Le gouvernement nous a fait une présentation quelque peu lénifiante du projet de loi de finances pour 2009. Selon M. Woerth, si le déficit budgétaire va dépasser le seuil de 3 % du PIB en 2009, il ne s’agit que d’une « évolution conjoncturelle », je le cite. Le gouvernement aurait simplement choisi de laisser jouer les « stabilisateurs automatiques » : en d’autres termes, il ne change rien aux dépenses en dehors des hypothèses révisées sur la charge d’intérêt et les dépenses indexées. Il prend acte par avance de la baisse anticipée des recettes (7 Milliards) et nous présente un déficit budgétaire à hauteur de 57,6 Milliards d’euros. Dans ces conditions, la dette publique qui atteignait 1.269,3 Milliards d’euros au 30 juin 2008 devrait dépasser 66% du PIB dès 2009. Le gouvernement prétend faire rapidement diminuer la dette pour la ramener à 61,8 % du PIB en 2012. Objectif parfaitement irréaliste !
En fait vous réussissez ce miracle, M. le Ministre, de nous présenter un budget déflationniste et laxiste à la fois. C’est le contraire d’un budget volontariste face à la crise. Un seul exemple : le gouvernement en affichant une haute priorité pour l’université et la recherche supprime 900 emplois dans l’enseignement supérieur !
Vous êtes pris à contrepied. Certes, vous renoncez à comprimer davantage les dépenses ou à recourir à des impôts nouveaux et de ce point de vue je ne saurais que vous approuver : il ne faut pas ajouter la crise à la crise.
En fait vous réussissez ce miracle, M. le Ministre, de nous présenter un budget déflationniste et laxiste à la fois. C’est le contraire d’un budget volontariste face à la crise. Un seul exemple : le gouvernement en affichant une haute priorité pour l’université et la recherche supprime 900 emplois dans l’enseignement supérieur !
Vous êtes pris à contrepied. Certes, vous renoncez à comprimer davantage les dépenses ou à recourir à des impôts nouveaux et de ce point de vue je ne saurais que vous approuver : il ne faut pas ajouter la crise à la crise.
Mais quelle frilosité, M. le Ministre, dans votre politique ! Certes M. Sarkozy a annoncé hier à Valenciennes un plan de relance dont on dit qu’il atteindrait 20 milliards d’euros, soit 1 % du PIB. Mais aux Etats-Unis, on parle de 5 à 700 milliards de dollars, soit 5 % du PIB, et M. Obama a annoncé vouloir créer 2,5 millions d’emplois nouveaux d’ici 2011. De même, M. Brown prévoit une relance budgétaire massive en Grande-Bretagne, avec la baisse de 2,5 points de la TVA et un déficit budgétaire qui pourrait atteindre 8 % du PIB. En réalité nous sommes prisonniers au sein de la zone euro, de la frilosité de Mme Merkel. Bien que l’Allemagne dispose d’une marge budgétaire conséquente, puisque son déficit budgétaire ne dépasse pas 0,5 % du PIB, le gouvernement fédéral refuse le rôle de locomotive européenne qui lui incomberait pourtant naturellement. La relance européenne sera insuffisante et elle ne contribuera pas à une stratégie de relance coordonnée à l’échelle mondiale, pourtant affirmée par le G20 à Washington le 15 novembre. Nous attendons donc du gouvernement et de la Présidence française de l’Union européenne beaucoup plus d’audace politique et stratégique.
En réalité, vous êtes victime de la campagne culpabilisatrice que vous avez vous-même orchestrée sur la base du rapport Pébereau sur la dette de 2006.
Puisqu’il est question de la dette, parlons-en : il n’est pas difficile de montrer que l’Etat a été depuis trente ans l’artisan de sa propre déshérence financière, pour reprendre l’expression de l’économiste Jean-Luc Gréau.
De 1974 à 1982 il a vécu sur l’illusion d’un retour rapide à la grande croissance des trente glorieuses. Puis, victime de sa propre politique de désinflation compétitive, il a accepté tout au long des années quatre-vingt, de payer des taux d’intérêt assassins. La dette publique qui était de 21 % en 1980 est passée à 32 % du PIB en 1991, mais le pire est venu quand après avoir signé les accords de Maastricht, le gouvernement français, s’étant rendu prisonnier d’une parité fixe avec le mark allemand pour préparer l’union économique et monétaire, a installé l’économie française dans la récession en 1993, puis dans la stagnation, creusant les déficits et faisant bondir l’endettement public à 58 % du PIB en 1998 : plus vingt-six points d’endettement supplémentaires en sept ans de 1991 à 1998. Enfin, pour les dix dernières années, nous nous sommes installés dans la facilité. Cette situation regrettable n’est devenue dramatique, que parce que vous l’avez dramatisée à souhait, à des fins politiques, pour faire accepter comme une nécessité la politique de rigueur budgétaire. La vérité est que la France n’est pas ruinée : sa position nette vis-à-vis de l’extérieur reste créditrice, même si elle est entamée par la succession des déficits commerciaux, indicateur au moins aussi préoccupant que celui de la dette publique.
Le Japon a une dette publique supérieure à 150 % de son PIB, mais il dispose des deuxièmes réserves de change du monde. A l’inverse, les Etats-Unis dont l’endettement conjugué des ménages et de l’Etat a gonflé la dette extérieure jusqu’à représenter dix-huit mois d’exportations, sont exposés à une crise de leurs paiements extérieurs et de leur monnaie, qui chacun le sait, est aussi la monnaie mondiale.
La France, quant à elle, n’est pas menacée de faillite par la taille de sa dette publique, comparable voire inférieure encore à celle de beaucoup de pays développés (Etats-Unis, Japon, Italie, Belgique). Ce qui la menace, c’est la perte de compétitivité du site de production national, notamment automobile, du fait de la surévaluation de l’euro, de l’atonie de la demande en Allemagne et en Italie, du processus continu de délocalisation au bénéfice des pays à bas coûts salariaux et de l’absence totale de protection du marché européen.
La dette publique n’est qu’un élément parmi d’autres. Les ménages français sont beaucoup moins endettés que les ménages américains : 60 % de leurs revenus contre 150% aux Etats-Unis, et même que les ménages britanniques ou espagnols. La dette doit être appréciée globalement, quels que soient les agents qui la portent.
Le grand atout de la France, c’est l’importance de son épargne, et particulièrement de l’épargne des ménages – près de 15 % de leurs revenus alors que l’épargne des ménages américains n’atteint que 0,6 % de ceux-ci. La dette française est soutenable. Elle est aux mains, pour plus de moitié, des résidents, et ceux-ci détiennent une partie de la dette publique étrangère. La France est un pays solvable. Le problème est de faire de notre remarquable capacité d’épargne un véritable levier de développement face à la crise.
Ainsi le problème de la dette doit être analysé dans la durée. En dehors d’une hypothèse de monétisation de la dette, chose concevable au Japon et même aux Etats-Unis, mais que la Banque Centrale européenne s’interdit, ou d’une hypothèse d’inflation qui diminue objectivement le montant de la dette en euros constants, la gestion de la dette publique doit essentiellement s’inscrire dans le meilleur « trend » de croissance possible pour l’économie française.
C’est à cela que doit tendre la politique du gouvernement. Partout dans le monde on assiste à un grand retour du politique et n’ayons pas peur du mot, à un grand retour de l’Etat. La vraie question est de savoir comment vous le concevez : soit comme un expédient provisoire, une parenthèse interventionniste qu’on ouvre à regret, avec l’intention de la refermer dès que possible, et c’est bien évidemment la perspective dans laquelle vous vous placez. Vous faites comme si les critères de Maastricht n’étaient que momentanément suspendus, et que les règles européennes, en matière de concurrence et de prohibition des aides d’Etat, devaient à nouveau s’appliquer demain avec toute leur rigueur aveugle. C’est sous-estimer beaucoup l’ampleur de la crise.
Il faudrait vous placer dans une tout autre perspective, beaucoup plus audacieuse, celle d’un Etat anticipateur et programmateur, attaché à transformer durablement l’abondante épargne liquide dont nous disposons pour favoriser en France même des investissements de long terme qui garantiront notre croissance ultérieure : famille, éducation, recherche, innovation, infrastructures énergétiques et de transports ferroviaires, logement social, économies d’énergie, hôpital public, voitures propres. Et il faudrait pour cela s’appuyer sur les collectivités locales auxquelles vous tenez la bride trop serrée.
Nos possibilités de croissance dans le long terme conditionnent la solvabilité future de la France. La dette publique est un problème intérieur dont je ne conteste pas qu’il faut le gérer avec sérieux. Ce qui est déterminant, c’est la balance extérieure de la France. Bref, il faut renverser l’ordre des facteurs et se préoccuper davantage des institutions publiques ou privées, Caisse des Dépôts ou autres institutions bancaires qui nous permettront de transformer utilement notre épargne dans l’intérêt national, notion trop souvent oubliée au profit de règles de gestion à courte vue.
C’est la protection et le développement du site de production France qui nous permettra de maîtriser à long terme le problème de la dette. Encore faut-il que le gouvernement prenne les moyens d’une politique ambitieuse, notamment vis-à-vis des banques, bref qu’il ne se contente pas de mesures palliatives mais inscrive ses choix dans une perspective où l’Etat n’aura pas peur de son ombre en Europe comme en France même. C’est évidemment une toute autre histoire. Encore faudrait-il avoir la volonté d’ouvrir cette page-là …
---------
Voir aussi les actes du colloques de la Fondation Res Publica, tenu le 24 avril 2006, Finances publiques et pérennité de l'Etat
En réalité, vous êtes victime de la campagne culpabilisatrice que vous avez vous-même orchestrée sur la base du rapport Pébereau sur la dette de 2006.
Puisqu’il est question de la dette, parlons-en : il n’est pas difficile de montrer que l’Etat a été depuis trente ans l’artisan de sa propre déshérence financière, pour reprendre l’expression de l’économiste Jean-Luc Gréau.
De 1974 à 1982 il a vécu sur l’illusion d’un retour rapide à la grande croissance des trente glorieuses. Puis, victime de sa propre politique de désinflation compétitive, il a accepté tout au long des années quatre-vingt, de payer des taux d’intérêt assassins. La dette publique qui était de 21 % en 1980 est passée à 32 % du PIB en 1991, mais le pire est venu quand après avoir signé les accords de Maastricht, le gouvernement français, s’étant rendu prisonnier d’une parité fixe avec le mark allemand pour préparer l’union économique et monétaire, a installé l’économie française dans la récession en 1993, puis dans la stagnation, creusant les déficits et faisant bondir l’endettement public à 58 % du PIB en 1998 : plus vingt-six points d’endettement supplémentaires en sept ans de 1991 à 1998. Enfin, pour les dix dernières années, nous nous sommes installés dans la facilité. Cette situation regrettable n’est devenue dramatique, que parce que vous l’avez dramatisée à souhait, à des fins politiques, pour faire accepter comme une nécessité la politique de rigueur budgétaire. La vérité est que la France n’est pas ruinée : sa position nette vis-à-vis de l’extérieur reste créditrice, même si elle est entamée par la succession des déficits commerciaux, indicateur au moins aussi préoccupant que celui de la dette publique.
Le Japon a une dette publique supérieure à 150 % de son PIB, mais il dispose des deuxièmes réserves de change du monde. A l’inverse, les Etats-Unis dont l’endettement conjugué des ménages et de l’Etat a gonflé la dette extérieure jusqu’à représenter dix-huit mois d’exportations, sont exposés à une crise de leurs paiements extérieurs et de leur monnaie, qui chacun le sait, est aussi la monnaie mondiale.
La France, quant à elle, n’est pas menacée de faillite par la taille de sa dette publique, comparable voire inférieure encore à celle de beaucoup de pays développés (Etats-Unis, Japon, Italie, Belgique). Ce qui la menace, c’est la perte de compétitivité du site de production national, notamment automobile, du fait de la surévaluation de l’euro, de l’atonie de la demande en Allemagne et en Italie, du processus continu de délocalisation au bénéfice des pays à bas coûts salariaux et de l’absence totale de protection du marché européen.
La dette publique n’est qu’un élément parmi d’autres. Les ménages français sont beaucoup moins endettés que les ménages américains : 60 % de leurs revenus contre 150% aux Etats-Unis, et même que les ménages britanniques ou espagnols. La dette doit être appréciée globalement, quels que soient les agents qui la portent.
Le grand atout de la France, c’est l’importance de son épargne, et particulièrement de l’épargne des ménages – près de 15 % de leurs revenus alors que l’épargne des ménages américains n’atteint que 0,6 % de ceux-ci. La dette française est soutenable. Elle est aux mains, pour plus de moitié, des résidents, et ceux-ci détiennent une partie de la dette publique étrangère. La France est un pays solvable. Le problème est de faire de notre remarquable capacité d’épargne un véritable levier de développement face à la crise.
Ainsi le problème de la dette doit être analysé dans la durée. En dehors d’une hypothèse de monétisation de la dette, chose concevable au Japon et même aux Etats-Unis, mais que la Banque Centrale européenne s’interdit, ou d’une hypothèse d’inflation qui diminue objectivement le montant de la dette en euros constants, la gestion de la dette publique doit essentiellement s’inscrire dans le meilleur « trend » de croissance possible pour l’économie française.
C’est à cela que doit tendre la politique du gouvernement. Partout dans le monde on assiste à un grand retour du politique et n’ayons pas peur du mot, à un grand retour de l’Etat. La vraie question est de savoir comment vous le concevez : soit comme un expédient provisoire, une parenthèse interventionniste qu’on ouvre à regret, avec l’intention de la refermer dès que possible, et c’est bien évidemment la perspective dans laquelle vous vous placez. Vous faites comme si les critères de Maastricht n’étaient que momentanément suspendus, et que les règles européennes, en matière de concurrence et de prohibition des aides d’Etat, devaient à nouveau s’appliquer demain avec toute leur rigueur aveugle. C’est sous-estimer beaucoup l’ampleur de la crise.
Il faudrait vous placer dans une tout autre perspective, beaucoup plus audacieuse, celle d’un Etat anticipateur et programmateur, attaché à transformer durablement l’abondante épargne liquide dont nous disposons pour favoriser en France même des investissements de long terme qui garantiront notre croissance ultérieure : famille, éducation, recherche, innovation, infrastructures énergétiques et de transports ferroviaires, logement social, économies d’énergie, hôpital public, voitures propres. Et il faudrait pour cela s’appuyer sur les collectivités locales auxquelles vous tenez la bride trop serrée.
Nos possibilités de croissance dans le long terme conditionnent la solvabilité future de la France. La dette publique est un problème intérieur dont je ne conteste pas qu’il faut le gérer avec sérieux. Ce qui est déterminant, c’est la balance extérieure de la France. Bref, il faut renverser l’ordre des facteurs et se préoccuper davantage des institutions publiques ou privées, Caisse des Dépôts ou autres institutions bancaires qui nous permettront de transformer utilement notre épargne dans l’intérêt national, notion trop souvent oubliée au profit de règles de gestion à courte vue.
C’est la protection et le développement du site de production France qui nous permettra de maîtriser à long terme le problème de la dette. Encore faut-il que le gouvernement prenne les moyens d’une politique ambitieuse, notamment vis-à-vis des banques, bref qu’il ne se contente pas de mesures palliatives mais inscrive ses choix dans une perspective où l’Etat n’aura pas peur de son ombre en Europe comme en France même. C’est évidemment une toute autre histoire. Encore faudrait-il avoir la volonté d’ouvrir cette page-là …
---------
Voir aussi les actes du colloques de la Fondation Res Publica, tenu le 24 avril 2006, Finances publiques et pérennité de l'Etat