Finie l’ère du tout marché, du principe de la concurrence libre et non faussée, de l’interdiction des aides d’Etat, de la prohibition des déficits et des endettements excessifs ! Depuis l’automne 2008, la « main invisible » censée réaliser l’optimum social pourvu que l’autorité publique ne s’en mêlât point n’inspire plus confiance. Les dieux du Marché sont tombés de leurs autels. Les grands prêtres se sont tu. La foule qui se prosternait à l’énoncé de vérités éternelles qui tombaient de leurs bouches a déserté leurs temples.
L’Etat est revenu avec ses gros sabots pour assurer plans de refinancement et plans de relance face à la dépression. C’est celle-ci qui a conduit, en catastrophe, les politiques, libéraux de doctrine ou fraîchement convertis, à changer de pied devant les foules éberluées.
« A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ». C’est par centaines de milliards de dollars ou d’euros que s’énoncent les plans destinés à sauver les banques de la faillite. Les pays anglo-saxons ne reculent pas devant les nationalisations. D’autres, de tradition moins libérale, comme la France, se bornent paradoxalement à prêter à leurs banques à des taux presque usuraires pour qu’elles continuent de financer l’économie à des taux bien inférieurs. Comprenne qui pourra : La plus grande de nos banques par exemple qui continue de déclarer des bénéfices, s’endette à grands frais auprès de l’Etat et rachète dans le même temps des activités bancaires dans les pays voisins. Dans tout cela flotte comme un air d’improvisation. Les doctrinaires du désendettement public viennent maintenant expliquer qu’il y a « la bonne dette » à côté de la mauvaise, et que l’explosion des déficits n’est en fait qu’une illusion d’optique. Après les plans de refinancement viennent les plans de relance, dont l’effet paraît nul, tant le bruit sourd d’un effondrement continu monte des profondeurs de l’économie : deux millions et demi d’emplois supprimés aux Etats-Unis en quelques mois. Un million de chômeurs supplémentaires en Espagne en moins d’un an. En un trimestre, les ventes et la production d’automobiles plongent presque partout de 40 %.
L’Etat est revenu avec ses gros sabots pour assurer plans de refinancement et plans de relance face à la dépression. C’est celle-ci qui a conduit, en catastrophe, les politiques, libéraux de doctrine ou fraîchement convertis, à changer de pied devant les foules éberluées.
« A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ». C’est par centaines de milliards de dollars ou d’euros que s’énoncent les plans destinés à sauver les banques de la faillite. Les pays anglo-saxons ne reculent pas devant les nationalisations. D’autres, de tradition moins libérale, comme la France, se bornent paradoxalement à prêter à leurs banques à des taux presque usuraires pour qu’elles continuent de financer l’économie à des taux bien inférieurs. Comprenne qui pourra : La plus grande de nos banques par exemple qui continue de déclarer des bénéfices, s’endette à grands frais auprès de l’Etat et rachète dans le même temps des activités bancaires dans les pays voisins. Dans tout cela flotte comme un air d’improvisation. Les doctrinaires du désendettement public viennent maintenant expliquer qu’il y a « la bonne dette » à côté de la mauvaise, et que l’explosion des déficits n’est en fait qu’une illusion d’optique. Après les plans de refinancement viennent les plans de relance, dont l’effet paraît nul, tant le bruit sourd d’un effondrement continu monte des profondeurs de l’économie : deux millions et demi d’emplois supprimés aux Etats-Unis en quelques mois. Un million de chômeurs supplémentaires en Espagne en moins d’un an. En un trimestre, les ventes et la production d’automobiles plongent presque partout de 40 %.
Une chose cependant devrait frapper les esprits : si leurs effets ne sont pas encore visibles, les plans de relance ont été annoncés partout par les autorités nationales, à l’instar des Etats-Unis. En Europe, c’est le Président en exercice de l’Union Européenne, Nicolas Sarkozy, qui a pris l’initiative de lancer son plan à travers une instance qui ne s’était jamais encore réunie, le G4, c’est-à-dire les quatre principales économies européennes, puis le G16, instance tout aussi improvisée puisqu’elle consistait à faire entrer la Grande-Bretagne dans l’Eurogroupe. Il en a résulté deux choses : un montage qui juxtaposait les plans nationaux et qu’approuva in fine l’Union à vingt-sept, et enfin l’initiative d’un G20 imposée à un G.W. Bush finissant. Il est vrai qu’une relance coordonnée répondait à l’intérêt bien compris des Etats-Unis. Dans cette affaire, non seulement Nicolas Sarkozy, mais aussi Gordon Brown et l’Administration américaine elle-même, ont donné l’exemple d’une réactivité inattendue de la part de dirigeants présumés libéraux. C’est en tout cas dans le cadre national que des décisions d’une ampleur jamais vue depuis des décennies ont été prises. L’Union à vingt-sept et le G20 n’ont été que de vastes mises en scène. De bout en bout, les décisions ont été nationales, y compris dans l’Allemagne de Mme Merkel, au départ la plus réticente à agir dans un cadre européen ou même tout simplement multilatéral. Les décisions ont été nationales pour une raison toute simple : la nation reste le seul cadre démocratique où des gouvernants appuyés sur l’opinion publique et sur le Parlement ont la légitimité pour agir avec force à l’échelle requise. La Commission européenne a disparu dans un trou de souris. Le FMI fait des communiqués. Les textes européens ont été « suspendus ». Le retour du politique s’est donc fait dans un cadre national. Seuls jusqu’alors des responsables politiques portés sur la théorie, c’est-à-dire isolés, avaient osé soutenir que les marchés financiers n’étaient pas l’horizon de l’humanité mais que les peuples et les nations restaient les permanences de l’Histoire. Depuis près de trois décennies, la « doxa » libérale avait réussi à diaboliser l’intervention de l’Etat dans l’économie et à ringardiser l’idée même d’une politique industrielle. Mais dans l’immense désarroi qui s’est emparé des esprits après la chute des géants de la finance de Wall Street, on s’est tourné d’emblée et comme instinctivement, vers les pouvoirs qui trouvaient leur source dans le vouloir-vivre des nations. Celles-ci qu’on avait démonisées comme l’origine des pires fléaux, retrouvaient leurs couleurs. Certes il ne s’agit pas d’un retour au nationalisme, perversion de l’idée de nation, mais simplement de la réaffirmation du rôle démocratique des nations qui, au début du XXIe siècle, partagent d’ailleurs les mêmes valeurs et les mêmes principes.
Le retour à la nation a des raisons plus prosaïques : C’est qu’il allait falloir payer. On se tournait vers le citoyen. On se tournait aussi vers le contribuable. Seul l’Etat en effet pouvait offrir une garantie pour les prêteurs. Lui seul paraissait assez armé pour tirer des traites sur l’avenir.
Mais quel avenir ? Arrivés à ce point, les thuriféraires du libéralisme hésitent. Leur voix tremble. Ils veulent se rassurer. Il ne saurait, bien évidemment, à leurs yeux, n’être question que d’ouvrir une « parenthèse interventionniste » comme il y eut pour d’autres, jadis, en 1983, une « parenthèse libérale ». Ils se refusent encore à réglementer, à prendre des participations publiques au capital des entreprises, à fixer des plafonds aux rémunérations. Ils préfèrent s’en remettre aux codes de bonne conduite qu’on laisse aux patrons le soin d’élaborer. La faiblesse de cette position commence à apparaître.
Car on devine que la crise sera longue et profonde. Immenses sont les problèmes qui restent irrésolus : réglementation des hedge funds et des banques en général, prohibition des paradis fiscaux, politique des revenus, parités monétaires, programmes publics et politiques industrielles capables de soutenir une relance enfin efficace, etc.
Le retour du politique prendra du temps, lui aussi. Il s’avance à tâtons et ne sait encore la forme qu’il prendra. Une chose est sûre : il faudra inventer ou réinventer l’Etat, développer les capacités d’anticipation, de prévision et de programmation, articuler le renouveau du civisme à de nouvelles formes de patriotisme, trouver des formes de coordinations encore inédites à l’échelle internationale, penser une Europe à géométrie variable, des institutions économiques et monétaires mondiales, associant aux vieux pays riches les puissances émergentes, sans oublier – espérons-le – les pays qui n’émergent pas.
Surtout il faudra donner forme humaine au retour du politique : recréer l’espoir en pensant le monde avec trente ans d’avance. Déjà on devine que d’immenses investissements sont nécessaires pour préparer l’après-pétrole, limiter l’émission de gaz à effet de serre, nourrir l’humanité, économiser les biens rares : eau, air, sols, et que l’idée de service public garde toute sa force pour faire de la santé, de l’éducation, de la culture et de la recherche les vraies priorités du développement humain. Ces priorités, pourtant incontestables, ne s’imposeront pas d’elles-mêmes. Pour dépasser les concurrences et les tensions inévitables et préparer un monde réellement meilleur, on ne fera pas l’impasse des luttes et de la conscience, bref de ce qu’on appelle « la politique ».
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Voir le sommaire de la revue de l'ENA, dont le dossier est "Le monde face à la crise".
Le retour à la nation a des raisons plus prosaïques : C’est qu’il allait falloir payer. On se tournait vers le citoyen. On se tournait aussi vers le contribuable. Seul l’Etat en effet pouvait offrir une garantie pour les prêteurs. Lui seul paraissait assez armé pour tirer des traites sur l’avenir.
Mais quel avenir ? Arrivés à ce point, les thuriféraires du libéralisme hésitent. Leur voix tremble. Ils veulent se rassurer. Il ne saurait, bien évidemment, à leurs yeux, n’être question que d’ouvrir une « parenthèse interventionniste » comme il y eut pour d’autres, jadis, en 1983, une « parenthèse libérale ». Ils se refusent encore à réglementer, à prendre des participations publiques au capital des entreprises, à fixer des plafonds aux rémunérations. Ils préfèrent s’en remettre aux codes de bonne conduite qu’on laisse aux patrons le soin d’élaborer. La faiblesse de cette position commence à apparaître.
Car on devine que la crise sera longue et profonde. Immenses sont les problèmes qui restent irrésolus : réglementation des hedge funds et des banques en général, prohibition des paradis fiscaux, politique des revenus, parités monétaires, programmes publics et politiques industrielles capables de soutenir une relance enfin efficace, etc.
Le retour du politique prendra du temps, lui aussi. Il s’avance à tâtons et ne sait encore la forme qu’il prendra. Une chose est sûre : il faudra inventer ou réinventer l’Etat, développer les capacités d’anticipation, de prévision et de programmation, articuler le renouveau du civisme à de nouvelles formes de patriotisme, trouver des formes de coordinations encore inédites à l’échelle internationale, penser une Europe à géométrie variable, des institutions économiques et monétaires mondiales, associant aux vieux pays riches les puissances émergentes, sans oublier – espérons-le – les pays qui n’émergent pas.
Surtout il faudra donner forme humaine au retour du politique : recréer l’espoir en pensant le monde avec trente ans d’avance. Déjà on devine que d’immenses investissements sont nécessaires pour préparer l’après-pétrole, limiter l’émission de gaz à effet de serre, nourrir l’humanité, économiser les biens rares : eau, air, sols, et que l’idée de service public garde toute sa force pour faire de la santé, de l’éducation, de la culture et de la recherche les vraies priorités du développement humain. Ces priorités, pourtant incontestables, ne s’imposeront pas d’elles-mêmes. Pour dépasser les concurrences et les tensions inévitables et préparer un monde réellement meilleur, on ne fera pas l’impasse des luttes et de la conscience, bref de ce qu’on appelle « la politique ».
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Voir le sommaire de la revue de l'ENA, dont le dossier est "Le monde face à la crise".