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"Combattre le projet fou de Daesh avec sang-froid et sérénité"


Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Public Sénat, samedi 28 février 2014. Il répondait aux questions de Nora Hammadi et débattait avec Marie-Monique Robin, Pierre Conesa et François-Bernard Huyghe.


Verbatim express :
Partie 1

  • Il faut distinguer deux périodes concernant la torture. Il y a la période de la guerre d'Algérie, où des officiers qui avaient perdu la guerre en Indochine, s'étaient jurés de ne pas la perdre en Algérie, et étaient prêts à utiliser tous les moyens. Ces colonels avaient théorisé une guerre contre-insurrectionnelle, et ce sont eux qui étaient derrière le putsch des généraux du 22 avril 1961. Mais il me semble qu'on ne peut pas imputer aux gouvernements français toutes ces dérives.
  • La deuxième période, c'est celle qui suit les Attentats du 11 septembre, où les Américains s'avisent qu'il y a une pratique française pendant la Guerre d'Algérie, dont ils pourraient s'inspirer. Je dis cela pour que l'on ne considère pas qu'il y ait un continuum. Je rappelle quand même que le général de Gaulle a dû faire face aux complots de ses officiers en 1961.
  • Le Patrioct Act a été voté dans le mois qui a suivi les Attentats. Ensuite, c'est une affaire d'application. Je pense que la France ne savait pas grand chose. Je rappelle que nous avions désapprouvés l'invasion de l'Irak.
  • La question de la torture est tranchée historiquement, et a tous points de vue. Elle a fait la preuve de son inefficacité.

  • Il faut prendre conscience du rapport assymétrique qui existe entre le monde arabo-musulman et l'Occident, depuis la fin du XVIIe siècle.
  • Il y a un grand danger à s'affranchir du droit. L'expérience du Patriot Act le montre. Il s'est révélé globalement inefficace, et même contre-productif. En plus, cela sape, la confiance que les démocraties doivent avoir en elles-mêmes.
  • Il faut toujours revenir loin en arrière. Le monde arabo-musulman a développé des civilisations extrêmement brillantes, qui ont atteint le comble du raffinement, à l'époque des Omeyyades, des Abbassides... mais naturellement nous constatons depuis deux siècles un déclin, auquel les intelligentsia ont répondu de deux manières : une variante modernisatrice, à l'école de l'Occident (libéralisme ou socialisme laïc), et puis une variante identitaire – retour aux sources. Ça peut prendre une forme qui est celle des Frères Musulmans, ou d'autres formes.
  • Nous-mêmes ne sommes pas tout à fait étrangers à cette affaire. Nous voyons que Daesh se développe à partir de l'Irak. Rappelons nous en 1991 l'intervention totalement évitable de la coalition regroupée autour des Etats-Unis. Ensuite il y a eu un long blocus, qui a entraîné beaucoup de souffrances et de morts, puis une deuxième guerre, qui a détruit l’État irakien. Et je pense que nous récoltons aujourd’hui les fruits de cette totale désagrégation de l’État irakien. Les sunnites qui avaient dominé l'Irak pendant longtemps sont aujourd'hui relégués.
  • Jacques Chirac avait pris une position honnête et courageuse contre la seconde guerre d'Irak, donc la presse était plus partagée, mais j'ai le souvenir du traitement de la première guerre du Golfe. L'enfumage était mondial. Le formatage de l'opinion est quelque chose qui me terrifie rétrospectivement, car la vérité ne se fait jour que très longtemps après, si encore elle se fait jour.

Partie 2

  • Je ne suis pas pacifiste, je tiens à le préciser. Je n'aurai pas été ministre de la Défense autrement. Mais je suis pacifique. Il est préférable de résoudre les problèmes par la voie diplomatique que par la voie de la violence et de la guerre. La guerre ouvre toujours une boîte de Pandore qu'on arrive pas à rattraper. Ce qui s'est passé en Irak a ouvert un cycle de guerre dont nous ne sommes pas sortis.
  • Nous avons récolté le terrorisme sur le territoire national. Je pense que la loi qui vient d'être votée, et celle qui est en préparation, ne comportent pas d'atteintes aux libertés fondamentales.
  • Le but de Daesh, c'est le califat mondial, c'est de dresser tous les musulmans contre l'Occident, et même au-delà car ils se mettront à dos la Russie, l'Inde, la Chine, etc. C'est un projet fou. Naturellement il faut le combattre avec sang-froid, avec sérénité.
  • Il faut s'appuyer sur les peuples musulmans, qui doivent se débarrasser eux-mêmes du venin terroriste. On peut les y aider. Mais c'est d'abord leur responsabilité. Et c'est aux élites de ces pays de faire comprendre que les terroristes ne représentent en aucune manière l'islam, qui est une religion qui porte d'autres messages que le message de la haine. Je crois que c'est un travail que ne peuvent faire que les musulmans.
  • Je ne crois pas à la culture de l'excuse sociologique. Certains des terroristes qui ont frappé la France avaient des diplômes, des salaires de 2200€ par mois. Je pense beaucoup plus qu'il y a un problème idéologique, un ressentiment, une haine, qui s'alimente à diverses sources. Pour y répondre, il faut aussi donner chez nous l'image de la justice et de la République. Il faut expliquer les valeurs de la République, ce qui n'est plus fait.
  • Nous avons connu des phénomènes de terrorisme dans les années 60-70 : la bande à Baader, Action Directe, les Brigades Rouges. Mais il n'y avait pas de terreau. La classe ouvrière ne se sentait pas du tout représentée. Là, il y a un terreau. Et c'est pour ça qu'il faut que la République s'applique dans tous les domaines, y compris en matière économique, sociale, c'est nécessaire pour que on comprenne qu'il y a quelque chose d'autre à l'horizon que les ténèbres du terrorisme salafiste.


le Lundi 9 Mars 2015 à 10:15 | Lu 5301 fois



1.Posté par HARNEIS ROBERT le 09/03/2015 13:07
"Pour y répondre, il faut aussi donner chez nous l'image de la justice et de la République. Il faut expliquer les valeurs de la République, ce qui n'est plus fait."


Absolument. Et il faut commencer avec notre politique étrangère. Quand Fabius incite les rebelles Syriens à assassiner Bachar Al Assad comment expliquer aux gens que l'assassinat n'est pas la manière de procéder quand on aime pas quelqu'un ou ses idées? Il faut arrêter de suivre les Américains/OTAN comme des moutons - ça aura un prix mais il faut le payer. Ca veut dire qu'il va falloir défendre nos intérêts tout seul avec les Européens comme des adultes. Il faut refaire le Traité de Lisbonne en ce qui concerne L'OTAN. Il faut se débarrasser du carcan Etats Unisien.

2.Posté par Jocelyne GALY le 09/03/2015 13:45
"... le projet fou de DAESH"...je me questionne sur la pertinence de cette formule: ce projet est il bien , initialement, celui de "DAESH"- appellons le EIIL puisque c'est sa dénomination d'origine .. - ou bien a-t-il été initié par d'autres et à d'autres fins? Depuis que nous savons qu'Al Qaida a été créé par les USA (c'est Hillary Clinton elle même qui le précise : voir cette vidéo http://blogdejocelyne.canalblog.com/archives/2013/01/19/26195768.html ) il y a vraiment de quoi se poser des questions en élargissant raisonnablement le champ de réflexion.

3.Posté par Maité Lafourcade le 09/03/2015 14:23
Je suis tout à fait d'accord avec vous. De ma petite position d'enseignante dans un quartier "difficile " de banlieue parisienne: j'observe une forme de rébellion précoce chez de très jeunes enfants ( 10, 11 ans) qui se réfugient dans des réponses religieuses pour détourner le cadre scolaire, voire le snober. Le partenariat avec les familles est de plus en plus compliqué à élaborer car leurs exigences ne sont pas compatibles avec l'Ecole Républicaine. Devons nous interrompre le dialogue, ce qui me semble préjudiciable pour nos élèves, ou continuer à accepter ces contradictions?
J'apprécie toujours dans vos interventions l'analyse politico-historique des thèmes abordés. Peu d'hommes politique actuels sont capables d'une telle érudition.
Maïté Lafourcade Perrot MRC Méry sur Oise

4.Posté par Emmanuel GILQUIN le 09/03/2015 16:53
Je suis profondément choqué par l'usage systématique du qualificatif fou pour des assassins qui agissent avec logique comme les miliciens du Maréchal Pétain, ou les escadrons de la mort sud américains en appliquant avec méthode la formule de Néron "oderint dum metuant", qu'il me haïssent pourvu qu'il me craignent!
Je propose donc aux hommes politiques et à vous même, cher ancien collègue, de parler désormais des ennemis des livres( c'est le sens de boko haram) des escadrons de la mort de sa Majesté le calife de Shaitan, du Seigneur des Mouches(Baal Zeboub) de Bagdad.De la poésie que Diable!
On a l'impression que Daesh est un mot pour noyer le poisson islamiste.

5.Posté par Emmanuel GILQUIN le 09/03/2015 17:50
Je suis surpris de la lenteur de notre diplomatie. Les Américains ont déjà repris le contact avec Bachar qui représente désormais tous les non-sunnites, chrétiens, alaouites, etc.. En Iran les américains remplissent les hôtels. Les iraniens, qui roulent massivement en Peugeot, resteront ils fidèles à la marque au Lion si nous nous réveillons comme le lièvre de la Fontaine?
Les ennemis de mes ennemis étant mes amis, je suis prêt à parier que le prochain gouvernement israélien fera la paix avec l'Iran.
Combien fallait-il d'hommes pour couper la route des armes libyennes vers le Sud, fallait il positionner cinquante braves à Koufra ou Mourzouk pour sauver l'Afrique Noire? La réponse est dans la vie du Maréchal Leclerc.
Malheur à la ville dont le prince est BHL ou Guy Mollet.

6.Posté par Jp JP le 12/03/2015 05:19
Mr JP Chevenement a dressé une remarquable revue de détails pour expliquer la situation actuelle de la France. Mais reprenons une expression de l’auteur : « le formatage de l’opinion ». Eh bien il existe aussi le formatage des politiciens, élus-élites, de toutes catégories. Ces gens-là, par leur comportement grossièrement irresponsable, nous « terrifient » (dernière salve : la « réforme »… du collège). Les citoyens ont perdu confiance. C’est grave de perdre confiance.

7.Posté par Carl GOMES le 12/03/2015 15:13
En Syrie, Hollande et Fabius ont déclaré il n'y a pas si longtemps qu'il fallait "tout faire contre le El Hassad" qu'ils ont qualifié de tyran commettant des crimes contre l'humanité. On peut comprendre que des jeunes des quartiers aient pris ça comme une un signal de départ vers des groupes extrémistes sunnites luttant sur place contre El Hassad.

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