Le non ? « Une connerie ! », selon M. Chirac. Pour M. Raffarin : « l’affaissement de la France » ! Et pour les premiers responsables du 21 avril, « un nouveau 21 avril » ! Bref, le oui ou le chaos. Air connu.
Mais, si la victoire du non, à l’inverse, marquait, après les « trente piteuses » (Nicolas Baverez) et l’encalminage, depuis 2001, de la zone euro tout entière dans une stagnation de longue durée, un sursaut salutaire du pays et un nouveau départ pour une construction européenne intelligemment redressée ? La victoire du non en France signifierait simplement que les Français souhaitent que la construction européenne serve la croissance et l’emploi, signifie un progrès social et non une régression, préserve notre tissu industriel plutôt que de le détricoter et permette enfin l’épanouissement de la démocratie républicaine plutôt que son étouffement, au profit d’oligarchies sur lesquelles ils n’ont aucune prise.
Les Français ne souhaitent pas que, par élargissements successifs, le centre de gravité de la construction européenne se perde dans les lointains. Ils ne veulent pas d’un marché ouvert à tous les vents et offert à tous les coups. Ils veulent, à juste titre, la croissance, une monnaie compétitive et une politique propre à retenir le tissu industriel en France et en Europe.
Ces exigences, parfaitement raisonnables, sont incompatibles avec les règles qu’on nous propose de figer dans le marbre de la « Constitution » : dictature de la Commission au nom du primat de la concurrence, pacte de stabilité budgétaire absurde, Banque centrale déconnectée de toute influence du suffrage universel, etc. A l’inverse, l’exigence de redressement correspond à l’intérêt bien compris des peuples européens ; qui ne voit en effet que nos deux principaux voisins, l’Allemagne avec 5,2 millions de chômeurs et l’Italie, confrontée au déclin de son industrie, souffrent des mêmes maux que la France : stagnation du marché intérieur, euro asphyxiant, délocalisations, austérité budgétaire redoublée ?
Les pays nouvellement adhérents, sans parler de nos partenaires au Sud et à l’Est, du Maghreb à la Russie, ont besoin que l’Europe ait un coeur dynamique. Or, ce coeur c’est la zone euro à douze. En son sein, le noyau fondateur des Six représente 75% de la population de l’ensemble, soit 225 millions sur 300. Voilà le coeur du coeur. Il est puissant et relativement homogène. C’est l’architecture de la zone euro qu’il faut donc réformer en priorité, et de fond en comble, ce que n’ont pas vu les pseudo-« constituants » de M. Giscard d’Estaing et que ne pouvaient pas décider les dirigeants de l’Europe à vingt-cinq.
Une victoire du non en France permettrait de mettre sur la table les réformes nécessaires :
révision des statuts de la Banque centrale avec l’objectif assigné de la croissance ;
assouplissement non cosmétique du pacte de stabilité, autorisant notamment la déduction des dépenses de recherche du montant plafonné des déficits : ce serait le meilleur moyen pour l’Europe de relancer son économie sur des bases saines et de combler son retard scientifique et technologique sur les Etats-Unis et le Japon ;
création d’un véritable gouvernement économique à douze, capable de décider à la majorité qualifiée d’une harmonisation fiscale et d’une convergence sociale progressive.
Pour muscler le coeur de l’Europe, il faut rompre avec les critères absurdes et paralysants que les zélotes du oui nous proposent de « constitutionnaliser ».
L’euro est un canard sans tête qui vole dans tous les sens, affaiblit notre compétitivité et ne s’affirme pas comme une nouvelle monnaie de réserve internationale (sa place est grosso modo celle qu’occupait le deutschemark). Il est temps de mettre un pilote dans l’avion et de confier la politique monétaire et de change au « gouvernement économique » autant qu’à la Banque centrale, comme cela se fait dans tous les pays démocratiques normaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Japon, etc.).
Au sommet d’Essen, en 1994, une politique de « grands travaux » a été décidée. L’Europe n’est même pas capable d’emprunter et les critères du pacte de stabilité budgétaire ont freiné la réalisation de grandes infrastructures de transport et empêchent toute relance par l’investissement public.
La zone euro, intelligemment redressée et dynamisée, peut et doit être le moteur de toute l’Europe. Ensuite, nous pourrons fixer un « code de bonne conduite » avec les autres pays partenaires, reposant sur des aides régionales substantielles et comportant, en contrepartie, une raisonnable convergence en matière fiscale et sociale.
Dès lors que le coeur de l’Europe battra plus vite, tous les autres problèmes trouveront leur solution.
A l’inverse, la « Constitution », si elle était adoptée, fonctionnerait comme une souricière. Elle nous enfermerait dans des règles absurdes et paralysantes : ce serait la régression et le déclin assurés.
Refuser d’approuver la « Constitution », ce serait retomber dans le calamiteux traité de Nice : c’est que ce que nous disent ceux qui l’ont négocié, de M. Chirac à M. Moscovici. Mais ce traité est loin d’être aussi calamiteux que le projet de « Constitution » qu’ils nous vantent maintenant : d’abord il ne prétend pas être une « Constitution » qu’à vingt-cinq et bientôt à trente on ne pourra plus réformer puisqu’il y faut l’unanimité. C’est un point décisif. Ensuite, le traité de Nice maintient la raisonnable parité qui existe entre la France et l’Allemagne depuis le début de la construction européenne, gage d’un partenariat équilibré dans la durée. C’est sagesse. Sur maints sujets, « l’exception culturelle », par exemple, il est sans ambiguïté, contrairement au projet de « Constitution » qui implique qu’on fasse la preuve d’une atteinte à la « diversité culturelle ». Ses détracteurs nous disent enfin que le traité de Nice rendra plus difficile la mise au pas des nations récalcitrantes. Est-ce un mal ? La démocratie implique que chacun puisse progresser à son rythme. Le traité de Nice conduira naturellement à des « coopérations spécialisées » à géométrie variable, en dehors même du cadre du traité, comme l’a d’ailleurs proposé Edouard Balladur, compte tenu des conditions draconiennes dont il reconnaît qu’elles interdisent de fait, dans la « Constitution », le développement de « coopérations renforcées » (il y faut non seulement le tiers des Etats membres mais l’accord de la Commission, du Parlement et du Conseil européens !).
Nous irons naturellement vers ces « groupes pionniers » qu’a évoqués le président de la République, en janvier 2004, après l’échec du sommet de Rome. La rencontre, il y a quelques jours, à Paris de MM. Schröder, Poutine, Chirac et Zapatero a constitué, en politique étrangère, une heureuse préfiguration d’une « Europe européenne » qui pourrait s’étendre demain à l’Italie, dès lors qu’elle le voudra. Quelle meilleure démonstration, soit dit en passant, de la nécessité de sortir du cadre à vingt-cinq pour conduire une politique indépendante ? Une certaine différenciation interne, elle-même évolutive, est indispensable au progrès de l’Europe. Celle-ci prendra appui sur la démocratie qui vit dans les nations et qui ne doit pas mourir. Evidemment cela signifie la rupture avec la chimère d’une « nation européenne » qui n’existe pas et ne peut pas exister.
L’Europe est d’abord une civilisation. Elle juxtapose une trentaine de nations qu’il s’agit de solidariser et non d’effacer. Pour cela, nous n’avons pas besoin de recréer une nouvelle « prison des peuples » : il suffit de se mettre à leur écoute pour traduire en actions leurs aspirations, ce que sont incapables de faire les oligarchies régnantes, retranchées dans une forteresse d’orthodoxie dont elles veulent encore élever les murs. Nous irons ainsi vers une Europe à plusieurs cercles, avec un coeur dynamique qui entraînera l’ensemble, les treize pays non membres de la zone euro, mais aussi nos partenaires associés de l’Est et du Sud.
La redynamisation de l’économie européenne tout entière favorisera le développement des coopérations scientifiques, technologiques et industrielles à géométrie variable entre les Etats volontaires. L’Europe à vingt-cinq fonctionnera ainsi comme un grand marché avec les correctifs indispensables.
La victoire du non ne mettrait pas un terme au mandat du président de la République qui court jusqu’en 2007. Elle le conduirait à prendre appui sur la volonté populaire pour remettre à plat la construction européenne en provoquant la réunion de deux conférences parallèles, l’une à douze avec les pays membres de la zone euro, l’autre à vingt-cinq. Un non français provoquerait un immense débat dans toute l’Europe. Celle-ci, en définitive, en sortirait redressée et renforcée, comme à l’occasion de toutes les crises du passé. Le Parti socialiste devrait changer de direction politique, au-delà des hommes qui peuvent évoluer. La belle affaire ! Le débat politique en France retrouverait un sens.
Et qui peut croire que, dans le grand jeu européen, les autres pays pourraient ne pas tenir compte de l’avis politique de la France, pays fondateur de l’Europe par excellence, alors que nulle part ailleurs ne s’est déroulé un tel débat ? Dès lors que notre pays avancerait des propositions réellement novatrices et répondant à l’intérêt d’une Europe redressée, nous trouverions partout des alliés. Voilà pourquoi il faut voter non : l’Europe pourrait se recentrer sur l’essentiel et, selon l’heureuse formule d’Hubert Védrine, « laisser les peuples respirer ».
Mais, si la victoire du non, à l’inverse, marquait, après les « trente piteuses » (Nicolas Baverez) et l’encalminage, depuis 2001, de la zone euro tout entière dans une stagnation de longue durée, un sursaut salutaire du pays et un nouveau départ pour une construction européenne intelligemment redressée ? La victoire du non en France signifierait simplement que les Français souhaitent que la construction européenne serve la croissance et l’emploi, signifie un progrès social et non une régression, préserve notre tissu industriel plutôt que de le détricoter et permette enfin l’épanouissement de la démocratie républicaine plutôt que son étouffement, au profit d’oligarchies sur lesquelles ils n’ont aucune prise.
Les Français ne souhaitent pas que, par élargissements successifs, le centre de gravité de la construction européenne se perde dans les lointains. Ils ne veulent pas d’un marché ouvert à tous les vents et offert à tous les coups. Ils veulent, à juste titre, la croissance, une monnaie compétitive et une politique propre à retenir le tissu industriel en France et en Europe.
Ces exigences, parfaitement raisonnables, sont incompatibles avec les règles qu’on nous propose de figer dans le marbre de la « Constitution » : dictature de la Commission au nom du primat de la concurrence, pacte de stabilité budgétaire absurde, Banque centrale déconnectée de toute influence du suffrage universel, etc. A l’inverse, l’exigence de redressement correspond à l’intérêt bien compris des peuples européens ; qui ne voit en effet que nos deux principaux voisins, l’Allemagne avec 5,2 millions de chômeurs et l’Italie, confrontée au déclin de son industrie, souffrent des mêmes maux que la France : stagnation du marché intérieur, euro asphyxiant, délocalisations, austérité budgétaire redoublée ?
Les pays nouvellement adhérents, sans parler de nos partenaires au Sud et à l’Est, du Maghreb à la Russie, ont besoin que l’Europe ait un coeur dynamique. Or, ce coeur c’est la zone euro à douze. En son sein, le noyau fondateur des Six représente 75% de la population de l’ensemble, soit 225 millions sur 300. Voilà le coeur du coeur. Il est puissant et relativement homogène. C’est l’architecture de la zone euro qu’il faut donc réformer en priorité, et de fond en comble, ce que n’ont pas vu les pseudo-« constituants » de M. Giscard d’Estaing et que ne pouvaient pas décider les dirigeants de l’Europe à vingt-cinq.
Une victoire du non en France permettrait de mettre sur la table les réformes nécessaires :
révision des statuts de la Banque centrale avec l’objectif assigné de la croissance ;
assouplissement non cosmétique du pacte de stabilité, autorisant notamment la déduction des dépenses de recherche du montant plafonné des déficits : ce serait le meilleur moyen pour l’Europe de relancer son économie sur des bases saines et de combler son retard scientifique et technologique sur les Etats-Unis et le Japon ;
création d’un véritable gouvernement économique à douze, capable de décider à la majorité qualifiée d’une harmonisation fiscale et d’une convergence sociale progressive.
Pour muscler le coeur de l’Europe, il faut rompre avec les critères absurdes et paralysants que les zélotes du oui nous proposent de « constitutionnaliser ».
L’euro est un canard sans tête qui vole dans tous les sens, affaiblit notre compétitivité et ne s’affirme pas comme une nouvelle monnaie de réserve internationale (sa place est grosso modo celle qu’occupait le deutschemark). Il est temps de mettre un pilote dans l’avion et de confier la politique monétaire et de change au « gouvernement économique » autant qu’à la Banque centrale, comme cela se fait dans tous les pays démocratiques normaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Japon, etc.).
Au sommet d’Essen, en 1994, une politique de « grands travaux » a été décidée. L’Europe n’est même pas capable d’emprunter et les critères du pacte de stabilité budgétaire ont freiné la réalisation de grandes infrastructures de transport et empêchent toute relance par l’investissement public.
La zone euro, intelligemment redressée et dynamisée, peut et doit être le moteur de toute l’Europe. Ensuite, nous pourrons fixer un « code de bonne conduite » avec les autres pays partenaires, reposant sur des aides régionales substantielles et comportant, en contrepartie, une raisonnable convergence en matière fiscale et sociale.
Dès lors que le coeur de l’Europe battra plus vite, tous les autres problèmes trouveront leur solution.
A l’inverse, la « Constitution », si elle était adoptée, fonctionnerait comme une souricière. Elle nous enfermerait dans des règles absurdes et paralysantes : ce serait la régression et le déclin assurés.
Refuser d’approuver la « Constitution », ce serait retomber dans le calamiteux traité de Nice : c’est que ce que nous disent ceux qui l’ont négocié, de M. Chirac à M. Moscovici. Mais ce traité est loin d’être aussi calamiteux que le projet de « Constitution » qu’ils nous vantent maintenant : d’abord il ne prétend pas être une « Constitution » qu’à vingt-cinq et bientôt à trente on ne pourra plus réformer puisqu’il y faut l’unanimité. C’est un point décisif. Ensuite, le traité de Nice maintient la raisonnable parité qui existe entre la France et l’Allemagne depuis le début de la construction européenne, gage d’un partenariat équilibré dans la durée. C’est sagesse. Sur maints sujets, « l’exception culturelle », par exemple, il est sans ambiguïté, contrairement au projet de « Constitution » qui implique qu’on fasse la preuve d’une atteinte à la « diversité culturelle ». Ses détracteurs nous disent enfin que le traité de Nice rendra plus difficile la mise au pas des nations récalcitrantes. Est-ce un mal ? La démocratie implique que chacun puisse progresser à son rythme. Le traité de Nice conduira naturellement à des « coopérations spécialisées » à géométrie variable, en dehors même du cadre du traité, comme l’a d’ailleurs proposé Edouard Balladur, compte tenu des conditions draconiennes dont il reconnaît qu’elles interdisent de fait, dans la « Constitution », le développement de « coopérations renforcées » (il y faut non seulement le tiers des Etats membres mais l’accord de la Commission, du Parlement et du Conseil européens !).
Nous irons naturellement vers ces « groupes pionniers » qu’a évoqués le président de la République, en janvier 2004, après l’échec du sommet de Rome. La rencontre, il y a quelques jours, à Paris de MM. Schröder, Poutine, Chirac et Zapatero a constitué, en politique étrangère, une heureuse préfiguration d’une « Europe européenne » qui pourrait s’étendre demain à l’Italie, dès lors qu’elle le voudra. Quelle meilleure démonstration, soit dit en passant, de la nécessité de sortir du cadre à vingt-cinq pour conduire une politique indépendante ? Une certaine différenciation interne, elle-même évolutive, est indispensable au progrès de l’Europe. Celle-ci prendra appui sur la démocratie qui vit dans les nations et qui ne doit pas mourir. Evidemment cela signifie la rupture avec la chimère d’une « nation européenne » qui n’existe pas et ne peut pas exister.
L’Europe est d’abord une civilisation. Elle juxtapose une trentaine de nations qu’il s’agit de solidariser et non d’effacer. Pour cela, nous n’avons pas besoin de recréer une nouvelle « prison des peuples » : il suffit de se mettre à leur écoute pour traduire en actions leurs aspirations, ce que sont incapables de faire les oligarchies régnantes, retranchées dans une forteresse d’orthodoxie dont elles veulent encore élever les murs. Nous irons ainsi vers une Europe à plusieurs cercles, avec un coeur dynamique qui entraînera l’ensemble, les treize pays non membres de la zone euro, mais aussi nos partenaires associés de l’Est et du Sud.
La redynamisation de l’économie européenne tout entière favorisera le développement des coopérations scientifiques, technologiques et industrielles à géométrie variable entre les Etats volontaires. L’Europe à vingt-cinq fonctionnera ainsi comme un grand marché avec les correctifs indispensables.
La victoire du non ne mettrait pas un terme au mandat du président de la République qui court jusqu’en 2007. Elle le conduirait à prendre appui sur la volonté populaire pour remettre à plat la construction européenne en provoquant la réunion de deux conférences parallèles, l’une à douze avec les pays membres de la zone euro, l’autre à vingt-cinq. Un non français provoquerait un immense débat dans toute l’Europe. Celle-ci, en définitive, en sortirait redressée et renforcée, comme à l’occasion de toutes les crises du passé. Le Parti socialiste devrait changer de direction politique, au-delà des hommes qui peuvent évoluer. La belle affaire ! Le débat politique en France retrouverait un sens.
Et qui peut croire que, dans le grand jeu européen, les autres pays pourraient ne pas tenir compte de l’avis politique de la France, pays fondateur de l’Europe par excellence, alors que nulle part ailleurs ne s’est déroulé un tel débat ? Dès lors que notre pays avancerait des propositions réellement novatrices et répondant à l’intérêt d’une Europe redressée, nous trouverions partout des alliés. Voilà pourquoi il faut voter non : l’Europe pourrait se recentrer sur l’essentiel et, selon l’heureuse formule d’Hubert Védrine, « laisser les peuples respirer ».