Tout d’abord, permettez-moi de remercier chaleureusement tous les intervenants pour leurs communications toujours pertinentes, souvent émouvantes et riches de propositions innovantes, et particulièrement M. Cherif Rahmani, ministre de l’Aménagement du Territoire, M. Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre, et M. Lahkdar Brahimi, ancien ministre des Affaires Etrangères de la République algérienne démocratique et populaire, ainsi que M. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre de la République française. Ma gratitude va à tous, écrivains, industriels, cinéastes, journalistes, responsables de grands organismes de recherche ou de grands groupes, anciens ambassadeurs de France en Algérie et particulièrement les intervenants qui ont fait le déplacement d’Alger et d’Oran à Paris. Je tiens à saluer très amicalement la présence de M. Sbih, ambassadeur d’Algérie en France, de M. Ouali, Consul général et des Consuls d’Ile de France, mais aussi celle de M. Xavier Driencourt, ambassadeur de France à Alger. Mes remerciements vont aussi à tous les participants.
Cette rencontre montre qu’il existe quelque chose de puissant, d’indéfinissable mais de palpable que j’appellerai « l’identité franco-algérienne » qui transcende nos appartenances nationales. Même en l’absence de traité, cette identité, plus forte encore que l’amitié, existe dans nos cœurs et par les liens humains si denses qui se sont forgés entre nos deux peuples au cours de l’Histoire et se vérifient dans la vie de tous les jours.
2012 est là, l’année du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Naturellement cet anniversaire sera célébré en Algérie. En cinquante ans l’Algérie a plus que triplé sa population. Elle a mis en valeur ses richesses. Elle a modernisé ses infrastructures. Elle a entrepris un effort éducatif considérable. Bien sûr, la décennie 1990 l’a montré, l’Algérie est encore à la recherche d’elle-même, quête normale pour un peuple jeune et pour un pays qui est d’ores et déjà un des grands « émergents » du XXIe siècle. Pour la France aussi, 1962 est une date marquante de son histoire. Certains ont vécu l’indépendance algérienne comme le signal d’un repli de la France sur l’Europe, dont la construction semble être devenue le dernier grand projet de ses élites. Mais beaucoup d’autres y voient non pas un désengagement mais le début d’une relation nouvelle, d’égal à égal avec l’Algérie et ne conçoivent pas l’avenir de la France sans le nécessaire équilibre entre les différents tropismes qui ont façonné son histoire, le tropisme continental et l’appel du grand large mais aussi le tropisme vers le Sud, la Méditerranée et l’Afrique.
Cette rencontre montre qu’il existe quelque chose de puissant, d’indéfinissable mais de palpable que j’appellerai « l’identité franco-algérienne » qui transcende nos appartenances nationales. Même en l’absence de traité, cette identité, plus forte encore que l’amitié, existe dans nos cœurs et par les liens humains si denses qui se sont forgés entre nos deux peuples au cours de l’Histoire et se vérifient dans la vie de tous les jours.
2012 est là, l’année du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Naturellement cet anniversaire sera célébré en Algérie. En cinquante ans l’Algérie a plus que triplé sa population. Elle a mis en valeur ses richesses. Elle a modernisé ses infrastructures. Elle a entrepris un effort éducatif considérable. Bien sûr, la décennie 1990 l’a montré, l’Algérie est encore à la recherche d’elle-même, quête normale pour un peuple jeune et pour un pays qui est d’ores et déjà un des grands « émergents » du XXIe siècle. Pour la France aussi, 1962 est une date marquante de son histoire. Certains ont vécu l’indépendance algérienne comme le signal d’un repli de la France sur l’Europe, dont la construction semble être devenue le dernier grand projet de ses élites. Mais beaucoup d’autres y voient non pas un désengagement mais le début d’une relation nouvelle, d’égal à égal avec l’Algérie et ne conçoivent pas l’avenir de la France sans le nécessaire équilibre entre les différents tropismes qui ont façonné son histoire, le tropisme continental et l’appel du grand large mais aussi le tropisme vers le Sud, la Méditerranée et l’Afrique.
La commémoration de l’indépendance de l’Algérie est approuvée par plus des trois cinquièmes de la population française selon un sondage Louis Harris, même si une minorité émet la crainte qu’une telle commémoration puisse être l’occasion de ranimer des polémiques inutiles. C’est au contraire, à mes yeux, l’occasion pour les Français de parvenir à une lecture pacifiée, enfin raisonnable et pour tout dire positive, du point de vue même de la France, de cet épisode marquant de son Histoire. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu, comme Président de France-Algérie, et avec le soutien de son conseil d’administration, que ce colloque soit délibérément tourné vers l’avenir. Je m’exprimerai donc avec la franchise qui va de pair avec l’amitié, avec le respect que commande la connaissance d’un peuple fier, et avec le souci d’être compris des deux côtés de la Méditerranée, ce qui n’est pas une mince gageure ! Je ne parlerai donc pas deux langages, l’un qui serait pour Paris et l’autre pour Alger. J’ai trop d’estime et de considération pour le peuple algérien pour ne pas lui parler le langage de l’intérêt commun, comme je le fais d’ailleurs en m’adressant au peuple français. Il faut à nos deux pays une vision à long terme partagée. C’est la responsabilité de ceux qui aspirent à être reconnus comme des hommes d’Etat de part et d’autre de la Méditerranée de porter cette vision.
J’ai voulu que ce colloque soit tourné vers l’avenir, non pas parce que le passé ne devrait pas être assumé, avec ses lumières et avec ses ombres. Rien ne peut faire que le passé n’ait pas existé et que pendant cent trente deux ans le système colonial n’ait pas pesé lourdement sur notre relation. Mais comme l’a écrit Jacques Berque : « Nous ne nous sommes pas entrelacés pendant plus d’un siècle sans qu’il en demeure quelque chose ».
Que s’est-il vraiment passé entre nos deux peuples ?
Après Trafalgar et Waterloo qui lui ont fermé définitivement le chemin de l’hégémonie mondiale et continentale, et plus encore après 1871, la France s’est tournée vers la Méditerranée, vers l’Afrique et vers l’Asie parce qu’elle voulait encore rester une puissance dans le concert européen. Comme la Grande-Bretagne, elle a profité de la crise de l’Empire ottoman qu’on disait alors « l’homme malade de l’Europe ». Les raisons de la conquête de l’Algérie qui échappaient encore à Tocqueville en 1840, ne sont pas, selon moi, à chercher ailleurs. La faute de la France est d’avoir vu dans l’Algérie une « plus grande France » et pas – à l’exception de Napoléon III – un pays ayant son Histoire et sa propre identité, qu’il lui incombait de conduire à l’indépendance. Cet aveuglement dont le colonialisme pour les Algériens a été le prix exorbitant n’a pu être surmonté que par la lutte de libération du peuple algérien et l’exceptionnelle lucidité du général de Gaulle, le plus grand homme d’Etat français du XXe siècle, qui a failli par deux fois y laisser la vie.
Cela s’est fait aussi pour les Français, au prix d’une véritable guerre civile franco-française dont le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie doit également être l’occasion de cicatriser les plaies tant il est vrai qu’il valait mieux, selon le mot du Général de Gaulle en 1961 que cette indépendance se fit avec la France que contre elle. Il est encore temps pour les nostalgiques de s’en convaincre. Bien entendu rien n’effacera la faute commise à l’égard des harkis auxquels une loi de mai 1962, de toute évidence inconstitutionnelle, a retiré la nationalité française, en raison de leur statut personnel. C’était là ressusciter la notion d’indigénat et revenir sur la conception de la nationalité française fondée non sur l’origine ou la religion, mais sur l’adhésion. Certes le contexte était difficile. Il n’en reste pas moins que la France a contracté une lourde dette à l’égard des harkis que l’Algérie de son côté devrait traiter avec humanité.
Le passé ne doit pas étouffer l’avenir. Au contraire : il nous commande de tout faire pour la réussite de l’Algérie. J’aimerais que les Français s’en sentent tous comptables car c’est aussi l’intérêt profond de la France. Il m’est déjà arrivé de dire qu’en tout état de cause l’avenir entre l’Algérie et la France durerait plus longtemps que le passé. L’avenir est chargé de défis sur lesquels je reviendrai. Nous les relèverons ensemble beaucoup mieux que si nous laissions notre relation se teinter d’indifférence.
La France a su tourner la page avec l’Allemagne, bien que les compromis entre les gouvernements ne soient pas toujours évidents. Mais nous avons fait confiance à une logique historique plus forte que la volonté des gouvernements parce que nous savons que la France et l’Allemagne sortiront l’une et l’autre de l’Histoire, si elles ne sont pas capables de la continuer ensemble.
Il en va de même, je le crois, entre la France et l’Algérie. Nous devons bâtir un môle solide entre les deux rives de la Méditerranée. En 1962, les Etats avaient compris cela mieux que ne le pouvaient les populations, au sortir de sept ans de guerre dont la fin avait été marquée par l’insurrection de l’OAS. Les gouvernements, celui du général de Gaulle en France et celui d’Ahmed Ben Bella en Algérie, ont choisi la coopération. Aujourd’hui les peuples le comprennent spontanément, malgré le déclenchement de certaines polémiques récurrentes.
Grâce notamment à la présence d’une importante communauté algérienne en France et à l’existence d’un bon nombre de Français d’origine algérienne qui ne saurait que croître dans l’avenir, en vertu du droit du sol, grâce aussi à la langue française « notre butin de guerre », comme disait votre grand écrivain, Kateb Yacine, langue partagée d’ailleurs par le Maghreb et une bonne partie de l’Afrique, des liens humains extrêmement forts se sont tissés de sorte qu’à l’inverse de 1962, ce sont les peuples aujourd’hui qui sont en avance sur les Etats.
Il existe ainsi de part et d’autre de la Méditerranée un véritable continuum franco-algérien qui rend chacun de nos deux pays particulièrement attentif à ce qui se passe chez l’autre. Et à juste titre car les répercussions des évènements qui concernent l’un se font inévitablement sentir chez l’autre. Nous savons bien que l’avenir pour nous tous est chargé de défis qui peuvent s’avérer des menaces redoutables, mais qui peuvent être aussi l’occasion de progrès fulgurants, si nous savons les relever ensemble. Dans la relation entre l’Algérie et la France une page nouvelle doit s’ouvrir.
La France, selon moi, ne doit pas se trouver peu à peu aspirée par la dimension européenne au point de laisser s’étioler sa relation avec la Méditerranée et l’Afrique qui est au cœur de son Histoire depuis les accords passés par François 1er avec la Sublime Porte et l’appel lancé d’Alexandrie en 1798 par Bonaparte à l’Egypte pour qu’elle « reconquière la maîtrise de son destin ».
Le rééquilibrage de notre politique vers le Sud est une nécessité. Il se fera jour à travers des évènements dont chacun sent qu’ils sont devant nous. L’avenir de la France n’est pas de se renfermer dans une « Europe nordique aux barrières hautaines », comme Jacques Berque, peu avant sa mort en 1995, en exprimait déjà la crainte.
Dans le monde arabe des révolutions se réclamant de la démocratie et des droits de l’Homme se déroulent depuis un an. L’aspiration des peuples à la démocratie et à l’autodétermination est universelle. Elle n’est pas une exclusivité occidentale. Partout les demandes sont identiques : plus de liberté, davantage de respect des droits de l’Homme (et de la femme), meilleure répartition des richesses, arrêt de la corruption. Mais cette mondialité de « l’espace communicationnel » cher à Jürgen Habermas, répond mieux, comme l’avait déjà vu Jacques Berque, au modèle américain qui s’accommode fort bien d’un certain fondamentalisme dès lors qu’il s’inscrit dans le mouvement de la globalisation financière et ne conteste pas les orientations de la diplomatie de Washington. Que ces revendications touchent des pays qui nous sont proches, à l’Algérie et à la France, comme la Tunisie et l’Egypte, montre que les peuples vivent. L’Histoire n’est jamais arrêtée.
Ces révolutions suivent un cours qui en surprend plus d’un. Des élections libres ont pu être organisées. Cela montre que ces peuples n’étaient pas prostrés. Ils ont repris confiance en eux. Maintenant le résultat des élections est ce qu’il est : des partis qui se disent islamistes, selon un nuancier de verts que je ne suis pas le mieux placé pour apprécier, ont gagné, seuls ou avec d’autres, une majorité. Ils vont faire l’épreuve des responsabilités gouvernementales. L’important est qu’ils aident leur pays à épouser leur temps et à se développer en fonction de leurs propres aspirations. A défaut de la laïcité républicaine, peuvent-ils admettre un certain degré de sécularisation, bref la distinction entre la sphère religieuse et la sphère politique ? On ne peut entrer de plain pied dans le monde moderne – ce qui était l’inspiration première des révolutions arabes, en tout cas de ceux qui les ont déclenchées - sans un certain degré de sécularisation. Les peuples font leur expérience de la démocratie. Celle-ci ne se réduit pas aux élections. La démocratie a toujours progressé par erreurs corrigées. Cela suppose évidemment que les erreurs puissent être corrigées. C’est ce que la Constitution doit pouvoir garantir. Elle doit exclure du champ démocratique les forces qui veulent imposer autoritairement leur point de vue. En matière d’ouverture démocratique, l’Algérie a, si je puis dire, pris, en 1988, une longueur d’avance. Le contexte était très difficile, le contre-choc pétrolier et la baisse des recettes qui en a résulté pour l’Algérie : la guerre du Golfe, le déclin du nationalisme arabe, l’essor d’Al Quaïda, la victoire des Talibans en Afghanistan constituaient le fond de l’air.
Ce contexte explique largement la décennie tragique qu’a vécue l’Algérie dans les années quatre-vingt-dix.
Pour comprendre ce qui s’est passé, Jacques Berque citait le titre, prémonitoire selon lui, d’un livre de Kateb Yacine : « Les Ancêtres redoublent de férocité ». Il insistait sur la nécessité d’un « Islam de progrès » et sur les vertus d’une éducation de masse. C’est dans son enseignement d’ailleurs que j’ai puisé pour lancer en 1999 la Consultation pour un Islam de France qui a donné naissance en 2003 au Conseil français du Culte musulman. Mais c’est un autre débat.
De cette décennie si difficile pour l’Algérie, il reste cependant des acquis : une forme de pluripartisme, une presse libre dont j’apprécie la liberté de ton et aussi dans le peuple lui-même une sorte de retenue qu’explique le désir de ne pas revivre des affrontements fratricides.
La démocratie est toujours une découverte. Elle implique la responsabilité, bref le citoyen et le civisme. Le citoyen a des droits, il a aussi des devoirs et son premier devoir est d’assumer la souveraineté dont il est une parcelle. Cette leçon, nous la tirons chacun de notre histoire respective : pour nous c’est le grand acquis de la Révolution. Pour vous c’est l’héritage historique de la lutte de libération nationale. La revendication de la souveraineté nationale a rassemblé toutes les composantes de la société algérienne : les masses rurales, l’intelligentsia urbaine, les minorités berbérophones. Au fond, nous avons en commun l’idée républicaine dont la nation est une dimension essentielle, même si elle a une force qui transcende les frontières.
Toute révolution est un processus chargé à la fois de potentialités et de risques. Comme l’a écrit Hölderlin : « Là où est le danger croit aussi ce qui sauve ». La France et l’Algérie ont intérêt à aborder ensemble cette période nouvelle. « La mondialisation financière rencontre dans les identités collectives les affinités territoriales, les aires culturelles … des résistances … dont l’humain peut s’armer ». Je cite à nouveau Jacques Berque dans un de ses derniers articles de 1994. Celui-ci en appelait à la solidarité méditerranéenne comme « possibilité d’une résistance à la fois englobante et dépassante » à la mondialisation néolibérale aujourd’hui en crise.
L’objectif est de faire en sorte que la Méditerranée ne soit pas une zone d’affrontements comme elle l’a souvent été dans le passé, mais un espace de coopération politique fécond, face aux tendances destructurantes de la globalisation. A mes yeux, la relation franco-algérienne est centrale : si nous savons unir nos efforts, nous serons la colonne vertébrale d’un espace de paix, au moins en Méditerranée occidentale. Nous pouvons être un exemple pour les autres.
Qui ne voit qu’en Algérie aussi, et particulièrement dans la zone sahélienne, la coopération de l’Algérie et de la France peut jouer un rôle de stabilisation qui est dans l’intérêt de l’Afrique tout entière et d’abord des peuples concernés ? Il y a dans l’approfondissement de notre relation un enjeu civilisationnel majeur qui dépasse de loin nos intérêts nationaux. La Mer Méditerranée, que vous appelez en arabe « Mutawassit », mer mitoyenne, mer commune, doit permettre l’échange fécond, le dialogue des cultures, le dépassement des incompréhensions.
Evoquer les enjeux politiques et civilisationnels conduit naturellement à souligner l’importance des liens humains et des échanges culturels entre les deux rives. L’édition, le cinéma, les coproductions pour les télévisions françaises et algériennes sont des terrains de coopération à privilégier. Il y a beaucoup à faire pour développer en France la compréhension des enjeux de développement de l’Algérie. Vaincre les stéréotypes et susciter la confiance.
Ainsi, faut-il convaincre les média français de ne pas privilégier systématiquement les évènements les plus négatifs et les prises de position les plus défavorables à l’établissement d’un partenariat de longue durée. Il faut au contraire sensibiliser les média à tout ce qui peut être porteur dans notre relation : lutter contre les préjugés, montrer la grandeur de la tâche qui consiste à ouvrir l’Europe vers son Sud, qui est d’abord le monde arabe et en son sein, l’Algérie, notre voisin le plus proche. La télévision doit servir un dialogue des cultures qui dépasse la relation franco-algérienne, mais dont celle-ci peut être le laboratoire exemplaire.
Je voudrais signaler un domaine essentiel pour le futur : le développement déjà remarquable de la coopération scientifique et universitaire entre organismes de recherche et universités : plus de 600 accords ont été signés entre Universités algériennes et universités françaises. Avec les techniques modernes de communication, nous pouvons créer un espace commun de recherche entre nos deux pays, favoriser les échanges universitaires, en matière d’ingénierie éducative par exemple. L’Algérie compte 1,1 million d’étudiants et ses ambitions ne s’arrêtent pas là : il y a un immense espace pour notre coopération en matière d’enseignement supérieur et de recherche.
La présence en France de deux à trois millions d’Algériens ou de Français d’origine algérienne dont le rôle dans la société française s’affirme toujours plus au fil du temps, dans les secteurs les plus variés, est un facteur de dynamisme incomparable, non seulement pour notre relation, mais pour le développement de l’Algérie elle-même. Comme ancien ministre de l’Intérieur, je voudrais souligner l’importance qu’il y a à distinguer le droit de circuler et le droit du séjour. Il n’y a pas de problème insoluble, si nous les abordons de concert avec la volonté de trouver des solutions. Ma conviction est qu’il faut faciliter la circulation entre nos deux pays, ce qui se fera d’autant mieux que le droit du séjour sera respecté. Là encore, il faut trouver ensemble des règles humaines et justes qui répondent à l’intérêt mutuel. Il y a un lien, qui joue dans les deux sens, entre le développement de l’Algérie et la liberté de circulation entre les deux rives qui est, à terme, l’objectif souhaitable.
L’Algérie peut-elle devenir un des grands pays émergents du XXIe siècle ? Elle a beaucoup d’atouts pour cela.
Bien entendu, le développement implique la sécurité au sens large, celle des personnes mais aussi celle des biens, bref un Etat qui soit un Etat de droit, avec des procédures transparentes pour tous. Cet objectif est premier. La démocratie est elle-même dans une relation dialectique avec le développement.
L’Algérie maîtrise sa croissance démographique : 35 millions d’habitants en 2009, selon les chiffres de la Banque mondiale, 50 millions en 2050 selon ses prévisions. Son taux de fécondité est de 2,34 contre 1,88 pour la France. L’espérance de vie moyenne est de 72 ans. Le taux d’urbanisation de 62 % ne manquera pas de croître encore. M. Rahmani m’a fait visiter l’une des nombreuses villes nouvelles qui sont planifiées par le gouvernement algérien.
Le potentiel de croissance économique de l’Algérie est élevé. Le développement de l’économie algérienne est un moteur pour l’économie française. Qui sait que l’Algérie est, hors OCDE, le troisième partenaire commercial de la France après la Russie et la Chine ?
Le revenu national brut moyen est le plus élevé des pays du Maghreb : 4190 $ par habitant en 2009, 3480 en Tunisie, 2520 au Maroc). Le potentiel énergétique de l’Algérie est considérable. L’ancien Président de la Sonatrach, M. Cherouati, m’indiquait que les richesses du sous-sol algérien (l’Algérie s’étend sur 2,5 millions de Km2) étaient loin d’avoir été toutes reconnues, aussi bien en ce qui concerne les hydrocarbures que les minerais les plus divers. La tendance haussière à long terme du prix des hydrocarbures devrait, en tout état de cause, assurer à l’Algérie une source de revenus importante et régulière. L’Algérie a cependant intérêt à diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique tout comme son appareil de production. L’énergie solaire a sûrement de très intéressantes perspectives compte tenu de l’ensoleillement mais tant que les prix de revient n’auront pas été substantiellement abaissés, il y a sans doute place pour la construction de centrales nucléaires aux normes sismiques renforcées pour l’alimentation en électricité des grandes conurbations d’Alger, Oran et Annaba. Cette diversification de son approvisionnement énergétique permettrait à l’Algérie de faire durer plus longtemps les ressources de son sous-sol.
L’énergie n’est assurément pas le seul volet de notre partenariat économique. En matière d’aménagement du territoire, l’urbanisme, les villes, le logement, l’eau, les transports sont des domaines privilégiés dans lesquelles peut s’épanouir notre coopération. Mais tout cela a déjà été dit mieux que je ne saurais le faire moi-même. Il y a un point sur lequel je veux insister : l’intérêt pour un partenariat resserré de s’appuyer sur le tissu des PME françaises afin de favoriser les transferts de technologies dans le domaine des industries courantes. De même que l’Allemagne a su délocaliser la fabrication de composants vers les pays de la Mitteleuropa sans nuire à la compétitivité globale de son industrie, de même la France pourrait nouer des partenariats dans les pays du Maghreb, et particulièrement en Algérie, pour des fabrications qui contribueraient au développement d’un savoir-faire industriel sur l’autre rive. On connaît mon attachement à la réindustrialisation de la France. Si je déplore l’érosion de notre tissu industriel à travers les délocalisations, notamment en Asie, il me semble que des raisons géopolitiques puissantes militent en faveur d’une exception maghrébine et plus particulièrement algérienne. Le développement de la rive Sud est notre intérêt évident et ce qui est vrai pour la France l’est aussi pour l’Espagne et l’Italie. Le but devrait être de créer un espace de circulation commun pour les capitaux. Les capitaux algériens ainsi pourraient être encouragés à prendre des participations dans des entreprises françaises qui en retour pourraient investir en Algérie et procurer des débouchés intéressants pour les productions algériennes. Pour soutenir l’intervention des PME françaises, des mécanismes de financement et de garantie des investissements sont nécessaires. Des coopérations impliquant les Universités et les entreprises pourraient aussi être favorisées.
La construction d’un avenir commun entre les deux pays pourrait enfin s’appuyer sur les jeunes franco-algériens dont l’esprit d’entreprise pourrait s’épanouir dans la construction d’une économie diversifiée dans leur pays d’origine. Ces jeunes pourraient être un pont entre nos deux pays et servir ainsi l’un et l’autre, tout en développant leurs propres entreprises. La proximité géographique, humaine, culturelle et l’imbrication des populations offrent un terreau favorable à l’effort de diversification de l’économie algérienne et à sa montée en puissance technologique.
Cinquante ans ont passé depuis que le peuple algérien a conquis sa liberté. Il l’a conquise par sa bravoure. Faut-il rappeler que le peuple français, dans sa masse, n’y était pas hostile, puisque par deux fois, consulté par référendum, il y a acquiescé ? Et pourtant la France avait en Algérie des intérêts puissants : un million de Français installés pour beaucoup depuis plusieurs générations ; l’illusion, entretenue par les manuels scolaires, d’une plus grande France. La France, après sept ans de guerre, s’est inclinée, au nom des principes qui étaient les siens, l’autodétermination des peuples, et au nom d’un meilleur avenir entre nos deux peuples Le général de Gaulle a eu raison de trancher le nœud gordien. Ce n’était pas facile. Il fallait, pour le faire un homme de sa stature, muni d’une ample vision historique.
Pour l’Algérie, je conçois qu’il ne soit pas facile non plus de solder cent trente-deux ans de colonisation française. Il nous faut aujourd’hui transmettre aux générations nouvelles ce lien si particulier tissé dans l’affrontement mais si fort, si riche de virtualités. Ce lien doit passer de génération en génération. C’est un enjeu décisif pour le monde que nous devons construire ensemble.
Un ancien ministre des Affaires étrangères qui était mon ami, Michel Jobert, a parlé de devoir d’indifférence. Un autre a émis l’idée que la disparition des anciennes générations qui portaient ce lien passionnel et passionné ouvrirait le chemin d’une relation apaisée. Pour moi, tous les deux se trompaient. Il nous appartient, au contraire, de transmettre ce lien si intense, cette mémoire nourricière de l’avenir, bref cette fascination que l’Algérie et la France éprouvent l’une pour l’autre, car elle est le gage d’un partenariat d’exception, la promesse d’un avenir partagé et enfin heureux.
------
Jean-Pierre Chevènement est président de l'association France-Algérie.
J’ai voulu que ce colloque soit tourné vers l’avenir, non pas parce que le passé ne devrait pas être assumé, avec ses lumières et avec ses ombres. Rien ne peut faire que le passé n’ait pas existé et que pendant cent trente deux ans le système colonial n’ait pas pesé lourdement sur notre relation. Mais comme l’a écrit Jacques Berque : « Nous ne nous sommes pas entrelacés pendant plus d’un siècle sans qu’il en demeure quelque chose ».
Que s’est-il vraiment passé entre nos deux peuples ?
Après Trafalgar et Waterloo qui lui ont fermé définitivement le chemin de l’hégémonie mondiale et continentale, et plus encore après 1871, la France s’est tournée vers la Méditerranée, vers l’Afrique et vers l’Asie parce qu’elle voulait encore rester une puissance dans le concert européen. Comme la Grande-Bretagne, elle a profité de la crise de l’Empire ottoman qu’on disait alors « l’homme malade de l’Europe ». Les raisons de la conquête de l’Algérie qui échappaient encore à Tocqueville en 1840, ne sont pas, selon moi, à chercher ailleurs. La faute de la France est d’avoir vu dans l’Algérie une « plus grande France » et pas – à l’exception de Napoléon III – un pays ayant son Histoire et sa propre identité, qu’il lui incombait de conduire à l’indépendance. Cet aveuglement dont le colonialisme pour les Algériens a été le prix exorbitant n’a pu être surmonté que par la lutte de libération du peuple algérien et l’exceptionnelle lucidité du général de Gaulle, le plus grand homme d’Etat français du XXe siècle, qui a failli par deux fois y laisser la vie.
Cela s’est fait aussi pour les Français, au prix d’une véritable guerre civile franco-française dont le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie doit également être l’occasion de cicatriser les plaies tant il est vrai qu’il valait mieux, selon le mot du Général de Gaulle en 1961 que cette indépendance se fit avec la France que contre elle. Il est encore temps pour les nostalgiques de s’en convaincre. Bien entendu rien n’effacera la faute commise à l’égard des harkis auxquels une loi de mai 1962, de toute évidence inconstitutionnelle, a retiré la nationalité française, en raison de leur statut personnel. C’était là ressusciter la notion d’indigénat et revenir sur la conception de la nationalité française fondée non sur l’origine ou la religion, mais sur l’adhésion. Certes le contexte était difficile. Il n’en reste pas moins que la France a contracté une lourde dette à l’égard des harkis que l’Algérie de son côté devrait traiter avec humanité.
Le passé ne doit pas étouffer l’avenir. Au contraire : il nous commande de tout faire pour la réussite de l’Algérie. J’aimerais que les Français s’en sentent tous comptables car c’est aussi l’intérêt profond de la France. Il m’est déjà arrivé de dire qu’en tout état de cause l’avenir entre l’Algérie et la France durerait plus longtemps que le passé. L’avenir est chargé de défis sur lesquels je reviendrai. Nous les relèverons ensemble beaucoup mieux que si nous laissions notre relation se teinter d’indifférence.
La France a su tourner la page avec l’Allemagne, bien que les compromis entre les gouvernements ne soient pas toujours évidents. Mais nous avons fait confiance à une logique historique plus forte que la volonté des gouvernements parce que nous savons que la France et l’Allemagne sortiront l’une et l’autre de l’Histoire, si elles ne sont pas capables de la continuer ensemble.
Il en va de même, je le crois, entre la France et l’Algérie. Nous devons bâtir un môle solide entre les deux rives de la Méditerranée. En 1962, les Etats avaient compris cela mieux que ne le pouvaient les populations, au sortir de sept ans de guerre dont la fin avait été marquée par l’insurrection de l’OAS. Les gouvernements, celui du général de Gaulle en France et celui d’Ahmed Ben Bella en Algérie, ont choisi la coopération. Aujourd’hui les peuples le comprennent spontanément, malgré le déclenchement de certaines polémiques récurrentes.
Grâce notamment à la présence d’une importante communauté algérienne en France et à l’existence d’un bon nombre de Français d’origine algérienne qui ne saurait que croître dans l’avenir, en vertu du droit du sol, grâce aussi à la langue française « notre butin de guerre », comme disait votre grand écrivain, Kateb Yacine, langue partagée d’ailleurs par le Maghreb et une bonne partie de l’Afrique, des liens humains extrêmement forts se sont tissés de sorte qu’à l’inverse de 1962, ce sont les peuples aujourd’hui qui sont en avance sur les Etats.
Il existe ainsi de part et d’autre de la Méditerranée un véritable continuum franco-algérien qui rend chacun de nos deux pays particulièrement attentif à ce qui se passe chez l’autre. Et à juste titre car les répercussions des évènements qui concernent l’un se font inévitablement sentir chez l’autre. Nous savons bien que l’avenir pour nous tous est chargé de défis qui peuvent s’avérer des menaces redoutables, mais qui peuvent être aussi l’occasion de progrès fulgurants, si nous savons les relever ensemble. Dans la relation entre l’Algérie et la France une page nouvelle doit s’ouvrir.
La France, selon moi, ne doit pas se trouver peu à peu aspirée par la dimension européenne au point de laisser s’étioler sa relation avec la Méditerranée et l’Afrique qui est au cœur de son Histoire depuis les accords passés par François 1er avec la Sublime Porte et l’appel lancé d’Alexandrie en 1798 par Bonaparte à l’Egypte pour qu’elle « reconquière la maîtrise de son destin ».
Le rééquilibrage de notre politique vers le Sud est une nécessité. Il se fera jour à travers des évènements dont chacun sent qu’ils sont devant nous. L’avenir de la France n’est pas de se renfermer dans une « Europe nordique aux barrières hautaines », comme Jacques Berque, peu avant sa mort en 1995, en exprimait déjà la crainte.
Dans le monde arabe des révolutions se réclamant de la démocratie et des droits de l’Homme se déroulent depuis un an. L’aspiration des peuples à la démocratie et à l’autodétermination est universelle. Elle n’est pas une exclusivité occidentale. Partout les demandes sont identiques : plus de liberté, davantage de respect des droits de l’Homme (et de la femme), meilleure répartition des richesses, arrêt de la corruption. Mais cette mondialité de « l’espace communicationnel » cher à Jürgen Habermas, répond mieux, comme l’avait déjà vu Jacques Berque, au modèle américain qui s’accommode fort bien d’un certain fondamentalisme dès lors qu’il s’inscrit dans le mouvement de la globalisation financière et ne conteste pas les orientations de la diplomatie de Washington. Que ces revendications touchent des pays qui nous sont proches, à l’Algérie et à la France, comme la Tunisie et l’Egypte, montre que les peuples vivent. L’Histoire n’est jamais arrêtée.
Ces révolutions suivent un cours qui en surprend plus d’un. Des élections libres ont pu être organisées. Cela montre que ces peuples n’étaient pas prostrés. Ils ont repris confiance en eux. Maintenant le résultat des élections est ce qu’il est : des partis qui se disent islamistes, selon un nuancier de verts que je ne suis pas le mieux placé pour apprécier, ont gagné, seuls ou avec d’autres, une majorité. Ils vont faire l’épreuve des responsabilités gouvernementales. L’important est qu’ils aident leur pays à épouser leur temps et à se développer en fonction de leurs propres aspirations. A défaut de la laïcité républicaine, peuvent-ils admettre un certain degré de sécularisation, bref la distinction entre la sphère religieuse et la sphère politique ? On ne peut entrer de plain pied dans le monde moderne – ce qui était l’inspiration première des révolutions arabes, en tout cas de ceux qui les ont déclenchées - sans un certain degré de sécularisation. Les peuples font leur expérience de la démocratie. Celle-ci ne se réduit pas aux élections. La démocratie a toujours progressé par erreurs corrigées. Cela suppose évidemment que les erreurs puissent être corrigées. C’est ce que la Constitution doit pouvoir garantir. Elle doit exclure du champ démocratique les forces qui veulent imposer autoritairement leur point de vue. En matière d’ouverture démocratique, l’Algérie a, si je puis dire, pris, en 1988, une longueur d’avance. Le contexte était très difficile, le contre-choc pétrolier et la baisse des recettes qui en a résulté pour l’Algérie : la guerre du Golfe, le déclin du nationalisme arabe, l’essor d’Al Quaïda, la victoire des Talibans en Afghanistan constituaient le fond de l’air.
Ce contexte explique largement la décennie tragique qu’a vécue l’Algérie dans les années quatre-vingt-dix.
Pour comprendre ce qui s’est passé, Jacques Berque citait le titre, prémonitoire selon lui, d’un livre de Kateb Yacine : « Les Ancêtres redoublent de férocité ». Il insistait sur la nécessité d’un « Islam de progrès » et sur les vertus d’une éducation de masse. C’est dans son enseignement d’ailleurs que j’ai puisé pour lancer en 1999 la Consultation pour un Islam de France qui a donné naissance en 2003 au Conseil français du Culte musulman. Mais c’est un autre débat.
De cette décennie si difficile pour l’Algérie, il reste cependant des acquis : une forme de pluripartisme, une presse libre dont j’apprécie la liberté de ton et aussi dans le peuple lui-même une sorte de retenue qu’explique le désir de ne pas revivre des affrontements fratricides.
La démocratie est toujours une découverte. Elle implique la responsabilité, bref le citoyen et le civisme. Le citoyen a des droits, il a aussi des devoirs et son premier devoir est d’assumer la souveraineté dont il est une parcelle. Cette leçon, nous la tirons chacun de notre histoire respective : pour nous c’est le grand acquis de la Révolution. Pour vous c’est l’héritage historique de la lutte de libération nationale. La revendication de la souveraineté nationale a rassemblé toutes les composantes de la société algérienne : les masses rurales, l’intelligentsia urbaine, les minorités berbérophones. Au fond, nous avons en commun l’idée républicaine dont la nation est une dimension essentielle, même si elle a une force qui transcende les frontières.
Toute révolution est un processus chargé à la fois de potentialités et de risques. Comme l’a écrit Hölderlin : « Là où est le danger croit aussi ce qui sauve ». La France et l’Algérie ont intérêt à aborder ensemble cette période nouvelle. « La mondialisation financière rencontre dans les identités collectives les affinités territoriales, les aires culturelles … des résistances … dont l’humain peut s’armer ». Je cite à nouveau Jacques Berque dans un de ses derniers articles de 1994. Celui-ci en appelait à la solidarité méditerranéenne comme « possibilité d’une résistance à la fois englobante et dépassante » à la mondialisation néolibérale aujourd’hui en crise.
L’objectif est de faire en sorte que la Méditerranée ne soit pas une zone d’affrontements comme elle l’a souvent été dans le passé, mais un espace de coopération politique fécond, face aux tendances destructurantes de la globalisation. A mes yeux, la relation franco-algérienne est centrale : si nous savons unir nos efforts, nous serons la colonne vertébrale d’un espace de paix, au moins en Méditerranée occidentale. Nous pouvons être un exemple pour les autres.
Qui ne voit qu’en Algérie aussi, et particulièrement dans la zone sahélienne, la coopération de l’Algérie et de la France peut jouer un rôle de stabilisation qui est dans l’intérêt de l’Afrique tout entière et d’abord des peuples concernés ? Il y a dans l’approfondissement de notre relation un enjeu civilisationnel majeur qui dépasse de loin nos intérêts nationaux. La Mer Méditerranée, que vous appelez en arabe « Mutawassit », mer mitoyenne, mer commune, doit permettre l’échange fécond, le dialogue des cultures, le dépassement des incompréhensions.
Evoquer les enjeux politiques et civilisationnels conduit naturellement à souligner l’importance des liens humains et des échanges culturels entre les deux rives. L’édition, le cinéma, les coproductions pour les télévisions françaises et algériennes sont des terrains de coopération à privilégier. Il y a beaucoup à faire pour développer en France la compréhension des enjeux de développement de l’Algérie. Vaincre les stéréotypes et susciter la confiance.
Ainsi, faut-il convaincre les média français de ne pas privilégier systématiquement les évènements les plus négatifs et les prises de position les plus défavorables à l’établissement d’un partenariat de longue durée. Il faut au contraire sensibiliser les média à tout ce qui peut être porteur dans notre relation : lutter contre les préjugés, montrer la grandeur de la tâche qui consiste à ouvrir l’Europe vers son Sud, qui est d’abord le monde arabe et en son sein, l’Algérie, notre voisin le plus proche. La télévision doit servir un dialogue des cultures qui dépasse la relation franco-algérienne, mais dont celle-ci peut être le laboratoire exemplaire.
Je voudrais signaler un domaine essentiel pour le futur : le développement déjà remarquable de la coopération scientifique et universitaire entre organismes de recherche et universités : plus de 600 accords ont été signés entre Universités algériennes et universités françaises. Avec les techniques modernes de communication, nous pouvons créer un espace commun de recherche entre nos deux pays, favoriser les échanges universitaires, en matière d’ingénierie éducative par exemple. L’Algérie compte 1,1 million d’étudiants et ses ambitions ne s’arrêtent pas là : il y a un immense espace pour notre coopération en matière d’enseignement supérieur et de recherche.
La présence en France de deux à trois millions d’Algériens ou de Français d’origine algérienne dont le rôle dans la société française s’affirme toujours plus au fil du temps, dans les secteurs les plus variés, est un facteur de dynamisme incomparable, non seulement pour notre relation, mais pour le développement de l’Algérie elle-même. Comme ancien ministre de l’Intérieur, je voudrais souligner l’importance qu’il y a à distinguer le droit de circuler et le droit du séjour. Il n’y a pas de problème insoluble, si nous les abordons de concert avec la volonté de trouver des solutions. Ma conviction est qu’il faut faciliter la circulation entre nos deux pays, ce qui se fera d’autant mieux que le droit du séjour sera respecté. Là encore, il faut trouver ensemble des règles humaines et justes qui répondent à l’intérêt mutuel. Il y a un lien, qui joue dans les deux sens, entre le développement de l’Algérie et la liberté de circulation entre les deux rives qui est, à terme, l’objectif souhaitable.
L’Algérie peut-elle devenir un des grands pays émergents du XXIe siècle ? Elle a beaucoup d’atouts pour cela.
Bien entendu, le développement implique la sécurité au sens large, celle des personnes mais aussi celle des biens, bref un Etat qui soit un Etat de droit, avec des procédures transparentes pour tous. Cet objectif est premier. La démocratie est elle-même dans une relation dialectique avec le développement.
L’Algérie maîtrise sa croissance démographique : 35 millions d’habitants en 2009, selon les chiffres de la Banque mondiale, 50 millions en 2050 selon ses prévisions. Son taux de fécondité est de 2,34 contre 1,88 pour la France. L’espérance de vie moyenne est de 72 ans. Le taux d’urbanisation de 62 % ne manquera pas de croître encore. M. Rahmani m’a fait visiter l’une des nombreuses villes nouvelles qui sont planifiées par le gouvernement algérien.
Le potentiel de croissance économique de l’Algérie est élevé. Le développement de l’économie algérienne est un moteur pour l’économie française. Qui sait que l’Algérie est, hors OCDE, le troisième partenaire commercial de la France après la Russie et la Chine ?
Le revenu national brut moyen est le plus élevé des pays du Maghreb : 4190 $ par habitant en 2009, 3480 en Tunisie, 2520 au Maroc). Le potentiel énergétique de l’Algérie est considérable. L’ancien Président de la Sonatrach, M. Cherouati, m’indiquait que les richesses du sous-sol algérien (l’Algérie s’étend sur 2,5 millions de Km2) étaient loin d’avoir été toutes reconnues, aussi bien en ce qui concerne les hydrocarbures que les minerais les plus divers. La tendance haussière à long terme du prix des hydrocarbures devrait, en tout état de cause, assurer à l’Algérie une source de revenus importante et régulière. L’Algérie a cependant intérêt à diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique tout comme son appareil de production. L’énergie solaire a sûrement de très intéressantes perspectives compte tenu de l’ensoleillement mais tant que les prix de revient n’auront pas été substantiellement abaissés, il y a sans doute place pour la construction de centrales nucléaires aux normes sismiques renforcées pour l’alimentation en électricité des grandes conurbations d’Alger, Oran et Annaba. Cette diversification de son approvisionnement énergétique permettrait à l’Algérie de faire durer plus longtemps les ressources de son sous-sol.
L’énergie n’est assurément pas le seul volet de notre partenariat économique. En matière d’aménagement du territoire, l’urbanisme, les villes, le logement, l’eau, les transports sont des domaines privilégiés dans lesquelles peut s’épanouir notre coopération. Mais tout cela a déjà été dit mieux que je ne saurais le faire moi-même. Il y a un point sur lequel je veux insister : l’intérêt pour un partenariat resserré de s’appuyer sur le tissu des PME françaises afin de favoriser les transferts de technologies dans le domaine des industries courantes. De même que l’Allemagne a su délocaliser la fabrication de composants vers les pays de la Mitteleuropa sans nuire à la compétitivité globale de son industrie, de même la France pourrait nouer des partenariats dans les pays du Maghreb, et particulièrement en Algérie, pour des fabrications qui contribueraient au développement d’un savoir-faire industriel sur l’autre rive. On connaît mon attachement à la réindustrialisation de la France. Si je déplore l’érosion de notre tissu industriel à travers les délocalisations, notamment en Asie, il me semble que des raisons géopolitiques puissantes militent en faveur d’une exception maghrébine et plus particulièrement algérienne. Le développement de la rive Sud est notre intérêt évident et ce qui est vrai pour la France l’est aussi pour l’Espagne et l’Italie. Le but devrait être de créer un espace de circulation commun pour les capitaux. Les capitaux algériens ainsi pourraient être encouragés à prendre des participations dans des entreprises françaises qui en retour pourraient investir en Algérie et procurer des débouchés intéressants pour les productions algériennes. Pour soutenir l’intervention des PME françaises, des mécanismes de financement et de garantie des investissements sont nécessaires. Des coopérations impliquant les Universités et les entreprises pourraient aussi être favorisées.
La construction d’un avenir commun entre les deux pays pourrait enfin s’appuyer sur les jeunes franco-algériens dont l’esprit d’entreprise pourrait s’épanouir dans la construction d’une économie diversifiée dans leur pays d’origine. Ces jeunes pourraient être un pont entre nos deux pays et servir ainsi l’un et l’autre, tout en développant leurs propres entreprises. La proximité géographique, humaine, culturelle et l’imbrication des populations offrent un terreau favorable à l’effort de diversification de l’économie algérienne et à sa montée en puissance technologique.
Cinquante ans ont passé depuis que le peuple algérien a conquis sa liberté. Il l’a conquise par sa bravoure. Faut-il rappeler que le peuple français, dans sa masse, n’y était pas hostile, puisque par deux fois, consulté par référendum, il y a acquiescé ? Et pourtant la France avait en Algérie des intérêts puissants : un million de Français installés pour beaucoup depuis plusieurs générations ; l’illusion, entretenue par les manuels scolaires, d’une plus grande France. La France, après sept ans de guerre, s’est inclinée, au nom des principes qui étaient les siens, l’autodétermination des peuples, et au nom d’un meilleur avenir entre nos deux peuples Le général de Gaulle a eu raison de trancher le nœud gordien. Ce n’était pas facile. Il fallait, pour le faire un homme de sa stature, muni d’une ample vision historique.
Pour l’Algérie, je conçois qu’il ne soit pas facile non plus de solder cent trente-deux ans de colonisation française. Il nous faut aujourd’hui transmettre aux générations nouvelles ce lien si particulier tissé dans l’affrontement mais si fort, si riche de virtualités. Ce lien doit passer de génération en génération. C’est un enjeu décisif pour le monde que nous devons construire ensemble.
Un ancien ministre des Affaires étrangères qui était mon ami, Michel Jobert, a parlé de devoir d’indifférence. Un autre a émis l’idée que la disparition des anciennes générations qui portaient ce lien passionnel et passionné ouvrirait le chemin d’une relation apaisée. Pour moi, tous les deux se trompaient. Il nous appartient, au contraire, de transmettre ce lien si intense, cette mémoire nourricière de l’avenir, bref cette fascination que l’Algérie et la France éprouvent l’une pour l’autre, car elle est le gage d’un partenariat d’exception, la promesse d’un avenir partagé et enfin heureux.
------
Jean-Pierre Chevènement est président de l'association France-Algérie.