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"Il est des circonstances où le devoir doit parler"


Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Nord Eclair, lundi 7 mars 2011.


"Il est des circonstances où le devoir doit parler"
Nord Eclair: Quel est le message principal que vous souhaitez adresser aux étudiants de l'Edhec ?
Jean-Pierre Chevènement: J'ai répondu à leur invitation pour présenter mon livre, La France est-elle finie ? (Fayard). Cet ouvrage est une réflexion sur quarante années de vie politique française ainsi qu'une plongée rétrospective dans le XXe siècle français, qui fut catastrophique et précipita notre pays dans une crise nationale de longue durée. Mais à travers une relecture de cette période, je souhaite avant tout « armer » nos concitoyens pour le XXIe siècle, afin de leur rendre la confiance sans laquelle aucune nation ne peut construire son avenir.

Vous vous montrez, comme toujours, très critique sur la politique européenne...
L'Union européenne s'est construite à partir d'un concept de marché et en acceptant, dans les années 1980 la dérégulation néo-libérale. Mon livre est une réflexion sur la manière de redresser l'Europe aujourd'hui, notamment en s'affranchissant de la dictature des marchés financiers, ou en modifiant les règles de fonctionnement de l'euro, ou encore en trouvant un moyen de s'en sortir à moindre frais en cas d'effondrement de la zone euro, que l'on ne peut pas exclure. L'Europe, pour devenir acteur de son propre destin, doit pouvoir résister à la domination conjointe des États-Unis et de la Chine. L'euro aujourd'hui est une variable d'ajustement entre le dollar et le yuan chinois.

Souhaitez-vous défendre vos idées lors de la prochaine élection présidentielle ?
Il faut qu'émerge une politique alternative par rapport à celle proposée par Nicolas Sarkozy ou prônée par les candidats socialistes potentiels également prisonniers de la logique des marchés financiers et d'un européisme à courte vue. L'élection présidentielle constitue la seule occasion dans notre système institutionnel de peser véritablement dans le débat politique. Reste à savoir si les Français attendent réellement une vision alternative et s'il existe un espace politique pour cela. Je ne suis pas obsédé par l'idée de devenir président de la République. Cette idée n'a pas gouverné ma vie. Mais il est des circonstances où le devoir doit parler.

Aujourd'hui, vous pensez donc très sérieusement être candidat ?
Oui, très sérieusement.

Qu'est-ce qui vous sépare des candidats potentiels du PS ?
La plupart des candidats ne sont pas encore déclarés. Martine Aubry est une femme sincère que je respecte. Mais j'entends dire qu'elle se retirera si Dominique Strauss-Kahn était candidat. Cela pose un vrai problème d'orientation politique.

DSK représente-t-il à vos yeux la défense du néolibéralisme ?
Je le connais bien, j'ai siégé dans le même gouvernement que lui. Je connais aussi les idées qu'il professe : il est pour l'État aux abonnés absents. J'ai lu également ses écrits, notamment son rapport de 2004 au président de la Commission européenne, Romano Prodi sur les perspectives de l'Europe. Vision totalement irréaliste. J'espère qu'il aura changé de point de vue en 2012. Je souhaite qu'il trouve son chemin de Damas !

Vous vous êtes singularisé à gauche par l'opposition à l'Europe et la défense du principe républicain. Aujourd'hui, la crise de l'euro et la reprise du thème républicain par l'ensemble des formations de gauche confèrent à vos positions une réelle actualité...
Je ne suis pas contre l'Europe, il faudrait dissiper cette idée. Je suis contre la manière dont elle a été faite avec la dérégulation de l'économie comme moteur. Je suis également très préoccupé par l'érosion de notre base industrielle, avec des conséquences directes sur notre modèle social. Je ne suis pas anti-européen, mais je refuse que toutes les directives de Bruxelles aient pour seuls soucis la concurrence, l'ouverture des marchés et la fin des services publics. L'euro est une monnaie surévaluée qui contribue à notre désindustrialisation. Je suis pour une Europe des nations, pas une Europe qui se fait sans elles, voire contre elles. Concernant le modèle républicain, je vois effectivement que les socialistes et les Verts parlent désormais d'« intérêt général » et de « République ». Mais il faudrait que ce discours se traduise de manière concrète, car la République comporte des exigences fortes en matière d'école, de sécurité, de civisme et donc de patriotisme. La réaffirmation de l'identité de la France est nécessaire au redressement de l'Europe, dans l'intérêt de l'Europe et de l'Allemagne elle-même, dont la politique rigoriste à courte vue nous conduit dans le mur.

Propos recueillis par Martin Leprince
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Source : Nord Eclair


Rédigé par Chevenement.fr le Lundi 7 Mars 2011 à 17:20 | Lu 2922 fois


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