Judaiques FM - 30 minutes pour convaincre (22.86 Mo)
Après les attentats du 13 novembre
- Je pense que François Hollande a eu une réponse qui était provisoirement à la hauteur de la situation, étant donné bien entendu que la perspective à plus long terme mérite d'être éclairée. Mais j'approuve ces mesures, y compris l'état d'urgence, qui ne doit pas se prolonger indéfiniment mais qui permet en tout cas un certain nombre de mesures – perquisitions administratives, différentes mesures de contrôle – dont je pense qu'elles sont nécessaires parce que le pays est frappé, et qu'il doit se défendre.
- Je pense que le Président de la République a bien fait de réunir le Parlement en Congrès et de faire voter une loi prolongeant pour trois mois l'état d'urgence.
- L'état d'urgence, c'est quelque chose de très particulier. C'est la loi de 1955, les fameux pouvoirs spéciaux. Peut-être qu'elle n'ait pas vraiment adaptée à la situation actuelle. Et puis il y a peut-être quelques garanties à introduire. Une révision constitutionnelle permettrait de le faire dans de meilleures conditions que de ressortir en quelque sorte une loi qui a servi dans un tout autre contexte et qui n'a d'ailleurs pas évité un certain nombre de travers.
- Je ne pense pas du tout que l'expression de guerre des civilisations soit appropriée, parce que l'islamisme radical n'est pas une civilisation, tout simplement. Le terrorisme qui se dit djihadiste est une forme de barbarie qu'il faut connaître et qu'il faut combattre. Il faut la connaître parce que cette idéologie mortifère résulte du croisement du salafisme, qui est une variante obscurantiste de l'islam, et d'autre part d'une régression médiévale qui substitue à l'anti-impérialisme de papa, le combat contre les juifs, les « croisés » et les musulmans mécréants.
- Il faut aussi le combattre, il faut éradiquer ce terrorisme, en sachant que pour l'éradiquer, il faut l'isoler de la population. Il faut isoler les terroristes. Il faut que la population les rejette. C'était plus facile quant on avait affaire à des groupes d'énergumènes coupés de toute réalité sociale, comme par exemple Action Directe, les Brigades Rouges, la Fraction Armée rouge en Allemagne, car la classe ouvrière française, italienne, allemande, n'était pas derrière eux.
- Là, nous avons affaire à des fanatiques, mais il y a derrière un terreau, qui est à l'intersection des conflits du monde arabo-musulman et de ce qui se passe dans la société française. Disons que la société française est fragile. Et je trouve qu'elle réagit bien, et j'ai confiance dans la réaction de nos compatriotes, car ils se sont rassemblés autour de la Nation et de la République, vous les voyez qui chantent la Marseillaise, qui montrent le drapeau français, et ne se laissent pas aspirer dans un cycle de haine, de vengeance, que René Girard appelait la violence mimétique, et qui serait vraiment aller au-devant de ce que souhaitent les terroristes. Je crois qu'un certain sang froid s'est exprimé, et je crois qu'il faut ce sang froid pour répondre à ce défi, qui est un défi de long terme. Ce terrorisme djihadiste, il est là malheureusement pour encore longtemps.
- Le défi n'est pas seulement militaire, il est aussi moral. C'est à chacune et à chacun d'entre nous que ce défi est lancé, à tous les Français, quelqu'ils soient, quelque soit leur religion, y compris les musulmans qui devront trier le bon grain de l'ivraie. Ils ne peuvent pas accepter cette déviation horrible qui ne ressemble pas à l'islam ouvert, tolérant, qu'ils préconisent.
- Daesh s'est emparé d'un vaste territoire. Il est né dans les régions sunnites de l'ouest de l'Irak, après la destruction de l'Etat irakien, vraiment à courte vue, la dissolution de son armée, de sa police, de son administration. On s'est trouvé avec un gouvernement majoritairement chiite, les chiites n'avaient jamais gouverné l'Irak, et la politique sectaire du gouvernement Al-Maliki a offert en quelque sorte les sunnites irakiens à Al Qaeda. C'est le général Petreus qui a repris l'affaire en main, qui a détaché les tributs sunnites d'Al Qaeda, mais la réélection d'Al-Maliki au moment où les Américains quittaient l'Irak, en 2011, a permis à Daesh d'apparaître.
- Daesh s'est étendu ensuite à la Syrie, à la faveur du vide qui s'était créé à l'est de la Syrie. Mais vous voyez que des groupes se réclament de l'Etat Islamique en Libye, au Yémen, dans beaucoup d'autres endroits. C'est une marque. Il faut comprendre que nous vivons dans un monde qui est le monde d'internet, virtuel, interconnecté, et c'est une marque qui fédère y compris des groupes qui ne sont instrumentés qu'après coup.
- En France, ce sont des gens qui sont venus de Syrie qui ont commis les Attentats, en s'appuyant sur des cellules dormantes de personnes ayant la nationalité française ou belge.
- Il y a un processus de radicalisation qui est intervenu, qui bien souvent touche des délinquants qui croient, après avoir rencontré un imam salafiste, trouver un chemin de rédemption. Ils s'abandonnent à ce qu'ils croient être le djihadisme, qui est en fait une pente meurtrière. Donc ces processus de radicalisation sont bien connus, bien étudiés maintenant, disons que c'est un embrigadement sectaire qui précède.
- Abdelslam qui tenait une brasserie dans la banlieue de Bruxelles, n'est pas un deshérité. Coulibaly qui avait un bac pro de technicien dans l'informatique avait un boulot à 2000€/mois, c'était pas non plus un damné de la terre. Et quant on fait la comparaison avec ce qu'est la vie de beaucoup de jeunes dans leurs pays d'origines, ils vivent quand même beaucoup mieux ! Ils bénéficient quand même de l'école, qui malgré tous ses défauts accueille sans une once de racisme tous les élèves d'où qu'ils viennent, ils bénéficient d'une protection sociale qui est l'une des plus élevée dans le monde, d'une politique de logement social même si on peut dire qu'il y a une trop grande concentration de logements sociaux dans certains quartiers. 40% des jeunes nés de l'immigration habitent des ZUS, des zones urbaines sensibles, qui ne sont tout de même pas tout à fait des ghettos, il faut quand même dire les choses telles qu'elles sont, mais qui quand même concentrent trop des populations qui sont mises ensemble, qui ont le sentiment, justifié ou non, et il est quelque fois justifié, de se heurter à certaines discriminations, finissent par développer un certain nombre d'idéologies, qui en résonance avec le contexte international aboutit à ce syncrétisme bizarre que j'essayais de vous décrire tout à l'heure.
- L'Arabie Saoudite est l'allié des Américains depuis 1945 et le nôtre depuis la guerre du Golfe de 1990, puisqu'avant, nous avions pour principe de favoriser plutôt dans le monde musulman les facteurs de modernité. A partir de 1990 nous sommes venus au secours de l'Arabie Saoudite, qui aurait peut-être pu s'en passer parce qu'il y avait une solution politique qui était possible. Il est trop tard pour revenir sur les erreurs qui ont été commises mais ces erreurs ont ouvert la voie au terrorisme sunnite et ont installé l'Iran en puissance dominante dans la région. Ce n'était pas vraiment les objectifs de la Guerre du Golfe.
- L'utilisation des armes n'a de sens que si on a un objectif politique assez clair. Or actuellement nous avons des pays qui ont des objectifs différents. Il faut les mettre autour d'une table pour arriver à un objectif souhaitable.
- Quel est l'origine de Daesh ? Ce sont des Etats invivables pour leurs populations. L'Irak : imaginez la souffrance cumulée depuis maintenant plus d'une vingtaine d'année. Voyez l'état de la Syrie...
- Je pars du principe qu'il ne faut pas fragmenter ces Etats : ce sont des Etats qui ont déjà une histoire, un siècle derrière eux. Ils ne correspondent pas, contrairement à ce que l'on dit, aux frontières Sykes-Picot, deux diplomates britanniques et français qui s'étaient mis d'accord en 1916 pour un plan de partage du Moyen-Orient. Il y a donc deux Etats, la question c'est comment peut-on avoir un gouvernement représentatif en syrie, et comment avoir un Irak fédéral où les sunnites se sentiront chez eux, à l'aise, avec une partie des revenus pétroliers.
Livre : l'Europe sortie de l'histoire ?
- Une mondialisation, même libérale, ne se passe pas d'un Etat-patron. Et le patron lors de la première mondialisation, c'est le Royaume-Uni, avec son empire colonial. Une des raisons de la Première Guerre mondiale tient à ce que les Britanniques voyait d'un mauvais œil la montée de l'Allemagne impériale de Guillaume II, et en particulier ses armements navals, mais aussi son renforcement terrestre, qui fait qu'à un certain moment, l'Allemagne a décidé une guerre préventive pour desserrer l'étau qu'elle prévoyait de voir se créer entre la France et la Russie. Donc on peut analyser le processus politique qui a dégénéré, au mois de juillet 1914, comme une guerre préventive déclenchée par Guillaume II, avec le prétexte d'une menace russe, et sans prendre gare que la Grande-Bretagne ne tolérerait pas la violation de la neutralité belge, puisqu'il s'agissait de contourner les défenses belges pour éliminer d'abord la France avant de se retourner contre la Russie, mais l'Angleterre ne pouvait pas plus accepter en 1914 que l'Allemagne domine le continent, pas plus qu'un siècle auparavant face à Napoléon. L'Angleterre est rentrée dans la guerre, donnant son caractère mondial à cette guerre, entraînant les Etats-Unis en 1917 à la suite d'erreurs commises par l'état-major allemand qui a coulé des bâteaux américains. C'est un processus fatal qu'on aurait certainement pu éviter, qui n'était de l'intérêt de personne. Quant on voit le rôle que jouait ces Etats en 1914, le rôle qu'ils jouent aujourd'hui, on se dit que cette guerre a été une guerre funeste, qu'il aurait fallu éviter. Les responsabilités sont multiples mais sont quand même concentrées dans une poignée de décideurs, notamment à la tête du Second Reich. Mais on ne peut pas comprendre tout cela sans la modification de l'équilibre des puissances dans les trente ou quarante années qui ont précédé 1914.
- L'euro a entraîné la perte de la souveraineté monétaire de la France. C'est pour cela que je l'ai combattu à l'époque, après avoir lu le traité de Maastricht. J'ai vu ce que cela impliqué : la stagnation de l'économie, et particulièrement de l'économie française, notre décrochage industriel, et puis notre perte de souveraineté dans tous les domaines. Aujourd'hui, on se réveille avec les attentats du 13 novembre, et on se rend compte que les gens se resserrent autour de la Nation parce qu'on a pas encore imaginé que l'on pouvait mettre quelque chose à la place. Et l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui n'est pas une machine à décider. Voyez les accords de Schengen qui ne s'appliquent pas. Sur le plan économique on le voit aussi : des décrochages qui se sont faits, des politiques d'austérité qui deviennent de plus en plus insupportable pour des pays comme la Grèce ou le Portugal, donc je pense que si on laisse s'accumuler le nombre des chômeurs, on récolte un terreau qui est plus ou moins explosif.
- Cette Europe a été pensée sur une erreur : qu'on pourrait substituer aux différentes nations européennes une seule nation. Or, ce n'est pas ce qui se passe. Regardez les Belges, entre wallons et flamands, ça fait un siècle que la Belgique existe et ils n'ont pas encore réussi à faire une nation. Et nous on pense que l'Europe va faire une nation entre les Lituaniens, les Portugais, les Grecs, les Irlandais, les Français et les Allemands... Non ! On peut faire une Europe confédérale, une Europe appuyée sur la démocratie, mais pas une Europe où on délègue tous les pouvoirs à des instances non-élues qui peuvent être la BCE, la Commission Européenne, la CJUE, et qui décident en quelque sorte en dehors de nous. Cela, je pense que les peuples ne l'accepteront pas. Par conséquent, il faut non pas casser l'Europe, mais la refaire, la réorienter, revenir à des principes simples, c'est à dire le principe de la démocratie. Chaque peuple est responsable de ce qui le concerne. C'est ce que dit Cameron en Grande-Bretagne, il n'a pas tord sur tout... Il faudrait quand même l'écouter.
- Je suis sur une Europe européenne, je suis sur une Europe des nations, mais je n'exclue pas que nous puissions déléguer certaines compétences dès lors qu'elles sont démocratiquement contrôlées, ce qui aujourd'hui n'est pas le cas. Et d'ailleurs il faudrait prévoir une profonde réforme du Parlement européen, pour l'amener à être davantage en symbiose avec les démocraties nationales.
- Je pense que le général de Gaulle a été le grand pédagogue que la France a eu la chance d'avoir, et qui lui a ouvert des horizons dans beaucoup de domaines. Je rentre de Chine. On se souvient dans ce pays que de Gaulle a été le premier chef d'Etat occidental à reconnaître la République Populaire de Chine en 1964. C'était prémonitoire. Et le général de Gaulle a eu cette vision a long terme qui nous a manqué par la suite.
- Je pense qu'on ne peut pas faire autrement, entre Français et Allemands, que de s'entendre. Mais il faut se parler, et se parler franchement. Il y a trop de décisions qui ont été prises par nos amis Allemands sans aucune concertation, en matière énergétique, en matière de réfugiés, en matière de monnaie unique et de gestion de la monnaie unique. Et il y a un moment où il faut remettre les choses à plat, mais il faut le faire dans un bon esprit, parce qu'entre la France et l'Allemagne la seule voie possible et celle du dialogue et de la confrontation. Ce n'est pas toujours facile, parce que nous sommes deux peuples différents, mais en même temps il y a beaucoup à gagner à avoir cette compréhension de l'autre.