Faire connaître l’islam pour mieux le faire accepter est l’une des missions de la Fondation de l’Islam de France, dont l’ancien ministre a pris la présidence il y a deux ans. La tâche reste immense.
A 80 ans, Jean-Pierre Chevènement reste un homme pressé. La diction est posée, réfléchie, mais l’emploi du temps serré.
Dans son bureau de la rue de Bourgogne à Paris, celui de sa Fondation Res Publica qui phosphore, depuis 2005, pour « proposer des choix de politiques publiques », l’ancien ministre est prêt à parler de tout. De la Russie, de l’Europe, de la défense ou de l’un de ces nombreux thèmes que sa longue expérience publique lui a permis de maîtriser. Nous attendions l’islam, ce sera l’islam.
A 80 ans, Jean-Pierre Chevènement reste un homme pressé. La diction est posée, réfléchie, mais l’emploi du temps serré.
Dans son bureau de la rue de Bourgogne à Paris, celui de sa Fondation Res Publica qui phosphore, depuis 2005, pour « proposer des choix de politiques publiques », l’ancien ministre est prêt à parler de tout. De la Russie, de l’Europe, de la défense ou de l’un de ces nombreux thèmes que sa longue expérience publique lui a permis de maîtriser. Nous attendions l’islam, ce sera l’islam.
Lorsque, fin 2016, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, propose de nommer Jean-Pierre Chevènement président de la toute nouvelle Fondation de l’Islam de France, il y en a eu pour s’étonner du choix. Que venait donc faire ce souverainiste républicain, farouche laïc, dans ces affaires de religion ? « Je conçois la surprise de mes concitoyens qui me considéraient comme quelqu’un qui ne s’intéressait pas à ces questions », sourit-il.
C’était mal connaître l’homme. D’abord, comme Jean-Pierre Chevènement le rappelle volontiers, son premier contact avec le monde arabo-musulman ne fut pas l’un des moindres moments de sa vie : arrivé en 1961 en Algérie, à la sortie de l’École militaire, comme appelé du contingent, « je voulais me rapprocher de ces populations mal connues dont on se doutait déjà à l’époque qu’elles se dirigeaient vers l’indépendance ». Sous-préfet par intérim d’Oran, il y vit le dramatique épisode du massacre du 5 juillet 1962. L’histoire déjà traverse sa destinée.
« Les principes de la laïcité ne sont pas clairs dans l’esprit de tous »
Ce premier, et marquant contact avec l’islam constitue « les prémices de cet intérêt que je n’ai cessé de porter au monde arabo-musulman », assure-t-il. En diplomatie, mais aussi tout autant en politique intérieure, où « l’on ne peut se détourner du fait important dans la société française de la présence de 4 millions de musulmans ».
En 1997, alors place Beauvau, celui qui est aussi ministre des Cultes prononce à Strasbourg, à l’occasion de l’ordination du nouvel archevêque, un discours fondateur… sur la place de l’islam en France. Pour appeler les autorités musulmanes, diverses et non régies par un clergé, à l’instauration d’un « interlocuteur légitime » de l’État, et souhaiter la création d’une institution culturelle « pour mieux faire connaître l’islam en France ».
Le premier vœu aboutira quatre ans plus tard au Conseil français du culte musulman, finalement mis en place par Nicolas Sarkozy. Mais dans des conditions « assez difficiles » qui ont déplu à Jean-Pierre Chevènement, lui qui a initié l’instance avec la signature, dès janvier 2000, par les principales composantes de l’islam en France, d’un accord où elles ont « clairement affiché que la République, la laïcité, l’égalité homme-femme ne leur posait pas de problème et que sur ces bases-là, on pouvait construire une relation stable », insiste l’ancien ministre. « Beaucoup de Français ne comprennent pas que la laïcité consiste à exprimer ses croyances de façon discrète et pas en faire usage dans l’espace public pour imposer son dogme au voisin ».
Le compte ne semble plus y être pour la Fondation de l’Islam de France qui se propose encore, dix-huit ans après, de promouvoir « les relations normales qui doivent s’établir entre l’islam et l’État ». Celui que l’on a surnommé « le Che » n’a rien perdu de son franc-parler : « Parce que les gens ne lisent pas les déclarations qu’ils signent, » aujourd’hui encore, « il reste à faire connaître et faire appliquer les engagements de janvier 2000, apprendre à tous les règles de la civilité républicaine ».
Mais les déviances restent patentes des deux côtés et pour les nommer, Jean-Pierre Chevènement cite tout d’abord l’islamophobie, ces « comportements de discrimination à l’égard de nos concitoyens de confession ou de culture musulmanes ». De ces derniers, il pointe sans ambages « des rétractations victimaires et des replis identitaires », qui mènent à « des comportements dans le domaine des pratiques sociales qui ne sont pas compatibles » avec les principes républicains.
Il a beau être président de la Fondation de l’Islam de France, il ne gêne pas pour déplorer une égalité homme-femme qui ne va pas de soi pour tous les musulmans ou « des pratiques alimentaires et vestimentaires qui risquent de faire désordre ». Sans compter « les craintes pour les agissements de l’islamisme radical qui se développe dans le milieu musulman ».
Il faut que chacun comprenne que la France est une République laïque, avec tout ce qui en découle. « Beaucoup ne comprennent pas ce qu’est la laïcité, regrette l’ancien ministre, mais ce n’est pas propre aux musulmans, cela concerne beaucoup de Français qui ne comprennent pas que la laïcité consiste à exprimer ses croyances de façon discrète et pas en faire usage dans l’espace public pour imposer son dogme au voisin. Avec 4 à 5 millions de musulmans, je trouve normal d’offrir des plats de substitution au porc, mais on ne peut pas vivre sous la tyrannie du halal ». Car au bout, il y a le spectre du communautarisme, « contraire à toute l’histoire » de notre République.
« Favoriser la fraternité civique qui se fonde sur l’estime »
Jean-Pierre Chevènement voit bien déjà « des tendances dans la société française au communautarisme, qui sont malheureusement encouragées par des gens dont la responsabilité serait de les combattre, des comportements que je peux observer dans des milieux universitaires, scientifiques ou même dans certaines communes où des élus, au lieu de faire valoir les valeurs républicaines, achètent le vote de telle ou telle communauté en acceptant des comportements qui ne sont pas compatibles avec ceux d’une République laïque ». C’est dit.
Alors, au moment où le gouvernement s’apprête à revisiter la loi de 1905, « il faut que les principes de la laïcité soient clairs dans l’esprit de tous car ils ne le sont pas ». Une laïcité « qui permet l’exercice de toutes les religions, à condition que soit préservé un espace commun où chacun doit pouvoir s’exprimer à la lumière de la raison ». Librement.
Question d’éducation à laquelle la Fondation entend contribuer pleinement. « Nous devons favoriser l’égalité, la fraternité civique, l’amitié qui se fonde sur l’estime et la connaissance, y compris des musulmans eux-mêmes sur leur propre histoire », résume Jean-Pierre Chevènement. Rempli de sa mission et d’un enthousiasme intact.
Campus numérique, conférences, grande exposition prévue en 2020, formation des imams aux valeurs de la République, soutien à la recherche… Retrouvez les buts et les actions de la Fondation de l’Islam de France sur http://fondationdelislamdefrance.fr/
Source : La Nouvelle République
C’était mal connaître l’homme. D’abord, comme Jean-Pierre Chevènement le rappelle volontiers, son premier contact avec le monde arabo-musulman ne fut pas l’un des moindres moments de sa vie : arrivé en 1961 en Algérie, à la sortie de l’École militaire, comme appelé du contingent, « je voulais me rapprocher de ces populations mal connues dont on se doutait déjà à l’époque qu’elles se dirigeaient vers l’indépendance ». Sous-préfet par intérim d’Oran, il y vit le dramatique épisode du massacre du 5 juillet 1962. L’histoire déjà traverse sa destinée.
« Les principes de la laïcité ne sont pas clairs dans l’esprit de tous »
Ce premier, et marquant contact avec l’islam constitue « les prémices de cet intérêt que je n’ai cessé de porter au monde arabo-musulman », assure-t-il. En diplomatie, mais aussi tout autant en politique intérieure, où « l’on ne peut se détourner du fait important dans la société française de la présence de 4 millions de musulmans ».
En 1997, alors place Beauvau, celui qui est aussi ministre des Cultes prononce à Strasbourg, à l’occasion de l’ordination du nouvel archevêque, un discours fondateur… sur la place de l’islam en France. Pour appeler les autorités musulmanes, diverses et non régies par un clergé, à l’instauration d’un « interlocuteur légitime » de l’État, et souhaiter la création d’une institution culturelle « pour mieux faire connaître l’islam en France ».
Le premier vœu aboutira quatre ans plus tard au Conseil français du culte musulman, finalement mis en place par Nicolas Sarkozy. Mais dans des conditions « assez difficiles » qui ont déplu à Jean-Pierre Chevènement, lui qui a initié l’instance avec la signature, dès janvier 2000, par les principales composantes de l’islam en France, d’un accord où elles ont « clairement affiché que la République, la laïcité, l’égalité homme-femme ne leur posait pas de problème et que sur ces bases-là, on pouvait construire une relation stable », insiste l’ancien ministre. « Beaucoup de Français ne comprennent pas que la laïcité consiste à exprimer ses croyances de façon discrète et pas en faire usage dans l’espace public pour imposer son dogme au voisin ».
Le compte ne semble plus y être pour la Fondation de l’Islam de France qui se propose encore, dix-huit ans après, de promouvoir « les relations normales qui doivent s’établir entre l’islam et l’État ». Celui que l’on a surnommé « le Che » n’a rien perdu de son franc-parler : « Parce que les gens ne lisent pas les déclarations qu’ils signent, » aujourd’hui encore, « il reste à faire connaître et faire appliquer les engagements de janvier 2000, apprendre à tous les règles de la civilité républicaine ».
Mais les déviances restent patentes des deux côtés et pour les nommer, Jean-Pierre Chevènement cite tout d’abord l’islamophobie, ces « comportements de discrimination à l’égard de nos concitoyens de confession ou de culture musulmanes ». De ces derniers, il pointe sans ambages « des rétractations victimaires et des replis identitaires », qui mènent à « des comportements dans le domaine des pratiques sociales qui ne sont pas compatibles » avec les principes républicains.
Il a beau être président de la Fondation de l’Islam de France, il ne gêne pas pour déplorer une égalité homme-femme qui ne va pas de soi pour tous les musulmans ou « des pratiques alimentaires et vestimentaires qui risquent de faire désordre ». Sans compter « les craintes pour les agissements de l’islamisme radical qui se développe dans le milieu musulman ».
Il faut que chacun comprenne que la France est une République laïque, avec tout ce qui en découle. « Beaucoup ne comprennent pas ce qu’est la laïcité, regrette l’ancien ministre, mais ce n’est pas propre aux musulmans, cela concerne beaucoup de Français qui ne comprennent pas que la laïcité consiste à exprimer ses croyances de façon discrète et pas en faire usage dans l’espace public pour imposer son dogme au voisin. Avec 4 à 5 millions de musulmans, je trouve normal d’offrir des plats de substitution au porc, mais on ne peut pas vivre sous la tyrannie du halal ». Car au bout, il y a le spectre du communautarisme, « contraire à toute l’histoire » de notre République.
« Favoriser la fraternité civique qui se fonde sur l’estime »
Jean-Pierre Chevènement voit bien déjà « des tendances dans la société française au communautarisme, qui sont malheureusement encouragées par des gens dont la responsabilité serait de les combattre, des comportements que je peux observer dans des milieux universitaires, scientifiques ou même dans certaines communes où des élus, au lieu de faire valoir les valeurs républicaines, achètent le vote de telle ou telle communauté en acceptant des comportements qui ne sont pas compatibles avec ceux d’une République laïque ». C’est dit.
Alors, au moment où le gouvernement s’apprête à revisiter la loi de 1905, « il faut que les principes de la laïcité soient clairs dans l’esprit de tous car ils ne le sont pas ». Une laïcité « qui permet l’exercice de toutes les religions, à condition que soit préservé un espace commun où chacun doit pouvoir s’exprimer à la lumière de la raison ». Librement.
Question d’éducation à laquelle la Fondation entend contribuer pleinement. « Nous devons favoriser l’égalité, la fraternité civique, l’amitié qui se fonde sur l’estime et la connaissance, y compris des musulmans eux-mêmes sur leur propre histoire », résume Jean-Pierre Chevènement. Rempli de sa mission et d’un enthousiasme intact.
Campus numérique, conférences, grande exposition prévue en 2020, formation des imams aux valeurs de la République, soutien à la recherche… Retrouvez les buts et les actions de la Fondation de l’Islam de France sur http://fondationdelislamdefrance.fr/
Source : La Nouvelle République