Jacques Chirac n’est pas crédible quand il prétend que la « Constitution » permettrait de « sauvegarder le modèle social européen ». Les critères de gestion qu’elle fixe sont tous récessifs : interdiction de la relance par l’investissement du fait d’un pacte de stabilité absurde qui n’a été que cosmétiquement assoupli (la règle des 3 % figure toujours dans le traité et aucune déduction des dépenses de recherche, par exemple, n’est autorisée). Seule au monde dans ce cas, la Banque centrale indépendante n’a pas à se soucier de la croissance et de l’emploi. La Commission interprète le primat de la concurrence comme l’interdiction de toute politique industrielle. Un enfant peut comprendre que sans croissance économique l’équilibre du régime des retraites, de l’assurance maladie ou de l’assurance chômage est inévitablement compromis. C’est pourquoi, même en choisissant des interlocuteurs très jeunes, le président de la République prend des risques.
La directive Bolkestein n’est évidemment retirée que jusqu’au 29 mai. La « Constitution » qui met la liberté d’établissement au rang des libertés fondamentales (article I-4) renforce les bases sur lesquelles elle a été prise (article III-133 à 150). La Commission peut s’appuyer sur l’article III-148 pour imposer le principe du pays d’origine. Un enfant encore peut comprendre que, entre des pays où les rémunérations brutes moyennes varient de un à quinze, la règle de l’unanimité en matière sociale (article IV-210) interdira toute harmonisation par le haut et favorisera la course au moins-disant social.
François Hollande n’est pas plus crédible en prétendant qu’il n’y a pas de rapport entre la politique gouvernementale et les contraintes de la politique européenne qu’il nous propose de constitutionnaliser et qui seraient bien entendu les siennes, s’il venait au pouvoir. D’Amsterdam à Barcelone en passant par Lisbonne, l’opinion se souvient que les sociaux-libéraux ont contresigné le pacte de stabilité budgétaire et surenchéri dans son application, ouvert les services publics à la concurrence, accéléré les privatisations et entériné les projets de « flexibilisation » du marché du travail. M. Raffarin est certes très critiquable mais François Hollande n’est pas le mieux placé pour le faire. Il n’y a pas de « oui de gauche » pas plus qu’il n’y a de « oui gaulliste ». Il y a un oui libéral. Point à la ligne.
Parce que leur dossier est mauvais, les propagandistes du « oui » qui confisquent les moyens d’expression, en n’hésitant pas à détourner effrontément l’argent public, vont développer de plus en plus les arguments de la peur. Ceux qui ont signé le traité de Nice en 2000, en nous le décrivant alors comme « le meilleur texte européen depuis le traité de Rome » (Jacques Chirac), nous expliquent aujourd’hui qu’il serait une épouvantable régression.
Certes, le traité de Nice n’est pas bon, mais il est infiniment moins mauvais que le texte dit de « Constitution » et d’abord parce qu’il ne prétend pas en être une. Il n’affirme pas le primat de la Constitution et du droit européen sur le droit national et donc sur la Constitution française (article I-6). Il n’étend pas davantage les immenses pouvoirs de la Commission désormais chargée de « promouvoir l’intérêt général de l’Union » (article 26) alors qu’elle n’est encore que « chargée d’exercer ses fonctions dans l’intérêt général » (article 213 TCE). Nuance de taille.
Le traité de Nice ne marginalise pas autant la France qui pourrait n’avoir, à partir de 2014, plus aucun commissaire, en vertu du principe de rotation égale entre les Etats posé par la Constitution. Celle-ci met la France au même rang que l’île de Malte !
Le traité de Nice, contrairement à la Constitution, ne rompt pas avec la parité dans les votes au Conseil entre la France et l’Allemagne dont, depuis les années 50, les « pères fondateurs » considéraient que, nonobstant les poids de la population, elle seule pouvait fonder un partenariat de longue durée entre nos deux pays. Légèreté coupable !
Le traité de Nice n’étend pas les délégations de compétences non ciblées et non contrôlées démocratiquement et cela dans des domaines ultrasensibles : l’asile, l’immigration. Il maintient la clause de sauvegarde de Schengen que la « Constitution » supprime et qui m’a été bien utile pour arrêter à nos frontières casseurs et hooligans pendant la Coupe du monde de football en 1998 ! Le traité de Nice maintient l’« exception culturelle » (article III-315) que la Constitution supprime.
Le traité de Nice ne reprend pas les objectifs de l’AMI : suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers (article III-314). Victoire des libéraux qu’entérinent les directions du PS et des Verts. Tristesse !
Le traité de Nice n’inscrit pas dans les textes la comptabilité obligatoire de la défense européenne commune avec l’Otan, consacrée comme « fondement de la défense collective et de sa mise en œuvre » (article I-41). Il ne fait pas de la Cour de justice européenne une véritable Cour suprême fédérale qui serait compétente en tous domaines, puisque les trois « piliers » ont été fusionnés.
Les contempteurs du traité de Nice font valoir qu’il rend la formation de majorités qualifiées au Conseil plus difficile pour mettre au pas les nations récalcitrantes. J’y vois pour ma part un grand avantage : le traité de Nice obligera à la multiplication de coopérations spécialisées à géométrie variable. Celle-ci est l’avenir d’une Europe refondée dans la démocratie.
L’erreur de M. Giscard d’Estaing, pur produit de la cohabitation, est d’avoir concocté avec sa « Convention » une sorte de Meccano institutionnel dont il est, paraît-il, très fier. Il a constitutionnalisé au passage, en 325 articles sur 448, toutes les politiques qui figeraient un rapport de forces totalement déséquilibré entre le travail et le capital dont la liberté souveraine est affirmée de manière quasiment irréversible (article III-157). M. Giscard d’Estaing n’a oublié que les peuples : que vaut la « liberté de chercher un emploi et de travailler » (article II-75) dans une Union où le nombre de chômeurs dépasse 10 % de la population active ?
M. Giscard d’Estaing n’a pas traité le vrai sujet : comment sortir la zone euro qui, avec ses 300 millions d’habitants, est le coeur de l’Europe, de la stagnation économique où elle s’enfonce ? Les règles libre-échangistes que la Constitution cristalliserait nous désarment dans une mondialisation dont les paramètres nous échappent. L’euro, dont la Banque centrale indépendante a laissé la valeur en dollars s’apprécier en cinq ans de 60 % (le dollar qui valait 0,8 euro en vaut aujourd’hui 1,3), asphyxie nos exportations, décourage l’investissement, accélère les délocalisations. Le pacte de stabilité budgétaire et le principe de la « concurrence libre et non faussée » conduisent à une absence presque totale de réactivité en matière d’investissement public, de politique industrielle et scientifique.
Pour remettre l’Europe en marche, il faut doter la zone euro d’un véritable « gouvernement économique », modifier les statuts de la Banque centrale, en lui assignant la croissance et l’emploi comme objectifs (et pas seulement la lutte contre l’inflation), réformer le pacte de stabilité budgétaire en autorisant la déduction des dépenses de recherche, harmoniser enfin la fiscalité et assurer la convergence en matière sociale, toutes choses que la « Constitution » rend impossibles. On me fera valoir que cela impliquera des décisions prises à la majorité qualifiée au sein des Douze.
Aux yeux d’un républicain, des délégations de compétences sont acceptables, dès lors qu’elles sont ciblées (harmonisation sociale par le haut suppression de la course au moins-disant fiscal) et que, décidées dans un espace économique et politique relativement homogène, elles restent démocratiquement contrôlées. Tout le contraire des abandons de souveraineté qui — via la Commission de Bruxelles et son principe de « concurrence libre et non faussée » — n’ont fait que transférer d’immenses pouvoirs au marché, au seul bénéfice des multinationales, enfin libres dans le poulailler mondial libre ! Les pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie au premier chef) sont confrontés aux mêmes difficultés : délocalisations, chômage de masse, remise en cause des acquis sociaux. C’est ensemble que nous devons inventer une réponse : relance par l’investissement, politique monétaire active, pari sur l’intelligence en matière de formation et de recherche, politique industrielle et de développement technologique à géométrie variable, etc. La France ne sera pas seule : elle trouvera des alliés.
Dès lors que la zone euro aurait été redynamisée, il ne sera pas difficile de trouver un code de bonne conduite, dans le grand marché à vingt-cinq, avec les autres pays membres pour refuser la course au moins-disant fiscal et social, moyennant des aides régionales substantielles. Et, bien entendu, il faudrait dépasser le cadre de l’Europe à vingt-cinq où les gouvernements pro-Bush sont majoritaires, pour nouer des partenariats stratégiques du Maghreb à la Russie. Jacques Chirac ne démontre-t-il pas l’inadéquation du cadre à vingt-cinq pour mener une politique étrangère indépendante, quand il réunit à Paris MM. Schröder, Zapatero... et Poutine ? Ce qu’il fait aujourd’hui demain ne le serait plus avec la « Constitution » qui nous obligerait à des consultations préalables avant toute initiative de politique étrangère (article III-297, alinéa 3) et nous ferait parler par la voix de M. Solana, déjà consacré comme futur « ministre des Affaires Etrangères de l’Union ». L’Europe parlerait certes d’une seule voix mais elle parlerait yankee.
Décidément, la copie que nous présente M. Chirac est mauvaise. Le peuple français a le moyen de la lui renvoyer, avec la mention : « A refaire. » Il suffit de dire « non ».
La directive Bolkestein n’est évidemment retirée que jusqu’au 29 mai. La « Constitution » qui met la liberté d’établissement au rang des libertés fondamentales (article I-4) renforce les bases sur lesquelles elle a été prise (article III-133 à 150). La Commission peut s’appuyer sur l’article III-148 pour imposer le principe du pays d’origine. Un enfant encore peut comprendre que, entre des pays où les rémunérations brutes moyennes varient de un à quinze, la règle de l’unanimité en matière sociale (article IV-210) interdira toute harmonisation par le haut et favorisera la course au moins-disant social.
François Hollande n’est pas plus crédible en prétendant qu’il n’y a pas de rapport entre la politique gouvernementale et les contraintes de la politique européenne qu’il nous propose de constitutionnaliser et qui seraient bien entendu les siennes, s’il venait au pouvoir. D’Amsterdam à Barcelone en passant par Lisbonne, l’opinion se souvient que les sociaux-libéraux ont contresigné le pacte de stabilité budgétaire et surenchéri dans son application, ouvert les services publics à la concurrence, accéléré les privatisations et entériné les projets de « flexibilisation » du marché du travail. M. Raffarin est certes très critiquable mais François Hollande n’est pas le mieux placé pour le faire. Il n’y a pas de « oui de gauche » pas plus qu’il n’y a de « oui gaulliste ». Il y a un oui libéral. Point à la ligne.
Parce que leur dossier est mauvais, les propagandistes du « oui » qui confisquent les moyens d’expression, en n’hésitant pas à détourner effrontément l’argent public, vont développer de plus en plus les arguments de la peur. Ceux qui ont signé le traité de Nice en 2000, en nous le décrivant alors comme « le meilleur texte européen depuis le traité de Rome » (Jacques Chirac), nous expliquent aujourd’hui qu’il serait une épouvantable régression.
Certes, le traité de Nice n’est pas bon, mais il est infiniment moins mauvais que le texte dit de « Constitution » et d’abord parce qu’il ne prétend pas en être une. Il n’affirme pas le primat de la Constitution et du droit européen sur le droit national et donc sur la Constitution française (article I-6). Il n’étend pas davantage les immenses pouvoirs de la Commission désormais chargée de « promouvoir l’intérêt général de l’Union » (article 26) alors qu’elle n’est encore que « chargée d’exercer ses fonctions dans l’intérêt général » (article 213 TCE). Nuance de taille.
Le traité de Nice ne marginalise pas autant la France qui pourrait n’avoir, à partir de 2014, plus aucun commissaire, en vertu du principe de rotation égale entre les Etats posé par la Constitution. Celle-ci met la France au même rang que l’île de Malte !
Le traité de Nice, contrairement à la Constitution, ne rompt pas avec la parité dans les votes au Conseil entre la France et l’Allemagne dont, depuis les années 50, les « pères fondateurs » considéraient que, nonobstant les poids de la population, elle seule pouvait fonder un partenariat de longue durée entre nos deux pays. Légèreté coupable !
Le traité de Nice n’étend pas les délégations de compétences non ciblées et non contrôlées démocratiquement et cela dans des domaines ultrasensibles : l’asile, l’immigration. Il maintient la clause de sauvegarde de Schengen que la « Constitution » supprime et qui m’a été bien utile pour arrêter à nos frontières casseurs et hooligans pendant la Coupe du monde de football en 1998 ! Le traité de Nice maintient l’« exception culturelle » (article III-315) que la Constitution supprime.
Le traité de Nice ne reprend pas les objectifs de l’AMI : suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers (article III-314). Victoire des libéraux qu’entérinent les directions du PS et des Verts. Tristesse !
Le traité de Nice n’inscrit pas dans les textes la comptabilité obligatoire de la défense européenne commune avec l’Otan, consacrée comme « fondement de la défense collective et de sa mise en œuvre » (article I-41). Il ne fait pas de la Cour de justice européenne une véritable Cour suprême fédérale qui serait compétente en tous domaines, puisque les trois « piliers » ont été fusionnés.
Les contempteurs du traité de Nice font valoir qu’il rend la formation de majorités qualifiées au Conseil plus difficile pour mettre au pas les nations récalcitrantes. J’y vois pour ma part un grand avantage : le traité de Nice obligera à la multiplication de coopérations spécialisées à géométrie variable. Celle-ci est l’avenir d’une Europe refondée dans la démocratie.
L’erreur de M. Giscard d’Estaing, pur produit de la cohabitation, est d’avoir concocté avec sa « Convention » une sorte de Meccano institutionnel dont il est, paraît-il, très fier. Il a constitutionnalisé au passage, en 325 articles sur 448, toutes les politiques qui figeraient un rapport de forces totalement déséquilibré entre le travail et le capital dont la liberté souveraine est affirmée de manière quasiment irréversible (article III-157). M. Giscard d’Estaing n’a oublié que les peuples : que vaut la « liberté de chercher un emploi et de travailler » (article II-75) dans une Union où le nombre de chômeurs dépasse 10 % de la population active ?
M. Giscard d’Estaing n’a pas traité le vrai sujet : comment sortir la zone euro qui, avec ses 300 millions d’habitants, est le coeur de l’Europe, de la stagnation économique où elle s’enfonce ? Les règles libre-échangistes que la Constitution cristalliserait nous désarment dans une mondialisation dont les paramètres nous échappent. L’euro, dont la Banque centrale indépendante a laissé la valeur en dollars s’apprécier en cinq ans de 60 % (le dollar qui valait 0,8 euro en vaut aujourd’hui 1,3), asphyxie nos exportations, décourage l’investissement, accélère les délocalisations. Le pacte de stabilité budgétaire et le principe de la « concurrence libre et non faussée » conduisent à une absence presque totale de réactivité en matière d’investissement public, de politique industrielle et scientifique.
Pour remettre l’Europe en marche, il faut doter la zone euro d’un véritable « gouvernement économique », modifier les statuts de la Banque centrale, en lui assignant la croissance et l’emploi comme objectifs (et pas seulement la lutte contre l’inflation), réformer le pacte de stabilité budgétaire en autorisant la déduction des dépenses de recherche, harmoniser enfin la fiscalité et assurer la convergence en matière sociale, toutes choses que la « Constitution » rend impossibles. On me fera valoir que cela impliquera des décisions prises à la majorité qualifiée au sein des Douze.
Aux yeux d’un républicain, des délégations de compétences sont acceptables, dès lors qu’elles sont ciblées (harmonisation sociale par le haut suppression de la course au moins-disant fiscal) et que, décidées dans un espace économique et politique relativement homogène, elles restent démocratiquement contrôlées. Tout le contraire des abandons de souveraineté qui — via la Commission de Bruxelles et son principe de « concurrence libre et non faussée » — n’ont fait que transférer d’immenses pouvoirs au marché, au seul bénéfice des multinationales, enfin libres dans le poulailler mondial libre ! Les pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie au premier chef) sont confrontés aux mêmes difficultés : délocalisations, chômage de masse, remise en cause des acquis sociaux. C’est ensemble que nous devons inventer une réponse : relance par l’investissement, politique monétaire active, pari sur l’intelligence en matière de formation et de recherche, politique industrielle et de développement technologique à géométrie variable, etc. La France ne sera pas seule : elle trouvera des alliés.
Dès lors que la zone euro aurait été redynamisée, il ne sera pas difficile de trouver un code de bonne conduite, dans le grand marché à vingt-cinq, avec les autres pays membres pour refuser la course au moins-disant fiscal et social, moyennant des aides régionales substantielles. Et, bien entendu, il faudrait dépasser le cadre de l’Europe à vingt-cinq où les gouvernements pro-Bush sont majoritaires, pour nouer des partenariats stratégiques du Maghreb à la Russie. Jacques Chirac ne démontre-t-il pas l’inadéquation du cadre à vingt-cinq pour mener une politique étrangère indépendante, quand il réunit à Paris MM. Schröder, Zapatero... et Poutine ? Ce qu’il fait aujourd’hui demain ne le serait plus avec la « Constitution » qui nous obligerait à des consultations préalables avant toute initiative de politique étrangère (article III-297, alinéa 3) et nous ferait parler par la voix de M. Solana, déjà consacré comme futur « ministre des Affaires Etrangères de l’Union ». L’Europe parlerait certes d’une seule voix mais elle parlerait yankee.
Décidément, la copie que nous présente M. Chirac est mauvaise. Le peuple français a le moyen de la lui renvoyer, avec la mention : « A refaire. » Il suffit de dire « non ».