Le sénateur du Territoire de Belfort, président du Mouvement républicain et citoyen, a toujours été opposé à l'euro. Il s'exprime aujourd'hui pour «La Tribune».
La Tribune : Les Vingt-Sept ont exprimé, jeudi, leur soutien à l'égard de la Grèce, qui est aujourd'hui l'économie malade de l'Europe. Cette déclaration ne renforce-t-elle pas la crédibilité de la zone euro ?
Jean-Pierre Chevènement : En premier lieu, il faut d'abord s'interroger sur le cas de la Grèce : ce pays n'est pas, du point de vue de son endettement, dans une situation plus difficile que l'Italie ou la Belgique, et son économie, en termes de PIB, est relativement marginale dans l'Europe. Il est donc surprenant de constater que les agences de notations puissent ainsi lancer la curée contre ce pays, et plus généralement contre la zone euro qui, bien sûr, est une zone économique hétérogène. Il est plus que temps de s'interroger sur le rôle des marchés et de la spéculation. Il suffit de décourager la spéculation, et, parallèlement, d'obtenir des Grecs qu'ils fassent un minimum d'efforts. Ce serait d'autant plus réalisable avec une croissance européenne plus forte et une monnaie moins surévaluée. Deux conditions qui ne sont pas réunies aujourd'hui. Pour deux raisons : les défauts de conception de la monnaie unique, inhérents au traité de Maastricht, et la politique de déflation salariale allemande qui, depuis dix ans, plombe la croissance européenne et creuse les déficits... chez les autres.
Les textes européens interdisent pourtant l'éventualité d'un plan de sauvetage de la Grèce par les États membres...
Évidemment, le traité de Lisbonne est idiot. Son article 123 interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales nationales d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions européennes et aux États. Or c'est exactement ce qu'ont le droit de faire la Réserve fédérale américaine ou la Banque d'Angleterre : ne faudrait-il pas, dans certaines limites, s'affranchir de cet article, comme on a su le faire auparavant pour d'autres dispositions du traité ? Prohibition des aides d'État, principe de la « concurrence libre et non faussée », interdiction des déficits budgétaires en dessous de la barre de 3 % du PIB. En fait, on ne compte plus la liste des articles du traité rendus caducs par la crise. Le pacte de stabilité n'y a pas résisté : tous les pays, y compris l'Allemagne, sont sortis des clous. Il est donc vraiment temps de revoir ce traité, profondément réactionnaire.
La Tribune : Les Vingt-Sept ont exprimé, jeudi, leur soutien à l'égard de la Grèce, qui est aujourd'hui l'économie malade de l'Europe. Cette déclaration ne renforce-t-elle pas la crédibilité de la zone euro ?
Jean-Pierre Chevènement : En premier lieu, il faut d'abord s'interroger sur le cas de la Grèce : ce pays n'est pas, du point de vue de son endettement, dans une situation plus difficile que l'Italie ou la Belgique, et son économie, en termes de PIB, est relativement marginale dans l'Europe. Il est donc surprenant de constater que les agences de notations puissent ainsi lancer la curée contre ce pays, et plus généralement contre la zone euro qui, bien sûr, est une zone économique hétérogène. Il est plus que temps de s'interroger sur le rôle des marchés et de la spéculation. Il suffit de décourager la spéculation, et, parallèlement, d'obtenir des Grecs qu'ils fassent un minimum d'efforts. Ce serait d'autant plus réalisable avec une croissance européenne plus forte et une monnaie moins surévaluée. Deux conditions qui ne sont pas réunies aujourd'hui. Pour deux raisons : les défauts de conception de la monnaie unique, inhérents au traité de Maastricht, et la politique de déflation salariale allemande qui, depuis dix ans, plombe la croissance européenne et creuse les déficits... chez les autres.
Les textes européens interdisent pourtant l'éventualité d'un plan de sauvetage de la Grèce par les États membres...
Évidemment, le traité de Lisbonne est idiot. Son article 123 interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales nationales d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions européennes et aux États. Or c'est exactement ce qu'ont le droit de faire la Réserve fédérale américaine ou la Banque d'Angleterre : ne faudrait-il pas, dans certaines limites, s'affranchir de cet article, comme on a su le faire auparavant pour d'autres dispositions du traité ? Prohibition des aides d'État, principe de la « concurrence libre et non faussée », interdiction des déficits budgétaires en dessous de la barre de 3 % du PIB. En fait, on ne compte plus la liste des articles du traité rendus caducs par la crise. Le pacte de stabilité n'y a pas résisté : tous les pays, y compris l'Allemagne, sont sortis des clous. Il est donc vraiment temps de revoir ce traité, profondément réactionnaire.
En même temps, cette crise grecque rend l'euro plus compétitif...
Elle a fait tomber le taux de change de l'euro de 1,50 à 1,36 : en tout mal, son remède ! Mais c'est trop peu ! L'euro est en effet surévalué : 0,82 dollar en 2000, 1,35 dollar aujourd'hui. J'aimerais dire ironiquement : bravo la Grèce, bravo Fitch ! Car un taux de change moins fort ne gênerait pas la Grèce, qui vit en grande partie de ses recettes touristiques. De même, ce serait du pain béni pour les exportateurs comme EADS ou pour notre industrie automobile. Mais l'euro reste une monnaie fragile. Elle est faussement forte : elle est excessivement surévaluée par rapport aux autres grandes monnaies mondiales (dollar, yuan, livre britannique), devenant un lourd handicap pour l'Europe : nous sommes la lanterne rouge de la planète en termes de croissance.
L'euro, selon vous, est donc responsable de cette absence de croissance européenne ?
Oui, car il faut se rappeler que l'Allemagne en 1991 a imposé à ses partenaires ses dogmes et ses choix, lors de la création de l'euro qui est, en fait, un mark bis. Aujourd'hui, l'activité économique dans la zone euro est en outre plombée par la politique économique déflationniste de l'Allemagne... Certes, l'Allemagne affiche un excédent commercial confortable, mais ce surplus se fait pour les trois quarts au détriment des autres pays européens. Même l'Allemagne paye d'une croissance faible et d'un pouvoir d'achat déclinant cette politique salariale et budgétaire excessivement rigoureuse.
Pourquoi, lors de l'adoption du traité de Maastricht en 1992, la France avait-elle accepté cette vision allemande de la zone euro ?
Pour ma part, je m'étais opposé dés le départ à ce traité car le dispositif prévu me paraissait tout à fait déséquilibré. Le président François Mitterrand s'était laissé enfermer dans les règles de la Buba (Bundesbank allemande) par Jacques Delors, qui dirigeait à l'époque la Commission européenne, et par Karl Otto Pöhl, le président de la Bundesbank. Or ce n'était pas raisonnable d'abdiquer sa souveraineté monétaire au profit d'une Banque centrale européenne totalement indépendante et soumise à l'unique objectif de la stabilité des prix. François Mitterrand pensait sans doute qu'on pourrait revoir ce dispositif dans la durée. Il était d'ailleurs prévu une clause de rendez-vous. Celle-ci a bien eu lieu, avec le traité d'Amsterdam et le Pacte de stabilité en 1997. Cela n'a rien changé.
Qu'est-ce qu'il faudrait alors changer dans le fonctionnement de l'euro ?
Il y a deux sujets à mettre sur la table : la politique de la Banque centrale européenne, en intégrant la croissance et l'emploi dans ses statuts ; et l'élaboration d'une initiative européenne de croissance, qui pourrait prendre la forme d'un grand emprunt européen. On pourrait ainsi établir un plan de relance des investissements publics, allant de pair avec une politique de change plus réaliste !
L'idée d'un gouvernement économique européen semble aussi revenir en force...
C'est vrai, tout le monde l'évoque, mais il faut savoir de quoi on parle. Car si l'on pense, comme M. Van Rompuy, au seul budget communautaire européen, celui-ci n'est pas significatif. Il représente 1 % du PIB européen. C'est la politique des États nationaux, notamment sur le plan salarial, budgétaire et monétaire, qui doit changer. C'est donc la cohérence du dispositif actuel qui est à revoir.
De quelle façon pourrait-on s'y prendre ?
Si nous n'agissons pas rapidement, nous irons vers des difficultés grandissantes : après la Grèce, ce sera le tour du Portugal, de l'Espagne ou de l'Italie, et nous risquons d'assister à l'éclatement de la zone euro, ce que je ne souhaite pas. Il faut donc organiser une nouvelle conférence européenne institutionnelle, pour revisiter, de fond en comble, le traité. Il faudra par exemple se doter d'un véritable gouvernement économique européen. Une solution raisonnable serait de travailler au niveau de l'Eurogroupe, à 16 pays et non à Vingt-Sept. Mais son président, Jean-Claude Juncker, ne me parait pas être la bonne personne pour définir une politique économique profondément renouvelée. De manière plus générale, l'ensemble du personnel politique européen est aujourd'hui prisonnier d'une doxa dépassée.
Vous étiez un opposant de première heure au traité de Maastricht. À constater les difficultés dans la zone euro, vous devez boire du petit lait ?
Je ne peux pas trouver de source de satisfaction dans les malheurs de mon pays. Il faut reprendre les choses à la base et remettre l'ouvrage sur le métier à travers une conférence institutionnelle européenne.
Vous sentez-vous plus écouté aujourd'hui ?
On est très loin psychologiquement de l'état d'esprit qui pousserait à des changements profonds. Nicolas Sarkozy me paraît trop soucieux que la France colle le plus possible à son partenaire allemand...
Propos recueillis par Éric Chol
Voir l'entretien sur le site de La Tribune
(Cet entretien est paru dans cette version sur le site Internet de La Tribune le 13 février 2010 et dans une version réduite dans La Tribune le 15 février 2010)
Elle a fait tomber le taux de change de l'euro de 1,50 à 1,36 : en tout mal, son remède ! Mais c'est trop peu ! L'euro est en effet surévalué : 0,82 dollar en 2000, 1,35 dollar aujourd'hui. J'aimerais dire ironiquement : bravo la Grèce, bravo Fitch ! Car un taux de change moins fort ne gênerait pas la Grèce, qui vit en grande partie de ses recettes touristiques. De même, ce serait du pain béni pour les exportateurs comme EADS ou pour notre industrie automobile. Mais l'euro reste une monnaie fragile. Elle est faussement forte : elle est excessivement surévaluée par rapport aux autres grandes monnaies mondiales (dollar, yuan, livre britannique), devenant un lourd handicap pour l'Europe : nous sommes la lanterne rouge de la planète en termes de croissance.
L'euro, selon vous, est donc responsable de cette absence de croissance européenne ?
Oui, car il faut se rappeler que l'Allemagne en 1991 a imposé à ses partenaires ses dogmes et ses choix, lors de la création de l'euro qui est, en fait, un mark bis. Aujourd'hui, l'activité économique dans la zone euro est en outre plombée par la politique économique déflationniste de l'Allemagne... Certes, l'Allemagne affiche un excédent commercial confortable, mais ce surplus se fait pour les trois quarts au détriment des autres pays européens. Même l'Allemagne paye d'une croissance faible et d'un pouvoir d'achat déclinant cette politique salariale et budgétaire excessivement rigoureuse.
Pourquoi, lors de l'adoption du traité de Maastricht en 1992, la France avait-elle accepté cette vision allemande de la zone euro ?
Pour ma part, je m'étais opposé dés le départ à ce traité car le dispositif prévu me paraissait tout à fait déséquilibré. Le président François Mitterrand s'était laissé enfermer dans les règles de la Buba (Bundesbank allemande) par Jacques Delors, qui dirigeait à l'époque la Commission européenne, et par Karl Otto Pöhl, le président de la Bundesbank. Or ce n'était pas raisonnable d'abdiquer sa souveraineté monétaire au profit d'une Banque centrale européenne totalement indépendante et soumise à l'unique objectif de la stabilité des prix. François Mitterrand pensait sans doute qu'on pourrait revoir ce dispositif dans la durée. Il était d'ailleurs prévu une clause de rendez-vous. Celle-ci a bien eu lieu, avec le traité d'Amsterdam et le Pacte de stabilité en 1997. Cela n'a rien changé.
Qu'est-ce qu'il faudrait alors changer dans le fonctionnement de l'euro ?
Il y a deux sujets à mettre sur la table : la politique de la Banque centrale européenne, en intégrant la croissance et l'emploi dans ses statuts ; et l'élaboration d'une initiative européenne de croissance, qui pourrait prendre la forme d'un grand emprunt européen. On pourrait ainsi établir un plan de relance des investissements publics, allant de pair avec une politique de change plus réaliste !
L'idée d'un gouvernement économique européen semble aussi revenir en force...
C'est vrai, tout le monde l'évoque, mais il faut savoir de quoi on parle. Car si l'on pense, comme M. Van Rompuy, au seul budget communautaire européen, celui-ci n'est pas significatif. Il représente 1 % du PIB européen. C'est la politique des États nationaux, notamment sur le plan salarial, budgétaire et monétaire, qui doit changer. C'est donc la cohérence du dispositif actuel qui est à revoir.
De quelle façon pourrait-on s'y prendre ?
Si nous n'agissons pas rapidement, nous irons vers des difficultés grandissantes : après la Grèce, ce sera le tour du Portugal, de l'Espagne ou de l'Italie, et nous risquons d'assister à l'éclatement de la zone euro, ce que je ne souhaite pas. Il faut donc organiser une nouvelle conférence européenne institutionnelle, pour revisiter, de fond en comble, le traité. Il faudra par exemple se doter d'un véritable gouvernement économique européen. Une solution raisonnable serait de travailler au niveau de l'Eurogroupe, à 16 pays et non à Vingt-Sept. Mais son président, Jean-Claude Juncker, ne me parait pas être la bonne personne pour définir une politique économique profondément renouvelée. De manière plus générale, l'ensemble du personnel politique européen est aujourd'hui prisonnier d'une doxa dépassée.
Vous étiez un opposant de première heure au traité de Maastricht. À constater les difficultés dans la zone euro, vous devez boire du petit lait ?
Je ne peux pas trouver de source de satisfaction dans les malheurs de mon pays. Il faut reprendre les choses à la base et remettre l'ouvrage sur le métier à travers une conférence institutionnelle européenne.
Vous sentez-vous plus écouté aujourd'hui ?
On est très loin psychologiquement de l'état d'esprit qui pousserait à des changements profonds. Nicolas Sarkozy me paraît trop soucieux que la France colle le plus possible à son partenaire allemand...
Propos recueillis par Éric Chol
Voir l'entretien sur le site de La Tribune
(Cet entretien est paru dans cette version sur le site Internet de La Tribune le 13 février 2010 et dans une version réduite dans La Tribune le 15 février 2010)