- Le Parisien : Le président Macron est positif au Covid. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Pierre Chevènement : Cela fait partie des risques du métier. Le président de la République est obligé de rencontrer énormément de gens et ne peut pas toujours travailler à distance. Je lui souhaite de surmonter la maladie, comme je l’ai moi-même surmontée de manière totalement asymptomatique. C’est un homme jeune et vigoureux : il traversera cette épreuve.
- Le Parisien : Neuf mois après le début de la crise sanitaire, comment jugez-vous sa gestion ?
Jean-Pierre Chevènement : Il y a une part d’improvisation car nous sommes face à des phénomènes que nous ne connaissons pas. Mais les critiques faites à la politique gouvernementale, trop centralisée, se révèlent assez vaines si on regarde ce qu’il se passe aux Etats-Unis, un pays très décentralisé, où on aboutit à une cacophonie regrettable. La vraie réponse, c’est la science, avec les vaccins, en espérant qu’ils soient efficaces. Je n’en suis pas fana, mais je me ferai sans doute vacciner.
- Le Parisien : Cette crise a montré la dépendance de la France vis-à-vis de l’étranger. Quels enseignements en tirer ?
Jean-Pierre Chevènement : Cette crise éclaire d’un jour cru les dépendances qu’on a laissées se créer depuis une quarantaine d’années avec une politique de monnaie forte et d’approvisionnement dans les pays à bas coûts où nous avons délocalisé la moitié de notre industrie. C’est gravissime. Il faut donc réindustrialiser le pays mais à partir d’une planification, d’un ministère de l’Industrie qui mérite ce nom, en s’appuyant sur des équipes d’ingénieurs compétentes et surtout sur une volonté politique.
- Le Parisien : On parle beaucoup de relance verte. Ce référendum pour inscrire la cause du climat dans la Constitution, c’est une bonne idée ?
Jean-Pierre Chevènement : Au mieux, il sera inutile. Mais il risque de favoriser la technophobie ambiante que l’idéologie verte développe dans la population. On va inscrire dans la Constitution un certain nombre de notions floues qui ne pourront que freiner la réindustrialisation du pays. Ce sont les adeptes de la décroissance qui veulent les y introduire après avoir déjà introduit le principe de précaution, à l’époque de Jacques Chirac. Ils ne travaillent plus pour le progrès mais inscrivent la catastrophe à l’horizon de l’histoire. Je suis pour une écologie responsable, pragmatique.
- Le Parisien : Ancien ministre de l’Intérieur, utilisez-vous le terme de violences policières ?
Jean-Pierre Chevènement : Je ne l’emploie pas car ce serait imputer à l’institution de la police nationale ou de la gendarmerie nationale une violence intrinsèque, systémique. La haine de l’Etat policier et du « flic » est une croyance datée, superficielle, un peu bobo, trop répandue hélas dans la jeunesse. Et le legs d’un marxisme mal digéré qui fait de la police le bras armé d’un Etat au service du capital. Il y a une haine antiflics qui fait partie de l’air du temps. Or, ces deux corps sont bien tenus, sévèrement punis lorsqu’ils s’affranchissent de leur déontologie, l’IGPN fait bien son travail.
- Le Parisien : Mais comment sortir de ce cycle ?
Jean-Pierre Chevènement : Je suggère qu’on aide nos concitoyens à réfléchir sur ce qu’est la République, la démocratie et l’Etat de droit : trois notions assez confuses dans l’état actuel du débat public. Et qu’on montre à quel point le ressourcement dans la République, c’est-à-dire dans l’idéal du bien commun, est une chose absolument nécessaire si on ne veut pas voir l’Etat de droit dégénérer vers un système d’impuissance et la démocratie autoriser tout et n’importe quoi. L’idéal républicain doit servir de colonne vertébrale à l’Etat, à la police, à l’Education nationale. Il faut l’enseigner à l’école, c’est fondamental.
- Le Parisien : Cet article 24 qui interdit la diffusion malveillante d’images de forces de l’ordre, il faut le garder ?
Jean-Pierre Chevènement : Il est évident que les policiers doivent être protégés, compte tenu de l’habitude prise de désigner des boucs émissaires sur les réseaux sociaux. Mais la justice doit avoir accès aux documents filmés.
- Le Parisien : Vous vous inquiétez d’un morcellement de la République : la loi contre les séparatismes pourra-t-elle y remédier ? L’islam politique est-il compatible avec la République ?
Jean-Pierre Chevènement : L’islamisme radical, non ; l’islam républicain, l’islam tranquille, oui. Il faut valoriser cet islam républicain. Ghaleb Bencheikh a dit avec raison qu’il fallait délivrer les musulmans d’une interprétation littéraliste des textes sacrés. A travers la Fondation de l’islam de France, qu’il préside, il y a un travail d’éducation pour montrer l’interprétation qu’on peut donner à certains prêches, et celle, surtout, qu’on ne doit pas donner.
- Le Parisien : Qui pourrait reprendre le flambeau de la gauche ? Jean-Luc Mélenchon ? Arnaud Montebourg ?
Jean-Pierre Chevènement : Mélenchon a un discours à géométrie variable, il me donne souvent le tournis. Montebourg a marqué une certaine orientation positive sur le redressement productif, il lui reste à s’exprimer sur les aspects régaliens.
- Le Parisien : Pourriez-vous soutenir en 2022 Emmanuel Macron, dont vous rappelez dans votre livre qu’il a participé à votre campagne de 2002 ?
Jean-Pierre Chevènement : S’il va au bout de sa promesse de se réinventer, de reconquérir l’indépendance technologique, industrielle, agricole, sanitaire de la France. Cela me paraît une ligne qui a un sens. Macron a montré qu’il était capable de progresser.
- Le Parisien : Il vous consulte ?
Jean-Pierre Chevènement : Il me voit de temps en temps... comme il voit beaucoup d’autres. Je ne considère pas que mes avis le lient le moins du monde. Je ne porte pas sur Emmanuel Macron, qui a la capacité de corriger ses erreurs initiales, un jugement aussi défavorable que beaucoup de responsables politiques, que je comprends par ailleurs parce que leur carrière a été brisée par son élection en 2017. Aujourd’hui, on ne voit personne qui pourrait battre Macron en 2022.
- Le Parisien : Quels sont ses handicaps ?
Jean-Pierre Chevènement : En politique, il faut des idées claires, or le problème d’Emmanuel Macron, c’est qu’on a l’impression qu’il doit parfois arbitrer entre les différentes sensibilités politiques qui l’ont rejoint, par exemple dans le domaine de la sécurité. Cela peut nuire à la clarté du message. Je l’encourage à persévérer.