Libération : Cette défaite, c'est la faute de la candidate, de la stratégie, du projet ?
Jean-Pierre Chevènement : Très clairement, ce n'est pas de la faute de la candidate, qui a donné le meilleur d'elle-même. C'est le résultat de l'état relatif de la gauche et de la droite. Nicolas Sarkozy a su, depuis des années, détourner un certain nombre de valeurs républicaines : le travail c'est un comble ! l'effort, le mérite, la nation même, valeurs que la gauche n'aurait jamais dû laisser choir. Notre candidate a cherché à les récupérer. Elle a insisté sur l'indissociabilité des droits et des devoirs, le «gagnant-gagnant», le refus de l'assistanat. Mais elle ne pouvait, à elle seule, pallier en peu de mois l'insuffisance d'une réflexion et d'une action collectives.
Une panne qui remonte au désastre du 21 avril 2002 ?
Bien avant. Depuis la fin des années 80, le PS n'a pris aucune distance avec son tournant social-libéral. Il ne l'a ni critiqué, ni assumé. Il n'a pas fait sa conversion républicaine, il a fait, sans le dire, sa conversion libérale. Les socialistes auraient pu prendre le temps de trier le bon grain de l'ivraie. Mais, sous François Mitterrand, c'était le règne des «Commandements de Dieu». Puis vint l'époque d'un «droit d'inventaire» qui, de fait, n'a jamais été exercé. Enfin, depuis le 21 avril 2002, la gauche s'est tétanisée. Il n'y a pas eu de critique réfléchie des années 1997- 2002. Cette période est devenue taboue. Ségolène Royal a été amenée à faire des avancées qui étaient plutôt des échappés belles mais solitaires, sur des questions comme la République, la nation, dont on ne parlait plus beaucoup à gauche depuis longtemps, la sécurité ou l'Education.
Jean-Pierre Chevènement : Très clairement, ce n'est pas de la faute de la candidate, qui a donné le meilleur d'elle-même. C'est le résultat de l'état relatif de la gauche et de la droite. Nicolas Sarkozy a su, depuis des années, détourner un certain nombre de valeurs républicaines : le travail c'est un comble ! l'effort, le mérite, la nation même, valeurs que la gauche n'aurait jamais dû laisser choir. Notre candidate a cherché à les récupérer. Elle a insisté sur l'indissociabilité des droits et des devoirs, le «gagnant-gagnant», le refus de l'assistanat. Mais elle ne pouvait, à elle seule, pallier en peu de mois l'insuffisance d'une réflexion et d'une action collectives.
Une panne qui remonte au désastre du 21 avril 2002 ?
Bien avant. Depuis la fin des années 80, le PS n'a pris aucune distance avec son tournant social-libéral. Il ne l'a ni critiqué, ni assumé. Il n'a pas fait sa conversion républicaine, il a fait, sans le dire, sa conversion libérale. Les socialistes auraient pu prendre le temps de trier le bon grain de l'ivraie. Mais, sous François Mitterrand, c'était le règne des «Commandements de Dieu». Puis vint l'époque d'un «droit d'inventaire» qui, de fait, n'a jamais été exercé. Enfin, depuis le 21 avril 2002, la gauche s'est tétanisée. Il n'y a pas eu de critique réfléchie des années 1997- 2002. Cette période est devenue taboue. Ségolène Royal a été amenée à faire des avancées qui étaient plutôt des échappés belles mais solitaires, sur des questions comme la République, la nation, dont on ne parlait plus beaucoup à gauche depuis longtemps, la sécurité ou l'Education.
Avec «l'ordre juste», ou l'autorité, certains reprochent à Royal de s'être placée sur le terrain de l'adversaire...
C'est une erreur fondamentale. Historiquement, ce sont des valeurs républicaines. Mai 68 a été un moment de l'Histoire mais il serait absurde de lui opposer Jules Ferry. Moi-même, j'ai souhaité que l'école de la République relève les défis de la modernité dès que je suis devenu ministre de l'Education en 1984. L'habileté de Sarkozy a été d'enfermer la gauche dans cette caricature de laxisme et d'esprit soixante-huitard. La gauche n'avait pourtant aucune raison de se laisser ainsi «encager». Sarkozy a exploité abusivement les incidents de la gare du Nord en rejetant Ségolène Royal du côté des délinquants. Sarkozy a amalgamé dans une sorte d'enclos les immigrés, les «assistés» et les délinquants, en dressant contre eux la masse des «honnêtes gens», comme on disait au XIXe siècle. C'est la technique classique du bonapartisme : «Que les méchants tremblent et que les bons se rassurent !»
Alors, sur quelles bases refonder la gauche ?
Il faut que la gauche récupère la République, dont les valeurs sont aussi le travail, la liberté, la laïcité, le refus des communautarismes, le patriotisme, etc. Elle doit se réapproprier le regard républicain, qui s'oppose au regard ethnique et voit dans l'autre ses qualités avant de voir s'il a le cheveu crépu ou la tignasse blonde. Il est nécessaire de trouver ces «points justes» qui permettront à la gauche de reconquérir une hégémonie culturelle.
Redoutez-vous que les dirigeants du PS veuillent «rénover» la gauche en s'inspirant de Tony Blair ?
Sur beaucoup de choses, Tony Blair n'a pas eu tout faux, par exemple sur les services publics. Et je l'ai moi aussi souvent cité : «Dur avec le crime, dur avec les causes du crime.» Mais on ne peut pas importer en France le modèle britannique. Depuis deux siècles, le modèle français, c'est le modèle républicain. La gauche doit se doter d'un projet ouvert à ceux qui se disent sociaux-démocrates, communistes, radicaux, démocrates, chrétiens progressistes et, bien sûr, aux républicains de tradition socialiste, qui sont beaucoup plus nombreux que les adhérents du MRC.
Vous souhaitez un nouvel Epinay ?
A terme, oui. Le cycle inauguré en 1971 s'est achevé. Il n'y a plus de bipolarité du monde. L'influence du PCF est résiduelle. Cela ne veut pas dire qu'il faille plier devant la globalisation, la dictature de l'actionnariat, le capitalisme financier sans frontières. Il faut comprendre le monde pour le transformer. La gauche française manquerait à sa vocation si elle n'était que gestionnaire. Il faut trouver le centre de gravité d'un grand parti de gauche, rassembleur, qui renoue avec un débat d'idées qui nous a beaucoup manqué depuis une vingtaine d'années.
Ce parti pourrait-il se tourner vers le centre ?
Il ne doit exclure aucune stratégie d'alliances, mais les alliances ne viennent qu'après. Avant de pratiquer l'ouverture, il faut savoir où l'on habite, sinon l'on n'est qu'un camp volant. Je suis contre une gauche sans domicile fixe. Bâtir un nouveau parti réformiste ? Pourquoi pas. Mais avec une grille de lecture du monde et la volonté de le changer.
Quel rôle doit jouer Royal ?
Elle a un rôle évident. On ne rassemble pas impunément 17 millions d'électeurs. Mais je crois à la force de l'élaboration collective.
Vous souhaitez des états généraux de la gauche ?
Pourquoi pas ? Mais il faut que ce genre de rendez-vous soit bien préparé. Quelle perspective pour la France dans la mondialisation ? Telle est la question à laquelle la gauche doit répondre. Il y a dans la société française un bouillonnement qu'il faut savoir capter. Nous avons su le faire, sur un projet, lors du congrès d'Epinay. Il faut le refaire. Pour ma part, j'y consacrerai mes efforts.
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L'entretien sur le site de Libération
C'est une erreur fondamentale. Historiquement, ce sont des valeurs républicaines. Mai 68 a été un moment de l'Histoire mais il serait absurde de lui opposer Jules Ferry. Moi-même, j'ai souhaité que l'école de la République relève les défis de la modernité dès que je suis devenu ministre de l'Education en 1984. L'habileté de Sarkozy a été d'enfermer la gauche dans cette caricature de laxisme et d'esprit soixante-huitard. La gauche n'avait pourtant aucune raison de se laisser ainsi «encager». Sarkozy a exploité abusivement les incidents de la gare du Nord en rejetant Ségolène Royal du côté des délinquants. Sarkozy a amalgamé dans une sorte d'enclos les immigrés, les «assistés» et les délinquants, en dressant contre eux la masse des «honnêtes gens», comme on disait au XIXe siècle. C'est la technique classique du bonapartisme : «Que les méchants tremblent et que les bons se rassurent !»
Alors, sur quelles bases refonder la gauche ?
Il faut que la gauche récupère la République, dont les valeurs sont aussi le travail, la liberté, la laïcité, le refus des communautarismes, le patriotisme, etc. Elle doit se réapproprier le regard républicain, qui s'oppose au regard ethnique et voit dans l'autre ses qualités avant de voir s'il a le cheveu crépu ou la tignasse blonde. Il est nécessaire de trouver ces «points justes» qui permettront à la gauche de reconquérir une hégémonie culturelle.
Redoutez-vous que les dirigeants du PS veuillent «rénover» la gauche en s'inspirant de Tony Blair ?
Sur beaucoup de choses, Tony Blair n'a pas eu tout faux, par exemple sur les services publics. Et je l'ai moi aussi souvent cité : «Dur avec le crime, dur avec les causes du crime.» Mais on ne peut pas importer en France le modèle britannique. Depuis deux siècles, le modèle français, c'est le modèle républicain. La gauche doit se doter d'un projet ouvert à ceux qui se disent sociaux-démocrates, communistes, radicaux, démocrates, chrétiens progressistes et, bien sûr, aux républicains de tradition socialiste, qui sont beaucoup plus nombreux que les adhérents du MRC.
Vous souhaitez un nouvel Epinay ?
A terme, oui. Le cycle inauguré en 1971 s'est achevé. Il n'y a plus de bipolarité du monde. L'influence du PCF est résiduelle. Cela ne veut pas dire qu'il faille plier devant la globalisation, la dictature de l'actionnariat, le capitalisme financier sans frontières. Il faut comprendre le monde pour le transformer. La gauche française manquerait à sa vocation si elle n'était que gestionnaire. Il faut trouver le centre de gravité d'un grand parti de gauche, rassembleur, qui renoue avec un débat d'idées qui nous a beaucoup manqué depuis une vingtaine d'années.
Ce parti pourrait-il se tourner vers le centre ?
Il ne doit exclure aucune stratégie d'alliances, mais les alliances ne viennent qu'après. Avant de pratiquer l'ouverture, il faut savoir où l'on habite, sinon l'on n'est qu'un camp volant. Je suis contre une gauche sans domicile fixe. Bâtir un nouveau parti réformiste ? Pourquoi pas. Mais avec une grille de lecture du monde et la volonté de le changer.
Quel rôle doit jouer Royal ?
Elle a un rôle évident. On ne rassemble pas impunément 17 millions d'électeurs. Mais je crois à la force de l'élaboration collective.
Vous souhaitez des états généraux de la gauche ?
Pourquoi pas ? Mais il faut que ce genre de rendez-vous soit bien préparé. Quelle perspective pour la France dans la mondialisation ? Telle est la question à laquelle la gauche doit répondre. Il y a dans la société française un bouillonnement qu'il faut savoir capter. Nous avons su le faire, sur un projet, lors du congrès d'Epinay. Il faut le refaire. Pour ma part, j'y consacrerai mes efforts.
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L'entretien sur le site de Libération