- RT France : Rencontre avec Vladimir Poutine à Brégançon, médiation de la crise iranienne, le sommet du G7 à Biarritz : la rentrée d'Emmanuel Macron est marquée par une activité extraordinaire sur le plan international. Peut-on parler d'un retour de la France comme puissance diplomatique de premier plan ?
Jean-Pierre Chevènement : La France est une grande nation politique depuis très longtemps. Elle est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et même à la fois une politique européenne et une politique mondiale. Par conséquent, le président de la République, qui est un homme très actif et très entreprenant, a pris de nombreuses initiatives à l’occasion de la rentrée 2019. La première a été celle de l’invitation de Vladimir Poutine à Brégançon et tous les échos qui en sont revenus sont des échos favorables. Le contact entre les deux présidents est excellent et tout à fait confiant. Je pense que des rendez-vous importants ont été pris, comme celui de nos ministres de Affaires étrangères et de la Défense qui doivent se rencontrer dans une dizaine de jours, mais également la réunion en format « Normandie » des quatre présidents (Russie, Ukraine, France et Allemagne) pour parvenir à l’application des accords de Minsk. C’est cela qui débloquera la situation à tous égards, y compris le retour de la Russie au sein du G8 et bien sûr la levée des sanctions. Il faut que ces accords de Minsk puissent aboutir en reconnaissant à la fois aux populations russophones de l’est de l’Ukraine leur droit culturel, à savoir la possibilité de donner un enseignement en russe à leurs enfants, et puis d’autre part il faudra que l’Ukraine, au terme de ce processus, puisse récupérer sa frontière. Cela a toujours été l’intention de la Russie qui n’a jamais eu de visées annexionnistes sur le Donbass. Par conséquent c’est un résultat qui devrait être apporté à condition qu’il n’y ait pas d’obstacle de la part du nouveau président ukrainien.
Les échos qui m’en reviennent sont relativement favorables. Nous pouvons être, comme l’a déclaré le président Poutine, «relativement optimistes». L’essentiel sera ensuite de rétablir la confiance sur des bases stables. La France est très présente sur de nombreux champs comme l’Iran. Le ministre iranien des Affaires étrangères est venu à Biarritz où il a pu rencontrer le président de la République. D’autre part le président Trump a évoqué la possibilité qu’un sommet entre l’Iran et l’Amérique puisse se tenir. Ce sont des nouvelles positives. La France a repris l’initiative d’une politique européenne et mondiale incluant la Russie qui est à nos yeux un grand pays d’Europe.
- Sur le volet russe, Emmanuel Macron semble avoir changé de stratégie en multipliant les gestes envers Moscou. Pourquoi ce changement de ton ? Quelles sont les perspectives d'une telle politique selon vous ?
Jean-Pierre Chevènement : Je ne pense pas qu’il y ait un changement d’attitude du président Macron. Dès la réunion à Versailles avec le président Poutine, en 2017, il avait émis des signaux positifs sur l’importance qu’il comptait rendre au dialogue entre la Russie et la France. Il poursuit sur cette lancée et le dit d’une manière de plus en plus claire. Des initiatives ont suivi et, normalement, ce grand axe de notre politique étrangère a été solennellement réaffirmé par le président Macron. Bien sûr qu’il y a des obstacles et des gens que ce rapprochement n’arrange pas. Mais ces obstacles doivent être vaincus et le président Macron a eu des paroles tout à fait éloquentes concernant les résistances de «l’Etat profond». Ces résistances doivent être vaincues.
- Dans son discours devant les ambassadeurs, Emmanuel Macron a mis en garde contre une éventuelle résistance de «l'Etat profond» au nouveau cap annoncé par le président. Cet «Etat profond» existe-t-il en France ?
Jean-Pierre Chevènement : Il existe partout, y compris en Russie. Il y a des gens qui entendent faire comme ils ont toujours fait. Ils pensent tout savoir et n’ont pas d’ordres à recevoir. Emmanuel Macron a rappelé à juste titre que le décideur en dernier ressort c’est le président de la République dans les institutions françaises et que par conséquent les orientations qu’il donne doivent se traduire sur le terrain. Il a appelé nos diplomates à faire preuve de la même audace que celle qu’il a montrée sur de nombreux dossiers et particulièrement sur la question d’un rapprochement avec la Russie qui répond à l’intérêt mutuel. Une certaine russophobie qui existe dans certains milieux devrait mettre une sourdine à son expression. La démocratie est le pouvoir du peuple et le président de la République est élu par le peuple.
- La couverture médiatique de la visite de Poutine en France a pourtant été assez négative, de nombreux titres très critiques à l’égard de l’initiative du président. Votre commentaire ?
Jean-Pierre Chevènement : Les médias ne font pas partie de la sphère de l’Etat par conséquent la notion d’Etat profond ne les concerne pas. Les médias sont toujours libres de commenter à leur manière. Je ne suis pas aussi négatif parce que j’ai vu que même des journaux dont je connais l’état d’esprit tenaient compte de l’orientation nouvelle donnée par Emmanuel Macron à notre politique vis-à-vis de la Russie.
- Ces derniers jours, Emmanuel Macron semble parler au nom de toute l'Europe. Pourtant il a préconisé « une indépendance diplomatique et l'autonomie stratégique » de la France sur le plan international. Quel est votre avis sur cette question ?
Jean-Pierre Chevènement : La France est évidemment un pays indépendant et elle le montre en prenant des initiatives qui lui sont propres mais elle ne le fait pas contre les pays voisins, européens ou autres. Emmanuel Macron s’attache à maintenir un climat cordial y compris avec le président Trump. C’est ainsi qu’on peut le faire bouger et faire évoluer les choses. Donc la politique de la France est une politique indépendante mais pas une politique d’hostilité vis-à-vis de quiconque. Nous essayons de trouver les compromis souhaitables et en particulier en Europe. Emmanuel Macron a souhaité souligner l’importance d’une architecture européenne de sécurité et de confiance. Par conséquent il y a peut-être des commentaires désobligeants dans la presse mais vous ne pouvez pas empêcher des gens qui ont été longtemps sur une ligne négative de faire des commentaires quand il leur faut changer de ligne. C’est humain.
Source : RT France
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