Verbatim
- Julian Bugier : Un invité exceptionnel dans le Club des Idées d’Europe Soir : l’une des grandes figures d’une certaine gauche, candidat à la présidentielle en 2002, plusieurs fois ministre dont l’Intérieur en 97, 50 ans d’engagement politique et d’engagement intellectuel qu’il raconte aujourd’hui dans ses Mémoires. Près de 500 pages où pour la première fois il se livre et dit sa vérité. Bonsoir Jean-Pierre Chevènement.
Jean-Pierre Chevènement : Bonsoir !
Julian Bugier : Merci de nous accompagner jusqu’à 20 heures dans le Club des Idées. Ces Mémoires elles s’intitulent Qui veut risquer sa vie la sauvera, c’est aux éditions Robert Laffont. J’ai lu d’ailleurs que c’était une parole de Saint Matthieu. Pour le défenseur de la laïcité que vous êtes c’est une forme de clin d’œil ?
Jean-Pierre Chevènement : Qui veut sauver sa vie la perdra, qui veut risquer sa vie la sauvera. C’est une maxime de vie, on n’a pas besoin d’être croyant. Mais prendre des risques, s’engager, c’est fondamental pour donner sens à sa vie. Et il faut que chacun puisse donner un sens à sa vie. C’est ce qui nous permet de vivre et de rebondir.
- Julian Bugier : Je vous pose la question parce qu’on va beaucoup parler de ce qu’il y a dans le livre, de votre parcours, de votre engagement militant, de votre carrière politique d’une certaine manière, de votre enfance aussi parce que moi j’ai appris beaucoup de choses en lisant ce livre, ces Mémoires. Mais je voudrais aussi votre regard sur l’actualité évidemment et comme on parle de laïcité, est-ce-que vous diriez aujourd’hui qu’elle est en danger en France, cette laïcité ?
Jean-Pierre Chevènement : Elle a toujours été un combat, et un combat très difficile. C’était le combat contre l’idée que le politique et le religieux se confondaient, c’était le combat contre le droit divin de l’Ancien Régime qui se prolongeait tout au long du 19ème siècle dans un courant de pensée éminemment réactionnaire. Donc se battre pour la laïcité c’était se battre pour la liberté de penser, c’était se battre contre l’ignorance – c’était la définition de Jean Macé : « la laïcité c’est le combat contre l’ignorance » –, c’était le combat pour les Lumières. Et je pense que ce combat est toujours actuel. Alors peut-être que les partisans du droit divin ne sont plus les mêmes, ce sont les islamistes. Mais le combat pour la République laïque est toujours…
Julian Bugier : Mais vous diriez qu’il y a un péril islamiste en France aujourd’hui ?
Jean-Pierre Chevènement : Ecoutez je crois qu’il est difficile de le contester, c’est évident. Non seulement à travers les attentats que nous avons subis, mais à travers les modes de vie que certains veulent nous imposer.
- Julian Bugier : Votre enfance, vous la passez dans un village du Haut-Doubs, vos parents sont instituteurs, avec en toile de fond la guerre et la France occupée. D’ailleurs vous commencez vos Mémoires par ces mots, c’est la première phrase, page 5 : « On ne naît pas impunément en 1939. Ma passion de la France a commencé cette année-là, avec la guerre mettant à nu ses faiblesses. » C’est une jolie phrase et on sent le poids qu’ont eu le conflit et puis la déportation de votre papa qui était militaire et qui est quasiment pendant l’ensemble de la guerre prisonnier dans un camp.
Jean-Pierre Chevènement : Jusqu’à 1945. Donc j’ai été élevé par ma mère qui, plutôt que de me confier à des gentilles petites bonnes, m’a emmené avec elle à l’école. Donc j’ai appris très tôt à lire et à écrire, en écoutant simplement ce que ma mère pouvait dire en s’adressant tantôt aux petits, tantôt aux grands. Donc voilà, c’est mon parcours de fils d’instituteurs laïcs.
Julian Bugier : On sent qu’elle tient une place particulière dans votre cœur et dans votre construction, votre mère. Vous en parlez beaucoup dans ce premier chapitre.
Jean-Pierre Chevènement : Je suis redevable à ma mère de solides principes et d’un surmoi qui, je le dis, a peut-être un peu écrasé mon moi.
Julian Bugier : C’est-à-dire ?
Jean-Pierre Chevènement : C’est-à-dire que je ne me laisse pas aller à courir après mes intérêts personnels, je me poste toujours la question de ce que je dois faire dans telle circonstance, en fonction d’une analyse du monde, et si vous lisez mon livre avec attention de bout en bout, comme je crois que vous l’avez fait…
Julian Bugier : C’est le cas.
Jean-Pierre Chevènement : Vous voyez que c’est toujours au nom d’une certaine vision, d’une philosophie que j’agis, comme ministre de l’Education, comme ministre de la Défense pendant la guerre du Golfe, ou bien quand j’entreprends de reconstruire la gauche à partir du Congrès d’Epinay, du Programme socialiste et du Programme commun que François Mitterrand me charge d’élaborer ou de négocier. Donc il y a toujours une grille de lecture, une pensée qui explique l’action…
Julian Bugier : Et une cohérence, si je puis me permettre Jean-Pierre Chevènement.
Jean-Pierre Chevènement : Et une cohérence, parce qu’il y a entre chaque chapitre un fil qui court. On peut contester cette cohérence, je ne dis pas que j’ai raison. Mais en tout cas la cohérence est là, à travers un récit dont je vous assure qu’il est sincère, je n’ai pas cherché à tirer la couverture à moi. Je n’ai pas fait un livre de propagande, c’est un livre de souvenirs.
- Julian Bugier : Non non mais si je puis me permettre, en tant qu’observateur, c’est ce qu’on ressent quand on lit votre ouvrage. On va parler dans quelques instants de votre construction politique, de votre esprit rebelle qui apparaît en filigrane à travers le livre, que ce soit enfant mais aussi plus tard quand vous avez été ministre, démissionnaire trois fois quand même. (…) Vous en parlez avec un certain nombre d’anecdotes, assez croustillantes d’ailleurs, et plus tard cet esprit rebelle va faire que vous démissionnez trois fois d’un poste de ministre, ce qui est assez inédit je crois dans l’histoire de la 5ème République : 83, en raison du tournant de la rigueur ; 91, en refusant l’intervention militaire française en Irak, vous êtes ministre de la Défense ; et en 2000, vous êtes ministre de l’Intérieur, et vous quittez le gouvernement en raison de divergences sur le dossier corse. Et vous êtes par conséquent le détenteur de cette fameuse phrase prononcée en 83, le jour où vous quittez le gouvernement : « Un ministre ça ferme sa gueule, si ça veut l’ouvrir ça démissionne. » Je crois que c’est une phrase que vous avez prononcé en Conseil des ministres…
Jean-Pierre Chevènement : Non c’est une phrase que j’ai prononcée dans une conférence de presse où après une affaire un peu vive entre François Mitterrand et moi sur les entreprises nationales, pour écarter tout espèce de débat, j’ai coupé court en disant : « Ecoutez, je ne réponds pas à votre question parce qu’un ministre ça ferme sa gueule, et si ça veut l’ouvrir ça démissionne. »
- Julian Bugier : En tout cas c’est resté une phrase célèbre et vous en aviez parlé il y a bien longtemps avec un journaliste qui s’appelait, et que chacun connait, Jean-Claude Bourret, c’était sur la 5. (extraits d’un reportage). Comment percevez-vous aujourd’hui Jean-Pierre Chevènement le fait d’incarner un figure de l’ordre républicain, une figure de l’autorité ?
Jean-Pierre Chevènement : Je pense que, parce qu’il y a quand même une certaine continuité entre mon comportement, ma philosophie que j’ai pu mettre en œuvre comme ministre de l’Education nationale par exemple en rétablissant l’éducation civique ou en revoyant les programmes scolaires. Disons que j’ai donné un certain angle à notre politique. Et comme ministre de l’Intérieur j’ai conçu la politique de sécurité comme étant le prolongement de ce que j’avais fait comme ministre de l’Education, c’est-à-dire que je pense qu’il y a un rapport entre la sécurité et la citoyenneté, la citoyenneté ça s’apprend. Mais, malgré tout, comme on ne peut pas toujours tout apprendre en matière de citoyenneté, il faut aussi exercer une juste répression.
Julian Bugier : Mais quel est votre regard aujourd’hui Jean-Pierre Chevènement sur les choses ? Comment expliquez-vous cette défiance vis-à-vis de l’autorité, cette perte de repères ? Le fait que des pompiers soient caillassés, que des policiers soient attaqués ?
Jean-Pierre Chevènement : L’explication c’est ce que Jérôme Fourquet appelle l’archipélisation de la société française, c’est-à-dire son éclatement en îles qui s’éloignent de plus en plus les unes des autres. Je pense que ce sont ces fractures qu’a creusées le néo-libéralisme mais aussi un esprit libéral-libertaire qui refusait le principe d’autorité. Je vous rappelle qu’en mai 68 un des slogans les plus courants c’était « Il est interdit d’interdire », ou bien alors c’était le refus des limites (…).
Julian Bugier : Vous n’avez pas aimé Mai-68 Jean-Pierre Chevènement ?
Jean-Pierre Chevènement : Je ne l’ai pas rejeté mais je ne l’ai pas vraiment aimé. Je suis d’une génération un peu antérieure, celle de la guerre d’Algérie.
Julian Bugier : On le sent bien dans votre livre, vous dites « les gauchistes », « je passais devant les barricades et je voyais les gauchistes ». C’est un mot que vous répétez souvent et on sent que vous êtes complètement détaché par rapport à ce qui se passe. Vous êtes un homme de gauche, qui a la fibre sociale, mais vous ne comprenez pas ou vous ne voulez pas comprendre le mouvement de Mai-68.
Jean-Pierre Chevènement : Parce que c’étaient des étudiants qui n’étaient pas vraiment des fils d’ouvriers, c’étaient quand même des fils de bourgeois. Donc je les regardais avec un certain amusement. Mais en même temps ce n’était pas ce que j’avais conçu pour l’avenir de la France. Je pensais que si la gauche devait venir au pouvoir c’était par la voie des urnes, en reconstituant un grand Parti socialiste, et c’est à travers le Congrès d’Epinay et le Programme socialiste que François Mitterrand m’a confié, le Programme commun et la suite, que nous y sommes parvenus, longtemps après : 1981. Donc j’ai milité quand même 16 ans avant !
- Julian Bugier : Oui vous racontez d’ailleurs très bien cette marche vers le pouvoir, la manière dont vous l’accompagnez et dont vous aidez François Mitterrand, et puis la sensibilité politique qui est la vôtre que vous faites émerger dans le Programme commun. Encore un mot monsieur l’ancien ministre de l’Intérieur sur l’insécurité aujourd’hui que connait la France. On assiste à une bataille sémantique pour nommer les choses : « l’ensauvagement » de la société. C’est un mot qui vous gêne ? Mais d’abord j’aimerais qu’on écoute d’abord ce que vous aviez qualifié à l’époque non pas « d’ensauvagement » mais de « sauvageon », c’était en 99 à propos de mineurs multirécidivistes. (extraits d’un reportage). « Sauvageon » aujourd’hui ça ne parait rien, mais à l’époque ça avait suscité un tollé de la part de vos amis à gauche notamment…
Jean-Pierre Chevènement : Quelques-uns…
Julian Bugier : Qui disaient : « Monsieur Chevènement vous êtes en train de stigmatiser les jeunes de banlieues. »
Jean-Pierre Chevènement : Mais non ce n’était pas du tout ça. Le sauvageon c’est un arbre non greffé, c’est un vieux mot français. J’incriminais le défaut d’éducation, c’était une pousse qui n’avait pas de tuteur et qui au lieu de s’élever à la verticale restait à l’horizontale. C’était le jeune planté devant sa télévision par ses parents qui à la fin confondait le virtuel et le réel et qui pouvait commettre un crime gratuit. Donc « sauvageon » c’était une manière de pointer le défaut d’éducation. « Ensauvagement » c’est un peu différent. Mais je ne veux pas chercher querelle à Gérald Darmanin, c’est un débat sémantique, il faut laisser à chacun une certaine créativité verbale et ne pas oublier que derrière tout cela il y a quand même des actes barbares qui se sont multipliés. J’évoque, c’était en 2016 si je me souviens bien, deux policiers qui avaient failli brûler vif dans leur voiture, à Viry-Châtillon. C’était monstrueux. Je vois ce contrôleur de bus qui est assassiné parce qu’il demande à des jeunes de porter leur masque, c’est inadmissible.
Julian Bugier : Vous êtes d’accord pour dire que, d’une certaine manière, il y a un « ensauvagement » de la société ?
Jean-Pierre Chevènement : Alors c’est un mot que je n’ai pas employé mais qui ne me choque pas outre-mesure à vrai dire. Je pense qu’il y a une augmentation de certaines violences commises contre les personnes, de violences sexuelles, et puis il y a plus d’homicides aujourd’hui qu’hier. Mais en même temps je pense que le niveau global de la délinquance n’a pas tellement augmenté. Quand on prend la comptabilisation de crimes et des délits, on voit qu’il y a une certaine stabilité depuis le début des années 80. Mais par contre certains actes sont plus nombreux et la violence est peut-être plus intense. Et il y a par exemple dans l’attitude à l’égard de la police une violence inadmissible, parce que le policier c’est le gardien de la paix, il faut le respecter. La peur du gendarme, ça n’existe plus.
- Julian Bugier : Après la pause, je vous demanderai s’il y a encore selon vous un esprit de gauche, et on parlera de la République, votre définition de la République. (…) Y a-t-il encore un esprit de gauche aujourd’hui ? Je vous pose la question parce que c’est vrai que d’abord le personnel aujourd’hui à gauche semble moins capable de mener le Parti socialiste à une possible victoire. On a vu les dernières élections. Et puis il y a aussi des symboles : vous savez, la revue Le Débat, fondée par Pierre Nora et Marcel Gauchet, qui a cessé il y a quatre jours sa parution après quarante ans à agiter le débat au sein de la gauche. Y a-t-il encore aujourd’hui Jean-Pierre Chevènement un esprit de gauche ?
Jean-Pierre Chevènement : La disparition du Débat, symbole consternant du fait qu’on ne débat plus ou qu’on n’argumente plus. Or la gauche vient de la Révolution française, elle porte l’esprit des Lumières, et elle s’applique au 19ème siècle à changer les conditions sociales, c’est ce qu’on appelle le socialisme qui est fait de courants multiples : la première unification en 1905, Jaurès, le Congrès de Tours et la suite. Donc il y avait une gauche fracturée que nous avons voulu réunir pour en faire jaillir une énergie qui a été au rendez-vous. Et je pense que le CERES, le petit think tank que j’ai créé avait cette originalité.
Julian Bugier : Petit mais avec une forte influence…
Jean-Pierre Chevènement : Et avec des têtes, avec des gens tout à fait remarquables : Motchane, Guidoni, Sarre et beaucoup d’autres.
- Julian Bugier : Mais qui est votre héritier aujourd’hui d’une certaine manière, l’héritier de votre courant ?
Jean-Pierre Chevènement : J’en ai beaucoup, des gens pour lesquels j’ai de la sympathie ou de l’affection. J’ai de la sympathie pour Emmanuel Macron, de l’affection pour Arnaud Montebourg. Disons que je ne vais pas faire une énumération parce que de toute façon ça n’a rien à voir avec la politique. Ce que beaucoup de gens ne comprennent pas c’est que la gauche est morte d’une certaine manière…
Julian Bugier : La gauche est morte…
Jean-Pierre Chevènement : Provisoirement, d’avoir épousé le néo-libéralisme, quand elle a par exemple proclamé au nom de l’Acte unique, négocié par Jacques Delors, la libération des capitaux sans harmoniser la fiscalité de l’épargne.
Julian Bugier : C’est 83, le tournant de la rigueur ?
Jean-Pierre Chevènement : Alors il faut tirer le fil, parce qu’après 83, Jacques Delors, en 84, devient président de la Commission européenne, et avec l’accord de Kohl et de Madame Thatcher, de Lord Cockfield qui est chargé de rédiger le livre blanc, il réalise cette déréglementation à l’échelle de l’Europe que Thatcher et Reagan avaient proclamée dans les pays anglo-saxons. Donc c’est de cela que peu à peu la gauche est morte, ou en tout cas elle est tombée à 6% aux dernières élections générales, ce n’est quand même pas terrible. Et si on veut repartir c’est sur l’axe républicain.
- Julian Bugier : Et qui peut porter ce nouveau départ, cette nouvelle impulsion de la gauche socialiste ?
Jean-Pierre Chevènement : Moi je le porterais bien mais mon âge me l’interdit ! (rires) Mais l’idée républicaine dans toute sa force, sa cohérence, reste aujourd’hui ce qui permet de redresser le pays. Et il faut toujours penser à l’intérêt général du pays. C’est cela la res publica, la République, l’intérêt général servi par des citoyens qui ont appris à penser par eux-mêmes grâce à l’école, grâce à l’école laïque. Tout cela, c’est un corps de principes que nous devons faire vivre à nouveau.
- Julian Bugier : Et Mélenchon dans tout cela Jean-Pierre Chevènement ? Jospin, à ce micro il y a quelques jours, louait son talent, ses intuitions politiques et son sens du verbe. La France Insoumise, disait-il, est un mouvement qui compte, et que l’ancien Premier ministre regarde « avec sympathie » et « sans effroi ». Est-ce-que c’est votre cas aussi ?
Jean-Pierre Chevènement : Tout cela m’a beaucoup amusé, parce qu’effectivement ils ont voté ensemble le traité de Maastricht. Alors depuis, Mélenchon a quand même fait un peu de chemin, je le crois, j’aimerais le croire…
Julian Bugier : En sens inverse !
Jean-Pierre Chevènement : Et je l’invite à être plus républicain, et à donner moins de place à la démagogie qui est toujours une facilité, alors que la citoyenneté exige de l’abnégation et que la République est d’abord une école d’ascétisme et de dévouement.
- Julian Bugier : Le Président Macron est un bon président ? Parce que vous venez de dire que la gauche s’est dévoyée quand elle est partie dans le libéralisme, on accuse souvent le Président Macron sur le plan économique d’être plutôt libéral…
Jean-Pierre Chevènement : Emmanuel Macron a été élu au moment où, justement, le néo-libéralisme était arrivé à extinction. Donc il a été pris un peu à contre-pied par rapport à son programme initial. Vous vous rappelez qu’il attendait de l’Allemagne qu’elle procède à une relance à travers un budget de la zone euro, ça ne s’est pas fait. Mais le Covid est arrivé et aujourd’hui tout le monde est bien obligé de faire une relance. Il y a une Banque centrale
- Julian Bugier : Monsieur Chevènement, pour terminer, est-ce-que vous voulez bien vous prêter à un jeu de questions-réponses spontanées ? Questions courtes, réponses courtes. Ce que vous détestez par-dessus-tout ?
Jean-Pierre Chevènement : L’hypocrisie.
Julian Bugier : Est-ce-que vous êtes plutôt François Hollande ou Ségolène Royal ?
Jean-Pierre Chevènement : Je préfère Ségolène.
Julian Bugier : Est-ce-que l’écologie pour vous c’est une nécessité ou on en fait trop ?
Jean-Pierre Chevènement : Je pense qu’on fait beaucoup de bêtises. Par exemple la taxation carbone des avions : l’aéronautique est déjà en grande difficulté, ce n’est pas une bonne idée. Ou bien les terres rares : nous avons des terres rares en France mais nous ne les exploitons pas pour des raisons qui tiennent à une conception dévoyée de l’écologie. Moi je suis pour la préservation des biens communs de l’humanité, mais je ne suis pas pour le dogmatisme, je ne suis pas pour une écologie tracassière, punitive. Je pense que ça c’est une erreur.
Julian Bugier : Est-ce-que vous pensez que le Rassemblement national peut un jour diriger la France ?
Jean-Pierre Chevènement : Je ne le crois pas.
Julian Bugier : Pourquoi ?
Jean-Pierre Chevènement : Parce qu’il y a un plafond de verre, même si Marine Le Pen l’a relevé substantiellement : de 18%, score de Jean-Marie Le Pen qui avait suscité tant de cris d’orfraie le 21 avril 2002, on est passé à 33%, silence complet, et je pense qu’aux prochaines élections elle peut faire mieux encore. Mais je ne pense pas qu’elle ira à la majorité parce que ce serait mauvais pour la France et que les Français intuitivement le comprennent.
Julian Bugier : Est-ce-que vous avez des regrets dans votre carrière politique ? 2002 par exemple quand vous vous présentez ?
Jean-Pierre Chevènement : Dans mon livre vous le voyez très bien : Lionel Jospin n’avait qu’à me garder dans son gouvernement, plutôt que de me donner tort sur un sujet où j’avais évidemment raison, et où il s’était exprimé dans l’autre sens dans son discours d’investiture. Disons que j’ai défendu mes idées. C’est le propre d’un homme politique que de se battre pour ses idées.
Julian Bugier : Ma dernière question sera, comme le disait Jacques Chancel : et Dieu dans tout cela ?
Jean-Pierre Chevènement : J’ai eu une enfance à la fois laïque et en même temps chrétienne. Et je suis reconnaissant aussi à cette tradition de m’avoir appris, à travers un effort d’introspection, à discerner les péchés que j’avais commis… Alors, pour répondre à votre question précédente, je n’arrivais pas à en trouver (rires). Il est vrai que j’étais très jeune, je devais avoir 11 ans, c’était à la confession, et l’aumônier du Lycée Victor Hugo me demandait quel péché j’avais pu commettre et je ne trouvais pas. Donc voilà : je plaide non coupable !
Julian Bugier : C’est une bonne réponse, merci beaucoup Jean-Pierre Chevènement d’avoir été notre invité exceptionnel du Club des Idées.
Source : Europe Soir - Europe 1