Grands textes

Extraits du livre « Une certaine idée de la République m’amène à … » paru aux Editions Albin Michel, en 1992


Janvier 1990 : Rencontre Jean-Pierre Chevènement – Saddam Hussein
Jean-Pierre Chevènement était alors ministre de la Défense. Il était envoyé à Bagdad par le Président de la République pour conditionner à l’apurement de la dette irakienne envers la France la poursuite de la coopération franco-irakienne.


« L’Irak fut le dernier pays dans lequel je me rendis à la fin janvier 1990 sur mandat du président de la République et du Premier ministre. Le contentieux financier (25 milliards de francs d’impayés) dominait et obscurcissait nos relations. Saddam Hussein, qui me reçut deux heures, répondit en politique aux observations que je lui fis. Ses vrais soucis étaient ailleurs : l’évolution du prix du pétrole, la normalisation, trop rapide à son gré, des relations de l’Occident avec l’Iran, dont l’esprit de revanche, me dit-il, ne s’éteindrait jamais, et enfin l’affaissement de l’Union soviétique et les risques d’isolement qui ne manqueraient pas d’en résulter pour l’Irak, si celui-ci ne trouvait pas en Europe et au Japon de nouveaux partenaires. Il fut davantage question du rééquilibrage de notre coopération en vue de reconstruire l’économie irakienne que de coopération militaire : aussi bien, les ressources étaient-elles limitées au montant des remboursements.

Les Irakiens semblaient désireux d’échapper à ce carcan et allèrent jusqu’à évoquer l’achat par la France de pétrole irakien « en terre », ce qui, pour un pays qui avait nationalisé l’IPC moins de vingt ans auparavant, témoignait d’un grand pragmatisme ! Pendant tout l’entretien, Saddam Hussein manifesta une attention constante et un sens aigu de l’argumentation, insistant sur le besoin qu’avait l’Irak de se refaire, souhaitant voir y contribuer la France, à laquelle, me dit-il, il avait toujours réservé, en raison de sa politique indépendante, un traitement privilégié. De même nous conseillait-il de resserrer nos liens avec l’Arabie Séoudite sans doute trop exclusivement tournée, à ses yeux, vers les Etats-Unis.

Le ton était courtois et même à certains moments d’une cordialité appuyée : « Seule la France nous a compris dans notre confrontation avec l’Iran parce qu’elle a eu l’expérience du fanatisme et des guerres de religion, alors que l’Amérique sans histoire et sans mémoire, a joué double jeu. Nos pays se comprennent car ils sont adossés à des millénaires d’histoire … »

Ce n’est qu’à la fin que le ton se durcit : après m’avoir entraîné à part avec l’interprète, Saddam se plaignit que son envoyé spécial à Paris le mois précédent, Saadoun Hammadi, n’ait pas été reçu au niveau où il aurait dû l’être. Quand les Russes avaient refusé d’ouvrir un centre culturel irakien à Moscou, me dit-il, il avait fait fermer le leur à Bagdad. Quelle prévenance, au contraire, ne montrait-il pas à l’égard de l’envoyé du président et du gouvernement français : il avait décalé son voyage au Caire où il devait rencontrer Moubarak d’une demi-journée pour me recevoir ! Les deux dernières minutes en disaient plus long que les deux heures qui les avaient précédées. »

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Rédigé par Chevenement.fr le Samedi 6 Janvier 2007 à 11:06 | Lu 7481 fois


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