Jean-Pierre Chevènement : « Une éthique de la responsabilité », L'Hebdo des socialistes, mercredi 13 décembre.
Quelles sont les raisons de votre ralliement à la candidature de Ségolène Royal ?
Jean-Pierre Chevènement : Je récuse le terme de ralliement. Parlons plutôt d’un accord politique au terme duquel j’ai accepté de retirer ma candidature et de soutenir Ségolène Royal pour créer une dynamique dès le premier tour. Le MRC et le PS ont en commun une histoire, mais aussi un contentieux, portant notamment sur l’Europe.
Quelles sont les raisons de votre ralliement à la candidature de Ségolène Royal ?
Jean-Pierre Chevènement : Je récuse le terme de ralliement. Parlons plutôt d’un accord politique au terme duquel j’ai accepté de retirer ma candidature et de soutenir Ségolène Royal pour créer une dynamique dès le premier tour. Le MRC et le PS ont en commun une histoire, mais aussi un contentieux, portant notamment sur l’Europe.
À bien des égards, celui-ci a été tranché par le peuple français, le 29 mai 2005, qui s’est prononcé contre le projet de Constitution européenne. Cette contradiction est motrice à partir du moment où, dans le texte de l’accord politique, il n’est plus question de ratification du texte rejeté, et où la réorientation économique de l’Europe est posée en termes clairs, via l’instauration d’un gouvernement économique de la zone euro et la réforme des statuts de la Banque centrale européenne (BCE). Nous considérons que les conditions sont réunies pour une campagne commune. Nous avons pris soin, avec Ségolène Royal, puis François Hollande, d’améliorer le texte, à partir d’une mouture élaborée entre nos deux partis dès le mois de juin. Après une suspension de plusieurs mois, les négociations ont repris la semaine dernière pour aboutir à cet accord.
Compte tenu de la configuration actuelle et de la faiblesse probable de nos alliés au second tour, il m’a semblé souhaitable de créer une forte dynamique de premier tour. C’était clairement le vœu de Ségolène Royal qui s’est déclarée convaincue de la nécessité d’agir avant les fêtes, au lieu d’attendre le mois de mars et l’enregistrement des parrainages devant le Conseil constitutionnel ou le soir du premier tour. J’ai donc choisi de privilégier cette dynamique dès lors que notre accord portait aussi sur des points essentiels à nos yeux, tels que la politique industrielle et énergétique, la République et ses valeurs, la sécurité, la laïcité, l’égalité devant la loi, y compris en Corse, l’accès de tous à la citoyenneté… La discussion a été serrée sur le problème des institutions. Nous souhaitons, en effet, que la responsabilité soit clairement située dans l’État. Le texte élaboré est convenable.
Enfin, la dernière partie du texte touche à la politique extérieure et à la défense. Elle nous satisfait pleinement dans la mesure où nous refusons ensemble une justice internationale à deux vitesses et où nous nous déclarons favorables à une réorientation de notre politique extérieure en direction du Sud et notamment de l’Afrique, autour du principe de co-développement.
En résumé, ce texte est une bonne synthèse, en dépit des différences de sensibilité qui nous séparent parfois sur la question de la Nation. Nous pensons, en effet, au même titre que Jaurès, qu’un peu d’internationalisme éloigne de la patrie et que beaucoup y ramène. Et que l’Europe doit se construire à partir des peuples pour retrouver le sol ferme de la démocratie qui vit dans les nations et renouer le lien entre nos concitoyens et les centres de décision qui aujourd’hui leur échappent. Ce débat n’est sans doute pas clos.
Ségolène Royal saura, j’en suis sûr, provoquer le rassemblement unitaire de la gauche. Ceux qui se disent anti-libéraux éprouvent les plus grandes difficultés à trouver un accord. Notre entente leur offre une perspective positive dans la mesure où ils peuvent voir en moi, bien que républicain, un représentant incontestable et conséquent de l’antilibéralisme.
Quels sont les termes de cet accord ?
Il comprend trois volets essentiels. La relance économique et la lutte contre le chômage à travers la réorientation de l’Europe, d’abord. La République relevée, ensuite, et la voix retrouvée de la France en Europe et dans le monde. Un volet électoral, enfin. Certains, hypocritement, font mine de croire que cet accord est justifié par des considérations électorales. C’est absurde. Les idées sont toujours défendues par des hommes et des femmes. Le plus important, dans l’immédiat, c’est la dynamique présidentielle. Les législatives viendront ensuite.
J’observe, par ailleurs, que ceux qui évoquaient, il y a quelques années, un « virage à droite » à mon sujet sont les mêmes qui aujourd’hui critiquent en termes analogues Ségolène Royal, au motif qu’elle défend des positions de bon sens, en refusant, notamment, d’opposer prévention et répression. Les deux doivent aller de pair. La sanction est un rappel pédagogique à la règle. Ségolène a du charisme et du caractère. Elle l’a démontré. Le devoir de ceux qui jouissent d’une certaine expérience – et la mienne est longue – est de se mobiliser pour la soutenir dans cette bataille.
Votre nom est indissociable de l’histoire du Parti socialiste jusqu’à votre rupture. Cette campagne est-elle synonyme, pour vous, de retrouvailles ou d’un mariage de raison ?
Chaque fois que le Parti socialiste et sa composante républicaine ont trouvé un accord, la suite des événements a été favorable à la gauche. Ainsi entre le Congrès d’Épinay, en 1971, l’élaboration du programme du PS, dont François Mitterrand m’a chargé, et les législatives de 1983. Notre mise à l’écart, en 1975, a débouché sur l’échec de 1978. Nous nous sommes retrouvés à Metz, deux ans avant l’alternance de 1981, avant de nous éloigner à nouveau à partir de 1983. Après le traité de Maastricht, j’ai considéré qu’il était plus honnête de militer en dehors du Parti, en créant le Mouvement des citoyens (MDC). Ce qui ne nous a pas empêchés de nous retrouver en 1995, au profit d’une dynamique positive qui a joué entre 1997 et 1999. Nous avons ensuite été marginalisés, pas seulement sur la Corse, mais aussi sur la Constitution européenne, la lutte contre la délinquance ou bien encore la libéralisation des services publics et la politique industrielle. Dès lors que la gauche plurielle s’est montrée incapable de se retrouver sur un projet cohérent, l’échec, en 2002, a suivi. Si nos familles politiques s’étaient trouvées unies, ce que je souhaitais, nous aurions sans doute évité la déconvenue du 21 avril.
L’alliance du PS et du courant républicain, qui fait partie de notre héritage commun, s’est toujours révélée positive, voire structurante, en suscitant une véritable éthique de la responsabilité. Je suis heureux qu’elle soit à nouveau possible aujourd’hui, même si l’histoire ne s’arrête pas au soir du 10 décembre 2006, date de la ratification de notre accord politique. À charge, pour nous, de démontrer qu’il s’agit là, comme l’a dit Ségolène Royal, « d’une alliance de long terme, de mouvement à mouvement, de personne à personne, qui produira ses fruits dans la durée ». Je ne doute pas que ce soit possible. J’étais, le 12 décembre, dans le Pas-de-Calais, à Douvrin, avec Odette Duriez, il y avait un enthousiasme communicatif. On sentait qu’un élan avait été créé. Je continuerai, bien entendu, à être sur le terrain. Ségolène Royal m’a proposé de désigner des représentants au comité de campagne et au comité politique, ainsi que de son intention de me convier à des rencontres utiles, par exemple avec le président de l’Eurogroupe.
J’ai toujours cherché à orienter le Parti socialiste dans la bonne direction. J’ai appelé, dans un passé récent, à des états généraux de la gauche. J’espère que sur la base de la dynamique de notre campagne, ce désir pourra devenir un jour réalité. L’alliance de nos deux partis passe par un respect mutuel. Soyons clairs : je n’accepte pas d’être le bouc émissaire du 21 avril. C’est trop facile. Les causes de notre échec sont plus profondes que la dispersion des voix de la gauche au premier tour. Elles étaient avant tout politiques. Nous devons avoir la lucidité de le reconnaître. Nous pourrons alors tourner la page de manière positive et en écrire une autre, dynamique, tournée vers l’avenir et la reconquête.
Vous évoquez les délocalisations. Ne vont-elles pas jouer un rôle déterminant dans cette campagne ?
C’est même le principal problème. Dans la mondialisation actuelle, nous nous retrouvons coincés entre, d’une part, les États-Unis, avec le privilège du dollar qui permet aux Américains de drainer 80 % de l’épargne mondiale et, d’autre part, la montée des pays émergents à très bas salaires qui n’ont pas de système de sécurité sociale et ne reconnaissent pas la liberté syndicale. Si leur développement est légitime, il doit tenir davantage compte des besoins de leur population. Raison pour laquelle nous devons concevoir le progrès social à l’échelle de la planète, sans pour autant nous laisser enfermer dans un étau entre la Chine et les États-Unis. L’Europe doit s’organiser et se défendre. Une clause défensive anti-dumping social, qui figure dans notre accord sur le modèle d’une clause américaine analogue parfaitement reconnue par l’OMC, serait utile, au même titre qu’une politique de change offensive. Le problème monétaire est fondamental, même s’il est difficile à faire comprendre. Au nom d’une concurrence faussée, l’Europe s’est privée de toute espèce de protection. Il est temps de remettre les pendules à l’heure, en y mettant de la volonté politique et de fortes convictions. Ce qui suppose de susciter le débat non seulement en France mais dans toute l’Europe sur la nécessaire réorientation de la construction européenne.
Cet accord marque-t-il la réconciliation de la gauche du oui et du non ?
Sur le papier, oui. Nous sommes même convenus qu’un éventuel traité institutionnel pourrait comporter des dispositions qui ne posent pas de problème de fond, par exemple la désignation d’un président du Conseil européen pour une durée de deux ans et demi, renouvelable, ou pour lesquelles un accord entre partis pourrait intervenir. Ainsi, les Allemands souhaitent la prise en compte de données démographiques dans les votes au Conseil. Ce que nous pourrions accepter s’ils décidaient, en contrepartie, de revenir sur les statuts de la BCE qu’ils nous ont imposés en 1991. Ce système est néfaste. C’est aux dirigeants politiques, démocratiquement élus, comme l’a rappelé Ségolène Royal à Porto, et non à Jean-Claude Trichet, de définir la politique de change. Nous demandons l’alignement de la BCE sur le statut du Federal Reserve Board américain et une « policy mix » au service de la croissance et de l’emploi pour faire reculer chômage et précarité.
Des accords comparables ont été conclus dans le passé entre le PS et le MDC – réforme des statuts de la BCE, en 1999 –, sans qu’aucune initiative ait jamais été prise pour les faire appliquer. C’est pourquoi nous restons vigilants. Pour autant, nous entendons contribuer positivement à une dynamique de victoire qui permettra enfin le passage à l’acte.
Vous avez été ministre de l’Intérieur, au même titre que Nicolas Sarkozy. Quelles différences fondamentales opposent la gauche et la droite sur le terrain de l’insécurité ?
Sarkozy est dangereux pour la sécurité des Français. Les agressions contre les personnes et les policiers n’ont jamais été aussi nombreuses. En 2003, il a vidé de ses effectifs et de sa substance la police de proximité que j’avais créée en 2000. Police citoyenne territorialisée avec des commissariats de secteurs et agissant en partenariat avec tous les acteurs de la sécurité. Certains commissariats de secteurs ont été fermés sur le terrain. Je le constate ainsi à Belfort. Cette police connaissait la population et était connue d’elle.
M. Sarkozy a privilégié une police d’intervention qui intervient toujours après que des incidents ont pris une tournure grave. Il a utilisé les forces d’ordre public (CRS-gendarmerie mobile) pour faire des contrôles d’identité systématiques à la périphérie des cités, créant ainsi un climat de tensions inutiles. Il a fait un très mauvais usage des moyens qui lui ont été concédés. Les élections syndicales, marquées par le succès de l’UNSA chez les gardiens de la paix et les gradés et chez les officiers, constituent d’ailleurs une claque pour M. Sarkozy. Un ministre de l’Intérieur doit peser ses mots. Le souci de l’éducation et celui de la sécurité doivent aller de pair. Il ne faut pas opposer la prévention à la répression, qui est nécessaire. Il faut aussi savoir sanctionner les manquements à la règle. L’autorité républicaine, c’est ce que Ségolène Royal appelle l’ordre juste.
Propos recueillis par Thierry Beauvan, Pierre Kanuty et Bruno Tranchant
Source : L'Hebdo des socialistes
Compte tenu de la configuration actuelle et de la faiblesse probable de nos alliés au second tour, il m’a semblé souhaitable de créer une forte dynamique de premier tour. C’était clairement le vœu de Ségolène Royal qui s’est déclarée convaincue de la nécessité d’agir avant les fêtes, au lieu d’attendre le mois de mars et l’enregistrement des parrainages devant le Conseil constitutionnel ou le soir du premier tour. J’ai donc choisi de privilégier cette dynamique dès lors que notre accord portait aussi sur des points essentiels à nos yeux, tels que la politique industrielle et énergétique, la République et ses valeurs, la sécurité, la laïcité, l’égalité devant la loi, y compris en Corse, l’accès de tous à la citoyenneté… La discussion a été serrée sur le problème des institutions. Nous souhaitons, en effet, que la responsabilité soit clairement située dans l’État. Le texte élaboré est convenable.
Enfin, la dernière partie du texte touche à la politique extérieure et à la défense. Elle nous satisfait pleinement dans la mesure où nous refusons ensemble une justice internationale à deux vitesses et où nous nous déclarons favorables à une réorientation de notre politique extérieure en direction du Sud et notamment de l’Afrique, autour du principe de co-développement.
En résumé, ce texte est une bonne synthèse, en dépit des différences de sensibilité qui nous séparent parfois sur la question de la Nation. Nous pensons, en effet, au même titre que Jaurès, qu’un peu d’internationalisme éloigne de la patrie et que beaucoup y ramène. Et que l’Europe doit se construire à partir des peuples pour retrouver le sol ferme de la démocratie qui vit dans les nations et renouer le lien entre nos concitoyens et les centres de décision qui aujourd’hui leur échappent. Ce débat n’est sans doute pas clos.
Ségolène Royal saura, j’en suis sûr, provoquer le rassemblement unitaire de la gauche. Ceux qui se disent anti-libéraux éprouvent les plus grandes difficultés à trouver un accord. Notre entente leur offre une perspective positive dans la mesure où ils peuvent voir en moi, bien que républicain, un représentant incontestable et conséquent de l’antilibéralisme.
Quels sont les termes de cet accord ?
Il comprend trois volets essentiels. La relance économique et la lutte contre le chômage à travers la réorientation de l’Europe, d’abord. La République relevée, ensuite, et la voix retrouvée de la France en Europe et dans le monde. Un volet électoral, enfin. Certains, hypocritement, font mine de croire que cet accord est justifié par des considérations électorales. C’est absurde. Les idées sont toujours défendues par des hommes et des femmes. Le plus important, dans l’immédiat, c’est la dynamique présidentielle. Les législatives viendront ensuite.
J’observe, par ailleurs, que ceux qui évoquaient, il y a quelques années, un « virage à droite » à mon sujet sont les mêmes qui aujourd’hui critiquent en termes analogues Ségolène Royal, au motif qu’elle défend des positions de bon sens, en refusant, notamment, d’opposer prévention et répression. Les deux doivent aller de pair. La sanction est un rappel pédagogique à la règle. Ségolène a du charisme et du caractère. Elle l’a démontré. Le devoir de ceux qui jouissent d’une certaine expérience – et la mienne est longue – est de se mobiliser pour la soutenir dans cette bataille.
Votre nom est indissociable de l’histoire du Parti socialiste jusqu’à votre rupture. Cette campagne est-elle synonyme, pour vous, de retrouvailles ou d’un mariage de raison ?
Chaque fois que le Parti socialiste et sa composante républicaine ont trouvé un accord, la suite des événements a été favorable à la gauche. Ainsi entre le Congrès d’Épinay, en 1971, l’élaboration du programme du PS, dont François Mitterrand m’a chargé, et les législatives de 1983. Notre mise à l’écart, en 1975, a débouché sur l’échec de 1978. Nous nous sommes retrouvés à Metz, deux ans avant l’alternance de 1981, avant de nous éloigner à nouveau à partir de 1983. Après le traité de Maastricht, j’ai considéré qu’il était plus honnête de militer en dehors du Parti, en créant le Mouvement des citoyens (MDC). Ce qui ne nous a pas empêchés de nous retrouver en 1995, au profit d’une dynamique positive qui a joué entre 1997 et 1999. Nous avons ensuite été marginalisés, pas seulement sur la Corse, mais aussi sur la Constitution européenne, la lutte contre la délinquance ou bien encore la libéralisation des services publics et la politique industrielle. Dès lors que la gauche plurielle s’est montrée incapable de se retrouver sur un projet cohérent, l’échec, en 2002, a suivi. Si nos familles politiques s’étaient trouvées unies, ce que je souhaitais, nous aurions sans doute évité la déconvenue du 21 avril.
L’alliance du PS et du courant républicain, qui fait partie de notre héritage commun, s’est toujours révélée positive, voire structurante, en suscitant une véritable éthique de la responsabilité. Je suis heureux qu’elle soit à nouveau possible aujourd’hui, même si l’histoire ne s’arrête pas au soir du 10 décembre 2006, date de la ratification de notre accord politique. À charge, pour nous, de démontrer qu’il s’agit là, comme l’a dit Ségolène Royal, « d’une alliance de long terme, de mouvement à mouvement, de personne à personne, qui produira ses fruits dans la durée ». Je ne doute pas que ce soit possible. J’étais, le 12 décembre, dans le Pas-de-Calais, à Douvrin, avec Odette Duriez, il y avait un enthousiasme communicatif. On sentait qu’un élan avait été créé. Je continuerai, bien entendu, à être sur le terrain. Ségolène Royal m’a proposé de désigner des représentants au comité de campagne et au comité politique, ainsi que de son intention de me convier à des rencontres utiles, par exemple avec le président de l’Eurogroupe.
J’ai toujours cherché à orienter le Parti socialiste dans la bonne direction. J’ai appelé, dans un passé récent, à des états généraux de la gauche. J’espère que sur la base de la dynamique de notre campagne, ce désir pourra devenir un jour réalité. L’alliance de nos deux partis passe par un respect mutuel. Soyons clairs : je n’accepte pas d’être le bouc émissaire du 21 avril. C’est trop facile. Les causes de notre échec sont plus profondes que la dispersion des voix de la gauche au premier tour. Elles étaient avant tout politiques. Nous devons avoir la lucidité de le reconnaître. Nous pourrons alors tourner la page de manière positive et en écrire une autre, dynamique, tournée vers l’avenir et la reconquête.
Vous évoquez les délocalisations. Ne vont-elles pas jouer un rôle déterminant dans cette campagne ?
C’est même le principal problème. Dans la mondialisation actuelle, nous nous retrouvons coincés entre, d’une part, les États-Unis, avec le privilège du dollar qui permet aux Américains de drainer 80 % de l’épargne mondiale et, d’autre part, la montée des pays émergents à très bas salaires qui n’ont pas de système de sécurité sociale et ne reconnaissent pas la liberté syndicale. Si leur développement est légitime, il doit tenir davantage compte des besoins de leur population. Raison pour laquelle nous devons concevoir le progrès social à l’échelle de la planète, sans pour autant nous laisser enfermer dans un étau entre la Chine et les États-Unis. L’Europe doit s’organiser et se défendre. Une clause défensive anti-dumping social, qui figure dans notre accord sur le modèle d’une clause américaine analogue parfaitement reconnue par l’OMC, serait utile, au même titre qu’une politique de change offensive. Le problème monétaire est fondamental, même s’il est difficile à faire comprendre. Au nom d’une concurrence faussée, l’Europe s’est privée de toute espèce de protection. Il est temps de remettre les pendules à l’heure, en y mettant de la volonté politique et de fortes convictions. Ce qui suppose de susciter le débat non seulement en France mais dans toute l’Europe sur la nécessaire réorientation de la construction européenne.
Cet accord marque-t-il la réconciliation de la gauche du oui et du non ?
Sur le papier, oui. Nous sommes même convenus qu’un éventuel traité institutionnel pourrait comporter des dispositions qui ne posent pas de problème de fond, par exemple la désignation d’un président du Conseil européen pour une durée de deux ans et demi, renouvelable, ou pour lesquelles un accord entre partis pourrait intervenir. Ainsi, les Allemands souhaitent la prise en compte de données démographiques dans les votes au Conseil. Ce que nous pourrions accepter s’ils décidaient, en contrepartie, de revenir sur les statuts de la BCE qu’ils nous ont imposés en 1991. Ce système est néfaste. C’est aux dirigeants politiques, démocratiquement élus, comme l’a rappelé Ségolène Royal à Porto, et non à Jean-Claude Trichet, de définir la politique de change. Nous demandons l’alignement de la BCE sur le statut du Federal Reserve Board américain et une « policy mix » au service de la croissance et de l’emploi pour faire reculer chômage et précarité.
Des accords comparables ont été conclus dans le passé entre le PS et le MDC – réforme des statuts de la BCE, en 1999 –, sans qu’aucune initiative ait jamais été prise pour les faire appliquer. C’est pourquoi nous restons vigilants. Pour autant, nous entendons contribuer positivement à une dynamique de victoire qui permettra enfin le passage à l’acte.
Vous avez été ministre de l’Intérieur, au même titre que Nicolas Sarkozy. Quelles différences fondamentales opposent la gauche et la droite sur le terrain de l’insécurité ?
Sarkozy est dangereux pour la sécurité des Français. Les agressions contre les personnes et les policiers n’ont jamais été aussi nombreuses. En 2003, il a vidé de ses effectifs et de sa substance la police de proximité que j’avais créée en 2000. Police citoyenne territorialisée avec des commissariats de secteurs et agissant en partenariat avec tous les acteurs de la sécurité. Certains commissariats de secteurs ont été fermés sur le terrain. Je le constate ainsi à Belfort. Cette police connaissait la population et était connue d’elle.
M. Sarkozy a privilégié une police d’intervention qui intervient toujours après que des incidents ont pris une tournure grave. Il a utilisé les forces d’ordre public (CRS-gendarmerie mobile) pour faire des contrôles d’identité systématiques à la périphérie des cités, créant ainsi un climat de tensions inutiles. Il a fait un très mauvais usage des moyens qui lui ont été concédés. Les élections syndicales, marquées par le succès de l’UNSA chez les gardiens de la paix et les gradés et chez les officiers, constituent d’ailleurs une claque pour M. Sarkozy. Un ministre de l’Intérieur doit peser ses mots. Le souci de l’éducation et celui de la sécurité doivent aller de pair. Il ne faut pas opposer la prévention à la répression, qui est nécessaire. Il faut aussi savoir sanctionner les manquements à la règle. L’autorité républicaine, c’est ce que Ségolène Royal appelle l’ordre juste.
Propos recueillis par Thierry Beauvan, Pierre Kanuty et Bruno Tranchant
Source : L'Hebdo des socialistes