage universel, elle s'exerce prioritairement dans le cadre national, mais elle permet aussi le transfert de compétences au niveau supranational dès lors qu'il reste démocratiquement contrôlé.
Il y a une mauvaise manière de poser le débat.
En Italie, déficit 2,4 % du PIB – Maastricht 3 % – mais sous le gouvernement Letta, engagement de réduction à 0,8 % eu égard au poids de la dette. Mais il y a eu des élections entre temps. Risque pour la Commission de fracturer l'Europe à travers un interventionnisme excessif.
En Pologne le débat porte sur le droit du gouvernement d'abaisser l'âge de départ à la retraite des juges (65 ans).
> Retour à la subsidiarité, sinon risque de fractures.
En Russie, le cadre national, celui de la Fédération de Russie, n'est pas remis en cause, sauf à travers les revendications nationalitaires, par exemple dans le Caucase (Tchétchénie, Ingouchie).
Après une décennie d’éclipse (1991-1999), la Russie est fière d'avoir retrouvé son rang de grande nation sur la scène internationale. Nous soutenons la Russie pour aller dans la direction où elle déclare vouloir se diriger.
Dans ce genre débats, il faut avoir une vue mondiale des choses.
En Europe, certains courants libéraux veulent dépasser le cadre national. Les courants socialistes qui y prétendaient ont périclité. PS en France, PSOE en Espagne. PD héritier du PCI en Italie.
On évoque les courants populistes, mais il y a aussi des courants républicains qui souhaitent construire ce qu'Emmanuel Macron a appelé un « acteur européen stratégique » à partir des nations. Ce débat n'a pas trouvé sa conclusion et ne le trouvera pas à l'occasion des élections européennes. Hors d’Europe, le cadre national n’est remis en question (Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil, Japon etc.).
Il faut que les débats en Europe aillent à leur terme.
En Russie pour donner un contenu plus clair à l’État de droit et à la démocratie.
En Europe pour trouver l'axe de refondation d'une Europe européenne, respectueuse des nations, comme l'avait souhaité le général de Gaulle, et un bon équilibre entre droits individuels et droits collectifs.
On verra alors s'atténuer des oppositions factices et converger sur la base du bon sens l'Europe et la Russie.
Première phase, 1789, Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Droits de l'individu. Devoirs du citoyen. La liberté individuelle est centrale. Rôle de la Loi et de la représentation nationale. Mais la citoyenneté, le civisme, ne sont pas moins importants. La vertu est érigée en modèle.
Deuxième étape, la démocratie sociale. 1848 > le Welfare State. Cette deuxième étape met au premier rang les droits sociaux et le rôle de l’État et donc de l'exécutif.
Nous serions aujourd’hui à la troisième étape : les juges imposent une démocratie des individus, titulaires de droits indéfiniment extensibles. La judiciarisation de la vie politique contribue au discrédit des politiques. La rôle central est celui du juge.
Une double caricature se fait jour.
On en vient à opposer « démocraties » et « démocratures ». On a évoqué des démocraties « illibérales » qui ignoreraient non pas le suffrage universel mais « l’État de droit » construit par la jurisprudence d'institutions déconnectées du suffrage universel.
La Russie est ainsi caricaturée comme ne connaissant ni la séparation des pouvoirs, ni la laïcité, c'est-à-dire la séparation du politique et du religieux.
Mais du côté russe, il y aussi une caricature de la « décadence européenne » à travers la méconnaissance de l'intérêt général au profit d’un hyper-individualisme exacerbé ainsi que le déclin du patriotisme.
Les choses ne sont pas aussi tranchées.
Il existe en Europe des courants républicains (différents des « populismes ») attachés à la souveraineté populaire, comme il y a des courants libéraux voire ultralibéraux qui définissent un « État de droit » en dehors du cadre national.
De la même manière, il existe en Russie une tension entre un courant, majoritaire sans doute, qui met l'accent sur la verticalité du pouvoir, l'importance de l’État au sortir d'une ère de transition chaotique (1991-2000), et des courants contestataires qui mettent l'accent sur les droits individuels, la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, le pluralisme dans les médias etc.
Mais ces oppositions ne se recoupent pas. En Europe, le débat porte sur la démocratie du troisième type (une nouvelle génération de droits versus les tenants d'un ordre républicain qui n'est pas un ordre arbitraire mais un ordre défini par la Loi). En Russie, le débat porte sur la démocratie du premier ou du deuxième type (la démocratie politique – transparence des élections, pluralisme de l'information – et la démocratie sociale).
En Russie, la Constitution date de 1993. Elle a 25 ans. Or de 1790 à 1815, huit Constitutions se sont succédé en France ! Plus d’un siècle s’écoule entre 1790 (constitution civile du clergé) et 1905 (loi de séparation des Églises et de l’État). Nous ne sommes pas dans la même temporalité.
Je hasarde une hypothèse.
Le débat se rapport plutôt à la place et au rôle qu'on accorde à la nation.
Le débat en Europe occidentale oppose partisans d'un « État de droit » transnational et les tenants de la souveraineté populaire au sens strict, où la démocratie s’exerce dans le cadre national.
Ce débat est durci à l'excès. La démocratie implique le suffrage universel, elle s'exerce prioritairement dans le cadre national, mais elle permet aussi le transfert de compétences au niveau supranational dès lors qu'il reste démocratiquement contrôlé.
Il y a une mauvaise manière de poser le débat.
En Italie, déficit 2,4 % du PIB – Maastricht 3 % – mais sous le gouvernement Letta, engagement de réduction à 0,8 % eu égard au poids de la dette. Mais il y a eu des élections entre temps. Risque pour la Commission de fracturer l'Europe à travers un interventionnisme excessif.
En Pologne le débat porte sur le droit du gouvernement d'abaisser l'âge de départ à la retraite des juges (65 ans).
> Retour à la subsidiarité, sinon risque de fractures.
En Russie, le cadre national, celui de la Fédération de Russie, n'est pas remis en cause, sauf à travers les revendications nationalitaires, par exemple dans le Caucase (Tchétchénie, Ingouchie).
Après une décennie d’éclipse (1991-1999), la Russie est fière d'avoir retrouvé son rang de grande nation sur la scène internationale. Nous soutenons la Russie pour aller dans la direction où elle déclare vouloir se diriger.
Dans ce genre débats, il faut avoir une vue mondiale des choses.
En Europe, certains courants libéraux veulent dépasser le cadre national. Les courants socialistes qui y prétendaient ont périclité. PS en France, PSOE en Espagne. PD héritier du PCI en Italie.
On évoque les courants populistes, mais il y a aussi des courants républicains qui souhaitent construire ce qu'Emmanuel Macron a appelé un « acteur européen stratégique » à partir des nations. Ce débat n'a pas trouvé sa conclusion et ne le trouvera pas à l'occasion des élections européennes. Hors d’Europe, le cadre national n’est remis en question (Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil, Japon etc.).
Il faut que les débats en Europe aillent à leur terme.
En Russie pour donner un contenu plus clair à l’État de droit et à la démocratie.
En Europe pour trouver l'axe de refondation d'une Europe européenne, respectueuse des nations, comme l'avait souhaité le général de Gaulle, et un bon équilibre entre droits individuels et droits collectifs.
On verra alors s'atténuer des oppositions factices et converger sur la base du bon sens l'Europe et la Russie.