- Le Parisien : Le président de la République vous a consulté avant son intervention de lundi dernier. Que pensez-vous de sa stratégie dans la crise du coronavirus ?
Jean-Pierre Chevènement : Le Président de la République m’a consulté parce qu’il sait que je suis avant tout un homme libre et que je n’ai en vue que l’intérêt public, dans la crise gravissime que traverse le pays. « Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer - et moi le premier », cet appel me touche, car il y a de la grandeur dans cette humilité. Angela Merkel, Outre-Rhin, est tentée d’alléger les restrictions. Mais l’Allemagne a su, mieux que la France, conserver son industrie pharmaceutique et médicale.
- Emmanuel Macron en appelle à des idées comme le retour de l’Etat qui résonnent avec votre corpus idéologique. Est-il crédible ?
Aujourd’hui, nécessité fait loi : « il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française ». Le cap est clair et une majorité de Français en a jugé ainsi. Je ne fais pas partie de la cohorte de ceux qui cherchent d’abord dans l’événement la confirmation de ce en quoi ils ont toujours cru, parce que je sais la nécessité du rassemblement dans ce moment critique de la vie du pays. Il me suffit qu’Emmanuel Macron préconise « une stratégie où nous retrouverons le temps long et la possibilité de planifier … » et reconnaisse que « le pays tient, tout entier, sur des femmes et sur des hommes que nos économies rémunèrent si mal ». Emmanuel Macron prend un rôle décisif dans la nécessaire réconciliation des élites et du peuple.
- L'Union Européenne vous paraît-elle à la hauteur ?
L’Union européenne a fait le meilleur choix qu’elle pouvait faire. Elle a suspendu ses règles : limitation du déficit budgétaire, prohibition des aides d’État, etc., mais l’accord minimaliste obtenu à l’arraché, à Bruxelles révèle l’absence de vraie solidarité européenne : qu’on le veuille ou non, c’est la nation qui reste le cadre privilégié de la démocratie et de la solidarité. La clé du redressement de l’Europe, c’est d’abord le redressement de la France !
- Cette crise ouvre-t-elle un espace politique à la gauche ?
La crise des services publics procède très largement des règles posées par les traités européens : principe de la concurrence et austérité budgétaire. Or ces règles sont inscrites dans des traités préparés et votés ensemble par la gauche et par la droite. Or la gauche, aujourd’hui éparpillée, n’a pas entamé son examen de conscience européen. La vérité, c’est que l’Europe de Maastricht s’est mise d’elle-même en vacances. Bien sûr, il faudra reconstruire, mais comme disait le Général de Gaulle, « sur du neuf et sur du raisonnable. » La crise actuelle va périmer beaucoup d’idées anciennes, celle du « tout marché » en particulier, mais pas celle du service public !
- Vous appelez à un gouvernement de "salut public". C’est à dire ?
On ne peut pas faire confiance à la gauche ni d’ailleurs à la droite pour rebâtir. Il faut un dépassement, comme je l’avais indiqué dès 2001 : « au-dessus de la droite, au-dessus de la gauche, il y a la République ». Emmanuel Macron, en 2017, a fait « turbuler le système », mais il faut maintenant ouvrir une alternative républicaine. Cela n’est pas nouveau il y a longtemps que j’ai appelé à la constitution d’un « gouvernement de salut public ». Pour cela, il faut consulter toutes les forces vives de la nation mais c’est le contenu qui fera le salut public non une combinaison politicienne. On n’évitera pas un large et profond débat. C’est le Président de la République qui en détient la clé. L’erreur serait de croire que l’avenir du pays va se jouer en 2022. Non, il va se jouer en 2020 ! Et j’ose espérer que l’appel au dépassement sera entendu.
- Êtes-vous inquiet de la montée des populismes dans le monde, en Europe, en France ?
« Mal nommer les choses, disait Camus, c’est contribuer au malheur du monde ». Ce mot de « populisme » est un mot creux. Ce que je constate c’est surtout l’absence de grande vision dans nos élites. Alors que l’idéologie du « tout marché », fait faillite à son tour après le communisme, je vois les rivalités exacerbées des Empires, les égoïsmes des États, le « chacun pour soi » et le « sauve qui peut » général. On attend une grande voix, celle de la République, celle de la France. Je crois que le message de la citoyenneté n’est pas éteint.
- En quoi cette crise permet-elle d’ouvrir de nouveaux espoirs ?
Je ne désespère jamais du patriotisme des Français. De Gaulle a conçu nos institutions pour qu’en temps de crise majeure, la France puisse se tourner vers le Président de la République, comme vers « l’homme de la Nation ». Une telle charge donne évidemment d’immenses devoirs. Emmanuel Macron est notre Président légitime. Il a de grandes qualités qui peuvent servir la France et d’abord une intelligence qui lui permet de corriger les erreurs que, comme tout homme, il peut commettre. Il vient de fixer un cap clair dont il va devoir prendre les moyens. Sans aliéner en rien ma liberté, un civisme élémentaire me commande, dans cette passe difficile, de lui accorder ma confiance.
Source : Le Parisien