- Die Weltwoche : Vous êtes entré dans l’histoire en tant que ministre de la Défense qui a démissionné pour protester contre la guerre. C’était en 1991, lorsque le président Français F. Mitterrand a envoyé son armée aux côtés des Américains dans la guerre du Golfe contre Saddam Hussein.
Jean-Pierre Chevènement : Geste historique, non, car je n’ai pas empêché l’essor ultérieur du fanatisme, mais geste original à coup sûr ! Les ministres de la Défense qui démissionnent pour protester contre une guerre qu’ils désapprouvent n’y survivent presque jamais. La guerre que j’avais essayé d’empêcher avait éclaté. J’avais annoncé au président Mitterrand que je démissionnerais en cas d’implication française, car je ne voulais pas cautionner une guerre évitable et qui portait en elle d’immenses catastrophes. F. Mitterrand ne s’attendait pas à ce que je le fasse vraiment, alors que l’opinion publique était devenue favorable à la guerre.
- Die Weltwoche : Pourquoi étiez-vous contre ?
Jean-Pierre Chevènement : Cette guerre n’était pas nécessaire. Une solution aurait pu être trouvée dans le cadre de la Ligue arabe. Le roi de Jordanie l’avait suggéré. J’étais conscient des conséquences d’une guerre moderne avec 500 000 soldats et des bombes contrôlées par laser : qu’elle détruirait l’Irak, l’État, l’administration, les institutions. La guerre a immédiatement produit une montée en puissance d’Al-Qaïda avec El Zarkaoui et la bataille de Falloujah. La confrontation des chiites et des sunnites a provoqué la montée de l’État islamique et sa proclamation à Mossoul. Un politicien responsable doit comprendre ce qu’il fait. Et être en règle avec sa conscience.
- Die Weltwoche : Vous avez joué un grand rôle dans la victoire de F. Mitterrand en 1981 et avez été l’un des ministres emblématiques de son gouvernement. Des années plus tard (1990), vous avez appris que Bush et Thatcher étaient déterminés à la guerre d’Irak dès le premier jour, et F. Mitterrand en a informé son ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, alors que son ministre de la Défense travaillait encore sur une solution diplomatique. Comment a-t-il réagi à votre démission ?
Jean-Pierre Chevènement : «Les politiciens arabes crient fort», m’a-t-il dit. « Attendons, le temps passe. Demain ils nous mangeront à nouveau dans la main ». Je lui ai dit que cette vision était une incompréhension totale de la mentalité de « la rue arabe ». Que les Arabes n’oublieraient pas avant longtemps la destruction de l’Irak. La relation entre F. Mitterrand et moi était très bonne depuis 1971, mais bien sûr il y avait des tensions. Après ma démission, nous avons continué à nous voir.
- Die Weltwoche : Dans votre récit, l’invasion de l’Irak semble être la mère de toutes les guerres depuis lors. Compte tenu de la condescendance envers les Arabes, on pense inévitablement à la façon de traiter avec les Russes après la fin de l’Union soviétique. François Hollande président de la République, vous a envoyé négocier avec Vladimir Poutine. Vous l’avez rencontré à Sotchi le 5 mai 2014. Quelle était votre mission ?
Jean-Pierre Chevènement : F. Hollande m’a nommé Représentant spécial pour les relations avec la Fédération de Russie après son élection à la présidence de la France. J’ai transmis à Poutine une lettre de F. Hollande. F. Hollande a invité Poutine à l’Élysée et aux célébrations du soixante-dixième anniversaire du débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944. Ils n’avaient pas participé au débarquement. Mais il était juste d’inviter les Russes. Ils avaient joué un rôle décisif dans l’issue de la Seconde Guerre mondiale. L’invitation était un signe de respect. Poutine lisait la lettre en ma présence et me posait parfois des questions sur le sens d’une phrase.
- Die Weltwoche : C’était au tout début de la crise ukrainienne.
Jean-Pierre Chevènement : Après les manifestations de Maïdan, un accord pour régler le conflit avait été élaboré. Les négociations se sont déroulées sous la supervision des ministres des Affaires étrangères de la Pologne, de l’Allemagne et de la France. L’accord prévoyait la réélection à la fin de 2014 d’un Président de l’Ukraine qui a était alors le Président Ianoukovitch. Lorsque le parlement ukrainien a refusé le lendemain de donner son accord, les ministres des Affaires étrangères étaient déjà partis. Ianoukovitch s’enfuit à Donetsk cette nuit-là. Poutine m’a dit à Sotchi qu’une tentative d’assassinat avait été perpétré contre Ianoukovitch, dans laquelle son garde du corps a été blessé.
- Die Weltwoche : Qu’a dit Poutine à propos de Ianoukovitch ?
Jean-Pierre Chevènement : Ianoukovitch louvoyait entre la Russie et l’UE. À cette époque, il y avait un accord de libre-échange entre la Russie et l’Ukraine. Suivant le même principe, l’UE a proposé un accord d’association à l’Ukraine. Ianoukovitch a comparé les deux accords et a choisi la Russie. Le facteur décisif a été l’approvisionnement en gaz et le gazoduc rapportait des frais de transit considérables dans les coffres du pays. Cette décision a déclenché les manifestations dites « pro européens » de Maïdan. Poutine m’a dit qu’il s’était rendu à Bruxelles pour rencontrer le président de la Commission, José Manuel Barroso, et d’autres dirigeants. Il a été référé aux experts. Quand il a pu parler à Barroso, celui-ci s’est comporté avec beaucoup d’arrogance. C’est la version de Poutine. Notre conversation a duré près de trois heures. Elle a donné lieu à une interprétation.
- Die Weltwoche : Vous l’avez publiée dans votre livre Passion de la France.
Jean-Pierre Chevènement : J’ai omis les déclarations de Poutine sur les dirigeants ukrainiens. Il avait peu de respect pour eux. Surtout, il les considérait comme facilement corruptibles. À propos de Petro Porochenko, qui s’est présenté aux élections présidentielles prévues à la fin du mois de mai, il a seulement déclaré qu’il était un fabricant de chocolat, « ce qui n’est pas interdit ». On pouvait sentir son mépris pour les partis et les politiciens ukrainiens. Je n’ai pas non plus publié sa description de la conversation avec Barroso. L’accord d’association de l’Ukraine avec l’Europe, aurait dit Barroso à Poutine, n’est pas l’affaire de la Russie : « Que les Russes s’occupent de leurs propres affaires. Et allez-vous faire foutre ! ». J’ai interrompu le traducteur : Barroso a-t-il vraiment choisi ces mots ? Poutine a confirmé ce propos. Il a exprimé un fort ressentiment envers Bruxelles et les gouvernements occidentaux. Ils avaient ouvertement soutenu la « Révolution de Maïdan », comme on l’appelle aujourd’hui. En Allemagne Guido Westerwelle, en Amérique le vice-président de l’époque Joe Biden, et là Mme Victoria Nuland, du Département d’État.
- Die Weltwoche : Après votre visite, vous avez parlé de votre conversation à F. Hollande. Dans Un défi de civilisation, vous écrivez : « Par souci de vérité, je dois constater que Poutine n’a violé jusqu’en 2022 aucun des engagements qu’il a pris : ne pas empêcher les élections en Ukraines – du président et du parlement – et maintenir la perspective d’un accord de régionalisation qui laissait les deux oblasts de Lougansk et de Donetsk à l’intérieur des frontières ukrainiennes. »
Jean-Pierre Chevènement : Poutine était plutôt positif envers l’initiative française. Le but de mon voyage était d’initier des négociations : avec la Russie, la France, l’Allemagne et l’Ukraine. A la veille de la commémoration en Normandie, Poutine vient à l’Élysée. On espérait une solution rapide et simple avant même les vacances d’été. Mais l’été a été chaud. Il y a eu la destruction d’un avion de Malaysia Airlines avec des passagers néerlandais. Porochenko avait été élu et pensait pouvoir repousser les gens qui avaient conquis Donetsk et Lougansk sans beaucoup de résistance. Mais l’armée ukrainienne, encore mal entrainée, a subi une défaite. D’autres négociations ont eu lieu en février 2015. Elles ont conduit à l’accord de Minsk II. Elles prévoyaient un vote sur un statut de décentralisation et ensuite le rétablissement des frontières entre les deux pays. Mais il n’a jamais été mis en œuvre. L’Ukraine voulait d’abord un retour aux frontières et seulement ensuite des élections sur un statut.
- Die Weltwoche : Vous parlez de « rattachistes », de ceux qui sont prêts à s’y joindre, pas de séparatistes ?
Jean-Pierre Chevènement : C’est ainsi qu’on les appelle souvent. Vous pouvez les appeler séparatistes si vous prenez la position ukrainienne.
- Die Weltwoche : Le film controversé Donbass d’Anne-Laure Bonnel, que le ministre des Affaires étrangères de Poutine Serguei Lavrov a instrumentalisé pour la propagande russe et dont il accuse indûment la France de censure, commence par le discours de Porochenko. C’est une déclaration de guerre aux séparatistes.
Jean-Pierre Chevènement : Je ne commente pas un film que je n’ai pas vu.
- Die Weltwoche : Poutine n’aimait pas la référence aux frontières de 1920.
Jean-Pierre Chevènement : Sa réaction m’a beaucoup surpris. Parce que c’est une question historique. Les frontières de l’Ukraine ont été tracées par Lénine en 1920. En 1917, l’Ukraine a été indépendante pendant un certain temps assez bref. Cette indépendance – après l’effondrement de l’armée tsariste – a duré quatre ou cinq ans. Il y eut une brève période d’indépendance en 1941 avec Stepan Bandera et ses nationalistes. La plupart des Ukrainiens ont combattu dans l’Armée rouge, mais il y avait deux divisions indépendantistes qui ont fait la guerre aux côtés des Allemands. Les deux étaient de courts épisodes. Mais depuis 1991, l’indépendance est un fait. Elle a été scellée par les présidents de la Biélorussie (Chouchkevitch), de l’Ukraine (Kravchuk) et de la Russie – Boris Eltsine.
- Die Weltwoche : Depuis lors, l’Ukraine est une nation?
Jean-Pierre Chevènement : Oui. Une jeune nation. Et depuis trente ans, le sentiment national s’est affirmé. Avec leur attitude brutale, les Russes ont apporté une contribution significative à sa consolidation comme d'ailleurs les Américains, en sens inverse. Les oligarques ont alimenté le conflit avec la Russie. Pour beaucoup de Russes, l’Ukraine est une province du sud, comme la Provence l’est pour la France. En Ukraine, un tiers de la population parle l’ukrainien, un tiers le russe et un tiers les deux langues. C’est un pays très hétérogène. La partie occidentale appartenait à l’Autriche-Hongrie. La ville de Lviv s’appelait Lemberg jusqu’en 1914. Entre les deux guerres mondiales, elle appartenait à la Pologne. Cette région est catholique uniate, l’Est russophone est orthodoxe. La Crimée a été attribuée à l’Ukraine en 1954 par Nikita Khrouchtchev. D’une certaine manière, comme un cadeau pour le 300e anniversaire du rattachement de l’Ukraine à la Russie. Khrouchtchev était conscient de tout ce qu’elle avait souffert sous Staline. Tout cela joue un rôle dans le traitement de l’Ukraine en tant que nation et de la Crimée en tant que région.
- Die Weltwoche : Vous avez parlé de la brutalité de Poutine. Aviez-vous déjà pensé à la possibilité d’une intervention militaire russe ?
Jean-Pierre Chevènement : Non. Que Poutine commette une erreur aussi grave était tout à fait improbable. Je ne peux l’expliquer que par le fait qu’il a été trompé par son environnement. Il a été trompé en voyant une réalité comme il voulait la voir. On lui a sans doute dit que les Ukrainiens n’attendaient que d’accueillir l’armée russe à bras ouverts. Il s’est trompé sur les Ukrainiens, mais aussi sur les Russes, qui ne voient pas le sens de cette guerre. Et il avait tort à propos de l’Occident, qu’il considérait comme un ensemble de pays décadents. Sa perception caricaturale de l’Occident a été sa troisième erreur.
Quand il a succédé à Eltsine, Poutine voulait transformer la Russie en un pays moderne, tout en maintenant, bien sûr, l’exercice vertical du pouvoir. Je ne l’ai jamais considéré comme un ange de l’innocence et un démocrate. Il voulait restaurer l’État russe. Il a forcé les oligarques à payer leurs impôts. Il a bénéficié de la hausse des prix du pétrole pour restructurer l’économie et les finances. Il a lancé des programmes d’industrialisation. Les villes russes d’aujourd’hui sont très modernes.
- Die Weltwoche : Quand vous lui avez remis l’invitation à Paris, il s’est déjà renseigné sur le menu...
Jean-Pierre Chevènement : C’était une plaisanterie : « Maintenant il ne s’agit plus que de choisir le meilleur champagne. »
- Die Weltwoche : Maintenant, il fait la guerre sans tenir compte des pertes.
Jean-Pierre Chevènement : Sa nouvelle logique remonte à l’époque où il a repris la présidence après Medvedev. À ses yeux, Medvedev avait commis une erreur en acceptant l’attaque contre la Libye. Elle était justifiée par la protection de la population civile. En fait, le but s’est révélé être un changement de gouvernement – les Anglo-Saxons appellent cela un « changement de régime ». De même, Poutine considérait la guerre au Kosovo comme un viol du droit international. Au moment de la réunification, le monde s’était réjoui de la disparition de l’Union soviétique. Sans que le sang n’ait coulé. Mais le sang coule maintenant. Dans le changement de la logique de Poutine, l’Ukraine joue un rôle décisif. Poutine ne voulait pas d’une Ukraine antirusse. Il s’est inquiété à deux moments : la révolution orange (2004-2005) et l’accord d’association de 2014 avec l’UE.
- Die Weltwoche : Poutine a parlé de la plus grande catastrophe géopolitique. Pour vous, les relations de l’Occident avec l’Union soviétique en déclin sont la clé de la guerre en Ukraine ? Vous écrivez que la Russie a été traitée comme la perdante de la guerre froide.
Jean-Pierre Chevènement : L’Occident s’est célébré comme le gagnant. Les Russes, cependant, se considéraient comme ceux qui avaient mis fin au communisme. Gorbatchev considérait qu’il avait mis fin au communisme. Dans des conditions qui peuvent être débattues à l’infini. Nous savons par l’histoire que la dissolution d’un empire ne se produit jamais sans guerres et sans crises. La plupart des causes qui ont conduit à la Seconde Guerre mondiale remontent à la chute de l’Empire austro-hongrois et à sa division. Le traitement de la Russie à partir de 2009, avec le « partenariat oriental » a été très maladroit. La façon dont Poutine a été reçu par Barroso à Bruxelles est surréaliste.
- Die Weltwoche : Et Hollande ? Qu’a-t-il dit au sommet devant l’impossibilité d’appliquer les accords de Minsk ?
Jean-Pierre Chevènement : (réfléchit longtemps) Après tout, il a eu le mérite de prendre l’initiative des négociations du format Normandie. Après que Merkel avait parlé, il ne se sentait plus habilité à ajouter quelque chose. La volonté de se battre qui distingue Macron faisait défaut. Macron est un président instruit qui connaît l’histoire. Il est à la fois ferme et ouvert à la négociation.
- Die Weltwoche : Vous soutenez maintenant Emmanuel Macron ?
Jean-Pierre Chevènement : Emmanuel Macron a commis quelques erreurs mineures. Mais grâce à lui, la France a traversé au mieux la pandémie. Sa politique de vaccination est un succès. Grâce au soutien financier, les entreprises ont pu survivre. Depuis 2017 – et pour la première fois depuis des décennies – de nouvelles industries se sont implantées en France. Le chômage est en baisse, à 7,4%, il est à son plus bas niveau depuis 2007. Des secteurs importants de l’économie ont été sauvés. Macron a formulé un nouvel objectif : la reconquête de l’indépendance industrielle et technologique. Cela inclut la production d’électricité par l’énergie nucléaire. Elle correspond aux intérêts nationaux du pays et garantit sa sécurité.
Oui, ses propositions sont sérieuses et réalistes. Je suis séduit par l’ambition de réindustrialiser la France. Les propositions en matière de politique énergétique et notamment la construction de six à quatorze réacteurs électro-nucléaires me paraissent conformes à la fois à l’objectif d’autonomie énergétique et à la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique.
- Die Weltwoche : Poutine vous a également mentionné le massacre de la maison syndicale d’Odessa le 2 mai 2014. Était-ce une provocation russe, était-ce un crime horrible commis par les nationalistes ukrainiens ?
Jean-Pierre Chevènement : Selon Poutine, des sympathisants pro-russes ont été pris au piège dans la Maison syndicale incendiée. Les auteurs étaient selon Poutine des extrémistes de droite ukrainiens. Il y a eu plusieurs dizaines de morts. Ceux qui ont sauté par la fenêtre ont été abattus. Leurs portefeuilles ont été volés. Tout cela aurait été filmé. Poutine était très contrarié quand il m’a dit cela. Et s’est plaint qu’aucun chef de gouvernement occidental n’a formulé ne serait-ce qu’un mot de protestation et de condoléances. Ces éléments psychologiques et ce ressentiment ont beaucoup de poids. Les souvenirs historiques et les traumatismes qui sont spécifiquement réactivés jouent toujours un rôle important dans les relations internationales. Dans cette guerre en particulier, la mémoire de la Seconde guerre mondiale est constamment instrumentalisée.
- Die Weltwoche : Des deux côtés ?
Jean-Pierre Chevènement : L’Occident croit qu’il a vaincu seul le communisme. Il ignore les forces qui se sont manifestées au sein des sociétés soviétiques. Les Russes quant à eux ont une mentalité obsidionale. Ils se sentent constamment comme des victimes, encerclés et menacés. Ils ont été attaqués à plusieurs reprises, pas seulement par Napoléon et Hitler. Ils vivent dans la peur que cela se répète. En Ukraine, dit Poutine, une nouvelle opération Barbarossa est en préparation. On peut parler de paranoïa. Mais si vous voulez comprendre la situation et trouver des solutions, vous devez en tenir compte.
- Die Weltwoche : Comment empêcher une Troisième Guerre mondiale ?
Jean-Pierre Chevènement : Si l’OTAN avait accepté l’appel de Zelensky pour une zone d’exclusion aérienne, la guerre aurait éclaté sous la forme d’une guerre aérienne d’abord. La Russie possède des armes nucléaires tactiques, à peu près le même nombre que les États-Unis. La doctrine russe n’est pas très claire. La rupture du tabou nucléaire serait une première historique après Hiroshima et Nagasaki. Tant qu’il n’y a pas d’accord, la situation reste extrêmement dangereuse.
- Die Weltwoche : Il y a maintenant des idées claires sur ce à quoi cela pourrait ressembler.
Jean-Pierre Chevènement : Dans les grandes lignes : un statut de neutralité – que le Conseil de sécurité de l’ONU devrait garantir. On pourrait inclure au moins l’Allemagne, la Turquie et peut-être d'autres. La situation que cela entraînerait pour l’Ukraine serait meilleure que la situation actuelle. Les frontières de 2022 doivent être rétablies et des élections libres rendues possibles.
En ce qui concerne la Russie, l’Occident n’a pas suffisamment pris au sérieux ses intérêts légitimes en matière de sécurité. Le pays aurait dû être impliqué dans la coopération avec l’Ukraine. Il aurait été possible de créer une zone tampon.
- Die Weltwoche : L’Ukraine s’est-elle vu promettre son adhésion à l’OTAN ?
Jean-Pierre Chevènement : La France et l’Allemagne s’y sont opposées en 2008. Mais il y avait un moyen de se préparer à l’adhésion. L’ambiguïté a été cultivée.
- Die Weltwoche : Tout cela n’explique toujours pas comment cette guerre a pu se produire.
Jean-Pierre Chevènement : L’attaque contre l’Ukraine est stupide et criminelle. Personne ne s’y attendait. La probabilité de guerre était inférieure à un pour mille. Je pensais que Poutine était assez rationnel pour ne pas commettre cette erreur gravissime.
- Die Weltwoche : Quelles seront les conséquences pour la Russie ?
Jean-Pierre Chevènement : Très négatives. L’Ukraine aura droit à des réparations et à sa reconstruction. Les relations entre la Russie et l’Europe ont été perturbées pour de longues années. Pour le moment, je ne vois pas d’alternative politique à Poutine. Il y avait une nouvelle classe moyenne, dont l’émergence était une promesse démocratique. Il y a le danger d’une nouvelle guerre froide dans laquelle personne ne peut avoir d’intérêt. On se souviendra longtemps de cette guerre inepte.
- Die Weltwoche : Comment peut-on l’arrêter?
Jean-Pierre Chevènement : C’est l’affaire de diplomates. Zelensky a gagné la bataille de la communication. Une rencontre entre les deux présidents pourrait-elle faire la différence ? La position de l’Ukraine me semble relativement claire : une fin est possible sur la base d’une neutralité garantie.
L’Europe peut apporter une contribution importante à une solution durable. Elle seule dispose des ressources financières nécessaires à la reconstruction. La guerre en Ukraine peut être éclipsée par les tensions entre les États-Unis et la Chine. Mais les dirigeants chinois n’entreprendront pas la reconquête militaire de Taïwan qui, elle, déclencherait la Troisième Guerre mondiale.
Source : Die Weltwoche