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Il en va de la dignité du Sénat


Intervention de Jean-Pierre Chevènement concernant le résultat de la commission mixte paritaire à propos du Projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales, Sénat, 9 novembre 2010.


Il en va de la dignité du Sénat
Monsieur le Président,
Madame et Monsieur le Ministre,


La Commission mixte paritaire a donné gain de cause au gouvernement sur ce qui, pour lui, était l’essentiel : la création du conseiller territorial et son élection au scrutin majoritaire à deux tours, avec un seuil de passage au second tour de 12,5% des électeurs inscrits.

Seuil exorbitant, maintenu à la faveur d’un subterfuge justement stigmatisé par M JP Sueur, contraire à l’expression de la diversité des opinions et foncièrement antidémocratique ! Que deviennent les petites formations politiques, qui sans toujours être le sel de la terre, peuvent apporter leur grain de sel qui relève le goût du débat et le débat lui-même ?

La Commission mixte paritaire a également repris le texte de l’assemblée nationale imposant la création des métropoles, décapitant ainsi les régions et les départements concernés, réduisant à peu de choses les compétences des communes absorbées et épaississant d’une nouvelle strate le mille-feuilles territorial. Que deviendra le Président de région, face au Président de la métropole et aux puissants Présidents de Conseils généraux ? M Balladur souhaitait l’évaporation des départements dans les régions. Vous aurez la condensation des régions dans les départements !

Le gouvernement et sa majorité à l’Assemblée nationale n’ont fait, en échange, que de très minimes concessions. S’agissant des communes nouvelles, l’initiative de leur création peut revenir au représentant de l’Etat ou à l’intérieur d’un EPCI à une majorité des deux tiers des conseils municipaux ou encore à une majorité du conseil communautaire. Pour éviter que des communes puissent disparaître sans le consentement de leurs habitants, le Sénat avait obtenu qu’en cas de désaccord entre les conseils municipaux, une consultation soit organisée dont les résultats seraient appréciés non pas à l’échelle du périmètre concerné par le projet, mais commune par commune. Cette concession très modeste, faite par la CMP au texte du sénat revient à dire qu’une commune peut être intégré contre la volonté de son conseil municipal mais non contre la volonté de ses habitants. Le texte retenu, même s’il met un coup d’arrêt à la volonté gouvernementale de fusionner les communes, traduit cependant une méfiance certaine à l’égard des élus. Que se passera-t-il d’ailleurs si, au sein d’un EPCI de 15 communes, deux refusent la fusion ? Il y a gros à parier que les treize autres seront fusionnés par une interprétation extensive de la loi, en attendant qu’un jour prochain cesse la résistance des deux villages gaulois !

Le mécanisme mis en place voit ainsi sa nocivité atténuée mais point du tout gommée.

Demeure l’esprit du projet de « communes nouvelles » : c’est une résurrection pernicieuse de la loi Marcellin. Vous dévoyez l’esprit de l’intercommunalité qui rendait inutile le dispositif « Communes nouvelles » en mettant en commun les compétences stratégiques des communes et permettait justement de sauvegarder la démocratie de proximité et le rôle essentiel des maires et de leurs adjoints à l’intérieur de chaque commune.

Cette méfiance à l’égard des élus se retrouve encore plus à travers les dispositions relatives à l’intercommunalité.

Je ne conteste pas qu’il fallait aller au bout du processus et achever la carte de l’intercommunalité mais pourquoi imposer à la commission départementale de coopération intercommunale une majorité des deux tiers pour pouvoir réformer la carte ? Au lieu d’inciter les préfets à chercher le consensus, on leur donne quasiment les pleins pouvoirs pour rattacher d’office une commune ou même pour fusionner deux EPCI. Il suffit qu’une majorité simple de communes, rassemblant la moitié de la population, ne s’y oppose pas.

La loi du 19 juillet 1999 avait été élaborée, sous un gouvernement de gauche, en étroite concertation avec les deux assemblées et votée à une très large majorité sinon à une quasi unanimité.

Les dispositions retenues- je le fais observer à M Nicolas About- la durcissent inutilement. Il faut espérer que la pratique de l’intercommunalité ne sera pas faussée par les nouvelles règles que vous avez introduites. Pourquoi tant de méfiance à l’égard des élus ? On a l’impression que le gouvernement a voulu se doter d’un marteau-pilon pour écraser une mouche ! Dans une démocratie apaisée, les préfets devraient être incités à rechercher par un dialogue approfondi les solutions de bon sens que les élus sont souvent capables de trouver d’eux-mêmes.

Mes collègues du groupe RDSE et moi-même étions tellement favorables à l’intercommunalité que nous vous avons proposé d’en faire les briques de base de la constitution des territoires qui doivent se substituer aux cantons actuels. Vous vous y êtes opposés en refusant d’avancer au 1er mars 2013 la date d’achèvement de la carte de l’intercommunalité comme vous le proposait le Sénat et en reportant celle-ci au 30 juin 2013. Là encore l’Assemblée Nationale a imposé son texte !

En scrutant attentivement le texte issu de la CMP, j’aperçois, non sans peine, une très modeste concession faite au Sénat par le report de 2012 à 2016 de l’interdiction des financements croisés. Mais le principe de l’exclusivité des compétences entre les régions et les départements demeure. Le texte issu de la CMP, sur le fond, ne fait aucune concession au Sénat, représentant légitime des collectivités locales.

La Haute Assemblée, y compris M. Longuet, avait voté, à 335 voix de majorité, le maintien de la clause de compétence générale. Ce souhait a été piétiné ! Comme le reste M Longuet votre souhait a été piétiné ! Et vous-même avez été piétiné même si vous manifestez une certaine « résilience », c'est-à-dire une certaine capacité d’un organe qui a reçu un choc à revenir à sa forme antérieure. Il n’y a pas de cadeau dans ce monde impitoyable ! Aux centristes vous n’offrez même pas un plat de lentilles ! Chacun appréciera en son âme et conscience mais il me semble que c’est la dignité du Sénat qui est en jeu.

Comme M Mézard vous l’a indiqué, la majorité du groupe RDSE vote donc contre ce texte.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mardi 9 Novembre 2010 à 16:18 | Lu 3566 fois


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