I. Première partie du discours de Bayeux : La légitimité.[1]
Cette première partie du discours de Bayeux est d’abord une affirmation de la légitimité incarnée par de Gaulle dès le 18 juin 1940. Elle contrarie la mode qui s’est instituée depuis qu’en juillet 1995 Jacques Chirac a déclaré à propos de la rafle du Vel’ d’Hiv : « La France a commis l’irréparable », la France et non pas « l’Etat français ».
Pour de Gaulle, au contraire, le gouvernement Pétain, pourtant nommé par le Président de la République de l’époque, Albert Lebrun, le 16 juin 1940, perd sa légitimité dès le lendemain 17 juin quand Pétain demande à Hitler à connaître les conditions de l’armistice.
- Premier point. De Gaulle explicite sa pensée dès le 18 juin et plus encore le 22 : « La France a perdu une bataille mais elle n’a pas perdu la guerre car cette guerre est mondiale » (18 juin).
- Deuxième point. « Ce n’est pas seulement l’honneur mais c’est aussi l’intérêt de la France de continuer le combat. Que resterait-il de la France si elle se retirait d’une guerre mondiale où le camp de la liberté aurait fini par triompher ? » (22 juin). J’insiste sur cette vision : l’Etat pour être légitime doit reposer sur l’intérêt de la nation. Cette guerre est mondiale : elle entrainera tôt ou tard les Etats-Unis et l’URSS, elle-même dans le camp des Alliés.
En trahissant l’engagement pris vis-à-vis de la Grande-Bretagne de ne pas conclure une paix séparée, le gouvernement du Maréchal Pétain commet une erreur politique et une faute morale.
Cette première partie du discours de Bayeux est d’abord une affirmation de la légitimité incarnée par de Gaulle dès le 18 juin 1940. Elle contrarie la mode qui s’est instituée depuis qu’en juillet 1995 Jacques Chirac a déclaré à propos de la rafle du Vel’ d’Hiv : « La France a commis l’irréparable », la France et non pas « l’Etat français ».
Pour de Gaulle, au contraire, le gouvernement Pétain, pourtant nommé par le Président de la République de l’époque, Albert Lebrun, le 16 juin 1940, perd sa légitimité dès le lendemain 17 juin quand Pétain demande à Hitler à connaître les conditions de l’armistice.
- Premier point. De Gaulle explicite sa pensée dès le 18 juin et plus encore le 22 : « La France a perdu une bataille mais elle n’a pas perdu la guerre car cette guerre est mondiale » (18 juin).
- Deuxième point. « Ce n’est pas seulement l’honneur mais c’est aussi l’intérêt de la France de continuer le combat. Que resterait-il de la France si elle se retirait d’une guerre mondiale où le camp de la liberté aurait fini par triompher ? » (22 juin). J’insiste sur cette vision : l’Etat pour être légitime doit reposer sur l’intérêt de la nation. Cette guerre est mondiale : elle entrainera tôt ou tard les Etats-Unis et l’URSS, elle-même dans le camp des Alliés.
En trahissant l’engagement pris vis-à-vis de la Grande-Bretagne de ne pas conclure une paix séparée, le gouvernement du Maréchal Pétain commet une erreur politique et une faute morale.
Une erreur politique en ce qu’il circonscrit le conflit à l’Europe occidentale. Mussolini commet la même erreur, en attaquant la France le 10 juin 1940. Sinon, comme Franco, il serait mort dans son lit. Mais Pétain méconnait plus encore le sens idéologique de l’affrontement avec l’Allemagne nazie. La politique de collaboration qu’il proclame à Montoire, en octobre 1940, à peine trois mois après la conclusion de l’armistice, va le conduire à prêter le concours de sa police, à la répression de la Résistance, et à la politique hitlérienne d’extermination des Juifs, avec la rafle du Vel’ d’Hiv en avril 1942.
Les formes de la démocratie sont apparemment respectées par Pétain puisque le Congrès réunissant la Chambre des Députés et le Sénat à Vichy le 10 juillet 1940 donne son accord, par 569 voix contre 80 seulement à la dévolution de tous les pouvoirs au Maréchal. Ce faisant, l’acte constitutionnel du 10 juillet met ainsi la République en congé : il donne à Pétain proclamé Chef de l’Etat français tous les pouvoirs exécutif et législatif, et notamment celui de proclamer une nouvelle Constitution. Ce « coup d’Etat » fomenté au sein du gouvernement Reynaud avec l’appui du Chef d’Etat-Major des Armées, le général Weygand, en vue de la capitulation devant l’invasion étrangère ne peut fonder une légitimité.
Ainsi, pour de Gaulle, la servitude ne conserve que « l’apparence de la souveraineté réelle ». Celle-ci est transportée du côté de la France qui résiste, du côté de ceux qui n’ont « jamais cédé ». Car jamais la France « ne crut que l’ennemi ne fût point l’ennemi ». C’est ici qu’intervient l’adhésion, « l’assentiment de l’immense masse française », deuxième critère de l’Etat légitime mais qui pour de Gaulle vient évidemment par surcroit. Car il faudra attendre 1944 pour que de Gaulle recueille l’assentiment explicite de l’immense masse. Au mieux il faudrait dire que se forme progressivement à partir de 1941 un assentiment implicite. De Gaulle a anticipé ce deuxième fondement de la légitimité. Cette conception de la légitimité est à la base des institutions de la France libre, du Comité français de Libération nationale constitué en juin 1943 en Afrique du Nord et du Gouvernement provisoire de la République française proclamé le 3 juin 1944, trois jours avant le débarquement.
C’est donc à Bayeux que le Général de Gaulle, refusant le projet d’une administration américaine des territoires libérés, installe, le 14 juin 1944, François Coulet comme premier Commissaire de la République du gouvernement provisoire, huit jours seulement après le débarquement. C’est devant l’accueil enthousiaste réservé à de Gaulle par la population que le gouvernement des Etats-Unis se convainc qu’il doit renoncer à considérer la France comme un pays occupé.
Cette conception de la légitimité maintenue contre vents et marées depuis 1940 par le Chef de la France libre lui fera répondre le 25 août 1944 à Georges Bidault, Président du CNR, qui lui demande de proclamer la République du balcon de l’Hôtel de Ville de Paris libéré : « Je n’ai pas à proclamer la République : elle n’a jamais cessé d’exister ».
L’ordonnance du 9 août 1944 rétablit les lois de la République comme seules lois légitimes depuis 1940, et déclare nuls et non avenus les actes de Vichy. Le Général de Gaulle, par un déni magnifique, fait comme si la France libre et la Résistance avaient seules libéré la France. Il omet volontairement le rôle des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Il n’hésite pas à dire : « Partout où paraissait le Croix de Lorraine s’écroulait l’échafaudage d’une autorité qui n’était que fictive ». Ce déni n’est-il pas lui-même une fiction, la traduction d’une volonté d’effacer à tout prix le souvenir de l’effondrement de juin 1940 ?
De Gaulle se place exclusivement du point de vue de la France. Il dit : « La désastre de 1940 n’est qu’une péripétie de la guerre mondiale où la France servait d’avant-garde ». « Avant-garde » le mot est pesé : en 1940 la France ne peut compter ni sur les Etats-Unis englués dans leur isolationnisme et qui en 1936 font connaitre leur opposition à une intervention militaire de la France pour s’opposer à la réoccupation par Hitler de la rive gauche du Rhin, pourtant démilitarisée par l’une des clauses du Traité de Versailles, seule occasion où la France eût pu abattre le régime nazi.
La France en 1940 n’a pas pu davantage compter sur l’URSS fourvoyée dans le pacte Hitler-Staline d’août 1939, ni même sur la Grande-Bretagne qui, dans le bataille de France, n’a mis en ligne que huit divisions et a refusé d’engager son aviation pour la réserver à la bataille d’Angleterre qu’elle pressentait devoir suivre. C’était sa raison d’Etat.
La France est seule. Elle est de surcroît divisée entre les partisans de l’armistice et ceux d’un transfert de gouvernement en Afrique du Nord. En réalité la bourgeoisie française, comme toutes les bourgeoisies européennes, est partagée depuis 1933 : entre Hitler et Staline elle ne veut pas choisir. Elle préférerait un conflit entre l’Allemagne et l’URSS. Dans la guerre mal engagée avec l’Allemagne, elle choisit donc la défaite, « l’étrange défaite » dont parle Marc Bloch.
La France, à la différence de la Grande-Bretagne, ne dispose pas du fossé anti-chars naturel que constitue la Manche. A Londres, les partisans de « l’appeasement » avec Hitler doivent céder la place à Churchill. En France, Reynaud, qui n’est pas Churchill, est vite poussé à la démission par les tenants de l’armistice dont certains vont jusqu’à parler d’un « renversement d’alliances ». De Gaulle sait tout cela pour l’avoir vécu. Mais il relie aussi, comme ancien combattant et comme historien du présent, la Seconde Guerre mondiale à la Première qu’il a faite. Pour lui, « c’est une nouvelle guerre de Trente ans ». Le pangermanisme n’a pas admis sa défaite de 1918. A travers Hitler, il veut sa revanche. Naturellement, Hitler n’est pas Guillaume II. Il introduit une discontinuité radicale dans l’Histoire allemande et européenne. A cet égard l’historien révisionniste allemand Ernst Nolte, n’a pas tort de parler d’une « guerre civile européenne », proclamée entre le communisme soviétique et le nazisme allemand.
Mais tout cela n’enlève rien, mais au contraire renforce l’argument de de Gaulle : Il peut donc, sans heurter la vérité, décrire la France comme « l’avant-garde des démocraties ». Soulignons encore que la guerre contre le nazisme était plus que ce que Clémenceau appelait « la guerre du Droit », mais n’omettons pas les éléments de continuité entre les deux conflits mondiaux. Si la France retrouve son rang en 1945, c’est aussi parce que Churchill, lui, n’a pas oublié le sacrifice des poilus de 1914-18 et l’écrasant tribut (1,4 millions de morts, trois millions de blessés) payé par la France au cours du premier conflit mondial.
De Gaulle incarne la légitimité parce qu’il a choisi dès le premier jour de continuer le combat, qui est celui de la France parce qu’il est celui de la liberté. Cette conception de la légitimité renvoie à l’idée que les Français peuvent se faire d’eux-mêmes et de leur Histoire. Si, comme Jacques Chirac élu Président de la République l’a dit en juillet 1995, c’est la France qui « a commis l’irréparable » lors de la rafle du Vel’ d’Hiv, la France s’identifiant ainsi à Pétain, alors c’est à bon droit que de Gaulle aurait été condamné à mort et que des milliers de résistants auraient été fusillés. S’il n’avait pas voulu légitimer Pétain et délégitimer de Gaulle, ce qui n’était évidemment pas son intention, Jacques Chirac aurait dû dire que « l’Etat français », c’est-à-dire en particulier Bousquet et Laval avaient « commis l’irréparable » et que la République n’y était pour rien, comme l’avait d’ailleurs soutenu François Mitterrand jusqu’au bout. Il n’est évidemment pas question de minimiser le crime. Croit-on cependant que Bousquet eût donné son accord à Oberg, le chef de la Gestapo en France, si celle-ci n’avait pas été occupée ? Vichy s’est mis au service de l’Allemagne nazie jusqu’à lui prêter le concours des policiers et des gendarmes français pour l’accomplissement de son crime le plus abominable mais ce n’est pas une raison pour reléguer la France, même défaite, sur le même banc d’infamie que l’Allemagne nazie. Je sais que la mode aujourd’hui est à la repentance : on évoque volontiers ceux qui ont failli. On a cessé d’exalter le courage de ceux qui n’ont pas failli. Victoire posthume de ceux qui voulaient dégrader la France, l’humilier, la réduire à un rôle subalterne, la reléguer en bout de table.
Il y a plusieurs manières de raconter l’Histoire. La seule qui convienne est de la montrer telle qu’elle a été, avec ses ombres et ses lumières mais sans renoncer à célébrer ceux qui ont donné sens à notre Histoire, d’abord par l’édification patiente de la France, ensuite par un prodigieux renversement de perspectives, par la proclamation des Droits de l’Homme et du Citoyen, matrice des temps modernes, et enfin par la création de la République, toujours à parfaire, toujours à défendre, toujours à réinventer.
Pétain était-il la France ? Ou de Gaulle parce qu’il a résisté dès le premier jour ? Ce n’est pas une mince question. De la réponse dépend implicitement notre capacité à continuer notre histoire et à intégrer de nouvelles générations de Français venus d’ailleurs. Comment pourrait-on s’intégrer à un pays qui ne cesse de se débiner ? Alors faisons aimer la France, comme Bernanos qui en juin 1940, ayant eu, dans son exil brésilien, un lointain écho de l’appel du Général de Gaulle, incitait ses compatriotes à « se ranger du côté de l’Histoire de France ». Il n’y a pas d’autre manière aujourd’hui de la continuer. La manière dont on enseigne ou dont on n’enseigne plus le récit national décide évidemment de la lecture qu’on fait de l’Histoire de la France dans cette première moitié du XXème siècle : brise-t-elle le récit national que la IIIème République avait fixé à travers l’Ecole et selon Lavisse – c’est-à-dire Michelet – et qui avait fait un peuple ou permet-elle de la prolonger à travers la Résistance, la refondation sociale opérée après la Libération à partir du programme du CNR, la création et l’œuvre de la Vème République, le choix enfin de construire l’Europe, mais selon quelles modalités : l’intégration à un ensemble supranational ou la confédération ? ou bien encore une construction sui generis ?
Cette histoire n’a pas seulement besoin d’être apprise. Elle a surtout besoin d’être d’abord comprise, acceptée et endossée, si je puis dire, par la parole publique : elle pourra alors être enseignée. Si le récit national au XXème siècle redevient audible, de Gaulle n’aura pas existé pour rien, et notre Histoire n’aura pas été inutile puisque nous pourrons la continuer. C’est ainsi également qu’on refera un peuple de citoyens.
II. Deuxième partie du discours de Bayeux : Les institutions.
A/ Nécessité d’un « arbitre national ». [2]
De Gaulle veut des institutions qui puissent remédier à la rivalité des partis qui obscurcit le sens de l’intérêt général.
Il entend répondre non seulement à l’abdication de la IIIème République et aux errements d’un régime d’assemblée, mais plus profondément aux secousses qui, « dans une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d’un homme », c’est-à-dire les cent cinquante ans qui séparent la Révolution de 1789 de l’effondrement de 1940, et qui ont vu se succéder sept invasions et treize régimes. Il y ajoute « la veille propension gauloise aux divisions et aux querelles », mais c’est bien à l’instabilité fondamentale de nos institutions tiraillées entre le principe dynastique qui fonde les monarchies et successivement rejeté en 1792, 1814-1815, 1830, 1848 et 1871, et les aléas plus ou moins glorieux du régime d’assemblée, qu’il entend remédier.
De Gaulle est à la recherche « d’institutions nouvelles qui compensent par elles-mêmes les effets de notre effervescence nationale ». Certes de Gaulle fait leur part à l’opinion et au suffrage : « Il est de l’essence de la démocratie que l’opinion et le suffrage puissent orienter l’action publique et la législation ».
Mais de Gaulle pose deux principes :
- La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, « fortement équilibrée ». En clair il refuse le régime d’assemblée où le législatif absorbe l’exécutif.
- Le deuxième principe qui étaye le premier est celui d’un « arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». Mais comment établir cet arbitrage sans revenir à la monarchie dont les Français ne veulent plus ? C’est la caractéristique même des institutions nouvelles que de faire élire le Président de la République, dont les pouvoir sont considérablement étendus, par un collège plus large que le Congrès, qui réunit les deux Assemblées.
De Gaulle pour créer cet « arbitre national » tâtonnera : en 1958 il le fera élire par un collège de notables, et, en 1962, au suffrage universel. Michel Debré parlera de « monarque républicain ».
De Gaulle va au-devant des critiques qui lui sont faites de vouloir « un pouvoir personnel ». Il voit au contraire la menace de la dictature dans ce qu’il appelle « le trouble dans l’Etat ». Mais bien davantage il corrèle celui-ci à l’invasion étrangère. Il entend refonder un Etat capable d’empêcher une nouvelle invasion. La Vème République enfantera la dissuasion nucléaire. En 1946 à Bayeux, de Gaulle ne s’est pas encore avisé qu’il y avait pour obtenir la subordination d’un peuple un autre moyen que l’épée : la dette. De Gaulle eût-il accepté d’aliéner la souveraineté monétaire de la France dans une monnaie unique qu’elle ne contrôlerait pas ? C’est une autre affaire.
B/ Défense et illustration du bicamérisme. [3]
Ce passage du discours de Bayeux est une défense classique du bicamérisme.
Une deuxième Chambre, dont pour l’essentiel, les grands électeurs sont désignés par les Conseils généraux, dits aujourd’hui départementaux, et les Conseils municipaux, corrigera l’éventuelle imprévisibilité de l’Assemblée Nationale élue au suffrage universel et fera droit aux aspirations de la vie des collectivités locales.
On a longtemps vu, et sans doute à juste titre, dans cette défense et illustration du Sénat une arrière-pensée conservatrice. Il se pourrait bien qu’à l’avenir le Sénat apparaisse comme un frein utile à la démagogie et joue ce rôle d’équilibre qui est dans sa vocation. Clémenceau, qui avait longtemps combattu le Sénat, le définissait comme « le temps de la réflexion ». Il est vrai qu’entre temps, il était devenu Sénateur du Var.
De Gaulle dans le discours de Bayeux propose d’introduire dans la composition du Sénat des représentants des grandes activités du pays. Il reprendra cette proposition dans le projet qu’il soumettra au référendum en avril 1969. Mis en minorité, le Général de Gaulle se retira en vertu d’un principe implicite : l’arbitre national qu’était le Président de la République devait toujours jouir de la confiance populaire. Cet usage républicain des institutions de la Vème République devait ensuite tomber en désuétude avec la pratique de la cohabitation ou l’affirmation que l’autorité d’un Président de la République n’était pas engagée par le résultat d’un référendum. Quant à la composition du Sénat, elle résulte toujours d’un collège électoral émanant des collectivités territoriales même s’il fait davantage de place aux grands électeurs des Régions, des départements et des communes peuplées. Les sénateurs sont désormais élus à la proportionnelle dans les départements qui élisent au moins trois sénateurs. Le projet d’introduire des socio-professionnels est tombé aux oubliettes. Il est vrai qu’il y a un Conseil économique, social et environnemental qu’il faudrait évidemment supprimer si le précédent projet devait un jour revenir à la surface.
C/ Pour une Vème République un peu plus parlementarisée. [4]
La hantise du Général de Gaulle, c’était le gouvernement des partis, la dissension à l’intérieur même de l’Etat. Aussi va-t-il de soi à ses yeux que le pouvoir exécutif ne saurait procéder du Parlement « sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le gouvernement ne serait bientôt plus qu’un assemblage de délégations ». Et de Gaulle poursuit : « L’unité, la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France sont des choses sacrées […]. Comment seraient-elles maintenues […] si chacun des membres du gouvernement n’était, à son poste, que le mandataire d’un parti ? »
J’ai vécu personnellement cette expérience sous le gouvernement de cohabitation Jospin-Chirac où le Premier Ministre tenait son autorité d’une majorité au Parlement entre le PS, le PCF et les Verts. Elle ne mettait pas le gouvernement à l’abri des chantages. J’avais posé moi-même en 1983 cette forte maxime qu’on rappelle souvent : « Un ministre, ça ferme sa gueule, si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». On omet toujours de rappeler dans quel contexte : c’était en février 1983, à la veille d’un arbitrage décisif pour ou contre l’alignement du franc sur le mark plus fort, surévaluation qui ne pouvait que gravement pénaliser notre industrie, compte tenu des différentiels de compétitivité et d’inflation entre les deux pays.
Revenons à De Gaulle : comment faire que « des institutions […] procède l’ordre dans l’Etat » ? Le principe qui fondera plus tard les institutions de la Vème République est posé à Bayeux le 16 juin 1946 : « C’est du Chef de l’Etat placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement, mais beaucoup plus large, que doit procéder le pouvoir exécutif.
Au Chef de l’Etat d’accorder l’intérêt général, quant au choix des hommes, avec l’orientation qui se dégage du Parlement ».
Suit l’énumération de ses missions :
- A lui d’exercer « l’influence de la continuité […] dont une nation ne se passe pas ».
- A lui de « servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine… ». On sait que c’est ainsi, par une dissolution de l’Assemblée Nationale, que le Général de Gaulle sortit de la crise de mai 1968.
- « A lui, enfin, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France ». Réminiscence de juin 1940. L’article 16 lui confiant les pleins pouvoirs ne fut, en fait, exercé qu’une fois, après le putsch des généraux de l’OAS à Alger le 21 avril 1961, pour une durée de cinq mois, le temps que la rébellion fût définitivement matée.
Comment faire que le Président de la République soit vraiment le garant de l’intérêt général ? Le Général de Gaulle avait taillé un costume à sa mesure. Une fois la crise algérienne surmontée, il s’avisa que, du centre gauche à la droite, de Guy Mollet à Pinay, les chefs des partis qui avaient dominé la IVème République, considérant l’intermède comme terminé, allaient trouver, dans le collège relativement restreint chargé d’élire le Président de la République, la majorité qui leur permettraient de choisir à de Gaulle un successeur. Ce fut le fameux « diner de l’Alma », à l’été 1962. De Gaulle répliqua en soumettant au référendum le projet d’élire désormais au suffrage universel le Président de la République.
Depuis 1965, les Français élisent donc directement au suffrage universel le Président de la République. Ayant exercé huit fois ce pouvoir, il est peu probable qu’ils y renoncent par référendum, et on ne voit pas un Congrès capable de les priver, à la majorité des deux tiers, de cette prérogative : les taux de participation sont plus élevés à l’élection présidentielle qu’à toute autre élection.
Ce mode de scrutin assure-t-il pour autant que le Président de la République devienne ainsi « l’homme de la nation » pour reprendre une autre définition célèbre de la fonction par le Général de Gaulle ? Celui-ci, mis en ballotage par F. Mitterrand au premier tour de l’élection présidentielle de 1965, mesura rapidement que les partis allaient prendre leur revanche en s’adaptant à la présidentialisation des institutions.
Le mode de scrutin majoritaire allait d’abord favoriser la bipolarisation et les partis dit « de gouvernement » allaient présidentialiser leur fonctionnement. Ce fut chose faite, pour le Parti socialiste avec le Congrès d’Epinay (1971), et pour la droite avec la création du RPR par Jacques Chirac au lendemain de l’élection présidentielle de 1974. On se rappelle que Jacques Chirac était le patron du RPR en 1988 et 1995, que Lionel Jospin, à la même date, avait été, sept ans durant, le premier secrétaire du PS que F. Mitterrand avait choisi en 1981 pour lui succéder, que Nicolas Sarkozy s’empara de l’UMP dès 2004 et qu’enfin F. Hollande avait été pendant dix ans premier secrétaire du PS, de 1998 à 2008 avant d’être candidat à l’élection présidentielle de 2012. Conçue pour faire obstacle au retour du gouvernement des partis, la Vème République a fini par y revenir. Tout parti qui veut exister porte un présidentiable à sa tête. A tort ou à raison, la préparation des élections présidentielles donne lieu à d’âpres discussions d’Etats-majors pour savoir, dans chaque camp, qui sera candidat ou ne le sera pas.
Alors, l’intuition initiale du Général de Gaulle n’aura-t-elle tourné qu’à un immense échec, livrant à nouveau l’Etat aux combinaisons des partis ?
Il me semble que la réponse doit être plus nuancée. D’abord l’élection au suffrage universel par le peuple tout entier donne au Président de la République une légitimité incomparable. Il est d’ailleurs frappant que le Président est sorti du rôle qui lui est fixé par la Constitution. Il est devenu, avec le Président Sarkozy, « un président qui gouverne ». On lui a d’ailleurs reproché cette conception d’une « hyperprésidence » et il a été mis en minorité en 2012 par le suffrage universel. Il est vrai que la réduction de sept à cinq ans, décidée en 2001, du mandat présidentiel allait dans ce sens. Ce fut une erreur, je le confesse, pour l’avoir moi-même préconisée à l’époque. Si l’on veut que le Président reste « l’homme de la Nation », le temps long du septennat lui convient mieux que le mandat de cinq ans qui rapproche la France du « temps de respiration » considéré comme normal dans la plupart des autres démocraties. Le peuple français n’est pas n’importe quel peuple.
L’excessive concentration des pouvoirs dans les mains du Président de la République et du gouvernement qu’il nomme a conduit à l’étiolement de la vie parlementaire. Certains en sont venus à préconiser une VIème République. Soit sous la forme d’un régime présidentiel : ainsi Jack Lang préconise-t-il la suppression du droit de dissolution ; soit de manière peu réaliste à mes yeux, sous forme d’un retour pur et simple au régime parlementaire.
Je ne crois pas à ces formules parce que je crois en la sagesse de Solon : « dites-moi d’abord pour quel peuple vous voulez faire des institutions ». Le régime présidentiel, même aux Etats-Unis, conduit à des blocages. Le régime parlementaire en France a, sauf exceptions, au début de la IIIème République, conduit au régime d’assemblée. Celui-ci s’est d’ailleurs révélé comme pouvant donner le meilleur : ce fut le cas avec Clémenceau de 1917 à 1920, ou le pire : juin 1940. On voit bien aujourd’hui qu’avec le multipartisme renaissant en France et ailleurs, les contrats de majorité peuvent tenir bon en Allemagne : ainsi entre le SPD et les Verts de 1998 à 2005 / ou entre la CDU et le FDP de 2009 à 2013 / ou encore à travers une formule de grande coalition CDU-CSU-SDP de 2005 à 2009, et aujourd’hui depuis 2013. Il en va de même en Grande-Bretagne entre les Conservateurs et les libéraux démocrates. Mais cela tient à l’Histoire de ces nations. En France, pays de la Révolution, il en va différemment : ainsi la petite coalition PS-Verts s’est brisée en cours du mandat de F. Hollande et le rabibochage n’est pas sûr. La propension aux querelles gauloises est toujours présente et déconseille un régime d’assemblée dont le peuple aussi bien ne voudrait pas.
Il me semble que nos institutions, en plus d’un demi-siècle, ont montré leur plasticité mais ont aussi beaucoup évolué :
- La législation, dans la majorité des textes adoptés par le Parlement, transpose les directives de Bruxelles, sur lesquelles aucun vrai contrôle démocratique ne s’exerce. La plupart de ces directives sont élaborées à partir de traités obsolètes qui codifient le néolibéralisme triomphant des années 1980-90 – Acte Unique et traités de Maastricht – ou reprennent les dispositions du projet de Constitution européenne rejeté par le référendum du 29 mai 2005 – Traité de Lisbonne adopté en 2008 par un Congrès où la majorité de M. Sarkozy n’a pu l’emporter qu’avec le soutien implicite du PS.
D’énormes délégations de compétences ont été consenties à travers de vrais dénis de démocraties à des oligarchies imprégnées d’esprit néolibéral sur lesquelles, je le répète, aucun contrôle démocratique ne s’exerce. Un dernier exemple : le Traité budgétaire européen négocié en mars 2012 par Nicolas Sarkozy et ratifié en octobre, sous son successeur, sans aucune négociation véritable.
- Une deuxième évolution frappante de nos institutions depuis cinquante ans est caractérisée l’accroissement phénoménal des pouvoirs du Conseil Constitutionnel, véritablement érigé en troisième Chambre. Sa place dans nos institutions et sa composition méritent d’être débattues, repensées et profondément recadrées.
- Le Parlement a rarement été aussi diminué qu’il l’est aujourd’hui. Si je ne suis pas pour ma part partisan d’une VIème République, je suis partisan d’une Vème République plus parlementaire, bref d’un retour aux sources de la Constitution de 1958.
Le Président doit redevenir à la fois l’homme de la Nation et un arbitre. Un arbitre fort (bien sûr, pas un arbitre sportif !) Il faudrait me semble-t-il renforcer les pouvoirs du Premier Ministre pour tout ce qui ne relève pas des compétences de politique étrangère et de défense qui sont, par excellence, celles du Président de la République.
Un allongement à six ans du mandat présidentiel renforcerait le rôle du Président, au-dessus des partis, et revaloriserait la fonction du Parlement : ainsi seraient mieux marquées les origines et les fonctions différentes du pouvoir présidentiel et du pouvoir de l’Assemblée Nationale. On pourrait aller plus loin : introduire des élections de mi-mandat, comme il existe des élections de « mid-terms », aux Etats-Unis, tous les trois ans et non pas tous les deux ans. Ainsi serait mieux marquée la vocation des différents pouvoirs : Au Président de la République d’assumer la continuité de l’Etat. Au Parlement d’influer sur la législation et sur l’orientation politique générale, en réduisant autant que possible les secousses. Il me semble que celles-ci, prévisibles, pourraient être ainsi mieux amorties. Le pouvoir de dissolution subsisterait selon des modalités ajustées.
Reste l’essentiel : Rien ne remplacera, en fait, la vertu des hommes. Même désigné par un parti, le Président de la République doit se souvenir qu’il est d’abord et avant tout, comme l’avait voulu de Gaulle et comme le réclame le pays, « l’homme de la Nation ».
Enfin, le maintien du droit de dissolution dans les mains du Président de la République ne doit pas faire oublier aux parlementaires qu’ils peuvent censurer, et donc renverser, le gouvernement. Certes, cela n’est arrivé qu’une fois en septembre 1962 : l’Assemblée ayant censuré le gouvernement a été dissoute. Les députés, pour beaucoup, n’ont pas été réélus. Ils se le sont donc tenus pour dit. C’était il y a plus de cinquante ans. Mais l’amour d’un mandat doit-il passer avant l’intérêt général, si tant est qu’on le croit malmené, comme je l’entends dire par quelques députés frondeurs ? C’est peut-être le 49.3 qu’il faudrait abolir. Cela obligerait le gouvernement et la majorité à se mettre d’accord. Il reste en effet une procédure, par laquelle le gouvernement peut engager sa responsabilité devant le Parlement. Cela suffirait. Ou plutôt des hommes courageux suffiraient. Comment imaginer qu’après avoir voté la confiance, les parlementaires refusent un compromis que le gouvernement jugerait nécessaire ? Alors resterait l’arme de la dissolution – la moitié des députés n’étant réélus que pour trois ans par exemple, l’autre pour six. La suppression du 49.3 redonnerait un peu de pouvoir au Parlement. Il faut savoir ce que l’on veut.
Voilà le commentaire que je fais, soixante-neuf ans après, du discours de Bayeux, un vrai discours d’homme d’Etat. Il serait bon de poursuivre le dialogue, en restant à cette hauteur.
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[1] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Dans notre Normandie […] notre pays se trouve si souvent exposé. »
[2] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Voilà pourquoi, une fois assuré le salut de l’Etat […] soit étable un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons. »
[3] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois […] la voix des grandes activités du pays. »
[4] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif […] des fécondes grandeurs d’une nation libre groupée sous l’égide d’un Etat fort. »
Les formes de la démocratie sont apparemment respectées par Pétain puisque le Congrès réunissant la Chambre des Députés et le Sénat à Vichy le 10 juillet 1940 donne son accord, par 569 voix contre 80 seulement à la dévolution de tous les pouvoirs au Maréchal. Ce faisant, l’acte constitutionnel du 10 juillet met ainsi la République en congé : il donne à Pétain proclamé Chef de l’Etat français tous les pouvoirs exécutif et législatif, et notamment celui de proclamer une nouvelle Constitution. Ce « coup d’Etat » fomenté au sein du gouvernement Reynaud avec l’appui du Chef d’Etat-Major des Armées, le général Weygand, en vue de la capitulation devant l’invasion étrangère ne peut fonder une légitimité.
Ainsi, pour de Gaulle, la servitude ne conserve que « l’apparence de la souveraineté réelle ». Celle-ci est transportée du côté de la France qui résiste, du côté de ceux qui n’ont « jamais cédé ». Car jamais la France « ne crut que l’ennemi ne fût point l’ennemi ». C’est ici qu’intervient l’adhésion, « l’assentiment de l’immense masse française », deuxième critère de l’Etat légitime mais qui pour de Gaulle vient évidemment par surcroit. Car il faudra attendre 1944 pour que de Gaulle recueille l’assentiment explicite de l’immense masse. Au mieux il faudrait dire que se forme progressivement à partir de 1941 un assentiment implicite. De Gaulle a anticipé ce deuxième fondement de la légitimité. Cette conception de la légitimité est à la base des institutions de la France libre, du Comité français de Libération nationale constitué en juin 1943 en Afrique du Nord et du Gouvernement provisoire de la République française proclamé le 3 juin 1944, trois jours avant le débarquement.
C’est donc à Bayeux que le Général de Gaulle, refusant le projet d’une administration américaine des territoires libérés, installe, le 14 juin 1944, François Coulet comme premier Commissaire de la République du gouvernement provisoire, huit jours seulement après le débarquement. C’est devant l’accueil enthousiaste réservé à de Gaulle par la population que le gouvernement des Etats-Unis se convainc qu’il doit renoncer à considérer la France comme un pays occupé.
Cette conception de la légitimité maintenue contre vents et marées depuis 1940 par le Chef de la France libre lui fera répondre le 25 août 1944 à Georges Bidault, Président du CNR, qui lui demande de proclamer la République du balcon de l’Hôtel de Ville de Paris libéré : « Je n’ai pas à proclamer la République : elle n’a jamais cessé d’exister ».
L’ordonnance du 9 août 1944 rétablit les lois de la République comme seules lois légitimes depuis 1940, et déclare nuls et non avenus les actes de Vichy. Le Général de Gaulle, par un déni magnifique, fait comme si la France libre et la Résistance avaient seules libéré la France. Il omet volontairement le rôle des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Il n’hésite pas à dire : « Partout où paraissait le Croix de Lorraine s’écroulait l’échafaudage d’une autorité qui n’était que fictive ». Ce déni n’est-il pas lui-même une fiction, la traduction d’une volonté d’effacer à tout prix le souvenir de l’effondrement de juin 1940 ?
De Gaulle se place exclusivement du point de vue de la France. Il dit : « La désastre de 1940 n’est qu’une péripétie de la guerre mondiale où la France servait d’avant-garde ». « Avant-garde » le mot est pesé : en 1940 la France ne peut compter ni sur les Etats-Unis englués dans leur isolationnisme et qui en 1936 font connaitre leur opposition à une intervention militaire de la France pour s’opposer à la réoccupation par Hitler de la rive gauche du Rhin, pourtant démilitarisée par l’une des clauses du Traité de Versailles, seule occasion où la France eût pu abattre le régime nazi.
La France en 1940 n’a pas pu davantage compter sur l’URSS fourvoyée dans le pacte Hitler-Staline d’août 1939, ni même sur la Grande-Bretagne qui, dans le bataille de France, n’a mis en ligne que huit divisions et a refusé d’engager son aviation pour la réserver à la bataille d’Angleterre qu’elle pressentait devoir suivre. C’était sa raison d’Etat.
La France est seule. Elle est de surcroît divisée entre les partisans de l’armistice et ceux d’un transfert de gouvernement en Afrique du Nord. En réalité la bourgeoisie française, comme toutes les bourgeoisies européennes, est partagée depuis 1933 : entre Hitler et Staline elle ne veut pas choisir. Elle préférerait un conflit entre l’Allemagne et l’URSS. Dans la guerre mal engagée avec l’Allemagne, elle choisit donc la défaite, « l’étrange défaite » dont parle Marc Bloch.
La France, à la différence de la Grande-Bretagne, ne dispose pas du fossé anti-chars naturel que constitue la Manche. A Londres, les partisans de « l’appeasement » avec Hitler doivent céder la place à Churchill. En France, Reynaud, qui n’est pas Churchill, est vite poussé à la démission par les tenants de l’armistice dont certains vont jusqu’à parler d’un « renversement d’alliances ». De Gaulle sait tout cela pour l’avoir vécu. Mais il relie aussi, comme ancien combattant et comme historien du présent, la Seconde Guerre mondiale à la Première qu’il a faite. Pour lui, « c’est une nouvelle guerre de Trente ans ». Le pangermanisme n’a pas admis sa défaite de 1918. A travers Hitler, il veut sa revanche. Naturellement, Hitler n’est pas Guillaume II. Il introduit une discontinuité radicale dans l’Histoire allemande et européenne. A cet égard l’historien révisionniste allemand Ernst Nolte, n’a pas tort de parler d’une « guerre civile européenne », proclamée entre le communisme soviétique et le nazisme allemand.
Mais tout cela n’enlève rien, mais au contraire renforce l’argument de de Gaulle : Il peut donc, sans heurter la vérité, décrire la France comme « l’avant-garde des démocraties ». Soulignons encore que la guerre contre le nazisme était plus que ce que Clémenceau appelait « la guerre du Droit », mais n’omettons pas les éléments de continuité entre les deux conflits mondiaux. Si la France retrouve son rang en 1945, c’est aussi parce que Churchill, lui, n’a pas oublié le sacrifice des poilus de 1914-18 et l’écrasant tribut (1,4 millions de morts, trois millions de blessés) payé par la France au cours du premier conflit mondial.
De Gaulle incarne la légitimité parce qu’il a choisi dès le premier jour de continuer le combat, qui est celui de la France parce qu’il est celui de la liberté. Cette conception de la légitimité renvoie à l’idée que les Français peuvent se faire d’eux-mêmes et de leur Histoire. Si, comme Jacques Chirac élu Président de la République l’a dit en juillet 1995, c’est la France qui « a commis l’irréparable » lors de la rafle du Vel’ d’Hiv, la France s’identifiant ainsi à Pétain, alors c’est à bon droit que de Gaulle aurait été condamné à mort et que des milliers de résistants auraient été fusillés. S’il n’avait pas voulu légitimer Pétain et délégitimer de Gaulle, ce qui n’était évidemment pas son intention, Jacques Chirac aurait dû dire que « l’Etat français », c’est-à-dire en particulier Bousquet et Laval avaient « commis l’irréparable » et que la République n’y était pour rien, comme l’avait d’ailleurs soutenu François Mitterrand jusqu’au bout. Il n’est évidemment pas question de minimiser le crime. Croit-on cependant que Bousquet eût donné son accord à Oberg, le chef de la Gestapo en France, si celle-ci n’avait pas été occupée ? Vichy s’est mis au service de l’Allemagne nazie jusqu’à lui prêter le concours des policiers et des gendarmes français pour l’accomplissement de son crime le plus abominable mais ce n’est pas une raison pour reléguer la France, même défaite, sur le même banc d’infamie que l’Allemagne nazie. Je sais que la mode aujourd’hui est à la repentance : on évoque volontiers ceux qui ont failli. On a cessé d’exalter le courage de ceux qui n’ont pas failli. Victoire posthume de ceux qui voulaient dégrader la France, l’humilier, la réduire à un rôle subalterne, la reléguer en bout de table.
Il y a plusieurs manières de raconter l’Histoire. La seule qui convienne est de la montrer telle qu’elle a été, avec ses ombres et ses lumières mais sans renoncer à célébrer ceux qui ont donné sens à notre Histoire, d’abord par l’édification patiente de la France, ensuite par un prodigieux renversement de perspectives, par la proclamation des Droits de l’Homme et du Citoyen, matrice des temps modernes, et enfin par la création de la République, toujours à parfaire, toujours à défendre, toujours à réinventer.
Pétain était-il la France ? Ou de Gaulle parce qu’il a résisté dès le premier jour ? Ce n’est pas une mince question. De la réponse dépend implicitement notre capacité à continuer notre histoire et à intégrer de nouvelles générations de Français venus d’ailleurs. Comment pourrait-on s’intégrer à un pays qui ne cesse de se débiner ? Alors faisons aimer la France, comme Bernanos qui en juin 1940, ayant eu, dans son exil brésilien, un lointain écho de l’appel du Général de Gaulle, incitait ses compatriotes à « se ranger du côté de l’Histoire de France ». Il n’y a pas d’autre manière aujourd’hui de la continuer. La manière dont on enseigne ou dont on n’enseigne plus le récit national décide évidemment de la lecture qu’on fait de l’Histoire de la France dans cette première moitié du XXème siècle : brise-t-elle le récit national que la IIIème République avait fixé à travers l’Ecole et selon Lavisse – c’est-à-dire Michelet – et qui avait fait un peuple ou permet-elle de la prolonger à travers la Résistance, la refondation sociale opérée après la Libération à partir du programme du CNR, la création et l’œuvre de la Vème République, le choix enfin de construire l’Europe, mais selon quelles modalités : l’intégration à un ensemble supranational ou la confédération ? ou bien encore une construction sui generis ?
Cette histoire n’a pas seulement besoin d’être apprise. Elle a surtout besoin d’être d’abord comprise, acceptée et endossée, si je puis dire, par la parole publique : elle pourra alors être enseignée. Si le récit national au XXème siècle redevient audible, de Gaulle n’aura pas existé pour rien, et notre Histoire n’aura pas été inutile puisque nous pourrons la continuer. C’est ainsi également qu’on refera un peuple de citoyens.
II. Deuxième partie du discours de Bayeux : Les institutions.
A/ Nécessité d’un « arbitre national ». [2]
De Gaulle veut des institutions qui puissent remédier à la rivalité des partis qui obscurcit le sens de l’intérêt général.
Il entend répondre non seulement à l’abdication de la IIIème République et aux errements d’un régime d’assemblée, mais plus profondément aux secousses qui, « dans une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d’un homme », c’est-à-dire les cent cinquante ans qui séparent la Révolution de 1789 de l’effondrement de 1940, et qui ont vu se succéder sept invasions et treize régimes. Il y ajoute « la veille propension gauloise aux divisions et aux querelles », mais c’est bien à l’instabilité fondamentale de nos institutions tiraillées entre le principe dynastique qui fonde les monarchies et successivement rejeté en 1792, 1814-1815, 1830, 1848 et 1871, et les aléas plus ou moins glorieux du régime d’assemblée, qu’il entend remédier.
De Gaulle est à la recherche « d’institutions nouvelles qui compensent par elles-mêmes les effets de notre effervescence nationale ». Certes de Gaulle fait leur part à l’opinion et au suffrage : « Il est de l’essence de la démocratie que l’opinion et le suffrage puissent orienter l’action publique et la législation ».
Mais de Gaulle pose deux principes :
- La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, « fortement équilibrée ». En clair il refuse le régime d’assemblée où le législatif absorbe l’exécutif.
- Le deuxième principe qui étaye le premier est celui d’un « arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». Mais comment établir cet arbitrage sans revenir à la monarchie dont les Français ne veulent plus ? C’est la caractéristique même des institutions nouvelles que de faire élire le Président de la République, dont les pouvoir sont considérablement étendus, par un collège plus large que le Congrès, qui réunit les deux Assemblées.
De Gaulle pour créer cet « arbitre national » tâtonnera : en 1958 il le fera élire par un collège de notables, et, en 1962, au suffrage universel. Michel Debré parlera de « monarque républicain ».
De Gaulle va au-devant des critiques qui lui sont faites de vouloir « un pouvoir personnel ». Il voit au contraire la menace de la dictature dans ce qu’il appelle « le trouble dans l’Etat ». Mais bien davantage il corrèle celui-ci à l’invasion étrangère. Il entend refonder un Etat capable d’empêcher une nouvelle invasion. La Vème République enfantera la dissuasion nucléaire. En 1946 à Bayeux, de Gaulle ne s’est pas encore avisé qu’il y avait pour obtenir la subordination d’un peuple un autre moyen que l’épée : la dette. De Gaulle eût-il accepté d’aliéner la souveraineté monétaire de la France dans une monnaie unique qu’elle ne contrôlerait pas ? C’est une autre affaire.
B/ Défense et illustration du bicamérisme. [3]
Ce passage du discours de Bayeux est une défense classique du bicamérisme.
Une deuxième Chambre, dont pour l’essentiel, les grands électeurs sont désignés par les Conseils généraux, dits aujourd’hui départementaux, et les Conseils municipaux, corrigera l’éventuelle imprévisibilité de l’Assemblée Nationale élue au suffrage universel et fera droit aux aspirations de la vie des collectivités locales.
On a longtemps vu, et sans doute à juste titre, dans cette défense et illustration du Sénat une arrière-pensée conservatrice. Il se pourrait bien qu’à l’avenir le Sénat apparaisse comme un frein utile à la démagogie et joue ce rôle d’équilibre qui est dans sa vocation. Clémenceau, qui avait longtemps combattu le Sénat, le définissait comme « le temps de la réflexion ». Il est vrai qu’entre temps, il était devenu Sénateur du Var.
De Gaulle dans le discours de Bayeux propose d’introduire dans la composition du Sénat des représentants des grandes activités du pays. Il reprendra cette proposition dans le projet qu’il soumettra au référendum en avril 1969. Mis en minorité, le Général de Gaulle se retira en vertu d’un principe implicite : l’arbitre national qu’était le Président de la République devait toujours jouir de la confiance populaire. Cet usage républicain des institutions de la Vème République devait ensuite tomber en désuétude avec la pratique de la cohabitation ou l’affirmation que l’autorité d’un Président de la République n’était pas engagée par le résultat d’un référendum. Quant à la composition du Sénat, elle résulte toujours d’un collège électoral émanant des collectivités territoriales même s’il fait davantage de place aux grands électeurs des Régions, des départements et des communes peuplées. Les sénateurs sont désormais élus à la proportionnelle dans les départements qui élisent au moins trois sénateurs. Le projet d’introduire des socio-professionnels est tombé aux oubliettes. Il est vrai qu’il y a un Conseil économique, social et environnemental qu’il faudrait évidemment supprimer si le précédent projet devait un jour revenir à la surface.
C/ Pour une Vème République un peu plus parlementarisée. [4]
La hantise du Général de Gaulle, c’était le gouvernement des partis, la dissension à l’intérieur même de l’Etat. Aussi va-t-il de soi à ses yeux que le pouvoir exécutif ne saurait procéder du Parlement « sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le gouvernement ne serait bientôt plus qu’un assemblage de délégations ». Et de Gaulle poursuit : « L’unité, la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France sont des choses sacrées […]. Comment seraient-elles maintenues […] si chacun des membres du gouvernement n’était, à son poste, que le mandataire d’un parti ? »
J’ai vécu personnellement cette expérience sous le gouvernement de cohabitation Jospin-Chirac où le Premier Ministre tenait son autorité d’une majorité au Parlement entre le PS, le PCF et les Verts. Elle ne mettait pas le gouvernement à l’abri des chantages. J’avais posé moi-même en 1983 cette forte maxime qu’on rappelle souvent : « Un ministre, ça ferme sa gueule, si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». On omet toujours de rappeler dans quel contexte : c’était en février 1983, à la veille d’un arbitrage décisif pour ou contre l’alignement du franc sur le mark plus fort, surévaluation qui ne pouvait que gravement pénaliser notre industrie, compte tenu des différentiels de compétitivité et d’inflation entre les deux pays.
Revenons à De Gaulle : comment faire que « des institutions […] procède l’ordre dans l’Etat » ? Le principe qui fondera plus tard les institutions de la Vème République est posé à Bayeux le 16 juin 1946 : « C’est du Chef de l’Etat placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement, mais beaucoup plus large, que doit procéder le pouvoir exécutif.
Au Chef de l’Etat d’accorder l’intérêt général, quant au choix des hommes, avec l’orientation qui se dégage du Parlement ».
Suit l’énumération de ses missions :
- A lui d’exercer « l’influence de la continuité […] dont une nation ne se passe pas ».
- A lui de « servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine… ». On sait que c’est ainsi, par une dissolution de l’Assemblée Nationale, que le Général de Gaulle sortit de la crise de mai 1968.
- « A lui, enfin, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France ». Réminiscence de juin 1940. L’article 16 lui confiant les pleins pouvoirs ne fut, en fait, exercé qu’une fois, après le putsch des généraux de l’OAS à Alger le 21 avril 1961, pour une durée de cinq mois, le temps que la rébellion fût définitivement matée.
Comment faire que le Président de la République soit vraiment le garant de l’intérêt général ? Le Général de Gaulle avait taillé un costume à sa mesure. Une fois la crise algérienne surmontée, il s’avisa que, du centre gauche à la droite, de Guy Mollet à Pinay, les chefs des partis qui avaient dominé la IVème République, considérant l’intermède comme terminé, allaient trouver, dans le collège relativement restreint chargé d’élire le Président de la République, la majorité qui leur permettraient de choisir à de Gaulle un successeur. Ce fut le fameux « diner de l’Alma », à l’été 1962. De Gaulle répliqua en soumettant au référendum le projet d’élire désormais au suffrage universel le Président de la République.
Depuis 1965, les Français élisent donc directement au suffrage universel le Président de la République. Ayant exercé huit fois ce pouvoir, il est peu probable qu’ils y renoncent par référendum, et on ne voit pas un Congrès capable de les priver, à la majorité des deux tiers, de cette prérogative : les taux de participation sont plus élevés à l’élection présidentielle qu’à toute autre élection.
Ce mode de scrutin assure-t-il pour autant que le Président de la République devienne ainsi « l’homme de la nation » pour reprendre une autre définition célèbre de la fonction par le Général de Gaulle ? Celui-ci, mis en ballotage par F. Mitterrand au premier tour de l’élection présidentielle de 1965, mesura rapidement que les partis allaient prendre leur revanche en s’adaptant à la présidentialisation des institutions.
Le mode de scrutin majoritaire allait d’abord favoriser la bipolarisation et les partis dit « de gouvernement » allaient présidentialiser leur fonctionnement. Ce fut chose faite, pour le Parti socialiste avec le Congrès d’Epinay (1971), et pour la droite avec la création du RPR par Jacques Chirac au lendemain de l’élection présidentielle de 1974. On se rappelle que Jacques Chirac était le patron du RPR en 1988 et 1995, que Lionel Jospin, à la même date, avait été, sept ans durant, le premier secrétaire du PS que F. Mitterrand avait choisi en 1981 pour lui succéder, que Nicolas Sarkozy s’empara de l’UMP dès 2004 et qu’enfin F. Hollande avait été pendant dix ans premier secrétaire du PS, de 1998 à 2008 avant d’être candidat à l’élection présidentielle de 2012. Conçue pour faire obstacle au retour du gouvernement des partis, la Vème République a fini par y revenir. Tout parti qui veut exister porte un présidentiable à sa tête. A tort ou à raison, la préparation des élections présidentielles donne lieu à d’âpres discussions d’Etats-majors pour savoir, dans chaque camp, qui sera candidat ou ne le sera pas.
Alors, l’intuition initiale du Général de Gaulle n’aura-t-elle tourné qu’à un immense échec, livrant à nouveau l’Etat aux combinaisons des partis ?
Il me semble que la réponse doit être plus nuancée. D’abord l’élection au suffrage universel par le peuple tout entier donne au Président de la République une légitimité incomparable. Il est d’ailleurs frappant que le Président est sorti du rôle qui lui est fixé par la Constitution. Il est devenu, avec le Président Sarkozy, « un président qui gouverne ». On lui a d’ailleurs reproché cette conception d’une « hyperprésidence » et il a été mis en minorité en 2012 par le suffrage universel. Il est vrai que la réduction de sept à cinq ans, décidée en 2001, du mandat présidentiel allait dans ce sens. Ce fut une erreur, je le confesse, pour l’avoir moi-même préconisée à l’époque. Si l’on veut que le Président reste « l’homme de la Nation », le temps long du septennat lui convient mieux que le mandat de cinq ans qui rapproche la France du « temps de respiration » considéré comme normal dans la plupart des autres démocraties. Le peuple français n’est pas n’importe quel peuple.
L’excessive concentration des pouvoirs dans les mains du Président de la République et du gouvernement qu’il nomme a conduit à l’étiolement de la vie parlementaire. Certains en sont venus à préconiser une VIème République. Soit sous la forme d’un régime présidentiel : ainsi Jack Lang préconise-t-il la suppression du droit de dissolution ; soit de manière peu réaliste à mes yeux, sous forme d’un retour pur et simple au régime parlementaire.
Je ne crois pas à ces formules parce que je crois en la sagesse de Solon : « dites-moi d’abord pour quel peuple vous voulez faire des institutions ». Le régime présidentiel, même aux Etats-Unis, conduit à des blocages. Le régime parlementaire en France a, sauf exceptions, au début de la IIIème République, conduit au régime d’assemblée. Celui-ci s’est d’ailleurs révélé comme pouvant donner le meilleur : ce fut le cas avec Clémenceau de 1917 à 1920, ou le pire : juin 1940. On voit bien aujourd’hui qu’avec le multipartisme renaissant en France et ailleurs, les contrats de majorité peuvent tenir bon en Allemagne : ainsi entre le SPD et les Verts de 1998 à 2005 / ou entre la CDU et le FDP de 2009 à 2013 / ou encore à travers une formule de grande coalition CDU-CSU-SDP de 2005 à 2009, et aujourd’hui depuis 2013. Il en va de même en Grande-Bretagne entre les Conservateurs et les libéraux démocrates. Mais cela tient à l’Histoire de ces nations. En France, pays de la Révolution, il en va différemment : ainsi la petite coalition PS-Verts s’est brisée en cours du mandat de F. Hollande et le rabibochage n’est pas sûr. La propension aux querelles gauloises est toujours présente et déconseille un régime d’assemblée dont le peuple aussi bien ne voudrait pas.
Il me semble que nos institutions, en plus d’un demi-siècle, ont montré leur plasticité mais ont aussi beaucoup évolué :
- La législation, dans la majorité des textes adoptés par le Parlement, transpose les directives de Bruxelles, sur lesquelles aucun vrai contrôle démocratique ne s’exerce. La plupart de ces directives sont élaborées à partir de traités obsolètes qui codifient le néolibéralisme triomphant des années 1980-90 – Acte Unique et traités de Maastricht – ou reprennent les dispositions du projet de Constitution européenne rejeté par le référendum du 29 mai 2005 – Traité de Lisbonne adopté en 2008 par un Congrès où la majorité de M. Sarkozy n’a pu l’emporter qu’avec le soutien implicite du PS.
D’énormes délégations de compétences ont été consenties à travers de vrais dénis de démocraties à des oligarchies imprégnées d’esprit néolibéral sur lesquelles, je le répète, aucun contrôle démocratique ne s’exerce. Un dernier exemple : le Traité budgétaire européen négocié en mars 2012 par Nicolas Sarkozy et ratifié en octobre, sous son successeur, sans aucune négociation véritable.
- Une deuxième évolution frappante de nos institutions depuis cinquante ans est caractérisée l’accroissement phénoménal des pouvoirs du Conseil Constitutionnel, véritablement érigé en troisième Chambre. Sa place dans nos institutions et sa composition méritent d’être débattues, repensées et profondément recadrées.
- Le Parlement a rarement été aussi diminué qu’il l’est aujourd’hui. Si je ne suis pas pour ma part partisan d’une VIème République, je suis partisan d’une Vème République plus parlementaire, bref d’un retour aux sources de la Constitution de 1958.
Le Président doit redevenir à la fois l’homme de la Nation et un arbitre. Un arbitre fort (bien sûr, pas un arbitre sportif !) Il faudrait me semble-t-il renforcer les pouvoirs du Premier Ministre pour tout ce qui ne relève pas des compétences de politique étrangère et de défense qui sont, par excellence, celles du Président de la République.
Un allongement à six ans du mandat présidentiel renforcerait le rôle du Président, au-dessus des partis, et revaloriserait la fonction du Parlement : ainsi seraient mieux marquées les origines et les fonctions différentes du pouvoir présidentiel et du pouvoir de l’Assemblée Nationale. On pourrait aller plus loin : introduire des élections de mi-mandat, comme il existe des élections de « mid-terms », aux Etats-Unis, tous les trois ans et non pas tous les deux ans. Ainsi serait mieux marquée la vocation des différents pouvoirs : Au Président de la République d’assumer la continuité de l’Etat. Au Parlement d’influer sur la législation et sur l’orientation politique générale, en réduisant autant que possible les secousses. Il me semble que celles-ci, prévisibles, pourraient être ainsi mieux amorties. Le pouvoir de dissolution subsisterait selon des modalités ajustées.
Reste l’essentiel : Rien ne remplacera, en fait, la vertu des hommes. Même désigné par un parti, le Président de la République doit se souvenir qu’il est d’abord et avant tout, comme l’avait voulu de Gaulle et comme le réclame le pays, « l’homme de la Nation ».
Enfin, le maintien du droit de dissolution dans les mains du Président de la République ne doit pas faire oublier aux parlementaires qu’ils peuvent censurer, et donc renverser, le gouvernement. Certes, cela n’est arrivé qu’une fois en septembre 1962 : l’Assemblée ayant censuré le gouvernement a été dissoute. Les députés, pour beaucoup, n’ont pas été réélus. Ils se le sont donc tenus pour dit. C’était il y a plus de cinquante ans. Mais l’amour d’un mandat doit-il passer avant l’intérêt général, si tant est qu’on le croit malmené, comme je l’entends dire par quelques députés frondeurs ? C’est peut-être le 49.3 qu’il faudrait abolir. Cela obligerait le gouvernement et la majorité à se mettre d’accord. Il reste en effet une procédure, par laquelle le gouvernement peut engager sa responsabilité devant le Parlement. Cela suffirait. Ou plutôt des hommes courageux suffiraient. Comment imaginer qu’après avoir voté la confiance, les parlementaires refusent un compromis que le gouvernement jugerait nécessaire ? Alors resterait l’arme de la dissolution – la moitié des députés n’étant réélus que pour trois ans par exemple, l’autre pour six. La suppression du 49.3 redonnerait un peu de pouvoir au Parlement. Il faut savoir ce que l’on veut.
Voilà le commentaire que je fais, soixante-neuf ans après, du discours de Bayeux, un vrai discours d’homme d’Etat. Il serait bon de poursuivre le dialogue, en restant à cette hauteur.
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[1] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Dans notre Normandie […] notre pays se trouve si souvent exposé. »
[2] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Voilà pourquoi, une fois assuré le salut de l’Etat […] soit étable un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons. »
[3] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois […] la voix des grandes activités du pays. »
[4] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif […] des fécondes grandeurs d’une nation libre groupée sous l’égide d’un Etat fort. »