Mediapart: En étant candidat, vous voulez faire «bouger les lignes». François Hollande vient d'annoncer qu'il voulait renégocier le traité européen et fait un appel au «patriotisme industriel». Cela vous suffit-il?
Jean-Pierre Chevènement. J'apprécie positivement la déclaration de François Hollande au terme de laquelle il renégocierait le traité européen. Ce traité ne répond pas à l'urgence, ne résoud en aucune manière le problème de l'endettement, ne peut manquer d'avoir des effets récessionnistes et d'enfermer l'Europe dans une spirale de déclin. Il porte atteinte à la démocratie et aux droits du parlement... Il y a là un ensemble de décisions qui inaugure l'Europe postdémocratique dont ont parlé Hubert Védrine et Jürgen Habermas.
Face à ce traité dont vous pointez les dangers, estimez-vous que la réaction de la gauche est suffisante?
Non, parce que j'ai l'expérience du pacte de stabilité, qualifié de super-Maastricht par Lionel Jospin avant les élections de 1997 et auquel nous nous sommes ralliés illico presto. C'était le 18 juin 1997 et je me suis à l'époque tourné vers le secrétaire général du gouvernement (Chevènement est alors ministre de l'intérieur) pour lui demander de bien vouloir inscrire au procès-verbal du conseil des ministres ma ferme opposition à la signature par la France de ce pacte.
Jacques Chirac avait à l'époque expliqué qu'il fallait respecter la parole de la France. Mais si le général de Gaulle avait respecté la parole de la France, nous serions toujours dans les structures de l'OTAN -d'ailleurs nous y sommes revenus. S'il avait fallu appliquer bêtement le traité de Rome, il n'y aurait jamais eu de politique agricole commune. Il n'y aurait pas eu de politique de la chaise vide. Il n'y aurait pas eu de droit de veto. On n'a jamais vu sur la scène internationale un gouvernement, démocratiquement élu, qui se sente lié par les engagements pris par son prédécesseur.
Jean-Pierre Chevènement. J'apprécie positivement la déclaration de François Hollande au terme de laquelle il renégocierait le traité européen. Ce traité ne répond pas à l'urgence, ne résoud en aucune manière le problème de l'endettement, ne peut manquer d'avoir des effets récessionnistes et d'enfermer l'Europe dans une spirale de déclin. Il porte atteinte à la démocratie et aux droits du parlement... Il y a là un ensemble de décisions qui inaugure l'Europe postdémocratique dont ont parlé Hubert Védrine et Jürgen Habermas.
Face à ce traité dont vous pointez les dangers, estimez-vous que la réaction de la gauche est suffisante?
Non, parce que j'ai l'expérience du pacte de stabilité, qualifié de super-Maastricht par Lionel Jospin avant les élections de 1997 et auquel nous nous sommes ralliés illico presto. C'était le 18 juin 1997 et je me suis à l'époque tourné vers le secrétaire général du gouvernement (Chevènement est alors ministre de l'intérieur) pour lui demander de bien vouloir inscrire au procès-verbal du conseil des ministres ma ferme opposition à la signature par la France de ce pacte.
Jacques Chirac avait à l'époque expliqué qu'il fallait respecter la parole de la France. Mais si le général de Gaulle avait respecté la parole de la France, nous serions toujours dans les structures de l'OTAN -d'ailleurs nous y sommes revenus. S'il avait fallu appliquer bêtement le traité de Rome, il n'y aurait jamais eu de politique agricole commune. Il n'y aurait pas eu de politique de la chaise vide. Il n'y aurait pas eu de droit de veto. On n'a jamais vu sur la scène internationale un gouvernement, démocratiquement élu, qui se sente lié par les engagements pris par son prédécesseur.
Faites-vous confiance à François Hollande pour ne pas reproduire Jospin?
C'est une bonne question... Je pense que cela va beaucoup dépendre de la configuration de forces dans un contexte politique radicalement nouveau. Car nous sommes entrés dans une crise profonde depuis 2008. Un gouvernement qui procéderait d'une majorité de gauche ne pourrait pas aller aussi durement et bêtement contre les aspirations de ceux qui lui ont fait confiance.
Confiance modérée donc?
Confiance modérée, oui, mais je fais confiance à la logique des situations.
Vous êtes, à cette élection présidentielle, le seul candidat déclaré à avoir participé à la fondation du PS d'Epinay, avant de le quitter. Quel regard portez-vous sur l'évolution de ce parti aujourd'hui, y compris sur les affaires touchant plusieurs fédérations?
Je n'ai pas tendance à idéaliser le passé. Le PS a toujours fonctionné sur un système de sections et de fédérations qui épousaient étroitement les fiefs électoraux de Pierre, Paul ou Jacques. Mais la sociologie du PS a beaucoup changé. C'était un parti de vieux ouvriers, d'employés ou de professeurs, et je ne conteste pas la rigueur et l'honnêteté de ces militants que j'ai connus jadis. Ils se rappelaient des querelles des années 1920 ou 1930 sur la prise du pouvoir ou sur la gestion du capitalisme. Est-ce le moment pour le PS de venir au pouvoir? Est-ce encore un parti qui a une doctrine? Même la SFIO se flattait encore d'en avoir une... Aujourd'hui le PS ne se pose plus ce genre de questions: le pouvoir est désirable en soi. Cela n'a jamais été vraiment ma conception: je reste de ce point de vue là un vieux socialiste.
Depuis cette époque, toute la gauche a été irriguée par le paradigme écologique. Vous semblez être encore le seul à y résister. Pourquoi?
Parce que je le replace dans un combat culturel qui structure toute l'histoire de l'Occident. la contestation des valeurs de la connaissance commence avec Eve qui dérobe la pomme sur l'arbre de la connaissance. Elle commence avec Prométhée qui a volé le feu aux dieux pour le donner aux hommes. J'éprouve une certaine méfiance à l'égard de cette soumission à une entité plus forte que l'homme, qu'on peut appeler Dieu ou la Nature. Je reste fidèle à la tradition cartésienne celle du doute méthodique.
C'est en Allemagne à la fin de la Seconde guerre mondiale qu'émerge une réflexion légitime sur les raisons ayant pu conduire à un déraillement complet de l'histoire allemande. C'est Hans Jonas qui écrit un livre intitulé Le principe responsabilité qu'il oppose au principe d'espérance d'Ernst Bloch. En fait, le principe de responsabilité, c'est le principe de précaution: on ne doit rien faire sans en avoir analysé toutes les conséquences. Ce principe n'a aucune valeur scientifique. Il nous ramène au proverbe de nos grands-mères: "Deux précautions valent mieux qu'une".
C'est un principe d'immobilisme, une idéologie de la peur dont je constate les ravages dans des domaines très divers. Cela concerne par exemple les nanotechnologies où les scientifiques sont conscients de travailler dans un contexte hostile. De même avec les OGM. Qui sait en France que la superficie cultivée en OGM dans le monde représente cinq fois la superficie de la France, et qu'on a d'ores et déjà mis au point des variétés beaucoup plus résistantes, qui peuvent se contenter d'une très petite quantité d'eau et peuvent, par conséquent, vaincre la malnutrition? Il y a énormément de préjugés.
Aujourd'hui, on est tout à fait à la mode quand on a une moustache et une pipe et qu'on s'inscrit contre des idées de ce genre! Et ce que je dis là vaut pour le nucléaire ou les ondes électromagnétiques. Il n'y a guère de domaine qui échappe à cette suspicion généralisée. C'est l'idéologie du déclin. Elle traduit les deux guerres mondiales et le doute profond qui s'est emparé de tous nos pays, notamment de l'Allemagne. Je me méfie de la technophobie, de l'idéologie anti-science.
Vous n'êtes pas ébranlé par une catastrophe comme Fukushima ou par le rôle joué par des multinationales comme Monsanto dans la privatisation des brevets?
Je ne nie pas que les grands groupes ont des stratégies d'appropriation. Je suis aussi tout à fait contre la logique de sous-traitance dans le nucléaire. S'agissant de Fukushima, c'est un accident qui est dû à l'insufffisance des mesures de sécurité. La vague très haute est allée jusqu'à 23 mètres, alors que le mur de protection n'était que de 7 mètres. Tepco (le groupe nucléaire japonais) n'a pas pris les mesures de sécurité nécessaires, pas plus que l'autorité de sûreté qui est une émanation du ministère et qui est dans les mains du Medef japonais... Il faut tirer de Fukushima les leçons qui méritent de l'être.
Par ailleurs, on sait désormais que la réduction des zones contaminées prendra entre 10 et 20 ans. Cela ne veut donc pas dire qu'on n'y arrivera pas. J'ajoute que le nombre de morts dans l'industrie charbonnière oscille chaque année entre 2.000 et 3.000. Fukushima, c'est un mort ou deux -je parle de l'accident nucléaire, je ne parle pas du tsunami qui a fait 30.000 vicitimes. Il faut toujours raison garder. L'idéologie de la peur ne doit pas triompher.
Le nucléaire est une énergie qui n'émet pas de gaz à effet de serre et qui est bon marché. Le jour où les Français seront confrontés à une augmentation de 30% de leur facture d'électricité, je ne suis pas sûr qu'ils soient d'accord! J'ajoute que nous avons une balance commerciale avec 75 milliards de déficit. Or la fermeture d'un tiers de nos réacteurs aboutit à un alourdissement de notre balance commerciale de 12 milliards...
Mais le recours à la sous-traitance dans le nucléaire ou la privatisation des brevets sont le produit de décisions politiques. En ces temps de rigueur budgétaire et de déréglementation, quelles garanties pouvez-vous avoir que le contrôle sera suffisant?
En matière nucléaire, c'est très facile car on répercute dans le prix de l'électricité les précautions que l'on va prendre. Les Etats, et la commission de Bruxelles encore moins, ne reculent jamais devant les prescriptions relatives à la dépollution de l'eau, à l'accès des bâtiments publics par les handicapés... Tout cela coûte horriblement cher et j'observe que nous avons des autorités prescriptrices qui produisent constamment des normes, qui ensuite doivent être satisfaites dans des conditions de plus en plus difficiles par les collectivités. En matière nucléaire, le fait qu'on puisse incorporer dans le prix le coût du renforcement des normes règle le problème.
Quelles différences voyez-vous entre votre candidature et celle de Jean-Luc Mélenchon qui reprend certaines thématiques patriotiques, revendique le socialisme historique et appelle à une renégociation profonde des traités européens?
Ma démarche est plus enracinée dans le temps. Mélenchon a fait beaucoup de progrès, et je l'en félicite, depuis l'époque où il a voté pour le traité de Maastricht.
Mais il a voté "non" au référéendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen...
Il a beaucoup progressé depuis dix ans. Son chemin de Damas est relativement récent. Mais la principale critique que je fais à Mélenchon, en dehors de prises de position démagogiques comme la sortie du nucléaire ou la régularisation générale de tous les étrangers sur notre sol, est son approche de la souveraineté nationale. J'y vois, pour ma part, le point d'appui indispensable pour que la France puisse exercer un effet de levier dans l'Europe et dans le monde.
Si nous nous laissons emprisonner dans un réseau d'obligations juridiques ou de faits qui nous empêchent d'agir, nous ne pourrons plus agir dans le sens du redressement de la construction européenne ou du témoignage pour un monde qui s‘inspirerait des valeurs républicaines dont la France est l'héritière. Je pense que la France représente un patrimoine assez précieux pour ne pas être dilapidé. Je ne le dis pas par un patriotisme désuet, mais dans une perspective gramscienne.
Mélenchon, lui, peut être tenté de céder à une certaine phraséologie fédéraliste européenne, qui ne repose pas sur une analyse rigoureuse des rapports de forces. La souveraineté nationale, pour moi, c'est la condition d'une action politique internationale. Le patriotisme et l'internationalisme vont de pair. La souveraineté nationale peut très bien se conjuguer avec certaines délégations de compétences, dès qu'elle reste démocratiquement contrôlée. De ce point de vue, le conseil européen est un progrès par rapport à la commission car y siègent les gouvernements démocratiquement légitimes.
Vous qui avez été perçu par les socialistes comme un des principaux responsables du 21 avril 2002, quel regard portez-vous sur ces appels au vote utile lancés dès le début de la campagne de François Hollande?
Il y a là un relent de jospinisme. C'est faire totalement l'impasse sur le débat de fond. Quand on est candidat à la présidence, il faut que les Français sachent comment on voit l'avenir de la France. Je revendique pleinement la thématique qui était la mienne en 2002: la critique des marchés financiers. Ils ne sont pas l'horizon de l'histoire. Ce sont les peuples et les nations qui en sont les acteurs. Je propose de redresser l'Europe, d'élargir les missions de la BCE, de renouer avec une politique industrielle, de poser en tous domaines des repères fermes, dans l'éducation, la sécurité ou l'intégration des immigrés.
Une pensée de gauche doit être une pensée structurée, qui ne doit pas se dissoudre dans des formulations trop floues. Je n'aime pas cette conception du vote utile: la gauche doit avoir un discours articulé, elle doit élever la conscience des citoyens. C'est la raison pour laquelle je suis candidat. Et je pense être légitime pour le faire, étant donné l'ancienneté de mon opposition au tournant libéral, dès 1983, à la politique de la monnaie forte, à l'abandon de la politique industrielle, à l'application de l'acte unique à travers la libération des mouvements de capitaux, puis à la monnaie unique en 1992, qui m'a amené à quitter le PS. Il y a une certaine logique à mon parcours.
En 2002, vous aviez fait appel aux "républicains des deux rives", provoquant des tensions au sein même de votre courant. Rediriez-vous la même chose aujourd'hui?
Oui. Y a-t-il une si grande distance entre ces deux rives? Entre ce que dit Dupont-Aignan et ce que je dis? Peut-être ai-je sur la monnaie unique un discours plus argumenté et plus fin, car j'ai bien conscience que la monnaie unique existe. Néanmoins, il y a un socle de valeurs sur lesquelles nous pouvons nous retrouver. Comme je le dis dans un de mes derniers livres, La France est-elle finie?, il y a des valeurs de transmission qui transcendent la gauche et la droite. La gauche est une notion relativement récente puisqu'elle date de la révolution française. Je la prends pleinement en compte mais la France a préexisté à la République, elle a même été la matrice de la République. On peut dire par exemple que l'édit de Nantes est quelque chose qui balise le chemin vers l'affirmation de la liberté de conscience, qui est proclamée par la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Il y a un continuum à notre histoire.
Cela veut-il dire que, pour vous, la question sociale n'est plus suffisamment déterminante pour y voir une différence fondamentale avec Nicolas Dupont-Aignan?
Nicolas Dupont-Aignan se laisserait facilement amené sur des politiques qui reprendraient l'inspiration du Conseil national de la résistance. C'est un gaulliste de gauche.
Comment vivez-vous que certains nationaux-républicains qui vous soutenaient en 2002 nourrissent aujourd'hui les analyses de Marine Le Pen?
Il y a un cas, celui de Bertrand Dutheil de la Rochère. Un autre, Florian Philippot, se réclame de moi mais je ne le connais pas. Il prétend avoir été dans mes comités de soutien en 2002. J'ai obtenu 1,5 million de voix, je n'en suis pas responsable...
Mais il y a aussi Paul-Marie Coûteaux qui a participé à votre campagne en 2002...
Parce qu'il m'a rejoint. Il était député pasquaïen, il est reparti ensuite avec Philippe de Villiers. Cela fait partie des itinéraires complexes. Un candidat, en principe, ne refuse pas les voix qui appellent à voter pour lui. Mais je n'ai pas toujours suivi les avis que me donnait Paul-Marie Coûteaux: j'ai par exemple refusé d'appeler à un moratoire sur l'immigration. Je n'ai jamais été prisonnier de mes soutiens. Quant à l'entourage de Marine Le Pen, il n'y a que Dutheil de la Rochère dont la démarche me paraît suicidaire.
Mais comment l'expliquez-vous? Certains à gauche, y compris des anciens du MRC, explique ce basculement vers l'extrême droite par un abandon de la question sociale...
Ce n'est certainement pas le cas de Dutheil de la Rochère, qui était au Parti communiste. Son itinéraire est très particulier. Je dis souvent qu'entre la droite et la gauche, il y a 1789. Dutheil de la Rochère aurait quelques circonstances atténuantes pour l'avoir oublié, étant donné qu'un de ses ancêtres a probablement dû y perdre le chef.
Pour vous cela reste l'exception d'un parcours politique marginal?
Oui. Car il n'a entraîné personne.
Mais au-delà des rangs stricts du MRC, dans la mouvance national-républicaine, beaucoup de militants de Riposte laïque se sont rapprochés du Front national.
Je ne les connais pas.
Il y a pourtant Christine Tasin qui était au MRC, et qui est une des responsables de Riposte laïque.
Je ne la connais pas. Je suis président de l'association France-Algérie. Je crois qu'il y a une sorte d'entité franco-algérienne qu'il faut soigneusement préserver et qui est un grand atout pour la France et l'Algérie au 21e siècle. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut oublier le passé. Il faut l'assumer.
En quoi votre politique d'immigration serait-elle différente de celle de Nicolas Sarkozy?
Je distinguerai davantage circulation et droit du séjour. Je l'ai fait comme ministre de l'intérieur avec Hubert Védrine (ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin): nous avons considérablement élargi les possibilités de visa offertes. Sur le droit au séjour, je suis plus restrictif: nous traversons une crise économique grave et nous ne pouvons pas considérer que la France peut renoncer à réglementer le séjour. Je serais plus libéral que M. Guéant s'agissant des étudiants. Des étudiants peuvent travailler en France et ensuite mettre à la disposition de leur pays d'origine l'expérience acquise en France.
Donc vous êtes d'accord avec le durcissement des conditions du séjour mis en place par Nicolas Sarkozy, ou les quotas...
Non, on applique la loi, on ne fixe pas des objectifs a priori. Cela n'a pas de sens.
Et sur le séjour?
Je ne peux pas répondre en général. Mais moi, je n'ai pas peur de l'étranger. La France a une capacité d'accueil et d'intégration qui reste puissante, bien que je sois sensible à la montée des communautarismes. Je suis pour une politique d'intégration qui veut qu'on demande à ceux qui veulent acquérir la nationalité française de savoir quelques mots de français. Mais cela s'apprécie au cas par cas. Car si un grand scientifique demande à devenir français, même s'il ne le parle pas parfaitement, je serais tout à fait d'accord pour qu'on lui donne la nationalité. Je suis le ministre qui a ouvert le CNRS aux étrangers. Je ne dis pas cela pour les postiers, les cheminots etc. Une politique d'immigration intelligente consiste à attirer en France tous ceux qui peuvent servir son rayonnement.
La gauche peut-elle aujourd'hui renouer avec les milieux populaires, notamment avec cette France des déclassés qui touche les classes moyennes, souvent périurbaines et blanches, sans avoir un discours sur la laïcité ou l'immigration?
Je suis issu d'une famille d'instituteurs et d'ouvriers: je n'ai aucun problème à avoir un contact avec les Français de base. J'en suis un. Il faut tenir à ces Français qui vivent difficilement un discours qui les rassure, qui leur offre la sécurité qui leur manque en terme de pouvoir d'achat, d'emploi, de logement, d'école. Un discours de sécurité vis-à-vis de la délinquance au quotidien.
C'est aussi ce que j'ai fait comme ministre de l'intérieur. On m'a reproché l'emploi de l'expression de sauvageons parce que les gens ne parlent plus le français. C'est un très vieux mot qui désigne un arbre non greffé, dont j'évoquais le manque d'éducation. Beaucoup de choses se ramènent à un manque d'éducation, de savoir-vivre, de politesse -toutes ces valeurs de transmission qui transcendent la gauche et la droite, mais que la gauche ferait bien de reprendre à son compte.
Vous vous êtes déjà expliqué sur votre logement parisien. Mais ne pensez-vous pas que cela puisse choquer l'électorat populaire?
Je savais qu'en étant candidat, je m'en prendrais plein la gueule. Cette affaire a éclaté trois jours après ma déclaration de candidature! A propos d'un logement que j'occupe depuis 28 ans... Je l'ai obtenu quand j'ai quitté le ministère de la recherche et de l'industrie, pour ne pas avoir à déménager et à changer d'école mes enfants qui étaient jeunes. A l'époque, je ne m'en suis pas occupé, c'est ma femme qui s'occupe de ces choses-là. Tout locataire qui est dans ses meubles depuis un certain nombre d'années ne paie pas le loyer de la spéculation, surtout dans des quartiers où elle est galopante. Et je n'appartiens pas au logement social comme mes adversaires essaient de le faire croire, mais au patrimoine libre de la Ville de Paris. Cela prouve jusqu'où va un certain esprit de vindicte. Tout cela est assez triste...
Certains parmi vos amis socialistes disent que vous êtes candidat pour obtenir des circonscriptions pour vos proches. On sait déjà que le PS en a réservé 4 ou 5 pour le MRC...
Vous me l'apprenez. C'est une initiative propre au Parti socialiste. Il n'y a aucun accord aujourd'hui entre le MRC et le PS.
Ces circonscriptions vous suffiraient-elles?
C'est assez dérisoire pour ce que nous représentons politiquement et historiquement. Sur le 1,5 million de voix qui s'est porté sur moi en 2002, je dois bien en avoir conservé quelques centaines de milliers. Je pense que ma parole peut avoir un poids pendant la campagne. Je ne suis candidat que pour des raisons totalement désintéressées.
Au Sénat, certains disent que votre candidature est aussi liée à la non-obtention d'une présidence de commission après la victoire de la gauche...
Jean-Pierre Bel (le nouveau président PS du Sénat) m'avait laissé entendre que je pourrais être président de la commission des affaires étrangères et de la défense. La décision a été prise dans des conditions qui me sont restées très opaques de donner la présidence à un de mes collègues. Mais il n'y aucune déception de ma part. J'aurais de toute façon été candidat à la présidence de la république.
A quelles conditions pourriez-vous retirer cette candidature dont vos proches disent eux-mêmes qu'elle pourrait ne pas aller au bout?
Il faut qu'on s'entende mieux sur ce que pourrait être la croissance à l'échelle européenne. Comment l'organiser? Comment peser sur l'Allemagne et sur sa psychorigidité en matière monétaire? Nous devons être plus fermes sur la souveraineté de la France et sur l'avenir de la dissuasion nucléaire, sur notre indépendance à la fois militaire et diplomatique. Nous devons avoir une vision plus réaliste et plus souple sur l'Europe. Bien évidemment, l'accord PS-Verts ne nous engagera jamais. Et nous souhaitons que le candidat se souvienne qu'il est candidat à la présidence de la République et non dans une négociation type gauche plurielle. Cette combinaison politicienne ne conduit nulle part.
Propos recueillis par Stéphane Alliès et Lénaïg Bredoux
Source: Mediapart
C'est une bonne question... Je pense que cela va beaucoup dépendre de la configuration de forces dans un contexte politique radicalement nouveau. Car nous sommes entrés dans une crise profonde depuis 2008. Un gouvernement qui procéderait d'une majorité de gauche ne pourrait pas aller aussi durement et bêtement contre les aspirations de ceux qui lui ont fait confiance.
Confiance modérée donc?
Confiance modérée, oui, mais je fais confiance à la logique des situations.
Vous êtes, à cette élection présidentielle, le seul candidat déclaré à avoir participé à la fondation du PS d'Epinay, avant de le quitter. Quel regard portez-vous sur l'évolution de ce parti aujourd'hui, y compris sur les affaires touchant plusieurs fédérations?
Je n'ai pas tendance à idéaliser le passé. Le PS a toujours fonctionné sur un système de sections et de fédérations qui épousaient étroitement les fiefs électoraux de Pierre, Paul ou Jacques. Mais la sociologie du PS a beaucoup changé. C'était un parti de vieux ouvriers, d'employés ou de professeurs, et je ne conteste pas la rigueur et l'honnêteté de ces militants que j'ai connus jadis. Ils se rappelaient des querelles des années 1920 ou 1930 sur la prise du pouvoir ou sur la gestion du capitalisme. Est-ce le moment pour le PS de venir au pouvoir? Est-ce encore un parti qui a une doctrine? Même la SFIO se flattait encore d'en avoir une... Aujourd'hui le PS ne se pose plus ce genre de questions: le pouvoir est désirable en soi. Cela n'a jamais été vraiment ma conception: je reste de ce point de vue là un vieux socialiste.
Depuis cette époque, toute la gauche a été irriguée par le paradigme écologique. Vous semblez être encore le seul à y résister. Pourquoi?
Parce que je le replace dans un combat culturel qui structure toute l'histoire de l'Occident. la contestation des valeurs de la connaissance commence avec Eve qui dérobe la pomme sur l'arbre de la connaissance. Elle commence avec Prométhée qui a volé le feu aux dieux pour le donner aux hommes. J'éprouve une certaine méfiance à l'égard de cette soumission à une entité plus forte que l'homme, qu'on peut appeler Dieu ou la Nature. Je reste fidèle à la tradition cartésienne celle du doute méthodique.
C'est en Allemagne à la fin de la Seconde guerre mondiale qu'émerge une réflexion légitime sur les raisons ayant pu conduire à un déraillement complet de l'histoire allemande. C'est Hans Jonas qui écrit un livre intitulé Le principe responsabilité qu'il oppose au principe d'espérance d'Ernst Bloch. En fait, le principe de responsabilité, c'est le principe de précaution: on ne doit rien faire sans en avoir analysé toutes les conséquences. Ce principe n'a aucune valeur scientifique. Il nous ramène au proverbe de nos grands-mères: "Deux précautions valent mieux qu'une".
C'est un principe d'immobilisme, une idéologie de la peur dont je constate les ravages dans des domaines très divers. Cela concerne par exemple les nanotechnologies où les scientifiques sont conscients de travailler dans un contexte hostile. De même avec les OGM. Qui sait en France que la superficie cultivée en OGM dans le monde représente cinq fois la superficie de la France, et qu'on a d'ores et déjà mis au point des variétés beaucoup plus résistantes, qui peuvent se contenter d'une très petite quantité d'eau et peuvent, par conséquent, vaincre la malnutrition? Il y a énormément de préjugés.
Aujourd'hui, on est tout à fait à la mode quand on a une moustache et une pipe et qu'on s'inscrit contre des idées de ce genre! Et ce que je dis là vaut pour le nucléaire ou les ondes électromagnétiques. Il n'y a guère de domaine qui échappe à cette suspicion généralisée. C'est l'idéologie du déclin. Elle traduit les deux guerres mondiales et le doute profond qui s'est emparé de tous nos pays, notamment de l'Allemagne. Je me méfie de la technophobie, de l'idéologie anti-science.
Vous n'êtes pas ébranlé par une catastrophe comme Fukushima ou par le rôle joué par des multinationales comme Monsanto dans la privatisation des brevets?
Je ne nie pas que les grands groupes ont des stratégies d'appropriation. Je suis aussi tout à fait contre la logique de sous-traitance dans le nucléaire. S'agissant de Fukushima, c'est un accident qui est dû à l'insufffisance des mesures de sécurité. La vague très haute est allée jusqu'à 23 mètres, alors que le mur de protection n'était que de 7 mètres. Tepco (le groupe nucléaire japonais) n'a pas pris les mesures de sécurité nécessaires, pas plus que l'autorité de sûreté qui est une émanation du ministère et qui est dans les mains du Medef japonais... Il faut tirer de Fukushima les leçons qui méritent de l'être.
Par ailleurs, on sait désormais que la réduction des zones contaminées prendra entre 10 et 20 ans. Cela ne veut donc pas dire qu'on n'y arrivera pas. J'ajoute que le nombre de morts dans l'industrie charbonnière oscille chaque année entre 2.000 et 3.000. Fukushima, c'est un mort ou deux -je parle de l'accident nucléaire, je ne parle pas du tsunami qui a fait 30.000 vicitimes. Il faut toujours raison garder. L'idéologie de la peur ne doit pas triompher.
Le nucléaire est une énergie qui n'émet pas de gaz à effet de serre et qui est bon marché. Le jour où les Français seront confrontés à une augmentation de 30% de leur facture d'électricité, je ne suis pas sûr qu'ils soient d'accord! J'ajoute que nous avons une balance commerciale avec 75 milliards de déficit. Or la fermeture d'un tiers de nos réacteurs aboutit à un alourdissement de notre balance commerciale de 12 milliards...
Mais le recours à la sous-traitance dans le nucléaire ou la privatisation des brevets sont le produit de décisions politiques. En ces temps de rigueur budgétaire et de déréglementation, quelles garanties pouvez-vous avoir que le contrôle sera suffisant?
En matière nucléaire, c'est très facile car on répercute dans le prix de l'électricité les précautions que l'on va prendre. Les Etats, et la commission de Bruxelles encore moins, ne reculent jamais devant les prescriptions relatives à la dépollution de l'eau, à l'accès des bâtiments publics par les handicapés... Tout cela coûte horriblement cher et j'observe que nous avons des autorités prescriptrices qui produisent constamment des normes, qui ensuite doivent être satisfaites dans des conditions de plus en plus difficiles par les collectivités. En matière nucléaire, le fait qu'on puisse incorporer dans le prix le coût du renforcement des normes règle le problème.
Quelles différences voyez-vous entre votre candidature et celle de Jean-Luc Mélenchon qui reprend certaines thématiques patriotiques, revendique le socialisme historique et appelle à une renégociation profonde des traités européens?
Ma démarche est plus enracinée dans le temps. Mélenchon a fait beaucoup de progrès, et je l'en félicite, depuis l'époque où il a voté pour le traité de Maastricht.
Mais il a voté "non" au référéendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen...
Il a beaucoup progressé depuis dix ans. Son chemin de Damas est relativement récent. Mais la principale critique que je fais à Mélenchon, en dehors de prises de position démagogiques comme la sortie du nucléaire ou la régularisation générale de tous les étrangers sur notre sol, est son approche de la souveraineté nationale. J'y vois, pour ma part, le point d'appui indispensable pour que la France puisse exercer un effet de levier dans l'Europe et dans le monde.
Si nous nous laissons emprisonner dans un réseau d'obligations juridiques ou de faits qui nous empêchent d'agir, nous ne pourrons plus agir dans le sens du redressement de la construction européenne ou du témoignage pour un monde qui s‘inspirerait des valeurs républicaines dont la France est l'héritière. Je pense que la France représente un patrimoine assez précieux pour ne pas être dilapidé. Je ne le dis pas par un patriotisme désuet, mais dans une perspective gramscienne.
Mélenchon, lui, peut être tenté de céder à une certaine phraséologie fédéraliste européenne, qui ne repose pas sur une analyse rigoureuse des rapports de forces. La souveraineté nationale, pour moi, c'est la condition d'une action politique internationale. Le patriotisme et l'internationalisme vont de pair. La souveraineté nationale peut très bien se conjuguer avec certaines délégations de compétences, dès qu'elle reste démocratiquement contrôlée. De ce point de vue, le conseil européen est un progrès par rapport à la commission car y siègent les gouvernements démocratiquement légitimes.
Vous qui avez été perçu par les socialistes comme un des principaux responsables du 21 avril 2002, quel regard portez-vous sur ces appels au vote utile lancés dès le début de la campagne de François Hollande?
Il y a là un relent de jospinisme. C'est faire totalement l'impasse sur le débat de fond. Quand on est candidat à la présidence, il faut que les Français sachent comment on voit l'avenir de la France. Je revendique pleinement la thématique qui était la mienne en 2002: la critique des marchés financiers. Ils ne sont pas l'horizon de l'histoire. Ce sont les peuples et les nations qui en sont les acteurs. Je propose de redresser l'Europe, d'élargir les missions de la BCE, de renouer avec une politique industrielle, de poser en tous domaines des repères fermes, dans l'éducation, la sécurité ou l'intégration des immigrés.
Une pensée de gauche doit être une pensée structurée, qui ne doit pas se dissoudre dans des formulations trop floues. Je n'aime pas cette conception du vote utile: la gauche doit avoir un discours articulé, elle doit élever la conscience des citoyens. C'est la raison pour laquelle je suis candidat. Et je pense être légitime pour le faire, étant donné l'ancienneté de mon opposition au tournant libéral, dès 1983, à la politique de la monnaie forte, à l'abandon de la politique industrielle, à l'application de l'acte unique à travers la libération des mouvements de capitaux, puis à la monnaie unique en 1992, qui m'a amené à quitter le PS. Il y a une certaine logique à mon parcours.
En 2002, vous aviez fait appel aux "républicains des deux rives", provoquant des tensions au sein même de votre courant. Rediriez-vous la même chose aujourd'hui?
Oui. Y a-t-il une si grande distance entre ces deux rives? Entre ce que dit Dupont-Aignan et ce que je dis? Peut-être ai-je sur la monnaie unique un discours plus argumenté et plus fin, car j'ai bien conscience que la monnaie unique existe. Néanmoins, il y a un socle de valeurs sur lesquelles nous pouvons nous retrouver. Comme je le dis dans un de mes derniers livres, La France est-elle finie?, il y a des valeurs de transmission qui transcendent la gauche et la droite. La gauche est une notion relativement récente puisqu'elle date de la révolution française. Je la prends pleinement en compte mais la France a préexisté à la République, elle a même été la matrice de la République. On peut dire par exemple que l'édit de Nantes est quelque chose qui balise le chemin vers l'affirmation de la liberté de conscience, qui est proclamée par la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Il y a un continuum à notre histoire.
Cela veut-il dire que, pour vous, la question sociale n'est plus suffisamment déterminante pour y voir une différence fondamentale avec Nicolas Dupont-Aignan?
Nicolas Dupont-Aignan se laisserait facilement amené sur des politiques qui reprendraient l'inspiration du Conseil national de la résistance. C'est un gaulliste de gauche.
Comment vivez-vous que certains nationaux-républicains qui vous soutenaient en 2002 nourrissent aujourd'hui les analyses de Marine Le Pen?
Il y a un cas, celui de Bertrand Dutheil de la Rochère. Un autre, Florian Philippot, se réclame de moi mais je ne le connais pas. Il prétend avoir été dans mes comités de soutien en 2002. J'ai obtenu 1,5 million de voix, je n'en suis pas responsable...
Mais il y a aussi Paul-Marie Coûteaux qui a participé à votre campagne en 2002...
Parce qu'il m'a rejoint. Il était député pasquaïen, il est reparti ensuite avec Philippe de Villiers. Cela fait partie des itinéraires complexes. Un candidat, en principe, ne refuse pas les voix qui appellent à voter pour lui. Mais je n'ai pas toujours suivi les avis que me donnait Paul-Marie Coûteaux: j'ai par exemple refusé d'appeler à un moratoire sur l'immigration. Je n'ai jamais été prisonnier de mes soutiens. Quant à l'entourage de Marine Le Pen, il n'y a que Dutheil de la Rochère dont la démarche me paraît suicidaire.
Mais comment l'expliquez-vous? Certains à gauche, y compris des anciens du MRC, explique ce basculement vers l'extrême droite par un abandon de la question sociale...
Ce n'est certainement pas le cas de Dutheil de la Rochère, qui était au Parti communiste. Son itinéraire est très particulier. Je dis souvent qu'entre la droite et la gauche, il y a 1789. Dutheil de la Rochère aurait quelques circonstances atténuantes pour l'avoir oublié, étant donné qu'un de ses ancêtres a probablement dû y perdre le chef.
Pour vous cela reste l'exception d'un parcours politique marginal?
Oui. Car il n'a entraîné personne.
Mais au-delà des rangs stricts du MRC, dans la mouvance national-républicaine, beaucoup de militants de Riposte laïque se sont rapprochés du Front national.
Je ne les connais pas.
Il y a pourtant Christine Tasin qui était au MRC, et qui est une des responsables de Riposte laïque.
Je ne la connais pas. Je suis président de l'association France-Algérie. Je crois qu'il y a une sorte d'entité franco-algérienne qu'il faut soigneusement préserver et qui est un grand atout pour la France et l'Algérie au 21e siècle. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut oublier le passé. Il faut l'assumer.
En quoi votre politique d'immigration serait-elle différente de celle de Nicolas Sarkozy?
Je distinguerai davantage circulation et droit du séjour. Je l'ai fait comme ministre de l'intérieur avec Hubert Védrine (ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin): nous avons considérablement élargi les possibilités de visa offertes. Sur le droit au séjour, je suis plus restrictif: nous traversons une crise économique grave et nous ne pouvons pas considérer que la France peut renoncer à réglementer le séjour. Je serais plus libéral que M. Guéant s'agissant des étudiants. Des étudiants peuvent travailler en France et ensuite mettre à la disposition de leur pays d'origine l'expérience acquise en France.
Donc vous êtes d'accord avec le durcissement des conditions du séjour mis en place par Nicolas Sarkozy, ou les quotas...
Non, on applique la loi, on ne fixe pas des objectifs a priori. Cela n'a pas de sens.
Et sur le séjour?
Je ne peux pas répondre en général. Mais moi, je n'ai pas peur de l'étranger. La France a une capacité d'accueil et d'intégration qui reste puissante, bien que je sois sensible à la montée des communautarismes. Je suis pour une politique d'intégration qui veut qu'on demande à ceux qui veulent acquérir la nationalité française de savoir quelques mots de français. Mais cela s'apprécie au cas par cas. Car si un grand scientifique demande à devenir français, même s'il ne le parle pas parfaitement, je serais tout à fait d'accord pour qu'on lui donne la nationalité. Je suis le ministre qui a ouvert le CNRS aux étrangers. Je ne dis pas cela pour les postiers, les cheminots etc. Une politique d'immigration intelligente consiste à attirer en France tous ceux qui peuvent servir son rayonnement.
La gauche peut-elle aujourd'hui renouer avec les milieux populaires, notamment avec cette France des déclassés qui touche les classes moyennes, souvent périurbaines et blanches, sans avoir un discours sur la laïcité ou l'immigration?
Je suis issu d'une famille d'instituteurs et d'ouvriers: je n'ai aucun problème à avoir un contact avec les Français de base. J'en suis un. Il faut tenir à ces Français qui vivent difficilement un discours qui les rassure, qui leur offre la sécurité qui leur manque en terme de pouvoir d'achat, d'emploi, de logement, d'école. Un discours de sécurité vis-à-vis de la délinquance au quotidien.
C'est aussi ce que j'ai fait comme ministre de l'intérieur. On m'a reproché l'emploi de l'expression de sauvageons parce que les gens ne parlent plus le français. C'est un très vieux mot qui désigne un arbre non greffé, dont j'évoquais le manque d'éducation. Beaucoup de choses se ramènent à un manque d'éducation, de savoir-vivre, de politesse -toutes ces valeurs de transmission qui transcendent la gauche et la droite, mais que la gauche ferait bien de reprendre à son compte.
Vous vous êtes déjà expliqué sur votre logement parisien. Mais ne pensez-vous pas que cela puisse choquer l'électorat populaire?
Je savais qu'en étant candidat, je m'en prendrais plein la gueule. Cette affaire a éclaté trois jours après ma déclaration de candidature! A propos d'un logement que j'occupe depuis 28 ans... Je l'ai obtenu quand j'ai quitté le ministère de la recherche et de l'industrie, pour ne pas avoir à déménager et à changer d'école mes enfants qui étaient jeunes. A l'époque, je ne m'en suis pas occupé, c'est ma femme qui s'occupe de ces choses-là. Tout locataire qui est dans ses meubles depuis un certain nombre d'années ne paie pas le loyer de la spéculation, surtout dans des quartiers où elle est galopante. Et je n'appartiens pas au logement social comme mes adversaires essaient de le faire croire, mais au patrimoine libre de la Ville de Paris. Cela prouve jusqu'où va un certain esprit de vindicte. Tout cela est assez triste...
Certains parmi vos amis socialistes disent que vous êtes candidat pour obtenir des circonscriptions pour vos proches. On sait déjà que le PS en a réservé 4 ou 5 pour le MRC...
Vous me l'apprenez. C'est une initiative propre au Parti socialiste. Il n'y a aucun accord aujourd'hui entre le MRC et le PS.
Ces circonscriptions vous suffiraient-elles?
C'est assez dérisoire pour ce que nous représentons politiquement et historiquement. Sur le 1,5 million de voix qui s'est porté sur moi en 2002, je dois bien en avoir conservé quelques centaines de milliers. Je pense que ma parole peut avoir un poids pendant la campagne. Je ne suis candidat que pour des raisons totalement désintéressées.
Au Sénat, certains disent que votre candidature est aussi liée à la non-obtention d'une présidence de commission après la victoire de la gauche...
Jean-Pierre Bel (le nouveau président PS du Sénat) m'avait laissé entendre que je pourrais être président de la commission des affaires étrangères et de la défense. La décision a été prise dans des conditions qui me sont restées très opaques de donner la présidence à un de mes collègues. Mais il n'y aucune déception de ma part. J'aurais de toute façon été candidat à la présidence de la république.
A quelles conditions pourriez-vous retirer cette candidature dont vos proches disent eux-mêmes qu'elle pourrait ne pas aller au bout?
Il faut qu'on s'entende mieux sur ce que pourrait être la croissance à l'échelle européenne. Comment l'organiser? Comment peser sur l'Allemagne et sur sa psychorigidité en matière monétaire? Nous devons être plus fermes sur la souveraineté de la France et sur l'avenir de la dissuasion nucléaire, sur notre indépendance à la fois militaire et diplomatique. Nous devons avoir une vision plus réaliste et plus souple sur l'Europe. Bien évidemment, l'accord PS-Verts ne nous engagera jamais. Et nous souhaitons que le candidat se souvienne qu'il est candidat à la présidence de la République et non dans une négociation type gauche plurielle. Cette combinaison politicienne ne conduit nulle part.
Propos recueillis par Stéphane Alliès et Lénaïg Bredoux
Source: Mediapart